Le Grand Chariot ★☆☆☆

Un père (Aurélien Recoing) aidé de ses trois enfants (Louis, Esther et Léna Garrel) dirige le théâtre de marionnettes créé par sa propre mère (Francine Bergé). Mais cette belle harmonie familiale se brise lorsque le père décède brutalement, bientôt suivi dans la tombe par la grand-mère. Leur disparition place les survivants face à un choix douloureux : perpétuer la tradition familiale au risque de s’étioler ? ou trouver enfin sa voie ailleurs, au risque de la trahir ?

Chez les Garrel, on est saltimbanque de père en fils. Le grand-père, Maurice, décédé en 2011, fut lui-même marionnettiste avant de monter sur les planches et de faire une immense carrière au cinéma. Son fils, Philippe, né en 1948, devint réalisateur et a signé depuis cinquante ans une trentaine de films, lents et intimistes. De tous, c’est le petit-fils, Louis, né en 1983, qui est devenu le plus connu. Mais sa célébrité ne doit pas occulter sa sœur, Esther, qui a joué chez Christophe Honoré, chez Noémie Lvovsky ou chez Valérie Donzelli.

Avec beaucoup de pudeur, Philippe Garrel met en scène cet univers familial si particulier. Il a demandé à Aurélien Recoing – dont la ressemblance avec Pierre Moscovici ne cesse de me troubler – d’interpréter son rôle. Avec une admirable modestie, il fait disparaître son personnage dès le premier tiers du film. C’est un parti pris regrettable, même s’il a sa logique. C’est en effet cette première demi-heure qui constitue la meilleure partie du film, tant l’atmosphère qui règne dans cette famille est attachante. Mais le scénario avait besoin d’avancer et la mort du père en est l’occasion. Le problème est que l’histoire racontée dans l’heure suivante, notamment celle de Peter, cette pièce rapportée qui rejoint la troupe de marionnettistes avant de la quitter pour vivre sa vocation de peintre, n’est guère convaincante.

La bande-annonce

Les Feuilles mortes ★★☆☆

Ansa (Alma Pöysti) travaille dans un supermarché. Holappa (Jussi Vatanen) est ouvrier dans une usine. Ces deux solitaires vont se rencontrer un soir dans un bar, se regarder et se plaire sans avoir besoin d’échanger plus que quelques paroles. Mais le sort contrariera leur rapprochement.

Aki Kaurismäki avait annoncé après le semi-échec de L’Autre Côté de l’espoir sa retraite du cinéma. Pour le plus grand soulagement de ses fans, il est revenu sur sa parole et nous livre, en quatre-vingt-une minutes tout compris, le plus kaurismäkien de ses films, prolongement intemporel de sa trilogie du prolétariat, entamée il y a près de quarante ans.

On y retrouve avec un plaisir régressif tout ce qui fait la saveur de ses films : ses acteurs mutiques (Alma Pöysti et Jussi Vatanen sont des sosies en plus jeune de Kati Outinen et de Matti Pellonpää), ses décors intemporels en formica et bakélite, ses histoires minuscules, ses musiques vintage, ses clins d’œil à Chaplin ou à Godard….

Le jury de Cannes ne s’y est pas trompé qui lui a décerné son Grand Prix, comme on décerne à un grand réalisateur à la fin de sa carrière une récompense pour l’ensemble de son œuvre.

Il est difficile de trouver à ce film quasi-parfait des défauts sinon celui de résumer ou de répéter toute une œuvre. Aki Kaurismäki n’a plus rien à dire. Donc il se répète. C’est un reproche extrêmement violent que je lui adresse, une seconde après avoir dit que son film était parfait. À le supposer justifié, ce reproche ne devrait dissuader d’aller voir ces Feuilles mortes ni ceux qui connaissent et qui aiment le cinéma du maestro finlandais, lesquels prendront plaisir à le retrouver, ni ceux qui ne le connaissent pas, lesquels seront curieux de le découvrir.

La bande-annonce

L’Arbre aux papillons d’or ★☆☆☆

Thien habite Saïgon. Sa belle-soeur y meurt dans un accident de scooter laissant derrière elle, un orphelin de cinq ans, Diao. Accompagné de son neveu, Thien ramène la dépouille de sa belle-soeur dans son village natal. Elle y est enterrée dans la religion catholique. Ce voyage est pour Thien l’occasion de se replonger dans son passé.

