Le Milieu de l’horizon ★★☆☆

Gus (Luc Bruchez) a treize ans. Il vit à la ferme avec ses parents, sa sœur aînée et son cousin un peu demeuré. C’est l’été 76, l’été de la canicule qui s’abat sur les hommes et les bêtes mettant en péril l’équilibre, déjà fragile, de l’exploitation familiale. Tandis que le père (Thibaut Evrard) se démène comme un beau diable pour sauver ses poulets et ses vaches, la mère (Laetitia Casta), fatiguée d’une vie de corvées, nourrit pour une amie de passage (Clémence Poésy) des désirs coupables.

Le monde paysan a décidément la cote dans le cinéma français [Oui. Je sais. J’ai commencé avant-hier ma critique d’Illusions perdues de la même façon en parlant des adaptations de Balzac]. Après les très réussis Petit Paysan et Au nom de la terre, on a vu se multiplier les mélodrames ayant pour héros des hommes et des femmes durs à la tâche, se frottant aux rudes travaux agricoles : La Terre des hommes, La Nuée, Revenir… sans parler de l’engouement soudain pour les documentaires sur le monde paysan : Honeyland, Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes

La réalisatrice suisse Delphine Lehericey est allée tourner en 35mm en Macédoine l’adaptation d’un roman de son compatriote, Roland Buti, publié en 2013, dont l’action se déroule quarante ans plus tôt. On retrouve les couleurs, le grain de l’image et la moiteur de L’Eté meurtrier. Mais, même si Laetitia Casta est presqu’aussi sexy qu’Isabelle Adjani au sommet de sa gloire, la comparaison s’arrête là. Le Milieu de l’horizon (pourquoi ce titre qui ne veut rien dire ?) n’est pas l’histoire d’une machiavélique vengeance dans un village des Hautes-Alpes, mais plus banalement un coming of age movie, un film sur la sortie de l’enfance comme on en a déjà vu treize à la douzaine.

Il n’y a pas grand-chose à lui reprocher : les acteurs font le job (avec une mention spéciale pour Patrick Descamps dont c’est le troisième film qui sort en quatre semaines), le scénario se tient…. Mais il n’y a pas grand-chose non plus d’immémorable dans ce récit convenu et sa conclusion sans surprise.

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Pleasure ★★☆☆

Une jeune Suédoise, blonde et pulpeuse, vingt ans à peine, débarque à Los Angeles. Sous le nom de Bella Cherry, elle entend percer dans le X. Elle est prête à tourner les scènes plus extrêmes pour atteindre le Graal : devenir une Spiegler Girl.

Il y a quelques mois, en plein confinement, Netflix avait diffusé un documentaire exclusif sur l’industrie du porno, Hot Girls Wanted. On y suivait en Floride, l’espace de quelques mois, trois jeunes femmes et leur agent. Sans verser dans le misérabilisme ni dans le voyeurisme, cet excellent documentaire dépeignait une réalité sordide : des jeunes filles qui, sans qu’aucune contrainte physique ou psychologique soit exercée sur elles, décidaient, par attrait pour l’argent facile, pour soigner une blessure narcissique ou pour solder un différend familial, de faire de leur corps un objet sexuel.

C’est exactement la même réalité que dépeint, sur un mode fictionnel, Pleasure, un film suédois tourné par une militante féministe et anti-porno, dont il faut évidemment considérer le titre comme une antithèse provocatrice : le plaisir lubrique que les images du X donnent à des millions de masturbateurs solitaires (80 % des hommes « consommeraient » (sic) du porno) est le résultat de l’asservissement et de l’humiliation de milliers de jeunes femmes

Le film – comme le documentaire avant lui – a une qualité : il montre l’ambiguïté d’une industrie et de ses « modèles » qui reposent sur une logique capitaliste. Si les modèles sont asservis et humiliés, c’est parce qu’elles le veulent bien ! Une scène – parmi bien d’autres – est particulièrement éclairante à ce sujet : le tournage hardcore auquel Bella Cherry accepte de participer, où elle sera giflée, molestée, insultée par deux hommes brutaux et violents. La jeune femme, n’en pouvant plus, les implore d’arrêter… ce qu’ils font immédiatement, s’inquiétant de son état, la rassérénant, lui proposant une pause et un verre d’eau. Va-t-elle continuer ? Le réalisateur la rassure : c’est à elle de décider. Elle n’est forcée à rien. Mais que les choses soient claires : on a dérangé une équipe de tournage, une maquilleuse, un cadreur et deux acteurs. Il serait dommage d’en rester là et de ne pas mettre le film dans la boîte. Si elle se déballonne au milieu d’un tournage, elle devra faire une croix sur sa carrière.

