Makala ★★★☆

Kabwita vit dans la misère au Katanga, dans un petit village reculé à une cinquantaine de kilomètres de Kolwezi. Avec sa femme et ses enfants, il aimerait faire bâtir une maisonnée sur son terrain et quitter le taudis dont il est locataire. Il fabrique du charbon de bois.
Sans moyen de locomotion, il n’a guère qu’un vélo, qu’il peut arnacher avec de lourds sacs de charbon et pousser jusqu’à la ville où il tentera d’en obtenir un bon prix.

Emmanuel Gras vient du documentaire. Makala est sa première œuvre de fiction – si tant est que c’en soit une. Ses deux premiers films avaient pour cadre, le premier (Bovines) le Calvados et ses champs où paissent des vaches silencieuses, le second (300 hommes) un asile de nuit à Marseille et les réprouvés qui y dorment.
Il plante cette fois ci sa caméra dans un tout autre environnement. Mais, de la France au Congo, sa démarche reste la même : filmer au plus près la réalité au point de produire parfois un malaise, dans l’intimité contemplative qu’il crée avec son sujet.

Makala est un film âpre, exigeant qui se fixe un sujet et s’y tient inexorablement. Il ne quitte pas son héros d’une semelle durant les trois parties qui le composent. Dans la première, on le voit chez lui faire son travail : abattre laborieusement un arbre immense avec une simple hache, le débiter en bûches, préparer avec soin le four, faire cuire patiemment le charbon de bois. Dans la deuxième, la plus poignante, on le suit sur la route qui le conduit jusqu’à la ville. Cinquante kilomètres, qu’on ferait sous nos latitudes, en train, en voiture ou en moto, en moins d’une heure. Cinquante kilomètres qui, sous les siennes, semblent une odyssée harassante où l’on voit Kabwita pousser son vélo lourdement harnaché sur des routes escarpées, poussiéreuses, dangereuses. Dans la troisième, Kabwita est enfin arrivé en ville. Il s’arrête chez sa belle sœur dont on comprend qu’elle héberge sa fille aînée qu’il a envoyée étudier à la ville ; il négocie sur le marché ses sacs de charbon inlassablement ; il trouve dans une église évangéliste un repos trompeur.

Rien de plus. Rien de moins non plus. Makala frappe par l’exigence de sa forme, qui ne s’embarrasse d’aucun artifice, d’aucune béquille. Le film est quasiment muet. Il ne comporte presqu’aucun autre événement que ceux que je viens d’énumérer. S’y ennuie-t-on pour autant ? Pas une seconde. Car on est happés par cette histoire, alors même qu’elle est d’une simplicité enfantine et qu’on en connaît par avance l’issue. La raison de notre intérêt est la fascination qu’exerce cet homme frêle et doux, qui n’élève jamais la voix, qui ne manifeste ni joie ni colère, qui se contente de pousser son vélo, comme Sisyphe roulait son rocher. Un homme qui ne dit rien. Mais qui exprime tant.

La bande-annonce

Seule la terre ★★★☆

Depuis qu’un AVC a terrassé son père, Johnny doit assurer seul l’exploitation de la ferme familiale. Sa seule échappatoire : le pub du village où il se saoule méthodiquement chaque soir et y fait, de temps en temps, des rencontres masculines aussi brutales que brèves. Tout change avec l’arrivée de Gheorghe, un journalier roumain embauché par son père pour aider Johnny pendant l’agnelage.

Prenez 40% de Brokeback Mountain : l’histoire de deux mâles dans un environnement sauvage entre lesquels surgit un amour aussi pur qu’inavouable. Ajoutez 30% de Petit paysan, l’excellent film français dont le jeune héros supporte seul, non sans mal, le poids trop lourd de la responsabilité de l’exploitation familiale. Complétez avec 20 % de Mes Séances de lutte où Sara Forestier et James Thierrée trouvent dans la lute, violente, physique, sensuelle, le seul moyen d’expression de leur attirance réciproque. Assaisonnez de 10 % d’un film de Ken Loach ou d’un de ces films anglais qui gratte jusqu’à l’os ses personnages, déchirants de solitude et d’humanité tels que Hector ou Tyrannosaur avec Peter Mullan.