Auréolé de la Caméra d’or, le prix qui recompense le meilleur premier film de la sélection cannoise, L’Arbre aux papillons d’or bénéficie, pour sa sortie en France d’un accompagnement tout particulier de son distributeur, Nour films, qui a multiplié les avant-premières. Celle à laquelle je me suis rendu était comble. Elle était coorganisée par un ciné-club vietnamien et la salle, à ma grande surprise, était quasi exclusivement remplie de spectateurs de la diaspora heureux de se réunir dans un bruyant bruissement exotique. Sans doute ont-ils retrouvé dans le film des images, des sonorités qu’ils avaient connues ou dont leurs parents leur avaient transmis le souvenir. La charge nostalgique du film était pour moi moins puissante.

Le cinéma vietnamien s’exporte mal. Trần Anh Hùng, un réalisateur né au Vietnam mais réfugié en France où il a fait carrière, avait connu une brève célébrité dans les 90ies avec L’Odeur de la papaye verte, Caméra d’or à Cannes et César de la meilleure première oeuvre, et Cyclo. J’en ai le souvenir de deux films très lents plongés dans la moiteur tropicale. Ce même réalisateur, tournant le dos à tout exotisme indochinois, vient de signer La Passion de Dodin Bouffant avec Juliette Binoche et Benoît Magimel qui sortira sur les écrans en novembre. Ces dernières années, je crois avoir vu un seul film vietnamien, Mekong Stories, au printemps 2016, qui, avec son héroïne déchirée entre deux garçons, louchait du côté de Jules et Jim.

L’Arbre aux papillons d’or dure près de trois heures. J’ai dit souvent les réserves que m’inspiraient de tels formats. Son rythme lent, ses longs travellings ont tôt fait de nous plonger dans une hypnose catatonique.  D’autant que le récit mélange bientôt, sans les distinguer clairement, les souvenirs que les assoupissements du héros ressuscitent, et sa vie contemporaine. Certains trouveront l’expérience fascinante. D’autres comme moi piqueront bientôt du nez, ajoutant à la narcolepsie du héros celle du spectateur.
Le résultat est nébuleux, mon manque d’attention m’interdisant un jugement plus radical… ou, pour le dire plus nettement, j’ai tellement dormi que je n’en ai pas vu grand-chose !

La bande-annonce

Un métier sérieux ★★☆☆

Doctorant besogneux en sciences physiques, après avoir échoué en médecine, Benjamin (Vincent lacoste) accepte un remplacement en mathématiques au collège. Ses premiers pas sont difficiles. Il a du mal à se faire respecter de ses élèves et, plus encore, à s’en faire comprendre. mais il peut compter sur l’accueil chaleureux et le soutien de ses collègues du lycée Molière : Meriem (Adèle Exarchopoulos), une autre prof de maths qui a un contact fantastique avec ses élèves, Fouad (William Lebghil), le prof d’anglais sur qui tout glisse, Sandrine (Louise Bourgoin), la prof de SVT psycho-rigide et Pierre (François Cluzet), le vieux prof de français qui leur sert à tous de grand frère ou de parrain.

C’est peu dire que j’avais beaucoup de réticence avant d’aller voir le nouveau film de Thomas Lilti, ce médecin généraliste passé par passion du cinéma à la réalisation et qui avait si bien documenté dans HippocrateMédecin de campagne et Première année le mal-être de l’hôpital et des professions de santé. Je pensais déjà en avoir épuisé les charmes en lisant son résumé, en regardant son affiche et en voyant sa bande-annonce : une longue publicité comme on en a déjà vu tellement (La Vie scolaire, Les Héritiers, Entre les murs…) pour l’Education nationale, dont la sortie coïncide opportunément avec la rentrée des classes, mettant à l’honneur une poignée de sympathiques enseignants qui, malgré un salaire insuffisant, une hiérarchie obtuse et un manque de moyens criant, réussissent tant bien que mal à transmettre à des élèves dont l’attention devient de plus en plus difficile à capter mais tout compte fait attachants, un peu de connaissance et beaucoup d’humanité.

Ce cahier des charges bien-pensant à souhait est hélas scrupuleusement rempli. Un métier sérieux passe en revue l’ensemble des épreuves que rencontre un professeur : les classes incontrôlables, le conseil de discipline convoqué pour sanctionner un élève qui est sorti des clous au risque de l’exclure définitivement, les frites à la cantine, la classe de mer, l’exercice alerte incendie et ses consignes inapplicables, etc… (il y manquait peut-être l’altercation avec le parent d’élève qui se pique d’apprendre au professeur son métier, une scène à peine ébauchée et qui, à en croire les professeurs de plus en plus souvent confrontés à cette situation désagréable, est hélas monnaie courante aujourd’hui).

