Under the Tree ★★☆☆

Accusé d’adultère, Atli est mis à la porte de chez lui par sa femme. Il retourne s’installer chez ses parents vieillissants, qui ne se remettent pas de la disparition mystérieuse de son frère aîné. Un arbre dans leur jardin fait de l’ombre à celui de leurs voisins. La querelle bientôt s’envenime.

Contrairement à ce que laisse augurer sa bande-annonce, Under the Tree n’est pas une version islandaise de la comédie américaine Nos pires voisins. Tout au plus quelques scènes d’humour noir y prêtent-elles à sourire. Under the Tree est plutôt un film angoissant habité par une tension permanente, remarquablement écrit. Les frictions entre les parents d’Atli et leurs voisins se succèdent et s’accumulent, d’une gravité croissante. Leur point de départ peut sembler frivole : le faîtage d’un arbre fait de l’ombre à la terrasse des voisins qui aimeraient pouvoir y bronzer (on imagine qu’en Islande les bains de soleil sont rares).

On a tous connu un jour ou l’autre avec ses voisins une situation comparable : des nuisances sonores, visuelles, olfactives. Des hauts talons qui claquent dans l’appartement des voisins du dessus. Un étage surélevé qui nous bloque la vue sur la mer. Des poubelles jamais rentrées qui empuantissent l’allée. Selon qu’on est plus ou moins sensibles, on en fait une jaunisse ou contre mauvaise fortune bon cœur.

Under the Tree montre comment les choses lentement dégénèrent. Il le ferait avec d’autant plus d’efficacité s’il n’était pas handicapé par deux défauts. Le premier est l’histoire d’Atli avec sa femme, sans lien avec la querelle de voisinage de ses parents et qui occupe pourtant un bon tiers du film. La seconde est son dénouement inutilement gore qui décrédibilise la minutieuse horlogerie qui le précédait. Dommage…

La bande-annonce

Le Monde est à toi ★★☆☆

François (Karim Leklou) en a marre de sa vie en banlieue, des deals minables avec son beau-père, un ex-taulard à moitié branque (Vincent Cassel), des frasques de sa mère, une voleuse professionnelle qui n’a jamais su décrocher (Isabelle Adjani), de l’amour impossible avec l’inaccessible Lamya (Oulaya Amamra). Il veut embrasser une vie ordinaire en reprenant la franchise de Mr Freeze au Maroc. Mais, pour parvenir à ses fins, il a besoin d’un capital que le caïd du quartier, aussi violent que décérébré (Sofian Khammes) lui propose d’aller gagner à Benidorm en Espagne.
Encadré par deux caïras à la gâchette facile, François ne pourra compter sur son ingéniosité et sur ses amis pour affronter la mafia anglaise de la drogue.

Le Monde est à toi présente une affiche paradoxale : un sacré défilé de stars laissant le haut de l’affiche à un quasi inconnu. Le quasi inconnu n’en est plus tout à fait un puisque Karim Leklou a déjà montré sa trogne impayable dans Un prophète, Coup de chaud, Réparer les vivants et Orpheline. C’est autour de lui que le film se construit, seul personnage raisonnable, seul héros positif au milieu d’une galerie de pieds nickelés. Vincent Cassel, Isabelle Adjani, mais aussi Philippe Katerine (en avocat véreux) et François Damiens (en truand rangé des voitures) s’en donnent à cœur joie.

Le résultat est un mélange maladroit entre comédie française pas vraiment drôle et polar gangsta pas vraiment  haletant. Comme dans les films de Guy Ritchie (Revolver, Snatch), la forme l’emporte sur le fond. Pas étonnant de la part d’un réalisateur venu du clip. La Quinzaine des réalisateurs à Cannes n’a pas été convaincue. Elle a eu la dent dure. Sans crier au génie, 15 août oblige, reconnaissons qu’on ne s’ennuie pas et même qu’on passe un moment agréable.

La bande-annonce

Mission Impossible – Fallout ★★☆☆

Ethan Hunt (Tom Cruise) et ses coéquipiers de la team Mission impossible doivent récupérer trois bombes au plutonium qu’un terroriste menace de faire exploser au Cachemire.

Vingt ans après le premier opus, Tom Cruise, la musique iconique de Lalo Schifrin et les répliques mythiques qui avaient fait le succès de la série créée en 1967 (« your mission, should you choose to accept it… ») n’ont – presque – pas pris une ride.