Seule la terre, le premier film de Francis Lee, est un peu tout cela. Pot-pourri mal digéré de modèles trop nombreux ? Que nenni ! Invention d’une histoire originale qui ne se réduit pas à la somme – ou à la moyenne – des influences qui l’ont nourrie.

Les deux acteurs principaux sont un chouïa trop beaux pour être crédibles. Mais le reprochait-on à Jake Gyllenhaal et Heath Ledger ? Josh O’Connor joue à la perfection le rôle ingrat du jeune adulte mal dans sa peau,  obligé de choisir un métier qu’il ne veut pas, qui s’ouvre lentement à l’amour. Le rôle de Alec Secareanu est plus facile, qui incarne ce salarié roumain, victime d’un double a priori de classe et de race. Dans le rôle du père et de la grand-mère, Ian Hart et Gemma Jones, aperçus l’un comme l’autre dans la saga des Harry Potter, complètent un casting parfait.

Seule la terre est une vraie réussite. Un film âpre et doux. Une romance gay doublée d’un documentaire sur la vie paysanne.

La bande-annonce

Urgences (1988) ★★★☆

Trente ans avant 12 jours, Raymond Depardon avait déjà posé sa caméra dans un hôpital, aux urgences psychiatriques de l’Hôtel-Dieu, en plein cœur de Paris.

En 1987, Depardon tenait lui-même la caméra avec un preneur de son – qui, faute d’espace, est parfois visible à l’image. En 2017, la technique est plus moderne. Depardon utilise désormais le champ/contrechamp et les micros portables.
Mais hier comme aujourd’hui, la technique est au service d’une démarche qui n’a pas changé : un dispositif aussi peu intrusif que possible, qui essaie de se faire oublier pour mieux capter la réalité telle qu’elle se vit.

On pourrait analyser les documentaires « confrontationnels » de Depardon comme une ethnographie des lieux d’enfermement : asiles, hôpitaux, prisons… À chaque fois, la caméra de Depardon filme une confrontation : entre un malade et un psychiatre dans Urgences, entre le patient enfermé sans son consentement dans un hôpital psychiatrique et le juge des libertés qui contrôle la légalité de cet enfermement dans 12 jours, entre un substitut et un accusé dans Délits flagrants

Mais ce serait peut-être se tromper sur l’objet même de l’œuvre de Depardon. Au fond, Depardon ne s’intéresse pas vraiment à l’hôpital ou à la justice. Son cinéma n’a qu’un seul thème – comme le montrent d’ailleurs ses documentaires les plus récents Journal de France ou Les Habitants : radioscoper la France, ses habitants, ses maux.

Ce que nous montrent Urgences, Délits flagrants, Les Habitants, 12 jours, ce sont des Français ordinaires. Ordinaires ? Le terme est peut-être mal choisi pour qualifier des personnes dans une situation extraordinaire : les urgences d’un hôpital, une salle d’audience d’un tribunal, un hôpital psychiatrique… Disons plutôt des Français comme les autres qui, par la faute des accidents de la vie, d’une santé défaillante, d’un milieu ingrat, ont chuté.

C’est à cette aune qu’on peut aujourd’hui revoir Urgences comme la rétrospective Depardon programmée aux Trois Luxembourg en offre l’opportunité. En trente ans, la France a bien changé. Les années 80 étaient hideuses, contrairement à l’image que j’avais gardé de mes années d’école et que des films comme Stars 80 essaient sans succès de magnifier : vêtements informes, coiffures révoltantes, couleurs déprimantes… Si l’on fait abstraction de cette laideur, c’est l’évolution du langage des protagonistes qui m’a le plus frappé entre Urgences et 12 jours. En 1987, les patients qui viennent aux urgences psychiatriques, malgré leurs maux, parlent un français étonnamment châtié, sans fautes de grammaire ni tics de langage. Un français où on entend encore les accents du titi parisien.