Mais Thomas Lilti exécute ce programme imposé avec un tel talent qu’après une première demi-heure un peu lente à démarrer, on s’y laisse prendre. La galerie de personnages, brillamment interprétés par quelques-uns des meilleurs acteurs français du moment dont Lilti a su gagner la fidélité – Vincent Lacoste jouait déjà dans Hippocrate, François Cluzet dans Médecin de campagne et William Lebghil dans Première année – ne se réduit pas à des caricatures. Chacun gagne en profondeur au fur et à mesure que le film progresse au point qu’on en vient à l’apprécier comme le premier épisode d’une série à venir (sur le modèle de Hippocrate qui sait ?). En particulier la façon dont leurs vies privées et leur travail s’entremêlent, qu’on aurait pu craindre artificielle, est très bien réussie, qui montre qu’un bon prof, capable de résister à une classe de trente élèves, peut échouer dans l’éducation de son gamin – et vice-versa.
J’ai bien sûr fondu une fois encore pour Adèle Exarchopoulos que je trouve confondante de naturel et pour François Cluzet en vieux briscard de la salle des profs. Mais il faut aussi saluer le rôle terriblement ingrat de Louise Bourgoin.

Sans doute Thomas Lilti n’est-il guère sorti de sa zone de confort en sortant de l’hôpital. Sans doute ce film-là augure-t-il le suivant qu’il pourrait consacrer à la police et celui d’après à la magistrature, en attendant ceux sur les gardes-forestiers et les inspecteurs des impôts peut-être…. Ils utiliseront peut-être les mêmes recettes. mais, quand la recette est bonne, pourquoi ne pas la réutiliser ?

La bande-annonce

Le Livre des solutions ★★☆☆

Quand ses producteurs lui annoncent qu’ils cessent de financer son dernier film, Marc Becker s’enfuit dans les Cévennes chez sa tante Denise (Françoise Lebrun, égérie de Jean Eustache) avec sa monteuse (Blanche Gardin) et son assistante (Frankie Wallach, égérie de EDF) pour en boucler le montage. Mais cette fuite à la campagne exacerbe la créativité débordante du réalisateur, au grand dam de ses proches.

Michel Gondry, le réalisateur le plus perché, le plus branque, le plus imaginatif qui soit, est de retour, huit ans après son dernier film Microbe et Gasoil, quinze ans après Soyez sympas, rembobinez, qui est le plus représentatif de son cinéma de la bricole, dix-neuf ans après The Eternal Sunshine of a Spotless Mind, qui lui valut une gloire immédiate.

Le Livre des solutions est une autobiographie auto-dérisoire, un hommage à sa tante, mais surtout l’autoportrait de l’artiste en doux dingue. Michel Gondry, à soixante ans passés, n’est plus un jeune homme ; mais il a trouvé son alter ego chez Pierre Niney, jeune trentenaire vibrionnant qui n’a jamais été aussi à l’aise que dans ce cinéma là, où toute sa fougue, toute son inventivité, tout son charme fiévreux peuvent s’exprimer sans entraves.

Le Livre des solutions multiplie les trouvailles. les scènes cocasses ou tendres s’y succèdent sans temps mort. On ne s’y ennuie pas. On y rit parfois, on y sourit souvent, au camiontage ou à l’assistant catarrheux jusqu’au tout dernier plan qui met en abyme le réalisateur et son film. On se laisse attendrir dès que Françoise Lebrun, avec sa voix d’une douceur inimitable berce son remuant neveu. Seul point faible : l’absence de scénario à proprement parler, le montage du film de Marc constituant le prétexte plus que la raison d’être à cette succession de vignettes.

Le Livre des solutions a le défaut de ses qualités. Il est trop gentil. Et la gentillesse, c’est comme la crème chantilly : à petite dose, c’est délicieux, à grosse dose, ça devient vite écœurant.

La bande-annonce

Anti-Squat ★☆☆☆

Inès (Louise Bourgoin) élève seule son fils Adam, collégien de quatorze ans. En retard de loyers, menacée d’expulsion dès la fin de la trêve hivernale, elle recherche désespérément un emploi. Elle en trouve un chez Anti-squat, une société qui, sur la base d’un nouveau dispositif législatif, gère des locaux vacants pour du logement ou de l’insertion social, dans l’attente d’une réhabilitation ou d’une vente.