Et tel est bien le problème. Quand bien même Tom Cruise répète qu’il ne sert à rien de tourner des suites si elles n’apportent rien de neuf, il peine à mettre en œuvre cette saine résolution. Mission impossible 6 (pourquoi diable les producteurs n’ont ils pas joué avec l’acronyme MI6 ?) ressemble à s’y méprendre aux épisodes précédents : un Tom Cruise rebondissant entouré de top models qui lui mangent la soupe sur la tête, une intrigue suffisamment alambiquée pour qu’on n’y comprenne rien sans préjudice, des cascades toujours plus étourdissantes filmées aux quatre coins du monde…

La seule différence : un budget toujours plus éléphantesque qui tangente le PIB du Nepal et qui autorise toutes les excentricités. Les spectateurs français sont bien placés pour le savoir qui retrouveront avec gourmandise quelques vues parisiennes filmées dans un joyeux désordre. On dirait presque la retape de la sortie de l’ENA : Bercy, le Palais royal, la rue de Valois… ne manquent que le Quai d’Orsay et la place Beauvau !

Scotché par l’accumulation de roulades, on ne regarde pas sa montre. On la regarde d’autant moins qu’on sera allé voir le film en IMAX 3D – et qu’on n’aura pas la mesquinerie de trouver la place à 19.90€ un peu cher payée. De là à dire qu’on attend avec impatience la sortie de MI7, il y a un pas qu’on ne franchira pas.

La bande-annonce

Le Poirier sauvage ☆☆☆☆

Sinan vient d’obtenir son diplôme universitaire. Pour autant son avenir reste sombre. Écrivain amateur, il aimerait publier son premier ouvrage intitulé Le Poirier sauvage. Il tente sans conviction le concours d’instituteur en craignant, s’il le réussit, d’être muté dans l’est du pays. Si rien ne se passe, il devra bientôt partir faire son service militaire.
Le jeune Sinan n’a qu’une hantise : reproduire le destin de son père dont l’intelligence et le sens artistique ont été gâchés par le goût du jeu et qui s’est résigné à une vie médiocre.

Nuri Bilge Ceylan raconte l’histoire d’un fils ni vraiment prodige ni vraiment prodigue qui s’en revient chez lui, ses études achevées, et qui hésite sur le sens à donner à sa vie. Pendant tout le film la caméra le suit qui déambule dans son village au fil des rencontres plus ou moins fortuites qu’il y fait.

Une critique internationale pâmée a décrété que Ceylan était le plus grand réalisateur turc contemporain. Depuis Uzak et jusqu’à Winter Sleep consacré en 2014 par la Palme d’Or, elle a invoqué à chacun de ses films les mânes de Tchekov pour la finesse de la description des caractères, de Dostoievski pour leur ambition métaphysique, d’Antonioni pour la peinture des relations de couple et d’Angelopoulos pour la beauté hypnotisante de ses plans et leur longueur déroutante.

C’est beaucoup. C’est trop. Le dernier film en date de Ceylan, certes sélectionné à Cannes mais dont il est revenu bredouille à la différence des cinq précédents, dévoile les limites de l’exercice sinon la mystification dont il est coupable.

Pendant près de trois heures, une durée que rien ne justifie sinon l’orgueil démesuré du réalisateur-scénariste-monteur et son mépris de ses spectateurs, le même procédé est inlassablement répété : le héros solitaire, filmé en plongée pour mieux l’écraser, arpente la campagne turque en attendant de faire une rencontre qui plonge l’auditoire dans un tunnel logorrhéique d’une vingtaine de minutes.

Chaque face à face, quasiment filmé à l’identique a sa thématique lourdement soulignée. Avec le père ou le grand père qui le sollicite pour les aider dans les travaux agricoles, l’atavisme familial. Avec le maire ou l’entrepreneur de BTP auprès desquels Sinan mendie une subvention pour publier son livre, la corruption et la bêtise des classes dirigeantes. Avec l’ancienne amie de lycée qu’il embrasse sous un poirier sauvage, la nostalgie des vertes amours enfantines et des occasions à tout jamais perdues. Avec le jeune imam faussement moderniste, le dévoiement de l’Islam. Etc.

Les acteurs, à commencer par l’acteur principal qui a la tête d’un écrivain comme j’ai celle d’un champion de patinage artistique, sont si obnubilés par la diction de leur texte interminable filmé en longs plans-séquences qu’ils en perdent toute spontanéité.

La seule chose à sauver de ce Poirier sauvage serait la musique de Bach qui pare sa bande-annonce d’une élégance grave. Mais répétée dix fois, le thème tourne au jingle et finit par produire l’effet inverse de celui escompté : l’agacement plutôt que la fascination.

