Never Rarely Sometimes Always ★★★☆

Autumn a dix-sept ans. Elle mène une vie ordinaire dans une petite ville de Pennsylvanie, entre sa famille, son lycée et son job de caissière au supermarché du coin. Quand elle apprend qu’elle est enceinte, elle prend rapidement sa décision. Mais la législation de l’Etat lui impose de recueillir un accord parental qu’elle refuse de solliciter. Aussi, en compagnie de sa cousine, elle prend la route de New York pour s’y faire avorter. Mais le voyage, qui ne devait durer qu’une journée, se prolonge quand Autumn découvre que sa grossesse est beaucoup plus avancée qu’annoncée.

Avortement mode d’emploi. Le film de Eliza Hittman décrit, avec un souci quasi-documentaire un sujet grave : l’avortement des mineures. Son titre, assez obscur à un public non anglophone, fait référence aux choix multiples figurant dans le questionnaire que les jeunes femmes doivent renseigner avant l’opération. Malgré l’arrêt Roe vs Wade de 1973 – qu’une nouvelle majorité moins libérale à la Cour suprême pourrait renverser – qui autorise l’avortement pendant le premier trimestre partout aux Etats-Unis, la législation de certains États en restreint l’usage, en exigeant un accord parental si la mère est mineure, en interdisant la prise en charge par l’assurance-maladie ou en se faisant les complices des manifestants pro-Life qui provoquent la fermeture de nombreuses cliniques.

Fuyant tout pathos, Never Rarely Sometimes Always se veut minimaliste. Aucune musique, quasiment pas de dialogue, pas de rebondissement rocambolesque dans un scénario qui se borne à suivre pas à pas les deux personnages principaux de la Pennsylvanie à New York, un jeu d’acteurs réduit au minimum – comme en témoigne le visage impassible de l’héroïne sur l’affiche. Pourtant quelle intensité dans ce regard ! quelle profondeur dans ces silences !

On est profondément ému par la solitude d’Autumn, par les questions silencieuses qu’elle se pose lorsqu’elle découvre sa grossesse, par la solidarité bienveillante que lui manifeste sa cousine grâce à laquelle le voyage à New York est entrepris et qui saura trouver le moyen, lorsque l’argent viendra à manquer, pour les sauver de cette mauvaise passe.

L’émotion culmine dans la clinique où Autumn va se faire avorter. Dans un long plan fixe qui cadre son seul visage, elle répond aux questions que lui pose l’assistante sociale. Ses silences, ses larmes lèvent un voile sur son histoire. La confession aurait pu verser dans l’excès, par exemple en racontant un inceste que quelques indices laissaient redouter. Il n’en est rien. Autumn en dit juste assez pour que le spectateur comprenne les événements pas toujours gais d’une adolescence chaotique qu’elle a dû traverser. Cette pudeur, cette économie donne tout son prix à ce film poignant dont on ne ressort pas indemne.

La bande-annonce

Madame ★★★☆

Stéphane Riethauser nous convie à une soirée diapo pour regarder les vieux films super 8 tournés par son père durant son enfance. On y voit sa grand-mère Caroline, ses parents, son frère cadet. On les voit à Genève où la famille habite et surtout sur la Côte d’Azur, près de Saint-Raphaël, où les vacances et la lumière estivale multiplient les occasions de se filmer en famille.

Ainsi présenté, Madame vous fait déjà bâiller d’ennui. Pourtant, derrière sa fausse innocence, Madame s’avère un témoignage aussi impudique qu’efficace sur le coming out, moins austère que les essais de Didier Eribon, moins prétentieux que les témoignages d’Edouard Louis, mais pas moins rageur ni moins helvétique que l’autobiographie de Fritz Zorn.

Stéphane Riethauser y raconte comment un petit garçon de la bonne bourgeoisie genevoise est éduqué dans une « homophobie ordinaire » – J’emploie l’expression comme Ariane Chebel d’Appollonia parlait dans les années 90 de « racismes ordinaires ». Les stéréotypes de genre font rage autour du petit garçon choyé par des parents aimants qui ne lui imaginent pas d’autre avenir que de fonder une famille et de reprendre la fiduciaire paternelle. Les « pédés » sont une source de plaisanterie moqueuse, des personnages de carnaval vaguement ridicules, une projection inimaginable pour des bourgeois confinés dans une stricte hétérosexualité.

L’enfance du jeune Stéphane se lit rétrospectivement comme un douloureux cheminement vers une identité refoulée et inavouable. On le voit avec des copains pour lesquels il ressent une attirance trouble. Dans son équipe de basket ou au régiment, la mâle virilité des vestiaires ou des chambrées le mettent mal à l’aise. Quelques flirts hétéro tournent court.

Tout au long de sa vie, Stéphane aura été proche de sa grand-mère, une femme forte, autoritaire, mariée contre son gré à seize ans, divorcée, puis remariée à trente. Elle a construit sa vie toute seule à force de volonté et de travail. Elle aura constitué pour le jeune garçon un phare et un havre.

Madame sort sur les écrans quelques mois après Toutes les vies de Kojin, un documentaire sur l’homophobie au Kurdistan. Les deux films méritent d’être regardés ensemble. Ils se déroulent dans deux milieux bien différents, les bords du lac Léman pour le premier, les montagnes du Kurdistan pour le second. Ils sont censés décrire deux milieux aux antipodes l’un de l’autre : la HSP d’un côté, l’Islam le plus rétrograde de l’autre. Sans doute, les imams intégristes de Toutes les vies de Kojin vouent-ils au bûcher les sodomites ce que les paisibles bourgeois de Genève ne font plus depuis Jean Calvin. Pour autant, l’homophobie beauf que ces derniers déploient – ou déployaient encore à la fin du siècle dernier – est à peine moins ridicule et à peine moins terrifiante.

