Le Jeune Ahmed ★★★☆

Ahmed a treize ans. Sous l’influence de l’imam du quartier, qui assume le rôle de père de substitution, Ahmed s’est progressivement radicalisé. Il respecte les prescriptions de sa foi : il fait ses ablutions avec un soin scrupuleux, prie cinq fois par jour aux horaires prescrits, apprend les sourates du Coran dans la langue du prophète, refuse de serrer la main impures de Madame Inès (Myriem Akheddiou), l’éducatrice qui le suit depuis l’enfance. Ahmed a un rêve : suivre le chemin de son cousin, qui est allé mourir au djihad.
Une tentative de meurtre – dont on ne dira rien – le conduit en centre fermé. Ahmed y est pris en main par des éducateurs compréhensifs. Abandonnera-t-il son projet mortifère ?

La radicalisation est décidément un sujet à la mode. C’était le thème principal des Exfiltrés sorti le 6 mars et de L’Adieu à la nuit, sur les écrans depuis le 24 avril. Mais cette fois-ci ce sont les frères Dardenne qui en parlent. Et on ne joue plus dans la même division.

Les frères belges comptent en effet parmi les plus grands réalisateurs contemporains. Chacun de leurs films est sélectionné au Festival de Cannes – Le Jeune Ahmed y a obtenu hier soir le prix mérité de la mise en scène. Tous font l’événement – même si l’honnêteté oblige à reconnaître que les deux derniers sont un chouïa moins bons que les précédents. Ils font partie, avec Haneke, Loach et Kusturica, du club ultra-fermé des réalisateurs ayant décroché deux fois la Palme d’or : en 1999 avec Rosetta et en 2005 avec L’Enfant. Le Gamin au vélo se classe au premier rang de mon Top 10 2011.

Les recettes de cette réussite se retrouvent dans leur neuvième long métrage. Des films brefs sans une once de gras (Le Jeune Ahmed dure 1h24, Le Gamin au vélo durait 1h27, Rosetta 1h30). Des scénarios au cordeau, où chaque élément trouve parfaitement sa place sans pour autant verser dans le minimalisme. Des plans séquence qui ne quittent pas d’un pas leur héros souvent filmé de dos, en mouvement (c’était déjà la marque de fabrique de Rosetta) et qui ne renoncent jamais à un sens maîtrisé du cadrage. Des histoires simples, naturalistes, qui ont pour cadre la Wallonie des réalisateurs et pour héros des gens de peu aux prises avec une vie difficile : la jeune Rosetta qui se bat contre la misère, Lorna, la prostituée albanaise, Cyril, le « gamin au vélo », bouillonnant de colère, Sandra, l’héroïne de Deux jours et une nuit, qui doit convaincre ses collègues d’un geste de solidarité… Et surtout, une profonde humanité. C’est le mot qui revient le plus souvent quand on parle du cinéma des frères Dardenne. La corde est pourtant raide sur laquelle leurs films parviennent miraculeusement à se tenir, qui ne versent ni dans le sentimentalisme ni dans la complaisance.

Ce tombereau d’éloges déversé pourquoi ne pas mettre le maximum d’étoiles au Jeune Ahmed ? À cause du choix de son héros. La faute n’incombe pas tant au jeune Idir Ben Addi mais au casting qui aurait dû, selon moi, lui préférer un acteur plus âgé. Le jeune Ahmed est trop… jeune. Il a encore les traits poupins de l’enfance, la maladresse de ses gestes. On ne l’imagine pas en dangereux terroriste sur la voie du djihad. On ne l’imagine pas non plus s’éveiller aux élans de l’amour au contact de la jolie Louise (Victoria Bluck). Aurait-il eu deux ans de plus, le héros aurait été plus crédible.

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Château Pékin ★☆☆☆

Quand la Chine s’éveillera… elle boira du vin et en produira. À travers trois personnages – un jeune sommelier hongkongais venu faire les vendanges en Bourgogne, une femme d’affaires chinoise enrichie dans le commerce du thé et du tabac désirant créer un vignoble dans le Yunnan, un œnologue bordelais expatrié en Chine où il conseille des exploitants viticoles – Château Pékin documente une lente révolution : l’acculturation de la vigne en Chine et la conversion des Chinois au vin en attendant demain peut-être la conquête du monde par le vin chinois.

