Tous les dieux du ciel ☆☆☆☆

Dans une ferme perdue au milieu des champs de la  Beauce, Albert (Jean-Luc Couchard) vit seul avec sa sœur Estelle lourdement handicapée (Mélanie Gaydos). Elle a été victime dans son enfance d’un grave accident. Robert, qui s’en estime responsable, l’entoure de ses soins jaloux et sombre lentement dans la folie.

Le réalisateur Quarxx avait d’abord raconté cette histoire dans un court métrage de trente-sept minutes intitulé Un ciel bleu presque parfait. Sur la même base, il réalise un film trois fois plus long en y rajoutant quelques seconds rôles confiés à des acteurs connus (Thierry Frémont, Albert Delpy).

Le passage du court au long ne convainc guère. Le scénario n’est pas assez riche pour justifier un tel format. La curiosité que l’histoire suscite dans son premier quart d’heure ne tient pas la durée.

Plus grave : la relation entre ce frère paranoïaque et cette sœur grabataire dérange. Pendant tout le film, on voit Estelle nue, en couches, immobile, le corps couvert de bleus ou d’escarres, impuissante face aux délires de son frère. Mélanie Gaydos, cette mannequin affectée d’une maladie génétique rare, une dysplasie ectodermique qui entrave la croissance des cheveux, des poils, des dents et des ongles, prête ses traits à cette jeune femme victime d’abus de faiblesse. Le comble est atteint lorsque Albert recrute un gigolo pour faire l’amour à Estelle. L’épilogue lumineux arrive trop tard pour dissiper le malaise.

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Duelles ★☆☆☆

Alice (Veerle Baetens) et Céline (Anne Coesens) sont voisines. Elles sont les meilleures amies du monde. Leurs familles, en tous points similaires, habitent un pavillon cossu de banlieue : Alice comme Céline ont un mari, qui travaille dans une compagnie aérienne, et un fils unique de dix ans. Les deux familles sont vite devenues inséparables.
Mais un événement tragique va les monter l’une contre l’autre.

J’avais beaucoup aimé Illégal (2010) le premier film de Olivier Masset-Depasse. Anne Coesens, déjà elle, y jouait le rôle d’une immigrée russe en situation illégale menacée d’être reconduite à la frontière et séparée de son fils. Avec Duelles, le réalisateur belge change radicalement de registre. Il abandonne le naturalisme brut de son premier film pour un drame intimiste dont l’action se déroule dans les années soixante filmé à la façon d’Alfred Hitchcock ou de Douglas Sirk. Son esthétisation louche du côté de François Ozon.

Hélas, une fois les enjeux du film posés, le scénario peine à soutenir l’intérêt, tournant trop souvent à l’exercice scolaire. Alice et Cécile sont tour à tour coupables et victimes. La paranoïa de l’une nourrit celle de l’autre dans un crescendo de violence qui culmine dans un final paradoxal. Cette conclusion – dont je suis curieux de savoir si elle est fidèle à celle du livre de Barbara Abel dont Duelles est tiré – sauve in extremis le film du naufrage.

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Lourdes ★★★☆

Chaque année, Lourdes, où la Vierge Marie apparut en 1858 à Bernadette Soubirous, accueille quelque six millions de pèlerins dont environ 60.000 malades ou invalides.
Les documentaristes Thierry Demaizière et Alban Teurlai en ont filmé quelques uns.

Les apparitions mariales de 1858 et la ferveur qu’elles ont suscitée ont très tôt inspiré la littérature et le cinéma. Deux courants s’opposent : le premier est critique, le second au contraire est volontiers hagiographique. Au premier appartient le roman rationaliste de Emile Zola, écrit dès 1891 dans la série des Trois Villes (Paris, Rome, Lourdes) ou la satire grinçante de Jean-Pierre Mocky, Le Miraculé (1987) racontant le pèlerinage d’un faux handicapé (Jean Poiret), poursuivi par un assureur (Michel Serrault) qui entend révéler la supercherie de l’usurpateur. Au second appartiennent les nombreux biopics consacrés à sainte Bernadette : celui de Jean Delannoy est sans doute le plus kitsch – je l’avais vu à sa sortie dans une salle toulonnaise fermée depuis  longtemps.

Il y a une dizaine d’années, la réalisatrice autrichienne Jessica Hausner avait consacré une fiction injustement méconnue au pèlerinage avec Sylvie Testud, Léa Seydoux et Bruno Todeschini dans les rôles principaux. Un prêtre y racontait une blague qui me fait toujours rire. C’est l’histoire de la Sainte famille qui discute de ses prochaines vacances : « Si on allait à Jérusalem ? » dit le Père « Ah non répond le fils, je n’y ai pas que de bons souvenirs ». « Lourdes ? propose-t-il. « Oh oui répond la mère ! Je n’y suis jamais allée ».

Mais venons en au documentaire de Demaizière et Teurlai qui avaient consacré, dans un registre radicalement différent, leurs précédentes réalisations à Benjamin Millepied et à Rocco Siffredi.

