Finding Phong ★★☆☆

Phong a grandi dans la campagne vietnamienne, dernier fils d’une nombreuse fratrie. Depuis sa prime enfance une certitude l’habite [si j’ose dire] : il est une femme dans un corps d’homme.
Il décide de suivre un traitement hormonal et de se faire opérer en Thaïlande. Ce documentaire le suit pendant ce processus.

Finding Phong est un documentaire qui tourne le dos à tout psychologisme alors qu’il traite d’un sujet éminemment psychologique. La caméra des coréalisateurs, le français Swann Dubus-Mallet et le Vietnamien Phuong Thao Tran, filme dans la durée les transformations physiques de Phong : des seins qui gonflent trop lentement, des cheveux qui poussent et que Phong coiffe avec coquetterie, des tenues de plus en plus féminines…

Cette transformation nourrit chez le spectateur une curiosité un peu malsaine, vite satisfaite par quelques explications chirurgicales imagées. Mais il aura bientôt compris que l’essentiel se passe ailleurs, dans la tête. Et dans la tête de Phong, au fond, même s’il pleure beaucoup et souvent, il ne se passe pas grand-chose. Car Phong est un être simple. Il est une femme dans un corps d’homme. Point. Le documentaire n’entretient pas à ce sujet de suspense ni n’invente de rebondissement artificiel au risque de manquer de nerf.

Son environnement est plutôt clément à Phong. Certes sa mère ne voit pas d’un bon œil sa mue mais elle est la première à concéder que c’est par égoïsme maternel. Son père est plus philosophe. Et ses frères administrent une belle leçon de modestie quand ils avouent leur gêne initiale puis expriment leur respect de la liberté du choix de leur frère.

Finding Phong s’arrête à la sortie de la clinique thaïlandaise où Phong subit une vaginoplastie. Comme si Phong s’y était trouvé.e. On regrette que la caméra ne le/la suive pas encore quelque temps dans sa nouvelle vie. Ces quelques mois supplémentaires auraient permis de répondre à une question laissée en suspens :  Phong devient-il une femme du jour où il a un vagin ? On esquisse une réponse doublement négative : non car il l’était déjà avant son opération et non car il/elle ne le sera jamais tout à fait. Ou pour le dire autrement : la femme ne se définit pas par son vagin et le vagin ne fait pas la femme.

La bande-annonce

Ni juge, ni soumise ★☆☆☆

Anne Gruwez est juge d’instruction à Bruxelles. Pendant trois ans, l’équipe de Striptease l’a filmée. Dans son bureau où elle auditionne des inculpés et décide leur mise en accusation. Sur les lieux des crimes où elle se déplace dans une 2CV chevrotante. À la police judiciaire où elle décide de rouvrir une vieille affaire restée irrésolue.

Jetez un œil à la bande annonce pour découvrir Anne Gruwez. Elle ne vous laissera pas indifférente.

La première réaction sera bien sûr le franc éclat de rire devant la drôlerie de ses réparties. On n’oubliera pas de sitôt l’audience d’une maîtresse SM qui enseigne par le menu à la juge fascinée – et à son greffier vaguement gêné – les secrets d’un massage prostatique réussi ou celle d’une famille consanguine abrutie. Bien sûr l’équipe de Striptease résume en cent minutes des heures de rush et des années d’audition qui n’étaient forcément pas toutes si hilarants. Mais le best of qu’ils ont amassé est franchement poilant. La salle ne s’y trompe pas qui, quasi-pleine et étonnamment âgée, s’esclaffe bruyamment – j’ai bien cru que mon voisin allait s’étouffer de rire.

Mais derrière cette réaction primaire s’en cache une seconde plus malaisante. C’est d’ailleurs celle qu’inspire les enquêtes de Striptease. Un sentiment d’incrédulité, de gêne, d’impudeur. Incrédulité devant les énormités que prononce cette magistrate qui lui vaudrait, en France, une convocation immédiate devant le CSM par exemple lorsqu’elle tient des propos racistes sur un Albanais accusé de violence conjugale ou devant cette avocate qui, bafouant les droits de la défense, enfonce son client, abruti d’alcool et de médicaments. Gêne devant des accusés qui, quels que soient leurs torts, ont dû signer une décharge autorisant Striptease à les filmer sans réaliser le ridicule dans lequel ils sont tournés. Impudeur d’un cadavre qu’on déterre par un beau jour d’été pour lui prélever de l’ADN sans que soit observée à l’égard de sa dépouille l’élémentaire décence que le respect des morts exige.

Bien sûr, en écrivant ce qui précède, j’ai conscience d’être un cul-serré, un Français scrogneugneu que ne font pas rire quelques bonnes blagues belges , un conseiller d’État péremptoire qui sacralise les principes déontologiques pour critiquer la réalité quotidienne de la vie d’un juge d’instruction qui se coltine avec la réalité. Peut-être… Mais quand même…

La bande-annonce

Jusqu’à la garde ★★★★

Le divorce des Besson se passe mal. Miriam accuse son mari de violence conjugale. Elle a décidé de déménager, pour se protéger et pour protéger ses enfants. Joséphine, qui fête bientôt ses dix-huit ans, et Julien qui n’en a que onze encore, refusent de revoir leur père qui réclame un droit de visite. La juge aux affaires familiales doit trancher.

La scène qui ouvre Jusqu’à la garde voit, comme l’affiche l’annonce, une juge trancher un litige. D’un côté, une femme fluette murée dans un silence hostile qui se dit victime de harcèlement. De l’autre un colosse qu’on sent prêt à exploser d’une violence mal contenue qui réclame le droit de voir son fils. Qui a le droit (aurait crié Patrick Bruel) ? Le père, tranche la juge. Hélas elle a tort.