Boris Petric est anthropologue. Il est spécialiste des mutations sociales dans l’espace post-soviétique. J’avais lu et aimé l’ouvrage qu’il avait consacré en 2013 au Kirghizstan cocassement intitulé On a mangé nos moutons. J’étais très intéressé par ses travaux au Centre Norbert Elias, une unité mixte de recherches du CNRS et de l’EHESS, où il a créé La Fabrique des écritures, un lieu de création dédié aux nouvelles formes de narration en sciences sociales : documentaires, bandes dessinées, muséographiques…

Bref, Château Pékin m’intéressait doublement. Par son sujet. Et par la façon de le présenter. Je suis hélas resté sur ma faim.

Château Pékin n’est guère original sur la forme. C’est un documentaire d’une heure au format bâtard (trop long pour la télévision, trop court pour le cinéma) qui se borne à suivre ses trois protagonistes. Il contient certes quelques plans impressionnants – ces châteaux bordelais reconstitués de toute pièce dans le Shandong – ou cocasses – cette traductrice chinoise à la peine pour traduire la blague pas drôle d’un viticulteur bourguignon. Mais rien qui ne se distingue du tout-venant télévisuel et qui, surtout, ne laisse deviner la démarche entreprise à La Fabrique des écritures.

Sur le fond, on ressort frustré de ce documentaire trop court. On n’apprend rien sur la culture du vin en Chine, sur les obstacles techniques et culturels auxquels elle se heurte (les sols chinois sont-ils propices à la viticulture ? les techniques viticoles utilisées en France sont-elles transposables à l’identique en Chine ? les consommateurs chinois sont-ils enclins à boire du vin ?), sur ses éventuelles ambitions internationales. C’est en allant fureter sur Internet que j’ai découvert que la structure du repas chinois, avec sa multitude de petits plats servis au centre de la table dans lesquels chaque convive picore, n’était guère propice à la consommation du vin qui s’accommode mieux d’un service à l’assiette. Une information, parmi d’autres, qu’on aurait aimé trouver dans Château Pékin.

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Gloria Bell ★★★☆

Gloria Bell (Julianne Moore) a la cinquantaine bien entamée. Divorcée depuis douze ans, elle vit seule dans une copropriété bruyante. Ses enfants sont grands : son fils (Michael Cera) vient d’avoir un bébé, sa fille (Caren Pistorius) prof de yoga en croque pour un surfeur suédois.
Dans le dancing pour célibataires qu’elle fréquente régulièrement, Gloria rencontre Arnold (John Turturro), un homme divorcé et aimant. Avec lui s’ébauche une belle histoire.

Il y a cinq ans, le réalisateur chilien Sebastian Leilo avait tourné Gloria. Le film avait valu à son actrice principale Paulina Garcia l’Ours d’argent de la meilleure actrice. Julianne Moore le visionna et proposa à son réalisateur d’en produire le remake, le temps pour lui de boucler les deux qu’il avait en chantier, Une femme fantastique (Oscar 2018 du meilleur film étranger) et Désobéissance.

On peut légitimement s’interroger sur l’utilité des remakes. Pourquoi assaisonner à la sauce hollywoodienne une œuvre chilienne ou moldave déjà parfaitement réussie ? N’est ce pas encourager le public américain dans son nombrilisme et son manque de curiosité ? En quoi le remake ajoutera-t-il au film qu’il recopie ? La liste des films français populaires ayant fait l’objet de remakes américains est aussi longue que calamiteuse : Le Dîner de cons, Taxi, Nikita, Le Grand Chemin, Trois hommes et un couffin, Les Visiteurs, La Cage aux folles

Dans cette mesure, le remake de Gloria ne m’était pas spontanément sympathique. Mais c’était oublier le talent de Julianne Moore. La star hollywoodienne, bientôt sexagénaire, est d’une justesse absolue dans un rôle qui ne verse ni dans l’auto-glorification ni dans le misérabilisme. Gloria Bell est une femme de cinquante ans qui ne veut pas renoncer au bonheur. C’est une employée modèle dans la société d’assurances qui l’emploie, aussi dévouée à ses clients qu’à ses collègues. C’est une mère parfaite toujours prête à servir de baby sitter pour son petit-fils ou à prodiguer des conseils à sa fille. C’est une femme aimante à qui pèse la solitude et qui aimerait désespérément vivre une dernière histoire d’amour.