La bande-annonce

Mario ★☆☆☆

Mario (Max Hubacher révélé par The Captain) n’a qu’un rêve : devenir footballeur professionnel. La prochaine saison s’annonce déterminante. Son père et son nouvel agent le lui rappellent à l’envi.
L’équipe de Mario, les YB de Berne, voit l’arrivée d’un nouvel attaquant venu d’Allemagne, Leon (Aaron Altaras), avec lequel Mario emménage dans une colocation mise à leur disposition par leur club à proximité du stade.
Entre les deux jeunes gens l’attraction est immédiate. Mais la révélation de leur liaison risque de compromettre leur avenir sportif.

Joli sens du timing pour Mario, qui est d’abord édité le 3 juillet en DVD et VOD avant de connaître le 1er août au MK2 Beaubourg une – confidentielle – sortie en salles : sa diffusion coïncide avec le Mondial de football 2018 et prend pour sujet l’homophobie dans le sport dont la Gay Pride du 30 juin avait fait son thème.

Le sujet est délicat. Quand la rumeur de la liaison entre Mario et Leon circule dans les couloirs du club, deux attitudes sont possibles, qu’incarne chacun des deux joueurs. Celle de Mario consiste à nier envers et contre tout, allant jusqu’à convoquer une amie d’enfance pour convaincre les autres joueurs et l’encadrement de son hétérosexualité. Celle de Leon est moins hypocrite : il assume son homosexualité et ses sentiments pour son coéquipier, renvoyant ceux qui les dénigrent à leur homophobie.

Mais le film est gâché par une mise en scène insipide, proche des canons téléfilmiques, qui en étire la durée sur près de deux heures. On tangente plus la bluette gay que le drame de société – comme l’affiche hélas aurait dû nous en avertir. Et l’épilogue a beau éviter l’écueil du happy end convenu, il ne suffit pas à sauver ce film trop mièvre. Son contenu et son traitement rendent d’autant plus dérisoire la décision des organisateurs de Cannes Écrans Juniors de le déprogrammer, faisant à ce film sans grand intérêt une publicité paradoxale qu’il ne méritait pas.

La bande-annonce

Une famille italienne ★★☆☆

Sur l’île d’Ischia, Pietro et Alba, riches restaurateurs romains, fêtent leurs noces d’or entourés de toute leur famille : leurs enfants, leurs petits-enfants, une vieille sœur, leurs neveux… Mais un orage bloque les invités pendant deux jours sur l’île.

Après douze ans à Hollywood, où Will Smith l’a adoubé, l’Italien Gabriele Muccino revient à Ithaque et y retrouve la formule qui avait fait son succès au debut des années 2000 avec Juste un baiser et Souviens-toi de moi : le film italien chorale rassemblant plusieurs générations d’une même famille et en décrivant, le temps d’un week-end paroxystique, les petites lâchetés et les grandes passions.

La formule pourrait sembler téléphonée. La bande-annonce laissait augurer le pire : une version cinéma de Plus belle la vie ou de Maguy avec moult éclats de voix et de rire. Mais le résultat est loin d’être déplaisant – profitant sans doute de ce que notre indulgence connaît un lâche relâchement en ces périodes caniculaires où la fraîcheur des salles obscures suffit, à elle seule, à nous combler.

Le mérite en revient à Gabriele Muccino qui a réuni autour de lui une pléiade d’acteurs plus ou moins connus de ce côté-ci des Alpes (on reconnait Stefano Accorsi dans le rôle du fils prodigue et Stefania Sandrelli dans celui de la mère de famille). Il réussit à donner à chacun un rôle qui ne se réduit pas à un stéréotype : la femme trompée, le malade d’Alzheimer et son épouse qui s’épuise à le soigner, le mari écartelé entre son ancienne femme et la nouvelle, le couple de jeunes tourtereaux, etc. Il le fait surtout avec une mise en scène d’une parfaite fluidité qui enchaîne les scènes de groupe filmées en longs plans séquences parfaitement millimétrés.

Rien de bien intéressant ne se passe ; mais on ne s’ennuie pas une seconde pour autant. Car on s’attache à toutes ces micro-histoires, à tous ces destins ordinaires. On parle fort et haut ; on crie ; on rit ; on pleure. Tout cela est sans doute excessif sinon caricatural. Mais on est en Italie. C’est l’été. Ne boudons pas notre plaisir.