Pleasure est interdit aux moins de seize ans en France. Sa classification a fait l’objet de deux visionnages et de longs débats devant la commission chargée de rendre un avis au ministre de la culture. On imagine volontiers les débats : le contenu du film, ses images très crues (à noter que si on voit beaucoup de pénis, plus ou moins érigés, en plans plus ou moins rapprochés, le film ne compte pas un seul gros plan de sexe féminin), plaidaient automatiquement pour une interdiction aux moins de dix-huit ans. Pour autant, on peut légitimement considérer que des adolescents de seize ans, gros consommateurs de videos X, pourraient utilement voir ce film pour toucher du doigt – si on ose dire – la réalité sordide qui se cache derrière les images dont ils sont si friands.

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Illusions perdues ★★★☆

Lucien Chardon (Benjamin Voisin) s’est mis en tête d’utiliser le nom de sa mère pour se faire une place dans le monde. Le jeune roturier, employé à Angoulême dans une modeste imprimerie, signe son premier recueil de poèmes Lucien de Rubempré, le dédie à Madame de Bargeton (Cécile De France), sa protectrice dont il fait sa maîtresse, et monte à Paris avec elle avant qu’elle ne le chasse sur les conseils de sa cousine, la marquise d’Espard (Jeanne Balibar).
Lucien, sans protection, sans travail et sans argent, trouve alors à s’employer dans un journal. Lousteau (Vincent Lacoste) en est le rédacteur en chef ; Finot (Louis-Do de Lencquesaing) le propriétaire. Loin des idéaux qu’il avait pu nourrir, Lucien, qui est tombé amoureux de Coralie (Salomé Dewaels), une actrice de boulevard, y découvre un monde cupide et corrompu. Il en adopte pourtant les usages et y connaîtra une gloire éphémère.

Balzac a décidément la côte. Trois semaines après Eugénie Grandet sort cette adaptation d’un autre des volumes, le plus connu peut-être, des Scènes de la vie de province. Les deux films vont-ils se cannibaliser ? Les amoureux de Balzac ou les parents d’élève qui auront amené leur collégien de quatrième voir Eugénie Grandet fin septembre, amèneront-ils leur lycéen de première voir Illusions perdues trois semaines plus tard ?

J’avais eu la dent dure contre Eugénie Grandet, que j’avais trouvé bien académique. Au contraire, j’ai été enthousiasmé par Illusions perdues pour des motifs dont je ne parviens pas avec certitude à déterminer s’ils tiennent de l’oeuvre de Balzac ou de son adaptation par Xavier Giannoli.

Car, à la différence d’Eugénie Grandet, Illusions perdues est sacrément moderne. Il présente le monde de la presse, que Balzac connaissait bien pour y avoir longtemps travaillé, avec une acuité qui n’a rien perdu de son actualité. L’action se déroule sous la Restauration. Balzac écrit vingt ans plus tard. La presse est libre. Mais cette liberté est détournée. Des journalistes sans états d’âme vendent leur plume aux plus offrants pour colporter des fausses nouvelles – on ne parlait pas encore de fake news, mais de « canards » – faire l’éloge des spectacles ou des livres pour lesquels ils avaient reçu des pots-de-vin ou, au contraire, quelle qu’en soit la valeur réelle, les exécuter d’une critique assassine.

Vincent Lacoste, dont la moue molle a normalement le don de m’horripiler (ne manquerait plus qu’il tourne avec Isabelle Huppert), excelle dans le rôle de ce chef de rédaction au cynisme revendiqué. Dans une scène mémorable, Il apprend au jeune Lucien – qui n’est pourtant son cadet que de quelques années et qui pourrait lui ressembler bien vite s’il décidait de suivre la même voie – comment exécuter une oeuvre, même si elle est bonne : « Le récit est parfaitement maîtrisé ? Il est prévisible ! L’intrigue est finement observée ? L’œuvre manque de mystère ! ». La scène a pour moi, qui me pique de rédiger chaque matin une critique, un écho féroce, en me montrant avec quelle facilité on peut écrire tout ou son contraire, faire d’une qualité un défaut et transformer en exercice de style gratuit ce qui devrait toujours être l’expression sincère d’un sentiment authentique.

