L’Établi ★★☆☆

Ancien élève de Louis-le-Grand et de l’Ecole normale supérieure, membre de la Gauche prolétarienne qu’il avait rejointe après avoir quitté le PCF auquel il reprochait son révisionnisme, le jeune Robert Linhart décide, en septembre 1968, de se faire embaucher incognito à l’usine Citroën de la porte de Choisy à Paris pour y faire l’expérience de la vie ouvrière et pour y conscientiser ses camarades. Il raconte son expérience dans un livre autobiographique publié en 1978 :  L’Établi, qui fut adapté à La Cartoucherie en 2018 et qui est aujourd’hui porté à l’écran

En entendant le titre de ce film, j’ai cru qu’il désignait une table de travail dans une usine. Je ne sais pas si l’ambiguïté du titre est voulue ; mais le mot, labellisé, désigne en fait les intellectuels maoïstes qui après mai-68 se sont immergés – on dirait aujourd’hui embedded – dans les usines ou sur les docks. La pratique n’était pas nouvelle : Simone Weil l’avait déjà expérimentée en 1934. Elle semble avoir disparu de nos jours – sinon chez un Joseph Ponthus, l’auteur trop tôt disparu de À la ligne, à des fins d’ailleurs moins politiques que littéraires. On n’ouvrira pas ici le débat de savoir si les militants d’extrême-gauche auraient pu utilement, avant de manifester le dimanche à Sainte-Soline, partager la vie et les contraintes d’un agriculteur deux-sévrien.

L’Établi produit un écho bizarre, à la fois très daté et très contemporain. L’engagement politique des maoïstes de la Gauche prolétarienne à la fin des 60ies, il y a plus de cinquante ans, a été disqualifié par l’échec du communisme, en URSS et en Chine, par l’automatisation des usines et la disparition des bastions ouvriers et par l’élévation du niveau de vie qui a fait accéder les classes populaires au confort et au bien-être de la classe moyenne. En revanche, ses mots d’ordre et ses valeurs – la lutte contre le capitalisme prédateur, la défense des plus faibles, notamment des immigrés et des femmes – n’ont rien perdu de leur actualité. Comment ne pas applaudir aux derniers mots du film, qui résonnent aussi dans la bande-annonce : « Je trouve légitime de rêver un monde meilleur. Et peut-être aussi de le faire » ?

L’Établi a le mérite de décrire l’expérience de Robert Linhart avec une belle honnêteté. Il décrit la pénibilité de la vie en usine, le bruit, les cadences infernales, la fatigue et l’abrutissement des travailleurs lessivés physiquement et psychologiquement par leurs tâches. Il décrit également la cupidité des patrons et de leurs contremaîtres, leur brutalité, leur racisme et leur misogynie. Mais il décrit aussi les apories de la lutte sociale, les difficultés à mobiliser une majorité de travailleurs, effrayés à l’idée de perdre leur salaire voire leur emploi, les impasses de la grève.

L’Établi est d’une facture très classique – qui m’a rappelé les couleurs et le tempo de Annie colère. Les personnages secondaires qui entourent Swann Arlaud, lequel interprète Robert Linhart avec une belle austérité, frisent la caricature : le prêtre ouvrier délégué syndical de la CGT (Olivier Gourmet), l’épouse aimante et fidèle compagne de lutte (Mélanie Thierry), le patron roublard (Denis Podalydès), le jeune intello révolté (Lorenzo Lefebvre découvert dans Bang Gang), l’OS berbère analphabète (Malek Lamaraoui), etc. Mais ces caricatures revendiquées font partie de la reconstitution appliquée et réussie d’une époque qui continue à interpeler la nôtre.