La bande-annonce

My Lady ★★☆☆

Mrs. Justice Fiona Maye (Emma Thompson) vit et travaille à la Haute Cour de Justice à Londres. Elle a consacré sa vie à son travail au point de négliger son mari, professeur de littérature (Stanley Tucci). Affectée à la division familiale, Dame Fiona doit y trancher des affaires délicates : ainsi de deux siamois promis à une mort certaine faute d’être séparés mais dont la séparation entraînera fatalement la mort du plus faible.
Lors d’une astreinte, la juge Maye se voit confier un dossier aussi delicat qu’urgent. Il s’agit d’un Témoin de Jehovah leucémique qui refuse la transfusion sanguine qui pourrait le sauver. Le patient serait-il majeur, l’hôpital ne pourrait pas légalement le transfuser contre son gré. Mais le jeune Adam Henry (Fionn Whitehead) étant encore mineur pendant quelques semaines, l’hôpital peut obtenir d’un juge ce droit, sur la base du Children Act de 1979 qui place l’intérêt de l’enfant au-dessus de toute autre considération.

My Lady est l’adaptation d’un roman de Ian McEwan publié en 2014 sous le titre The Children Act (en français L’intérêt de l’enfant). Même si le film de Richard Eyre est d’une absolue fidélité au roman qu’il adapte, le changement de titre est l’indice d’un glissement sémantique : c’est moins la résolution d’une question juridique qui en sera au cœur que le portrait d’une femme.

Et c’est bien dommage. Car le film – comme le roman – commence bien qui promet une intrigue ramassée dans un prétoire face à une juge magistralement interprétée par Emma Thompson obligée d’arbitrer entre deux valeurs contradictoires : d’un côté le respect des croyances religieuses de chacun, partie intégrante du respect de la dignité humaine, de l’autre le droit à la vie.

Hélas la question – qui, tout bien réfléchi est moins epineuse qu’il n’y paraît et a été tranchée par une jurisprudence ancienne et constante – n’occupe que la moitié du film. Au bout d’une heure, un second commence, qui entraîne à Newcastle à l’occasion d’une audience foraine de la juge Maye. Il n’est certes pas sans lien avec le premier ; mais il n’en a pas l’unité et l’intensité. Il éclaire certains aspects du premier. Mais trop tard : il a perdu en cours de route son intérêt… sinon celui de l’enfant.

La bande-annonce

Arythmie ★★★☆

Katia et Oleg se sont rencontrés en faculté de médecine. Mariés depuis peu, ils travaillent ensemble au service des urgences d’une ville russe moyenne. Katia accueille les malades et les oriente vers le bloc. Oleg est affecté dans une unité mobile d’intervention.
Mais réforme du système de santé oblige, leurs conditions de travail changent. On leur demande d’être plus rapides, plus efficaces, fût-ce au détriment de la qualité des soins prodigués aux patients dont ils ont la charge.
Ces évolutions ne sont pas sans incidence sur leur couple. Oleg boit de plus en plus et Katia le supporte de moins en moins.

Le cinéma russe a le don de nous terrasser. Leviathan et Faute d’amour de Zvianguitsev, L’Idiot! de Bykov, Une femme douce de Loznitsa, Classe à part de Tverdovsky, Tesnota de Balagov, la liste est longue de ces films russes qui nous laissent hébétés, pantois. Ces œuvres ont en commun de filmer à l’os, sans concession, une société dure à l’homme, violente, égoïste et les fragiles îlots de résistance que lui opposent quelques individus esseulés et leurs moyens dérisoires : leur courage, leur intégrité, leur amour…

Arythmie s’inscrit dans cette désormais riche généalogie. Il s’y inscrit si bien qu’il risque de passer inaperçu, éclipsé par ses prédécesseurs, desservi par la date de sa sortie en plein cœur de l’été. Il trace deux fils narratifs dont on aurait pu craindre qu’ils fussent par trop artificiellement reliés l’un à l’autre.
D’un côté, une critique politique en règle d’un système de santé, obligé de se renier pour satisfaire aux règles iniques de l’efficience capitaliste. On suit Oleg et son infirmier dans leurs maraudes, qui prennent le temps d’apaiser l’insuffisance respiratoire d’une vieille dame au risque d’arriver trop tard à leur rendez-vous suivant et d’y découvrir une patiente décédée et sa famille désespérée.
De l’autre côté, le drame intime d’un couple qui se délite, un homme et une femme qui ne se supportent plus mais n’arrivent pas à se séparer. Leur histoire, pour banale qu’elle soit, est bouleversante. Elle connaît de touchantes accalmies, telle cette scène d’amour filmée sans fard, à l’issue d’une soirée arrosée entre amis. Son dénouement réussit à éviter le double piège du cynisme et de l’irénisme.

La bande-annonce