D’ailleurs on pourrait utiliser les termes mêmes de cette scène pour instruire le procès du film de Xavier Giannoli : trop long, trop académique, trop prévisible (on sait depuis la Rome antique qu’il n’y a qu’un pas du Capitole à la roche Tarpéienne et que le succès de Lucien annonce sa chute inéluctable)…. mais ce serait se montrer bien injuste avec un réalisateur qui, depuis vingt ans, trace son chemin dans le cinéma français avec de la belle ouvrage, régulièrement salué mais jamais acclamé (il a été nommé trois fois aux Césars pour Quand j’étais un chanteur, À l’origine et Marguerite, mais n’a jamais décroché de statuette).

Son film est d’une revigorante énergie. On y découvre, en voisin éclairé, les galeries du Palais-Royal qui, à l’époque étaient le haut lieu de la galanterie parisienne. On y croise des seconds rôles intimidants : Jeanne Balibar, mielleusement aristocrate, Gérard Depardieu, plus obèse que jamais mais moins exubérant qu’il n’en a l’habitude, Xavier Dolan lui aussi admirable de retenue et de profondeur (son personnage, caricature de l’écrivain de Cour, s’avère l’un des plus profonds du film), André Bercon, l’impresario inoubliable de Marguerite, Cécile de France désormais abonnée aux rôles de MILF, Jean-François Stévenin dans son tout dernier rôle, les traits déjà émaciés par la maladie….

Face à ces statues du Commandeur, Giannoli fait le pari de confier les premiers rôles à deux jeunes inconnus. Benjamin Voisin avait été révélé par François Ozon dans Été 85 ; il est de tous les plans de ces Illusions perdues qu’il porte sur ses jeunes épaules avec ce mélange de fougue juvénile et de fragilité qui caractérise son jeu. Quant à Salomé Dewaels on ne l’avait jamais vue, mais on fait le pari qu’on la reverra très vite.

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First Cow ★★☆☆

Dans les montagnes de l’Oregon, au début du dix-neuvième siècle, le destin de deux chercheurs d’or va se croiser. Cookie Figowitz est cuisinier. King Lu est un immigré chinois en rupture de ban, pourchassé par des mercenaires. Les deux hommes vont voler le lait de la vache d’un riche propriétaire terrien (Toby Jones) pour fabriquer des pâtisseries que la petite colonie s’arrachera bientôt.

Kelly Reichardt est la grande papesse du cinéma indépendant américain. Depuis son premier film, River of Grass, tourné en 1994, elle déploie une œuvre aussi originale que minimaliste. La plupart de ses films se déroulent dans les espaces immenses du Nord-Est américain, l’Oregon (Old Joy, Wendy & Lucy, La Dernière Piste, Night Moves) ou le Montana (Certaines femmes). La plupart sont contemporains. Mais First Cow est son deuxième western après La Dernière Piste en 2010.

Western n’est peut-être pas la qualification la mieux appropriée. Car First Cow ne reproduit aucun des stéréotypes du genre. Amateurs ou amatrices de duels au soleil, de poursuites en diligence, de shérifs à la détente agile et de tenancières de saloons à la jarretière audacieuse, passez votre chemin ! Rien de tel dans First Cow dont les héros ont l’épaisseur de seconds rôles et dont l’intrigue se réduit à presque rien.

Deux types de réactions, aussi dissemblables que possibles, peuvent naître de ce spectacle. Et je dois reconnaître qu’il s’en est fallu de peu que je bascule de l’une à l’autre – comme en témoignent les commentaires tour à tour élogieux ou plus mitigés qu’ont suscités les précédents films de Kelly Reichardt.
Le premier serait de dénoncer l’ennui que suscite ce film de plus de deux heures, sans rythme, frisant l’insignifiance.
Le second, au contraire, serait de s’extasier de ces « petits riens » terriblement réalistes qui sont l’étoffe dont étaient faites les rudes vies de ces premiers colons et de se laisser émouvoir par le mélo pudique que la première image du film et sa toute dernière font naître.