La bande-annonce

C’est mon homme ★☆☆☆

Julien Delaunay a disparu en 1916 au front laissant sa femme, Julie (Leïla Bekhti) inconsolable. Elle a repris l’atelier de photographie qu’il tenait avant-guerre dans une petite ville de Bourgogne et vit dans l’illusion de son retour, dressant son couvert chaque soir à sa table dans cette attente insensée. Aussi, quand la photo d’un blessé de guerre paraît dans la presse, elle est persuadée de le reconnaître et court le rencontrer. Mais l’homme (Karim Leklou) est amnésique et ne la reconnaît pas. Julie n’en démord pas et obtient du médecin qui a Julien sous sa garde le droit de le ramener chez elle pour une mise à l’épreuve. Lentement Julien s’accommode à sa nouvelle vie, malgré l’hostilité du frère de Julie (Jean-Charles Clichet).
Mais une autre femme, Rose-Marie Brunet (Louise Bourgoin), chanteuse dans un cabaret à Paris, réclame preuves à l’appui le retour de son mari.

La bande-annonce de C’est mon homme est un modèle du genre. Avec un rythme très nerveux, par montage alterné, elle soulève une énigme : ce soldat amnésique est-il Julien, le photographe, le paisible mari de Julie ? ou Victor, le serveur un peu canaille, marié à Rose-Marie ? La question est posée et on augure un film d’époque qui mènera l’enquête sur fond de drame familial.

On est à moitié déçu. Car C’est mon homme ne tient pas ses promesses. L’enquête aura bien lieu ; mais elle ne commencera pas avant la seconde moitié du film. Il faut attendre la quarante-cinquième minute pour voir apparaître Rose-Marie alias Frimousse et pour que les deux femmes s’affrontent dans un duel, hélas, bien terne (Leïla Bekhti et Louise Bourgoin n’ont quasiment qu’une scène ensemble) qui ne connaît pas les rebondissements escomptés.

Dans sa première moitié, C’est mon homme nous raconte une histoire différente de celle esquissée dans la bande-annonce. Il nous parle moins de la quête d’identité d’un homme que du deuil impossible d’une femme, Julie, avec qui le film commence et que la caméra ne lâchera pas d’une semelle jusqu’à l’irruption de Rose-Marie. C’est mon homme est une sorte de Retour de Martin Guerre des Années folles, l’histoire d’une femme qui, inconsolable de la perte de son mari, décide de le ressusciter avec le premier inconnu venu.
Mais ce film-là ne peut pas aller à son terme, prisonnier du second qui ne tient que dans la mesure où l’identité de Julien/Victor restera jusqu’au bout incertaine.

La bande-annonce

À mon seul désir ★★★☆

Aurore (Louise Chevillotte) décide un beau jour de pousser la porte d’un club de striptease parisien et d’y travailler. Elle y est accueillie par Mia (Zita Hanrot), une stripteaseuse qui rêve de devenir comédienne.

Un double scrupule m’a habité pendant toute la première moitié du film. Je l’appelerais : échec et mate.
Échec ressenti d’un film à porter un regard original sur un cabaret de striptease, sur ses numéros, plus démodés qu’affriolants, sur la chaleureuse complicité qui y serait la règle entre les filles qui y travaillent. Voire malaise à enjoliver une réalité qu’on imagine volontiers, à tort ou à raison, plus glauque et plus phallocratique.
Mate : même si le film joue la carte du féminisme et vise expressément un public féminin (« l’idée que les femmes puissent avoir envie de mettre leur corps en représentation m’a toujours fascinée » écrit la réalisatrice dans le dossier de presse), on se demande qui il intéressera sinon de vieux cochons libidineux (comme moi ?) qui iront le voir pour se rincer l’oeil.

Mais mes réserves ont lentement sauté. La raison en était moins la façon dont Lucie Barleteau décrivait ce club de striptease. Je ne l’ai pas trouvée très originale par rapport aux ambiances de maison close décrites dans La Maison, dans Filles de joie ou dans l’excellent Party Girl, un mélange de sororité froufroutante, de sensualité un peu artificielle et de peur toujours sous-jacente que la violence masculine ne déborde.
La raison en vient du scénario qui aurait pu paresseusement se borner à présenter un milieu, sur un mode quasi-documentaire (le caméo de Frederick Wiseman, le célèbre documentariste qui avait plongé dans les coulisses du Crazy Horse, pouvait le laissait augurer). Mais le scénario raconte une histoire. Une histoire poignante – même si certaines critiques avec lesquelles je suis en désaccord la trouvent téléphonée : la relation d’amitié et bientôt d’amour qui se noue entre Aurore et Mia.