Nicolas Silhol répète dans Anti-Squat les mêmes recettes que celles utilisées dans son précédent film, Corporate. Céline Salette y jouait, avec la même conviction que Louise Bourgoin ici, le rôle d’une employée de la DRH d’une multinationale recrutée pour réduire à moindre coût sa masse salariale en poussant les travailleurs surnuméraires à la démission pour lui éviter le versement de lourdes primes de licenciements.
Comme celle de Corporate, l’héroïne de Anti-Squat est recrutée par des suppôts du libéralisme qui utilisent la loi à leur propre avantage : certes proposer à des mal-logés un logement temporaire dans des bureaux vides (ce qui n’est, tout bien considéré, ni idiot ni inhumain), mais les utiliser comme une main d’œuvre servile pour réhabiliter à moindres frais ces locaux et les expulser sans respecter les délais légaux dès qu’un acheteur se sera annoncé.
Comme celle de Corporate, l’héroïne de Anti-Squat, contrainte d’accepter un emploi qui l’oblige à des actes qu’elle réprouve (fliquer ses locataires, mettre à la rue ceux qui ne respectent pas le logement, les tromper sciemment sur l’échéance de leur bail…), finira par se rebeller contre le système qui l’asservit.

Bien sûr, on ne pourra que sympathiser avec cette figure héroïque, confrontée à un si cruel dilemme, essayant tant bien que mal de conserver un peu d’humanité et de dignité. On le fera d’autant plus que son cœur penche à gauche – même si, chacun sait depuis 1974 que la gauche n’a pas le monopole du cœur.
Pour autant, cinématographiquement parlant – puisque c’est au cinéma que ce blog est consacré et pas au capitalisme ou à ses dévoiements – Anti-Squat ne vaut pas tripette avec son manichéisme simpliste auquel n’échappe pas un épilogue improbable et racoleur. La figure du prolétaire moderne, privé de dignité par le système, est autrement convaincante quand c’est Stéphane Brizé qui la filme et Vincent Lindon qui l’interprète (En guerreUn autre monde).

La bande-annonce

Le Gang des bois du temple ★★★☆

Dans une cité HLM située à la périphérie d’une métropole anonyme (Paris ? Marseille ? Bordeaux ?), un homme, enterre sa mère qui fut longtemps l’épicière du coin. D’autres habitants du quartier, qui vivent de petits trafics, préparent un gros coup : le braquage du van d’un riche prince émirati contenant des valises remplies d’argent liquide.

Les films de Rabah Ameur-Zaïmeche sont rares. Il en a tourné sept en vingt ans. Ils sont précieux, âpres, singuliers, souvent minimalistes. L’œuvre de cet enfant des Bosquets à Montfermeil (il est arrivé en France à l’âge de deux ans) ne se limite pas au « film de banlieue » à la mode comique (Le Ciel, les oiseaux et ta mère), tragique (La HaineLes Misérables) ou romantique (Tout ce qui brille). Après Wesh-wesh et Bled number one, ses deux premiers films tournés en 2002 et en 2006 avec quatre bouts de ficelle, qui racontent la difficile réinsertion d’un détenu puis son retour au bled en Algérie, Ameur-Zaïmeche voit plus large. Les Chants de Mandrin et Histoire de Judas sont des films en costumes qui racontent l’un comme l’autre des formes d’utopie sociale, dans la France du XVIIIème siècle ou dans la Galilée de Tibère.

Le Gang des bois du temple n’est pas situé géographiquement – même si l’anecdote rocambolesque qui l’a inspiré s’est déroulée sur une bretelle de l’autoroute A, entre Paris et Roissy. S’il louche du côté du thriller, il n’en reproduit pas tous les codes. Il y a, en particulier, dans la bande débonnaire des braqueurs un je-ne-sais-quoi qui les différencie de ceux qu’on voit d’habitude s’organiser pour braquer un convoi ou une banque. Ils sont trop vieux, trop bonhommes, trop loquaces. Pour le dire autrement, ils n’ont pas la gueule de l’emploi.

Mais, fort subtilement, Rabah Ameur-Zaïmeche fait de ce qui, chez d’autres, aurait sonné comme une piteuse erreur de casting, un atout. Son, film, qui si ces acteurs avaient été plus normés, aurait été plus banal, acquiert grâce à eux une tonalité originale.