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Le Dernier Duel ★★★☆

Dans la France du roi Charles VI, à la fin du XIVème siècle, deux chevaliers portent devant Dieu leur querelle. Jean de Carrouges (Matt Damon) et Jacques Le Gris (Adam Driver) sont pourtant des compagnons de longue date qui ont livré bien des batailles côte à côte. Mais le contentieux entre les hommes que tout oppose n’a cessé de grandir. Carrouges, un chevalier sans peur et sans reproche, s’est attiré l’hostilité de son suzerain, la comte d’Alençon (Ben Affleck), à force de maladresse là où Le Gris, pourtant moins bien né, par son charme et son érudition, s’en est fait l’indispensable bras droit, au point d’obtenir de lui les charges héréditaires qui auraient dû échoir à Carrouges.
Le conflit entre les deux hommes éclate au sujet de Marguerite, la femme de Carrouges, qui accuse Le Gris de l’avoir violée durant une absence de son mari.

(Sir) Ridley Scott est peut-être l’un des plus grands réalisateurs de son temps. Il a tourné des films mythiques : Alien, Blade Runner, Thelma et Louise, Gladiator…. Son tout premier film ressemble à celui qui sera parmi ses derniers : Les Duellistes (1977) racontait déjà la rivalité à mort, une vie durant, de deux hussards napoléoniens. Le Dernier Duel reprend le même schéma et le transpose à l’époque médiévale qu’a déjà souvent explorée Ridley Scott, auteur d’un Robin des Bois oubliable mais d’un Kingdom of Heaven mémorable. Chaque détail, jusqu’au combat final si longtemps attendu, y est reconstitué avec une flamboyance hollywoodienne que l’austérité toute bergmanienne de l’affiche ne laissait pas augurer.

Ridley Scott s’attaque à un sujet diablement contemporain et, pour le traiter, utilise un procédé qui l’est presqu’autant.
Le sujet du Dernier Duel résonne puissamment avec notre époque. Il y est question d’un viol et du doute jeté sur le témoignage de la victime. Jodie Comer m’a fait penser aux trois héroïnes de Scandale, l’un des meilleurs films de l’année dernière, qui chacune à sa façon incarnaient les réactions possibles face aux abus du patriarcat.
Pour raconter ce viol et le procès qu’il suscite, Ridley Scott utilise un procédé éprouvé : raconter les mêmes faits par les yeux différents de chacun de leurs protagonistes. Kurosawa l’avait fait le premier au début des années 50 dans Rashōmon ; le procédé est depuis indissociablement lié à ce film. Il est le plus cinématographique qui soit.

Il faut un scénario sacrément bien charpenté pour que la répétition de la même scène ne devienne pas ennuyeuse. Ridley Scott y parvient à merveille en donnant tour à tour la parole à Jean de Carrouges, à Jacques Le Gris et à Marguerite. Des différences infimes apparaissent selon les points de vue. Tel fait, telle parole selon qu’ils soient rapportés par tel ou tel varient d’une mémoire à l’autre. Carrouges qui apparaît d’abord comme un preux chevalier, bafoué dans son honneur, prêt à tout pour défendre sa belle, se révèle en fait un homme fruste, illettré, primaire et violent. S’il prend fait et cause pour Marguerite dans le procès qui l’oppose à Le Gris, c’est moins par amour pour elle que par mâle orgueil. Le personnage de Le Gris est autrement plus subtil. C’est un être aussi adroit dans le maniement des armes que dans l’art de plaire. Il séduit les hommes comme les femmes. Sa culpabilité ne fait guère de doute même si de son point de vue Marguerite ne lui a opposé que la résistance que se doit d’afficher une femme vertueuse à son séducteur. Finalement, c’est Marguerite qui a le rôle le plus ingrat et le moins profond.

À quatre-vingt ans passés, Ridley Scott en remontre encore à plus jeune que lui avec cette ténébreuse fresque historique aux résonnances très contemporaines.