Cette histoire est portée par deux actrices épatantes. On connaît depuis longtemps Zita Hanrot, César 2016 du meilleur espoir féminin, qui réussit à se faire une place au soleil, malgré l’ombre portée de ses consœurs, Leïla Bekhti, Hafsia Herzi, Sabrina Ouazani, Oulaya Amamra, Lyna Khoudri… On connaît moins bien Louise Chevillotte, dont la première apparition chez Philippe Garrel, dans L’Amant d’un jour en 2017, m’avait subjugué. Elle a la capacité rare de se métamorphoser d’une scène à l’autre, banale dans ce plan-ci, renversante de beauté le plan suivant.

La bande-annonce

Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan ★★★☆

Est-il besoin de rappeler l’intrigue des Trois Mousquetaires que nous avons lu enfant ou, à défaut, que nous connaissons à force d’en avoir entendu parler ?
Le jeune d’Artagnan (François Civil) monte à Paris avec un seul rêve : s’enrôler chez les Mousquetaires du Roi, une troupe d’élite dirigée par le comte de Tréville (Marc Barbé). Sitôt arrivé dans la capitale, le fier Gascon a maille à partir avec trois mousquetaires qu’il défie successivement en duel : le mystérieux Athos (Vincent Cassel), le fier Porthos (Pio Marmaï), le bel Aramis (Romain Duris). Mais une escarmouche avec les gardes du Cardinal de Richelieu a tôt fait de resserrer leurs rangs. Les quatre amis vont aider la Reine Anne d’Autriche (Vicky Krieps) à déjouer le complot fomenté par Milady (Eva Green), une espionne à la solde du Cardinal qui cherche à la compromettre aux yeux du Roi (Louis Garrel) en révélant qu’elle a donné au duc de Buckingham, son ami, une précieuse parure de diamants. D’Artagnan devra aller jusqu’en Angleterre pour récupérer les ferrets de la Reine avant que Milady n’y parvienne.

Roulez, tambours, Sonnez, trompettes ! C’est aujourd’hui que sort en salles, annoncé à grand renfort de publicité, le blockbuster censé sauver le cinéma français, encore malade du Covid et toujours menacé par la concurrence de Marvel et de ses avatars.

Pathé a mis le paquet avec un budget de 72 millions d’euros, des décors somptueux (au Louvre, à l’hôtel des Invalides, au château de Fontainebleau, à l’abbaye de Royaumont…) et une palanquée de stars, parmi lesquelles, s’il fallait n’en retenir qu’une, je citerais Louis Garrel, qui interprète le jeune Louis XIII avec un mélange de maladresse et d’autoritarisme hilarant..

Que dire du résultat ? Qu’il est sans surprise.
Les pékins moyens, comme moi, en auront pour leur argent, ne s’ennuieront pas une minute, seront bluffés par la magnificence des décors et des costumes et prendront un plaisir régressif à retrouver les sensations qu’ils avaient éprouvées, enfant, à la découverte de cette histoire édifiante et pleine de rebondissements. Les puristes peut-être feront la fine bouche, reprochant à ces Trois Mousquetaires les libertés prises avec le roman de Dumas : d’Artagan est enterré vif dès la première scène, Porthos est bisexuel (j’ai redouté un instant que Milady soit vegan et d’Artagnan intolérant au lactose), Athos se voit enfermé et condamné à mort pour un crime dont il est innocent, etc. Mais ces mégotages sont bien mesquins.

Les Trois Mousquetaires est un diptyque dont la première partie s’achève au beau milieu du livre. Sa seconde sortira sur les écrans le 13 décembre, pariant sur les fêtes de Noël pour faire carton plein. Pourquoi diable faut-il l’attendre si longtemps ?

La bande-annonce