Il y a avait bien des façons de documenter Lourdes.
Par l’histoire : en racontant la vie de Bernadette.
Par la sociologie : en étudiant les pèlerins qui s’y pressent.
Par l’économie : en dénonçant le mercantilisme régnant autour du pèlerinage.

Demaizière & Teurlai adoptent un parti pris beaucoup plus subjectif. Ils choisissent un échantillon de pèlerins particulièrement significatif venus chercher à Lourdes sinon un miracle du moins une réponse. Il s’agit d’une part de grands malades : un homme lourdement paralysé depuis plus de vingt ans que sa mère continue à entourer de ses soins attentifs, un autre progressivement emmuré par la maladie de Charcot, un officier supérieur du SID dont le plus jeune fils, âgé de deux ans seulement, est condamné à terme par une maladie orpheline. Il s’agit d’autre part d’individus marginaux : un vieux travesti qui se prostitue au Bois de Boulogne, une bande de Gitans…

Tous ces pèlerins sont filmés au cours des différentes étapes qui ponctuent leur séjour à Lourdes : le pèlerinage à la grotte de Massabielle, la messe dans la basilique enterrée Saint-Pie-X, le bain dans la piscine miraculeuse…  On nous montre aussi la foule de bénévoles de toutes obédiences qui se déploient pour faciliter leur accueil. Mais c’est moins décrire cette organisation qui intéresse les réalisateurs que nous faire pénétrer dans l’intimité de ces pèlerins. Il ne s’agit pas de faire leur psychologie, de déterminer leurs motivations, encore moins d’en faire la critique, mais simplement de les donner à voir.

Bien sûr, on pourrait leur reprocher un excès de pathos, un manque de distance. Bien sûr, celui qui croyait au Ciel et celui qui n’y croyait pas ne ressentiront pas ce témoignage baigné de religiosité de la même façon. Et celui même qui y croyait pourrait avoir des réserves sur la débauche de superstitions qui entoure le pèlerinage de Lourdes. Mais tous communieront dans l’émotion poignante que fait naître ce concentré déchirant d’humanité.

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Retour de flamme ★★★☆

Marcos et Ana ont la petite cinquantaine. Il enseigne la littérature à l’université ; elle est cadre dans une société de marketing. Le départ de leur fils unique pour ses études en Espagne les oblige à une lucide introspection. Même s’ils sont unis par une solide complicité, construite sur l’accumulation des souvenirs partagés, l’amour a déserté leur couple.
Ils décident logiquement de se séparer. Mais, la liberté que leur séparation procure aux deux nouveaux célibataires trouve vite ses limites.

Dans les années trente, Hollywood a inventé la comédie du remariage. Cary Grant et Katherine Hepburn en devinrent les figures emblématiques sous la direction de Howard Hawks (L’Impossible Monsieur Bébé) ou de George Cukor (Indiscrétions). Le principe en était simple : un couple marié divorce puis se retrouve. À la vérité, il s’agissait moins pour les studios hollywodiens de parler de remariage que d’adultère, dont l’évocation était censurée par le code Hays.

Retour de flamme n’est pas une comédie du remariage. D’une part, ce n’est pas une comédie – même si les distributeurs français, cherchant à appâter des spectateurs plus enclins à aller au cinéma pour y rire qu’y réfléchir, ont barré l’affiche d’un inepte bandeau « Le retour de Ricardo Darin à la comédie ». D’autre part, le remariage n’est pas vraiment son sujet – même si les mêmes distributeurs ont traduit le subtil « El Amor Menos Pensado » (littéralement « L’Amour le plus improbable ») par le spoilant « Retour de flamme ».

Retour de flamme est plus intelligemment un film sur la crise de la cinquantaine, qui frappe, après le départ de leurs enfants, les couples les plus unis, encore trop jeunes pour considérer que leur vie est finie et qu’elle n’a pas besoin d’un projet pour lui donner du sens. Retour de flamme est un film subtil sur ce désir de liberté qui nous anime tous, quel que soit notre genre, notre âge et notre statut matrimonial, et auquel nous avons tant de mal à renoncer. Qui n’aime pas séduire et être séduit ? Qui n’a pas envie de s’enflammer, de désirer ? Qui a la sérénité d’accepter le fatal engourdissement d’une union qui a inexorablement perdu la fougue de ses commencements et la perspective d’un futur sans surprise scandé par la répétition des habitudes ? Qui a la lucidité de comprendre que les alternatives sont des leurres ?

Le sujet est merveilleusement servi par ses deux interprètes. Ricardo Darin et Mercedes Moran sont l’un comme l’autre d’une classe folle. Je défie les spectateurs.trices de ne pas rêver de ressembler à l’un et d’épouser l’autre.

Retour de flamme a pour autant deux défauts. Le premier, structurel, est son cœur de cible, particulièrement étroit, auquel j’appartiens trop parfaitement pour ne pas mettre en cause mon enthousiasme suspect : CSP+, 45-55 ans, marié depuis vingt ans…
Le second est sa durée et sa théâtralité : trop bavard, trop long, il aurait pu être amputé d’une bonne demie heure sans nuire à son efficacité.

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