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L’Homme de la cave ★★☆☆

Samuel Sandberg (Jérémie Rénier) vend la cave familiale de son appartement parisien. M. Fonzic (François Cluzet) s’en porte acquéreur : se présentant comme un ancien professeur d’histoire, il affirme vouloir y entreposer les affaires de sa mère récemment décédée alors qu’il y élit bientôt domicile. Alarmé par son comportement suspect, Samuel découvre vite la vérité : M. Fonzic a été renvoyé de l’Education nationale pour négationnisme et vit à la rue. Mais, il est trop tard pour annuler la vente.

Après les riantes locataires des combles – Les Femmes du sixième étage – Philippe Le Guay plonge dans les souterrains d’un immeuble pour compléter son portrait microcosmique, façon Pérec, de la vie parisienne. Alors que l’action des Femmes… se déroulait dans les années soixante, L’Homme de la cave est contemporain et traite de front le négationnisme et son inévitable corollaire, le complotisme. Excellemment interprété par le toujours excellent François Cluzet, M. Fonzic, le cheveu gras, le pardessus fatigué, répète le mantra  de tous les négationnistes et autres covido-sceptiques : « penser par soi-même », « interroger les vérités officielles » « se poser les bonnes questions »….

M. Fonzic s’immisce dans la vie des époux Sandberg et rend leur vie impossible. Se sentant le seul responsable de cette présence encombrante, Samuel prend tout sur lui, contacte sans succès une succession d’avocats tandis que sa femme, Hélène (Bérénice Béjo), plonge dans le passé refoulé de sa belle-famille. David (Jonathan Zaccaï), le frère de Samuel, propose son aide sans succès. Les relations avec la copropriété se tendent. Le charme doucereux de M. Fonzic menace de contaminer Justine, la fille de Samuel et d’Hélène. On aura vite compris la métaphore, pas toujours légère : le négationnisme est un cancer qui sape nos fondations et met à mal le lien social.

L’Homme de la cave est un feel-bad movie. C’est un film qui rend mal à l’aise, qui distille tout du long des ondes négatives. C’est un film déplaisant qui n’a pas vocation de plaire. Pas évident d’attirer les spectateurs qui, à tort ou à raison, lui préfèreront des films plus souriants – et il n’en manque pas ces temps ci sur les écrans. D’autant que sa conclusion est bâclée et ratée : les trois co-scénaristes ne savaient manifestement pas comment le terminer et ont choisi l’option la plus paresseuse.

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Julie (en 12 chapitres) ★★★☆

C’est l’histoire de Julie (Renate Reinsve), racontée en douze chapitres, un prologue et un épilogue. L’histoire d’une trentenaire norvégienne bien dans son temps qui n’aime pas faire des choix et hésite sur la voie à suivre. Après des études de médecine puis de psychologie, elle bifurque vers la photographie et trouve un job alimentaire dans une grande librairie. Après avoir aimé Aksel (Anders Danielsen Lie), un bédéiste plus âgé qu’elle qui aspire à fonder une famille alors que Julie ne s’y sent pas prête, elle aimera Eivind (Herbert Nordrum), qu’elle a rencontré dans une soirée de mariage où elle s’était incrustée sans y être invitée.

Le cinquième film de Joachim Trier arrive sur nos écrans précédé d’une réputation flatteuse. Son réalisateur – sans lien de parenté avec son homonyme danois Lars von Trier – s’était déjà fait connaître avec Oslo, 31 août (une adaptation contemporaine du Feu follet de Drieu la Rochelle), Louder than Bombs et Thelma. Julie (en 12 chapitres) avait surtout été remarqué à Cannes où son interprète principale, la solaire Renate Reinsve, avait remporté le prix d’interprétation féminine. Une récompense largement méritée pour cette girl next door au sourire irrésistible ; car on ne peut regarder son film sans tomber instantanément amoureux d’elle et/ou l’ériger en life model.

Alors sans doute, si on cherchait la petite bête, on pourrait trouver bien des défauts à ce personnage : sa versatilité, son indécision, son refus de l’engagement. Mais ce sont des défauts parfaitement assumés par le film dont le titre original norvégien annonce la couleur : La Pire Fille du monde. Et ce sont surtout des défauts vite excusés par la formidable authenticité de ce personnage passionnément libre.