Outre l’énergie contagieuse de son actrice, Gloria Bell a deux autres atouts. Le premier est son scénario qui loin de nous entraîner sur une voie toute tracée nous surprend par son épilogue poignant. Le second est sa B.O. qui réjouira tous les nostalgiques des années disco : Bonnie Tyler, Olivia Newton-John, Paul McCartney et bien sûr la chanson titre de Laura Branigan.

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Les Crevettes pailletées ★★☆☆

Suite aux propos homophobes qu’il a tenus après une défaite, Mathias Le Goff (Nicolas Gob, vu à la télévision dans Un village français et L’Art du crime), vice-champion du monde de natation, est condamné par sa fédération à coacher pendant trois mois une équipe de water-polo gay « Les Crevettes pailletées » en vue des Gay Games de Split.
Le premier contact est rude avec Jean, son capitaine (Alban Lenoir auquel je trouve une troublante ressemblance avec… Édouard Philippe). L’équipe joyeusement hétérogène est plus motivée par faire la fête qu’à se préparer sérieusement. Mais, le temps aidant, dépassant ses préjugés, Mathias va faire cause commune avec ses compagnons de route.

Il y a mille et une raisons d’assassiner Les Crevettes pailletées.
La première est de dénoncer un remake de The Full Monty et du Grand Bain, construit sur le même squelette : un film choral sur une fraternité masculine réunis dans une surprenante équipe (des Chippendales, un ballet de natation synchronisée, une équipe de water polo…). La formule a trop servi. Et on redoute ses prochaines déclinaisons : des féministes qui frappent à la porte de la fédération de lutte gréco-romaine ? des jeunes de banlieue passionnés de bridge ?
La deuxième est de critiquer le simplisme du message. Il s’agit, on l’aura compris, de dénoncer l’homophobie par le rire. Cet hymne à la tolérance et à la différence est loin d’être scandaleux. Au contraire, il devient d’un étonnant et paradoxal conformisme. C’est le comble : Les Crevettes pailletées a des airs de Priscilla, folle du désert politiquement correct.

Mais, foin de ces raisonnements trop subtils. Malgré sa bienséance, ses avalanches de clichés, ses plaisanteries parfois bien lourdes, son tire-larmisme indécent dans sa conclusion. Les Crevettes pailletées a deux qualités définitives. Il touche et fait rire. Que demander de plus ?

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Nous finirons ensemble ★☆☆☆

Les années ont passé depuis la mort de Ludo (Jean Dujardin).
Max (François Cluzet) va mal. Il s’est séparé de Véronique (Valérie Bonneton). Ses affaires ont périclité et il doit se résigner à vendre sa maison du Cap-Ferret.
Mais ses amis lui sont toujours  fidèles et ont décidé de venir lui faire une surprise pour son soixantième anniversaire. Marie (Marion Cotillard) n’a rien perdu de sa punk attitude. Eric (Gilles Lellouche) a eu un enfant. Antoine (Laurent Lafitte) est toujours aussi immature. Vincent (Benoît Magimel) assume désormais son homosexualité. Isabelle (Pascale Arbillot) se console de son divorce en enchaînant les rencontres d’un soir.

Les Petits Mouchoirs et ses cinq millions d’entrées en 2010 appelaient immanquablement une suite. Elle arrive huit ans plus tard et attirera probablement trois millions de spectateurs. La plupart seront déçus. J’en fais partie.