Et son scénario, bancal, lui aussi, acquiert, par la grâce de ses défauts, une saveur inattendue. Dans un thriller « normal », la préparation du braquage aurait occupé l’essentiel du film : le recrutement des acolytes, le repérage des lieux, la tension grandissante jusqu’à son exécution. Mais le braquage est expédié ici en un rien de temps dès le début du film, provoquant ensuite une brutale baisse de rythme et lançant l’intrigue dans une direction inattendue. Le même procédé était utilisé récemment dans Dernière nuit à Milan.

Le film change alors de focale. Il s’éloigne de la sympathique bande de braqueurs pour mettre en vedette deux héros solitaires. D’abord, interprété par Slimane Dazi qui promène depuis si longtemps sa gueule  impossible qu’il serait temps qu’on se souvienne de son nom, un privé chargé par le bras droit du prince de retrouver ceux qui l’ont volé. Ensuite, cet homme solitaire, qui, depuis la mort de sa mère, dont les funérailles muettes occupaient le premier quart d’heure du film, passe ses journées à jouer au tiercé. Au détour d’une conversation de bistrot on avait appris qu’il avait été tireur d’élite dans l’armée de terre. L’information a son importance qui lui donne dans le dernier tiers du film un rôle qu’on n’imaginait pas.

Avec Le Gang des bois du temple, Rabah Ameur-Zaïmeche confirme la place originale qu’il occupe dans le cinéma français.

La bande-annonce

Visions ★★☆☆

Estelle Vasseur (Diane Kruiger) est pilote de ligne sur longs-courriers. Elle habite, avec son mari Guillaume (Mathieu Kassovitz), brillant cardiologue, une luxueuse villa sur les hauteurs de Toulon. Il ne manque au couple qu’un enfant pour que leur bonheur soit complet.
Un jour, Estelle retrouve Ana (Marta Nieto), une artiste qui avec qui elle a connu vingt ans plus tôt, une brûlante passion. Elle en retombe vite amoureuse.

En 2021, le précédent film de Yann Gozlan, Boîte noire, avait connu un grand succès critique (cinq nominations aux Césars) et public (plus d’un million d’entrées). Il ne m’avait pourtant qu’à moitié convaincu. Je lui reprochais pêle-mêle une mise en place trop longue, un scénario trop prévisible et des rebondissements trop nombreux – ce qui, je le concède, constitue un ensemble de défauts contradictoires.

Je pense que Visions aura moins de succès. Pire : je crains au vu des premiers chiffres qu’il ne fasse un flop. Sa stratégie marketing reposait sur un argument à double tranchant : l’invocation de Boîte noire – que beaucoup de spectateurs n’ont pas vu et qui, parmi ceux qui l’ont vu, n’a pas nécessairement fait l’unanimité. Or, Visions est moins réussi que Boîte noire dont il utilise un peu trop les recettes : celles d’un thriller paranoïaque dans le monde glacé de l’aéronautique. Comme le veulent les règles du genre, Visions installe un suspense dont l’élucidation s’avère finalement décevante (« C’était donc ça…. »).

Pour autant, Yann Gozlan y démontre une sacrée maîtrise de la caméra, du montage et surtout de l’usage de la musique symphonique de Philippe Rombi. De nos jours, certains films – je parlerai le jour de sa sortie de L’Abbé Pierre avec Benjamin Lavernhe qui souffre de ce défaut – use et abuse d’une musique omniprésente et sursignifiante. Celle de Visions est très (trop ?) présente. Mais elle le fait en reproduisant une grammaire cinématographique ultra-classique : celle des films hitchcockiens des 50ies et des 60ies.

C’est en effet à Hitchcock et à Vertigo qu’on pense devant Visions, la beauté et la blondeur de son héroïne, le délire paranoïaque dans lequel elle se perd. Une telle référence pourrait être écrasante. Elle l’est sans doute. Visions n’arrive pas à la cheville de Vertigo. Il n’en avait pas la prétention. Mais il en a le parfum. Et ce parfum-là, qu’on ne respire plus guère dans le cinéma contemporain, qu’il soit français ou américain, est sacrément envoûtant.