Une scène du film deviendra immédiatement iconique : celle où le monde se fige tandis que Julie court vers son amoureux. Elle résonnera immanquablement avec celles que nous avons tous vécues un jour ou l’autre, où la terre entière pouvait s’arrêter tandis que seul comptait pour nous l’être aimé.
Une autre, plus ludique, n’est pas moins réussie : celle du mariage où Julie et Eivind se rencontrent et testent jusqu’à l’aube les frontières de la fidélité conjugale.

Dans son dernier tiers, Julie (en 12 chapitres) devient plus grave. On craint un instant qu’il ne perde la légèreté qui avait fait son principal attrait jusque là. Mais on réalise que ce ballast n’est pas inutile pour lester un peu le film et, surtout, qu’il sonne diablement juste. Jusqu’à sa dernière image – qui s’écarte de la fin que nous redoutions – Julie (en 12 chapitres) nous surprendra. Pour le meilleur.

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Le Traducteur ★☆☆☆

Sami (Ziad Bakri) est traducteur. Au début des années 1980, encore enfant, il a vu sous ses yeux son père disparaître entre les mains de la police syrienne. Il obtient l’asile politique en Australie en 2000 après un calamiteux lapsus devant les télévisions du monde entier. En 2011, quand le Printemps arabe éclate et quand Sami apprend que son frère vient d’être emprisonné, il décide de retourner dans son pays natal avec Chase, un journaliste australien et ami de longue date.

Le Traducteur hésite entre plusieurs registres.
Il lorgne du côté des superproductions hollywoodiennes mais n’en a pas les moyens.
Il a l’ambition d’être une oeuvre engagée qui dénonce la dictature de Bachar el-Assad et l’impuissance de la communauté internationale et glorifie le courage des insurgés.
C’est un thriller qui suit pas à pas Sami dans sa tentative chaotique de retour au pays natal où il doit se cacher de la police et espère sauver son frère.
C’est enfin un drame familial qui met aux prises Sami, son frère Ziad, sa belle-soeur Karma et son autre sœur Loulou qui attend un enfant.

Le Traducteur croule sous le poids de ses ambitions. Le thriller ne trouve jamais vraiment son rythme. La dénonciation du régime autoritaire syrien aligne les lieux communs. Les dilemmes dans lesquels chaque personnage sont placés frisent souvent la caricature. En un mot, la sauce ne prend pas.
Le Traducteur est toutefois sauvé par son final. Sa dernière scène n’est pas crédible ; mais elle a un panache qu’on n’oublie pas de sitôt.

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Leur Algérie ★★☆☆

Lina Soualem est la fille du comédien Zinedine Soualem. Elle filme ses grands-parents, Aïcha et Mabrouk, des immigrés algériens installés à Thiers en Auvergne depuis les années cinquante, qui, après plus de soixante années de vie commune, décident de se séparer.

Le très justement titré Leur Algérie peut se lire à trois niveaux.

C’est d’abord, comme son titre l’annonce, le témoignage de deux immigrés, au crépuscule de leur vie, sur leur exil en France, la décision jamais totalement assumée de s’y installer définitivement et la façon d’y avoir amené avec eux « leur » Algérie. À ce titre est particulièrement intéressante la justification qu’ils donnent à leurs retours de plus en plus épisodiques au bled et à leur peu de soin à transmettre à leurs enfants la langue et la culture algériennes : « Quand on nait Algérien, on est Algérien, pas besoin d’y aller pour ça [ou d’en parler la langue] ». Leur Algérie trouve ainsi légitimement sa place dans une histoire de l’immigration algérienne encore en cours de réalisation, où les documentaires filmés seront aussi utiles que les thèses écrites.

Plus anecdotiquement, Leur Algérie s’inscrit dans un espace bien particulier. Il se déroule à Thiers, une petite ville industrielle jadis capitale de la coutellerie qui, comme tous les centres industriels en manque de bras, fit appel dans l’après-guerre, aux travailleurs maghrébins. L’industrie est aujourd’hui en déclin sinon en faillite et la coutellerie n’est plus qu’une attraction pour touristes.

Enfin et surtout, Leur Algérie est le portrait de deux êtres, Aïcha et Mabrouk, unis l’un à l’autre par un mariage arrangé et qui ont partagé une vie sans amour. Le constat est cruel et la caméra de Lina Saoulem souvent impudique qui pousse ses deux grands-parents dans ses retranchements. La vieille femme lui oppose un fou rire nerveux et cache son visage dans ses mains. La stratégie de fuite de son grand-père est toute différente : il se mure dans son silence. Un silence qu’il a semble-t-il affecté toute sa vie, une vie de dur labeur, une vie pleine de rancœur, une vie que l’arrivée de ses enfants ne semble même pas avoir égayée. Une vie sans bonheur.