La presse est assassine. Jacques Mandelbaum dans Le Monde, volontiers sociologue, dénonce « l’entre soi au Cap-Ferret ». Louis Guichard dans Télérama critique « une succession de sketches sans charme ». Pour Nicolas Schaller dans Le Nouvel Observateur « on navigue entre du Sautet de sitcom, un humour balourd et des intermèdes musicaux parrainés par l’office du tourisme. »

Il y a en effet beaucoup de raisons de ne pas aimer Nous finirons ensemble. La première est de s’insurger contre la paresse des producteurs – et des réalisateurs et des acteurs – qui ne peuvent s’empêcher de tourner une suite dispensable à un succès qui n’en appelait pas. La deuxième tient de la désolation sociologique devant cette « élite beauf » qui, pendant plus de deux heures de film censées résumer une semaine de vacances, se regarde le nombril. La troisième est l’indigence du scénario qui, une fois posé le postulat du film choral, ne sait pas où donner de la tête et invente un saut en parachute et une noyade dans les passes pour pimenter l’action.

La quatrième est la plus rédhibitoire. Nous finirons ensemble ne fait ni rire ni pleurer. À une exception (voir infra), on ne sourit pas aux blagues pas drôles. Et on n’est ému par aucun des personnages, ni par la soixantaine dépressive de Cluzet ni par la rage inextinguible de Cotillard.

J’ai toutefois mis une étoile au film pour une seule raison : Laurent Lafitte. Au milieu d’une pléiade de stars, il les éclipse toutes. Pourtant Marion Cotillard n’est pas mauvaise, que filme avec des yeux enamourés son Guillaume Canet de mari. Mais le sociétaire de la Comédie-française a un talent fou, fait de mille riens. On lui doit la seule scène drôle du film. Merci.

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Douleur et Gloire ★★☆☆

Pas facile d’émettre quelques réserves au sujet du dernier film de Pedro Almodóvar. Les critiques sont en pâmoison. Mes amis l’ont déjà vu et adoré : l’un d’entre eux, parmi les plus grands, le plaçant même « au-delà de tout éloge ». Avant même la clôture du festival de Cannes, la Palme d’or lui est déjà décernée – au motif, à mon sens cruellement inopérant, qu’elle n’aurait jamais été donnée au célèbre réalisateur espagnol.

Commençons par l’affiche. Son héros regarde vers la gauche, vers le passé. Bienvenue dans l’autobiographie du réalisateur madrilène dont on reconnaît la silhouette dans l’ombre chinoise de son acteur fétiche. Le nom de Pedro Almodóvar est juste au-dessus de celui de Antonio Banderas qui s’est vieilli de dix ans, s’est blanchi la barbe et frisé le chef pour endosser le rôle. Celui de Penélope Cruz est aussi en gros caractères, un peu plus bas, qui incarne la mère, idéalisée, jeune, belle, aimante et dure à la tâche, du héros.

Le titre Dolor y Gloria ne brille pas par sa finesse. L’antithèse est transparente : il n’y a pas d’ombre sans lumière, de célébrité sans servitude, de gloire sans douleur.

Le générique qui lance le film entrelace les images psychédéliques de ces merveilleux papiers marbrés utilisés pour relier les vieux livres. Les couleurs intenses s’interpénètrent et créent les motifs les plus inattendus : marbrures, zigzags, fleurs, tourniquets, plumes, chevrons et cailloux. Chaque image est unique ; la figure qu’elle dessine n’est pas figée.

Douleur et Gloire, construit comme un patchwork avec de nombreux flash-back, est une autofiction. Un des plus célèbre cinéastes du moment : Pedro Almodóvar (69 ans) a choisi pour alter ego dans la force de l’âge Antonio Banderas (58 ans) et dans la petite enfance le malicieux Asier Flores, rebaptisés Salvador Mallo, un anagramme quasi-parfait.