Mais les changements touchent moins le fond que la forme. Car au fond, les mêmes pathologies demeurent, les mêmes vies cabossées défilent : suicidaires, alcooliques, travailleurs en burn out (même si le mot n’existait pas encore), veufs dépressifs…

Bienvenue à Suburbicon ★★☆☆

À Suburbicon, les Lodge mènent une vie paisible. Tout se détraque avec l’arrivée dans cette banlieue très wasp de nouveaux résidents de couleur.

Mon résumé est mauvais. Il essaie de donner au sixième film de George Clooney – le premier dans lequel il ne joue pas hélas – une unité qu’il n’a pas.

En fait Bienvenue à Suburbicon (audacieuse traduction de Suburbicon) est le croisement maladroit de deux histoires qui ne se mélangent jamais vraiment.

D’un côté, un vieux script des frères Coen qui présente tous les ingrédients de leurs meilleurs films : une satire grinçante de l’Amérique, des personnages aussi laids que lâches, un humour noir et sanglant. Soit, comme dans Fargo ou Burn after reading l’histoire d’Américains ordinaires plongés dans une histoire extraordinaire dont ils sont tout à la fois les acteurs maladroits et les victimes malchanceuses. Le sympathique Matt Damon y joue à contre-emploi le rôle d’un père de famille veule. Julianne Moore en incarne deux : celui de son épouse, qui périra bientôt dans des circonstances macabres, et celui de la sœur jumelle de celle-ci, qui aura tôt fait de prendre sa place dans la maisonnée.

De l’autre, George Clooney s’est inspiré d’un fait divers qui s’est déroulé en 1957 lorsqu’une famille de couleurs est venue s’installer à Levittown en Pennsylvanie dans une banlieue exclusivement blanche. L’ostracisme dont ils sont victimes, reconstitué avec soin, a certes un écho dans l’Amérique raciste de Donald Trump. Mais, faute de s’inscrire harmonieusement dans l’histoire de la famille Lodge, ces développements sont condamnés à rester en arrière plan d’un scénario qui fonctionne très bien sans eux.

Bienvenue à Suburbicon est un jeu de massacres réjouissant, remarquablement interprété, habilement filmé… mais hélas rapidement oubliable faute d’avoir ce plus qui le rendrait réellement original.

La bande-annonce

La Villa ★★☆☆

Une fratrie se réunit au chevet d’un père mourant dans une villa nichée au bord de la Méditerranée. Armand (Gérard Meylan) n’a pas quitté Marseille et y a repris le petit restaurant tenu par ses parents. Angèle (Ariane Ascaride) n’y était plus revenue depuis vingt ans et la mort tragique de sa fillette. Jospeh (Jean-Pierre Darroussin) vient de perdre son emploi et cache derrière un humour de face une profonde dépression que sa « trop jeune fiancée » Bérangère (Anais Demoustier) ne supporte plus.

J’aurais aimé adorer le vingtième film de Robert Guédiguian, accueilli par une critique dithyrambique. De nombreux amis sont déjà allés le voir, l’ont aimé et attendent avec impatience ma critique – ou ont du moins l’amitié de me le laisser croire. Je vais immanquablement les décevoir et passer à leurs yeux pour un pisse-vinaigre. J’aurais aimé conseiller aux autres ce film méditerranéen baigné d’une belle lumière hivernale, joué par une brochette d’acteurs qui, de film en film, nous sont tous devenus familiers. Un film sur la mort qui approche et sur un sentiment difficile à filmer qui pourtant traverse l’œuvre de Robert Guédiguian: la nostalgie.

Hélas, La Villa m’a déçu. J’en attendais trop peut-être. J’ai trouvé son scénario paresseux qui ne réussit pas à donner du corps à cette fratrie et se voit obliger de lui adjoindre des facteurs extérieurs : un couple de voisins arrivés au terme de leur vie, leur fils, médecin à la ville, qui s’enflamme pour Bérangère, un pêcheur-poète qui s’enflamme pour Angèle et enfin un trio d’enfants migrants échoués, on ne sait comment, sur les rives de l’Estaque (vous en avez beaucoup vu des bateaux d’immigrés sur les rives de l’Estaque ?!).