La bande-annonce

Nana et les Filles du bord de mer ★★☆☆

Nana et ses ami.e.s s’aiment et se déchirent à l’heure des réseaux sociaux. Mathieu vient de quitter Nana. Pour se venger, elle s’inscrit sur une application de rencontres et décide de s’offrir au premier venu. Damien, son ami d’enfance, secrètement amoureux de Nana, l’apprend et s’inscrit à la même appli sous un pseudonyme.

Citoyenne d’honneur du Crotoy, c’est sur les bords de la baie de Somme que Patricia Bardon a posé sa caméra pour filmer une bande de jeunes comédiens pleins de charme s’adonnant aux jeux de l’amour et du hasard.

Nana et les jeunes filles du bord de mer a pour fil rouge les amours contrariées au temps d’Internet. Le thème est décidément à la mode. #Jesuislà ou Effacer l’historique l’utilisent sur le mode comique ; Nina… choisit quant à lui le registre de la fantaisie amoureuse.

Le récit est ornementé de la musique épatante d’Arno qui réinterprète avec sa voix caverneuse, reconnaissable entre mille, le tube d’Adamo qui donne son titre au film.

Nana et les jeunes filles du bord de mer n’est pas sans défauts. Les personnages sont trop nombreux ; la qualité de leurs jeux est inégale (c’est la jeune Laure Millet qui, dans un rôle secondaire tire le mieux son épine du jeu). Mais ce marivaudage touchant, qui louche du côté de Rohmer (on pense à Pauline à la plage ou à Conte d’été) et de Rozier ne se pousse jamais du col. Alerté sur sa modestie revendiquée, le spectateur averti ne pourra que valider son résultat.

La bande-annonce

Mignonnes ★★★☆

Aminata a onze ans. D’origine sénégalaise, elle vit dans le nord de Pars avec ses deux petits frères et sa mère, qui vient d’apprendre que son mari reviendrait du pays avec une seconde épouse. Perturbée par la détresse de sa mère, Amy intègre un nouveau collège. Un groupe de filles plus délurées que les autres répète une chorégraphie en vue d’un concours. Amy n’a qu’un rêve : les rejoindre.

Mignonnes a été au centre d’une polémique dont la principale conséquence aura été de lui donner une publicité qu’il n’aurait pas eue sans elle. Netflix s’apprêtait à le mettre en ligne avec une affiche qui a fait s’étouffer d’indignation les ligues de vertu. Quelques accusations bien senties retentirent de la part de ceux qui n’avaient probablement pas vu le film : pédophilie ! hypersexualisation des petites filles ! Netflix fit marche arrière, retira l’affiche polémique et s’excusa d’un communiqué piteux : la photo « n’était pas une représentation fidèle du film ».

Si Mignonnes traite en effet de l’hypersexualisation des jeunes filles, ce n’est pas pour exciter la lubricité de libidineux pédophiles, mais pour nous inviter à y réfléchir. Avec une grande intelligence, sans jamais verser ni dans la dénonciation moralisatrice, ni dans la complaisance racoleuse, la réalisatrice Maïmouna Doucouré – dont on imagine volontiers la part d’autobiographie qu’elle a mise dans ce sujet – suit à la trace la petite Amy dans sa quête d’identité, entre le Sénégal et la France, entre une famille désunie et des copines affranchies.

Amy sent sa cellule familiale se dissoudre avec le retour imminent d’un père invisible, accompagné d’une nouvelle épouse à l’existence de laquelle la mère d’Amy ne parvient pas à se résoudre. C’était déjà le sujet du court métrage Maman(s) qui avait valu à Maimouna Doucouré un César en 2017. Mais, à partir de cette base-là, Mignonnes prend une autre direction pour s’intéresser à l’hypersexualisation des jeunes filles. Le sujet, délicat, crée la gêne. On est mal à l’aise face aux contorsions lascives de gamines en sixième qui singent les stars qu’elles regardent sur YouTube. Les adultes, démissionnaires, ne les aident guère, le seul faisant preuve de bon sens étant paradoxalement l’imam convoqué par la tante d’Amy pour chasser les mauvais esprits qui se seraient emparés de la jeune fille.

La direction d’acteurs fait des étincelles. La jeune Fathia Youssouf tient la corde raide de la pré-adolescence. La réalisatrice a réussi à lui faire exprimer des moments de grâce ambigüe où son jeu éclate moins par ce qu’il exprime que par ce qu’il retient.

Mignonnes a bien sûr son lot de défauts. Sa trame suit les canons mille fois explorés du récit d’initiation : l’arrivée dans le nouveau collège, la pénible intégration, la construction fragile de nouveaux liens d’amitié, le concours de danse dont la préparation et les épreuves qualificatives rythment la narration. Autre défaut : la similarité presque mimétique de Mignonnes avec Bande de filles, le film de Céline Sciamma qui avait également pour héroïnes quatre jeunes filles en quête d’émancipation en banlieue parisienne.

Mais Mignonnes n’en reste pas moins une grande réussite. En témoignent l’intelligence et la poésie des deux scènes qui clôturent le film. La finale du concours de danse et le retour du père approchant, le scénario semblait se condamner à une impasse, voire à un happy end moralisateur. Il évite ces deux écueils.

La bande-annonce