Antonio Banderas évite le piège du cabotinage en interprétant ce personnage égocentrique, homosexuel, artiste génial et fortuné. Il vit dans un appartement-musée où se côtoient des bibelots d’exception, un mobilier design rare (le cabinet aux papillons et le secrétaire à armoires Architettura de Piero Fornasetti), une admirable commode syrienne, une collection de toiles contemporaines (dont Antonio Lopez Garcia). Les livres d’art et d’architecture (Gaudi, Sottsass) témoignent de la culture du maître qui lit le dernier Goncourt (L’Ordre du jour de Eric Vuillard) pendant ses insomnies. Tout est parfaitement agencé, rangé, codifié, mais aussi exhibé dans une furieuse quête d’esthétisme.

Cette carapace ne suffit plus à protéger le créateur. Fragilisé par mille infirmités (acouphènes, pharyngites, maux de dos, migraines, difficulté à avaler), il ne parvient plus à créer. Sa vie n’a plus aucun sens.
C’est avec humour que Pedro Almodóvar nous parle de ses douleurs tant physiques que morales. Les faiblesses du corps le révèlent hypocondriaque et sujet à l’automédication. Les chagrins du cœur dévoilent son incapacité à être aimé, sinon de sa mère Jacinta (interprétée successivement par la sensuelle Penélope Cruz et l’entêtée Julieta Serrano) et de son assistante dévouée Mercedes (Nora Navas).

En pleine dépression, il retrouve l’acteur d’un de ses premiers films avec lequel il s’était brouillé : Alberto Crespo (Asier Etxeandia). Ce dernier lui apprend à “chasser le dragon” en l’initiant aux plaisirs interdits de l’héroïne. Ce puissant véhicule calme les douleurs de Salvador, apaise son spleen et le renvoie à ses souvenirs : la poésie de la vie à la campagne où sa mère et ses voisines lavent le linge à la rivière, l’installation dans une cave sordide qui deviendra, avec sa chaux blanche et ses azulejos chatoyants, le monde enchanté du jeune Salvador, l’éveil à la sexualité avec un jeune maçon analphabète au corps d’albâtre, puis l’amour fou pour Federico (Leonardo Sbaraglia) qui s’expatriera en Argentine pour se marier et faire des enfants…

J’évoquais au début de cette longue présentation quelques réserves. Elles sont de deux ordres. Sur le fond et sur la forme.
Le fond : Almodóvar ne se foule pas. La septantaine approchant, il se filme en artiste vieillissant. Quelle imagination ! Il le fait en enchâssant les flash-back. Quelle audace ! Un peu de Volver (l’ode à la mère), un chouïa de La Mauvaise Éducation (l’enfance au séminaire, les sévices sexuels en moins). Quelle originalité !
La forme. Avec l’âge, le porte-drapeau de la movida a perdu son chien. Où est passée l’ironie subversive de ses premiers films ? Almodóvar s’est embourgeoisé. Il s’est institutionnalisé. Tout baigne désormais dans une profonde bienveillance, ni touchante ni drôle. Comme la purée que son héros ingère, tout y est fade.

On me dira que j’ai l’esprit bien chagrin pour ne pas me laisser émouvoir par les retrouvailles de Salvador et de Federico : le long baiser qu’ils échangent – écho à celui du Labyrinthe des passions qui en 1982 avait fait scandale – a vocation à devenir iconique. Et on n’aura pas tort.

Mais une scène ne fait pas un film.
Et la Palme d’or n’a pas vocation à récompenser une œuvre ni à corriger les oublis des palmarès antérieurs.

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Permanent Green Light ☆☆☆☆

Roman (Benjamin Sulpice) est hanté par une obsession : se faire exploser. Son geste n’a aucune dimension politique. Il n’entend pas commettre un attentat ni mettre la vie de quiconque en danger. Il veut simplement s’effacer. Il met plusieurs de ses amis dans la confidence.

Permanent Green Light est un film à quatre mains cosigné par le plasticien français Zac Farley et le romancier américain Dennis Cooper. Né en 1953, Cooper est l’auteur d’une œuvre romanesque, dramaturgique et poétique au parfum de scandale. Son blog et son compte GMail avaient été suspendus en 2016 par Google en raison de son contenu avant d’être rétablis deux mois plus tard suite à la campagne de presse qu’avait provoquée cette décision.