Plus grave que les faiblesses du scénario, celle du jeu des acteurs est, de film en film, de plus en plus criante. Le fait que Guédiguian se soit attaché toute une bande de copains pour jouer, depuis plus de trente ans, dans ses films ne saurait le dispenser de les diriger. C’est une catastrophe. Chacun est abandonné à ses pires défauts. Ariane Ascaride déclame des dialogues trop écrits. Robinson Stevenin cabotine. Jean-Pierre Daroussin nous ressert le personnage mille fois vu du sarcastique dépressif. Même la lumineuse Anais Demoustier – pour laquelle je nourris une passion cachée – est surprise en flagrant délit de minauderie.

La Villa n’est pas un mauvais film. Mais ce n’est pas le meilleur de Robert Guédiguian. Je lui avais de loin préféré Les Neiges du Kilimanjaro fin 2011.

La bande-annonce

Les Gardiennes ★★★☆

Pendant la Première Guerre mondiale, tous les hommes sont au front. Veuve, la cinquantaine, Hortense (Nathalie Baye) doit faire front pour diriger la ferme. Elle ne peut guère compter que sur l’aide de son frère et de sa patte folle, et de sa fille Solange (Laura Smet). La vie s’écoule, ponctuée par les saisons et les permissions des hommes : Constant, l’aîné, instituteur, Clovis, le gendre, époux de Solange, Georges le benjamin. Pour se soulager, Hortense recrute une journalière, Francine (Iris Bry), qui tombe amoureuse de Georges et vit avec lui une brève idylle. Mais Georges est promis à Marguerite, la fille que Clovis a eu d’un premier lit.

Les Gardiennes est l’adaptation fidèle d’un roman de Ernest Pérochon publié en 1924. Pérochon fait partie de ces écrivains jadis célèbres et tombés dans l’oubli. Il obtint le Goncourt en 1920, un an après Marcel Proust. Comme Pergaud, comme Fournier, il était instituteur. Comme Genevois, comme Dorgelès, la toile de fond de ses romans était la Grande guerre. Mais, dans Nène (le prix Goncourt 1920) ou dans Les Gardiennes, il ne parle pas des combats. C’est la France rurale qu’il décrit, une France qui continue à vivre, tant bien que mal, malgré la guerre et les hommes absents.

Xavier Beauvois tente un sacré pari en adaptant un roman aussi démodé. La première heure du film pourrait laisser penser que le pari sera perdu. On peine à s’intéresser à la vie sans lustre de cette famille recomposée. On échoue à comprendre le fil de l’intrigue. On voit bien la part de documentaire qu’il recèle – les femmes parviennent à prendre en charge les travaux des champs en utilisant les techniques modernes (le tracteur, la moissonneuse-batteuse) mais elle ne réussit pas vraiment à nous tenir en haleine. Puis, avec l’arrivée de Francine (lumineuse Iris Bry dans son premier rôle) tout s’aimante. La vraie personnalité de Hortense se révèle. Le récit se tend jusqu’à son dénouement aussi logique qu’inattendu.

Il faut avoir le courage de prendre à bras-le-corps ce grand beau film de deux heures vingt qui n’est pas sans rappeler les grandes adaptations des romans victoriens de Thomas Hardy : Tess, Jude, Loin de la foule déchaînée… Pas sûr qu’il trouve son public. Dommage.

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Le Semeur ★☆☆☆

En 1852, dans un village reculé des Hautes-Alpes soupçonné de sympathies républicaines, tous les hommes ont été arrêtés et déportés. Les femmes, abandonnées à elles-mêmes, s’organisent. Elles redoutent autant qu’elles attendent l’arrivée d’un homme, qui pourrait mettre en péril leur sécurité mais aussi leur apporter une aide indispensable aux travaux des champs. Les plus jeunes passent entre elles un pacte : si un homme arrive, il sera l’amante de toutes. C’est alors qu’advient Jean qui prétend être maréchal-ferrant. Violette s’en éprend. Elle n’accepte pas de le partager.