La bande-annonce

Un automne à Great Yarmouth ★☆☆☆

À Great Yarmouth, sur les bords de la mer du Nord, dans l’une des villes les plus pauvres d’Angleterre, Tania, la quarantaine, dirige avec son mari Richard un trafic juteux : elle fait venir des immigrés portugais en Angleterre, les entasse dans des meublés miteux et fournit cette main d’oeuvre docile et bon marché à un abattoir de volailles.

Dans la veine d’un Ken Loach, auquel il emprunte les mêmes décors gris et pluvieux d’une Angleterre paupérisée, Marco Martins dénonce l’exploitation dont sont victimes les migrants portugais du Norfolk. Il donne la vedette à Beatriz Batarda, qui jouait déjà dans ses précédents films, dans le rôle ambigu d’une marchande de sommeil portugaise qui ment aux autres (elle cache à son mari ses gains) et à elle-même (elle croit qu’elle protège ses compatriotes alors qu’elle les exploite éhontément).

Sa routine va être bouleversée par la mort d’un migrant et par l’arrivée de son frère qui le recherche. Le rôle est interprété par Nuno Lopes, un grand acteur portugais (on l’a vu dans Tout le monde aime Jeanne, dans Traces que j’avais tant aimé, dans Les Lignes de Wellington). Il jouait le rôle principal de Saint-Georges, le précédent film de Marco Martins qui présente Un automne à Great Yarmouth comme le second volet d’un diptyque. Il y interprétait un boxeur en fin de droits réduit à s’employer comme homme de main dans une société de recouvrement.

Le portrait de femme est poignant, la plongée dans les arrière-cours du capitalisme asphyxiera jusqu’aux libéraux les plus endurcis. Pour autant, Un automne à Great Yarmouth peine à se distinguer du tout-venant cinématographique. Tania est trop froide, trop dure pour susciter l’empathie. Le montage, pas toujours lisible, rend parfois confus le propos qui a la fâcheuse tendance à se complaire dans le misérabilisme. Et les tics de la caméra, qui se colle à ses acteurs, deviennent vite pénibles.

La bande-annonce

Le Ciel rouge ★★☆☆

Deux amis, Leon, un jeune écrivain qui peine à mettre la dernière main à son second roman, et Felix, étudiant aux Beaux-Arts censé achever un travail photographique, ont décidé de passer quelques jours au bord de la Baltique, dans la maison de campagne des parents de Felix. À leur arrivée dans les lieux, ils ont la surprise d’y découvrir la présence de Nadia et, à la nuit tombée, ses bruyants ébats avec son amant, un sauveteur prénommé Devid.

Depuis que Wim Wenders s’est égaré sur des chemins de traverse, Christian Petzold est devenu le plus grand réalisateur allemand contemporain. On lui doit Barbara, Phoenix, Transit, Ondine. Petzold a le talent de révéler des acteurs exceptionnels et de s’attacher leur fidélité : Nina Hoss, inoubliable dans Barbara, Ronald Zehrfeld, Franz Rogowski, le bec-de-lièvre le plus sexy du cinéma (ex aequo avec Joaquin Phoenix) et Paula Beer qui n’a jamais été aussi lumineuse, sans aucun artifice, qu’ici.

Il dit avoir voulu détourner les codes du « film d’été », un genre balisé. Aux Etats-Unis, le genre tire du côté du thriller ou du film gore, quand les jeunes adultes résidant dans une maison isolée meurent mystérieusement les uns après les autres sous les coups d’un serial killer sadique. En France, dans la lignée de Rohmer, dont Petzold dit avoir découvert l’oeuvre à l’occasion du confinement, le film d’été est l’occasion d’amourettes aussi dérisoires que dramatiques. Petzold revendique ironiquement d’inventer le « film d’été allemand », une romance rohmérienne sur laquelle plane la peur de la mort, symbolisée par les flammes qui embrasent l’horizon et qui menacent la maison des estivants.

Le résultat n’est qu’à moitié convaincant. Le Ciel rouge commence lentement, trop lentement. Sa mise en place est interminable, surtout à ceux qui avaient vu la bande-annonce qui en disait déjà tout en cent-une secondes. C’est seulement dans sa seconde moitié que Leon, cet écrivain autocentré, trouvera sa rédemption, tandis qu’il découvre successivement des facettes qu’il ne connaissait pas des personnalités de son ami Felix, de Nadia et enfin de son éditeur Helmut venu relire son manuscrit.

Le Ciel rouge me laissera le souvenir troublant mais évanescent de la douceur d’un crépuscule après une journée trop chaude.

La bande-annonce