Permanent Green Light porte un discours très ambigu sur le suicide. Sans doute n’encourt-il pas les foudres de l’article 223-13 du code pénal qui criminalise l’incitation au suicide. Mais il s’en approche dangereusement. Il donne à voir successivement trois suicides : par pendaison, par défenestration, par explosion. Il ne met en scène aucun adulte – sinon deux parents éplorés par la mort de leur enfant – susceptible d’offrir une référence à ces adolescents déboussolés. Il n’offre aucun contrepoint aux pulsions mortifères de Roman.

Permanent Green Light est un film perturbant. Présenté l’an passé sous la forme d’un moyen métrage de cinquante-huit minutes, il sort cette année en salles lesté de trente minutes supplémentaires qui ne lui apportent rien. C’est un pensum interminable qui met en scène des adolescents catatoniques et passifs. La direction d’acteurs est calamiteuse. Le scénario souffre d’un vice insurmontable : au lieu de se concentrer sur le seul Roman, il suit la route de ses camarades au point qu’on ne comprend bientôt plus qui est qui.

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Les Chinois et moi ★★★☆

L’équipe chinoise de « Une famille du Whenzou », une série à succès diffusée en prime time sur CCTV1 – l’équivalent chinois de TF1 – a débarqué à Marseille en janvier 2015 pour y tourner quelques épisodes de sa deuxième saison. La série a conquis 145 millions de spectateurs, séduits par son cosmopolitisme : la première saison se déroulait en partie aux États-Unis et en Australie.
L’équipe chinoise a recruté un réalisateur français sinisant, Renaud Cohen, pour l’aider dans le casting des acteurs français, le choix des lieux de tournage et la production de leur série.
Malgré la bonne volonté de tous, le fossé culturel semble infranchissable.

On avait déjà remarqué la facétie de Renaud Cohen qui avait réalisé en 2011 Au cas où je n’aurais pas la Palme d’or, une comédie sur un cinéaste quadragénaire qui, lorsqu’il se découvre une maladie mortelle, décide de s’atteler au tournage de son dernier film.  Dans son nouveau documentaire, sept ans plus tard, ce réalisateur trop rare fait preuve d’une drôlerie rafraîchissante. Des Chinois stakhanovistes, obsédés par la maîtrise des coûts, dénués de la moindre ambition artistique, des Provençaux pantois devant ces étrangers incompréhensibles, une star coréenne narcissique, un résultat navrant avec un doublage ridicule : Renaud Cohen se moque gentiment de tous, à commencer par lui-même, sans jamais se départir de sa bienveillance.

Les Chinois et moi est une pépite. Perdu au milieu d’une actualité cinématographique écrasante (il sort en plein festival de Cannes la même semaine que le Jarmusch et le Almodovar), diffusé dans une seule salle parisienne à des horaires baroques, il est condamné à l’invisibilité. Et c’est bien dommage.

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Norilsk, l’étreinte de glace ★☆☆☆

À l’embouchure du Ienisseï, au nord de la Sibérie, Norilsk revendique le titre de ville la plus septentrionale du monde. Aucune route ne la relie au « continent » sinon la voie aérienne et un chemin de fer de quatre vingts kilomètres jusqu’à l’Océan arctique. Ses quelque deux cent mille habitants sont quasiment tous employés par Norilsk Nickel qui exploite les mines de la région. Véritable « scandale géologique », elle produit 17 % de la production mondiale de nickel et 41 % de celle de palladium, ce qui représente 2 % du PIB russe. La ville fut d’abord un goulag – connu sous le nom de Norillag. Il fut fermé à la mort de Staline et transformé en municipalité.