Drôle de sujet que le livre de Violette Ailhaud L’Homme semence qui a inspiré ce premier film. Il aurait pu se prêter à plusieurs traitements : survival movie, romance, film érotique (voire pornographique !). Sur un thème très proche, Don Siegel a donné à Clint Eastwood le rôle d’un prédateur qui joue de sa séduction pour manipuler les femmes qui l’accueillent. Sofia Coppola dans Les Proies renverse le postulat de départ : Colin Farrell y devient la proie de ses hôtesses.

Rien de tel dans le film de la débutante Marine Francen. Et c’est bien là que le bât blesse. Il s’agit platement d’un film historique en costumes d’époque – alors même que rien dans le contexte du Second Empire ne vient justifier ce choix narratif. Aucune tension érotique entre Jean et ces jeunes femmes. La passion amoureuse qui l’unit à Violette tombe à plat. La sensualité moite qui devrait conduire les jeunes femmes du village à se jeter sur lui n’imprime jamais – sinon dans une unique scène plus maladroite que troublante.

Du coup on s’ennuie ferme. La direction d’acteurs peu inspirée et l’absence de rythme du scénario n’arrangent rien à l’affaire. Un film raté. Dommage.

La bande-annonce

Bangkok Nites ★☆☆☆

Au cœur de la capitale thaïlandaise existe un quartier rouge destiné à la clientèle japonaise. Luck en est une des reines. Elle y travaille pour subvenir aux besoins de sa famille qui vit dans une région reculée du pays, à la frontière du Laos.
Luck retrouve Ozawa, un ancien client japonais qui s’est installé en Thaïlande. Ils entreprennent ensemble un long voyage à l’intérieur du pays.

Bangkok Nites est un OFNI : un objet filmique non identifié. Un film qui ressemble à un documentaire ; un documentaire qui voudrait se faire passer pour un film. Son sujet est bigrement exotique. Il ne s’agit pas de filmer les bordels de Bangkok, mais d’en filmer une dimension méconnue : les bordels spécialisés dans la clientèle japonaise – dont les prostituées parlent le japonais avec une aisance à faire pâlir d’envie une secrétaire trilingue.

On sent que Katsuya Tomita – qui interprète lui-même le personnage d’Ozawa – a payé de sa personne pour documenter son sujet. L’histoire d’Ozawa, c’est un peu la sienne : celle d’un expatrié qui s’est perdu en chemin, plus tout à fait japonais, jamais vraiment thaï. L’histoire de Luck, c’est l’agrégation des mille et une histoires qu’il a recueillies de la bouche même des prostituées de Bangkok et de Pattaya.

La démarche est stimulante. Elle a le mérite de l’authenticité. On est loin d’une Thaïlande de carte postale sans verser pour autant dans le misérabilisme ou dans le voyeurisme.

Mais son résultat ne convainc pas. Bangkok Nites dure plus de trois heures. Cette durée excessive se justifierait si elle était au service d’un projet cohérent. Mais elle révèle hélas plutôt un manque de maîtrise et de travail : comme si on nous montrait une succession interminable de rushes, pas toujours bien joués, mal éclairés, pas scénarisés. La conclusion déchirante de Bangkok Nites ne suffit pas à racheter l’ennui voire la somnolence que cette errance trop longue provoque chez le plus courageux des spectateurs.

La bande-annonce

Marvin ou la belle éducation ★★★☆

Marvin ou la belle éducation raconte une transformation et une émancipation. La transformation de Marvin Bijou (Jules Poirier), un collégien persécuté par ses camarades à cause de son manque de virilité, en Clément Martin (Finnegan Oldfield), un jeune dramaturge à succès. L’émancipation de Martin de son milieu familial, homophobe et abruti de pauvreté, pour prendre pied dans l’intelligentsia intellectuelle parisienne où le prennent sous leur aile un riche homosexuel (Charles Berling) et une star du théâtre (Isabelle Huppert dans son propre rôle).