Car, très vite, l’ambiguïté qui caractérise cette première scène magistrale disparaît. Très vite, on comprend que les craintes de cette mère traumatisée ne sont pas exagérées, que son mutisme borné n’est pas la marque d’un féminisme revanchard ou castrateur mais la carapace qu’elle s’est construite pour se protéger et pour protéger ses enfants. Très vite, on comprend que la violence sourde du mari va exploser.

La tension du film se déplace. La question n’est plus de savoir qui du mari ou de l’épouse a tort. Elle est de savoir comment la violence du mari va s’exprimer. À qui va-t-il s’en prendre ? À sa femme qu’il harcèle en espionnant ses allées et venues, en la traquant sur son téléphone ? À son fils dont il a obtenu la garde un week-end sur deux et dont il essaie par un mélange de séduction et de terreur de reconquérir la tendresse ? À sa fille que protège désormais sa maturité et la passion qui la plonge dans les bras de son amoureux pour fuir un foyer sans amour ? À lui-même dans un acte désespéré et suicidaire ?

Jusqu’à la garde n’est pas un film sur un divorce douloureux – comme l’était L’Économie du couple que j’avais élu meilleur film de l’année 2016. C’est un thriller éprouvant sur un homme violent. La tension y est irrespirable. Le film, tendu comme un arc, est insoutenable. L’envie m’a pris de quitter la salle tant l’atmosphère qu’il distille est angoissante. C’est presque avec soulagement que vient la conclusion, paroxystique, mais, à mon avis moins intelligente que le reste de ce film exceptionnel.

La bande-annonce

Le 15h17 pour Paris ☆☆☆☆

Le 21 août 2015, un terroriste surarmé a voulu assassiner les passagers du Thalys 9364 entre Bruxelles et Paris. Un carnage a été évité grâce à l’intervention héroïque de trois Américains en vacances en Europe.
Le 15h17 pour Paris retrace leurs vies.

Il y a deux façons de considérer ce film. La première est d’oublier qu’il a été réalisé par Clint Eastwood et de l’exécuter en deux phrases en se bornant à constater qu’il s’agit d’un navet sans intérêt. La seconde est de ce se demander pourquoi l’un des réalisateurs les plus (sur)côtés d’Hollywood s’est engagé dans cette galère.

Quand on a appris que les trois héros du Thalys 9364 tourneraient leurs propres rôles dans le dernier film de Clint Eastwood, on a froncé un sourcil interrogateur : le réalisateur de Impitoyable et de Million Dollar Baby se lancerait-il dans le documentaire ? Il n’en est rien. Le 15h17 pour Paris, quoiqu’inspiré de faits réels, est un film. Un film comme on en a déjà vu des palanquées. Un film qui, comme aujourd’hui il est de bon ton à Hollywood, est censé être d’autant plus émouvant qu’il est « inspiré de faits réels ». Mais un film qui déroule une histoire connu d’avance au suspense éventé avec des acteurs qui, reconnaissons-leur ce mérite, abattent honnêtement leur tâche, aussi novices soient-ils.

On aurait pu concevoir que Le 15h17 pour Paris raconte en temps réel les événements qui se sont déroulés vers 18 heures entre Bruxelles et Paris à bord de ce désormais célèbre Thalys. Il n’en est rien. Comme dans Sully, le précédent film de Eastwood, qui racontait l’acte héroïque du capitaine « Sully » qui fit atterrir son avion sur l’Hudson, Eastwood ne résiste pas à la tentation du flashback psychologisant, soit que l’événement lui-même ne suffise pas à faire la matière d’un film, soit que Eastwood veuille à tout pris comprendre et expliquer comment des citoyens ordinaires en viennent à accomplir des actes qui ne le sont pas.

Du coup nous voilà propulsés dix ans plus tôt dans un collège de Sacramento où nos trois Ricains sont copains comme cochons. Vous êtes venus voir un film sur un attentat terroriste commis dans un train ? On vous sert un film américain sur Riri, Fifi et Loulou convoqués chez le proviseur pour être arrivés en retard au bahut !

Ces gentilles gamineries prennent un bon tiers du film. Mais la suite n’est guère mieux. Riri, Fifi et Loulou ont grandi. Spencer essaie non sans mal d’intégrer l’armée. Alek, lui, part se battre en Afghanistan. Quant à Anthony… on en sait pas trop ; son rôle a dû être coupé au montage. Les trois amis, qu’on imagine volontiers inséparables, décident d’aller passer du bon temps en Europe. Ils atterrissent à Rome, visitent Venise, font un crochet par Berlin et Amsterdam, et après en avoir longuement délibéré (« les Parisiens sont malpolis … oui, bon, j’aimerais quand même faire un selfie devant la Tour Eiffel »), s’en vont visiter la France. Rien de leur odyssée touristique ne nous est épargné. On imagine volontiers que Clint avait envie de visiter Rome et a demandé à la production de lui organiser un tour : Colisée, Fontaine de Trévi, Piazza di Spagna, Vatican… on se croirait à une séance de Voyages et Connaissance du monde (avec un conférencier en detox qui dans un micro grésillant décrit ses diapositives de vacances).

Enfin arrive la scène du train. Un terroriste monte dans un train. Il s’enferme dans les toilettes pour charger ses armes. Il en sort et tire sur le premier venu. Spencer lui saute dessus, l’immobilise… et c’est fini.

Je viens de vous faire économiser dix euros.

La bande-annonce