Le documentariste français François-Xavier Destors a choisi d’y planter sa caméra. Il est allé à la rencontre de ses habitants qui bravent la nuit polaire et les températures extrêmes – qui peuvent tomber l’hiver jusqu’à -50°C. Il interviewe une babouchka survivante du goulag, la patronne d’un salon de coiffure, un jeune musicien…

Tous entretiennent à l’égard de la ville des sentiments ambigus : ils sont unanimes à dénoncer la dureté des conditions de vie et à rêver de la quitter mais ils ont du mal à s’en arracher. Tout se passe comme si, engourdis par le froid et la nuit, ses habitants, incapables de se réacclimater à une vie normale, s’y faisaient piéger. Ce sentiment est renforcé par le parti pris du documentariste qui a choisi d’y filmer exclusivement des paysages enneigés, presque poétiques, qui font oublier l’âpreté du climat et la pollution de l’air.

Déjà diffusé en milieu de nuit le 27 mars sur France 2, Norilsk sort en salles en catimini : il n’est projeté qu’au seul Lucernaire à des horaires improbables. Si le sujet est fascinant, son traitement ne se distingue pas du tout-venant télévisuel.

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The Dead Don’t Die ★☆☆☆

La petite ville de Centerville, au cœur de l’Amérique, coule des jours paisibles. Mais, le réchauffement climatique et la fonte des glaces modifient l’axe de rotation des pôles et conduisent à de biens étranges phénomènes. Le jour et la nuit se confondent ; les animaux s’affolent ; et les morts reviennent parmi les vivants. La petite brigade de police de Centerville et les trois agents qui la composent s’avèrent vite débordés.

Le treizième film de Jim Jarmusch a fait l’ouverture du film de Cannes mardi soir. Les concepteurs de son affiche ne s’y sont pas trompés qui font de son casting son principal atout. On y retrouve en effet la bande d’acteurs dont Jarmusch s’entoure depuis toujours. Tom Waits était déjà à l’affiche de Down by Law en 1986 et Steve Buscemi à celle de Mystery Train en 1989. Bill Murray, Tilda Swinton et Chloë Sevigny partageaient celle de Broken Flowers en 2005, à mon sens le meilleur film de Jarmusch – et celui qui de loin a rencontré en France le plus grand succès au box office. Et Adam Driver était le héro de Paterson, son dernier film en date sorti en 2016.

Cette pléiade de stars était la garantie d’une montée des marches haute en couleurs. Mais c’est bien là hélas le seul atout de ce film décevant. Et on s’inquiète, l’espace d’un instant, que la sélection cannoise puisse désormais s’opérer non pas sur la qualité intrinsèque des films, mais sur la réputation, plus ou moins frelatée de leurs réalisateurs et le glamour de leurs acteurs.

Comme l’affiche le montre sans détour ainsi que son titre apodictique, The Dead don’t Die est un film de zombies. Le genre oscille entre deux sous-genres. Le premier, lancé dès l’origine par La Nuit des morts-vivants de George Romero en 1968, est politique : les zombies sont autant de métaphores de corps étrangers qui sont exclus du corps social mais qui entendent y (re)trouver leur place. Le second est ironique. C’est une satire du genre qui en moque les recettes stéréotypées. La comédie britannique Shaun of the dead (2004) en constitue le modèle indépassable.

The Dead don’t Die ne se rattache à aucun des deux sous-genres. En dépit de son pitch, qui évoque le réchauffement climatique et, implicitement, le déni absurde dans laquelle l’administration Trump le tient, The Dead don’t Die n’a rien de politique. Pas plus ne verse-t-il dans la franche rigolade. Jarmusch invente un troisième sous-genre qui s’inscrit dans la filiation de ses films précédents, nonchalants et désabusés : le film de zombies cool. Mais la formule ne marche pas : la coolitude ne sied pas aux zombies.

Si Tilda Swinton est toujours impériale dans le rôle d’une thanatopractrice décalée qui se mue en ninja blanc façon Kill Bill, si un Iggy Pop caféinomane fait une apparition aux petits oignons, le reste du casting semble un peu perdu dans cette histoire . Le scénario – ou plutôt le fantôme de scénario – fait du surplace. En Cassandre omniscient, Adam Driver en annonce la conclusion dès le début du film. On se dirige vers elle benoîtement, sans surprise, ni frisson – on se demande d’ailleurs bien pourquoi le film est interdit aux moins de douze ans.

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