Marvin ou la belle éducation est librement inspiré de Pour en finir avec Eddy Bellegueule – qui n’est pourtant pas crédité au générique et dont on se demande si des droits ont été versés à son auteur. La transposition est appliquée. Trop parfois. Les Vosges remplacent la Picardie ; le théâtre l’écriture. Vincent Macaigne joue le rôle de Didier Eribon – auquel est dédié Pour en finir… ; Isabelle Huppert incarne la figure tutélaire de Pierre Bourdieu sous l’influence intellectuelle duquel celui qui se fait désormais appeler Édouard Louis rédige sa thèse sur la sociologie des transfuges.

J’avoue être allé voir Marvin… en trainant les pieds. J’avais peur qu’il ne dise rien de plus que le roman autobiographique d’Édouard Louis – surfait à mon sens – et sa bande-annonce n’aient déjà raconté. J’ai bien fait de vaincre mes réticences (les mauvaises langues me diront que je n’avais guère le choix : c’était ça ou Thor : Ragnarok).

Anne Fontaine est une excellente réalisatrice dont j’ai aimé chacun des films : Nettoyage à sec, Perfect Mothers (dans mon Top 10 2013), Les Innocentes… Elle a construit un scénario d’une grande fluidité en multipliant les flashbacks mettant alternativement en scène Marvin et Martin, l’enfance et l’âge adulte, Remiremont et Paris. Le casting, qui rassemble la fine fleur du cinéma français, ressemble au palmarès des César. D’ailleurs Finnegan Oldfield mériterait amplement le César du meilleur espoir masculin – qu’il a raté d’un cheveu l’an passé pour Les Cowboys. Mentions spéciales pour Grégory Gadebois dans le rôle ingrat du père, violent et bête, qu’il réussit à humaniser et pour Catherine Mouchet dans celui d’une enseignante sévère mais aimante.

La bande-annonce

Éditeur ☆☆☆☆

Paul Otchakovsky-Laurens a fondé en 1983 la maison d’éditions qui porte son nom. Il revient sur son parcours et sur son métier.

La façon dont je viens d’introduire Éditeur a causé le malentendu sur la foi duquel je suis allé voir ce documentaire. J’imaginais qu’il serait fortement autobiographique, qu’il raconterait comment Otchakovsky-Laurens avait créé sa maison d’édition et y avait attiré quelques uns des plus stimulants auteurs français contemporains (Marie Darrieussecq, Mathieu Lindon, Emmanuel Carrère, Nicolas Fargues…). J’imaginais alternativement, comme son titre l’annonçait, qu’il raconterait le rôle particulier de l’éditeur entre l’écrivain et son public, les difficultés du métier, son économie difficile dans un monde où le livre est concurrencé sinon menacé.

Rien de tout cela. Éditeur n’est pas un documentaire autobiographique : on n’y apprend pas grand chose sur la vie de Paul Otchakovsky-Laurens sinon qu’il travailla chez Flammarion puis chez Hachette avant de voler de ses propres ailes. Éditeur n’est pas non plus un documentaire sociologique ou économique qui explorerait les défis de la profession. À peine a-t-on droit à une mention trop courte du procès qui l’opposa à Jean-Marie Le Pen à l’occasion de la sortie du livre de Mathieu Lindon en 1998.

Éditeur est un documentaire poétique qui m’a laissé sur le bord du chemin. Deux acteurs y jouent … quoi au fait ?… difficile à dire. Le premier déambule dans Paris avec son manuscrit sous le bras et se heurte à des portes closes. Il finit par le déposer aux éditions POL et en ressort en récitant des extraits de notes de lecture plutôt critiques. La seconde fait le même chemin en récitant des extraits des lettres de motivation qui accompagnent ces manuscrits que POL reçoit par centaines chaque mois. Pendant ce temps, en voix off, le réalisateur-éditeur murmure quelques commentaires sentencieux et nombrilistes. Et le mannequin d’un adolescent aux cheveux roux est censé jouer la part irréfragable d’enfance que l’éditeur septuagénaire a toujours su garder.

Au passage, Otchakovsky-Laurens nous confesse avoir été un piètre écrivain avant d’embrasser la carrière d’éditeur. Force est de constater que c’est aussi un piètre cinéaste.

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