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Eiffel ★☆☆☆

1886. Gustave Eiffel (Romain Duris) rentre de New York, où il a construit la structure métallique de la Statue de la liberté, auréolé de gloire. L’Exposition universelle de 1889 se prépare ; mais Eiffel ne voit pas l’intérêt de construire un projet éphémère et préfère s’intéresser au futur métro. Il changera d’avis après avoir retrouvé Adrienne (Emma Mackey), un amour de jeunesse, et se lancera dans le défi inouï de construire une tour métallique de trois cents mètres de haut.

Voilà plus de vingt ans que le scénario de Caroline Bongrand circulait des deux côtés de l’Atlantique, entre Paris et Hollywood. Luc Besson envisagea de le réaliser, avec Gérard Depardieu dans le rôle d’Eiffel et Isabelle Adjani dans celui d’Adrienne : peut-être Rodin et Camille Claudel y auraient-ils eu des seconds rôles. Christophe Baratier (Les Choristes) et Olivier Dahan (La Môme) ont été approchés : ils auraient, qui sait, fait chanter les ouvriers depuis leurs échafaudages. Et même Ridley Scott – qui aurait, sait-on jamais, organisé un combat de gladiateurs ou une course poursuites d’androïdes au pied de la Tour.

Le projet est finalement échu à Martin Bourboulon, un réalisateur venu de la publicité qui ne peut guère afficher à sa filmographie que les oubliables Papa ou Maman 1 et 2 (j’en dis du mal sans les avoir vus). C’est peu dire que le résultat en est navrant.

La principale erreur – est-elle d’ailleurs la faute du malheureux réalisateur ou des nombreux co-scénaristes qui ont, sur le métier, cent fois remis leur ouvrage ? – est de vouloir raconter la construction de la tour à travers une romance sirupeuse. La romance réunit, on l’a dit, Gustave Eiffel et Adrienne qu’il avait rencontrée trente ans plus tôt à Bordeaux où il construisait un pont métallique avant-gardiste. Il serait injuste de jeter la pierre aux deux têtes d’affiche : Romain Duris a beau approcher la cinquantaine, il n’en demeure pas moins toujours aussi juvénile et séduisant. Quant à l’actrice franco-britannique Emma Mackey, la révélation de la série Netflix Sex Education, elle est voluptueuse à souhait.
Une sournoise polémique a surgi autour de leur écart d’âge : censés incarner deux personnages du même âge, Romain Duris a en fait vingt ans de plus que sa jeune partenaire, reproduisant, selon certains, les stéréotypes phallocratiques les plus dégradants. Le problème me semble moins être celui de cet écart d’âge que celui des flashbacks dont le film est lardé où le réalisateur a laissé interpréter par les mêmes acteurs, lourdement grimés, leurs rôles en 1860 et en 1889.

Eiffel nous promettait de nous raconter la construction de la Tour. Or on n’en voit pas grand chose, sinon quelques arrières-plans certes majestueux, mais qui sentent les effets spéciaux à plein nez. Bien sûr, la promotion du film a beau jeu d’invoquer Titanic où le naufrage du luxueux transatlantique était raconté à travers la folle histoire d’amour de deux de ses passagers. Mais n’est pas James Cameron – ou Leonardo di Caprio ou Kate Winslet – qui veut ! Certes, l’histoire de l’amour impossible de Gustave et Adrienne est touchante ; mais elle nous distrait de l’essentiel : cette Tour monstrueuse et pourtant si élégante dont l’érection (je n’ai pas pu résister !) ne donne lieu qu’à deux scènes isolées, dans ses fondations où l’eau menace de monter et à son premier étage dont il faut, au millimètre près, agencer les piliers.

Ces deux séquences orphelines laissent augurer ce qu’aurait pu être un film réussi sur la construction de la Tour : une histoire qui au lieu de nous cantonner dans la chambre à coucher de Gustave et Adrienne nous aurait donné le vertige d’une construction babélienne.

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