Voir le jour ★★☆☆

La vie quotidienne dans un service de maternité en sous-effectif chronique : les accouchements, les patientes plus ou moins patientes, les personnels de santé débordés mais unis dans une sororité bienveillante.
Jeanne (Sandrine Bonnaire) y est auxiliaire de santé. Dans une vie passée, elle s’appelait Norma et chantait dans un groupe punk. Mais, à la naissance de sa fille, Zoé, elle a choisi ce métier malgré ses astreintes.

Voir le jour est l’adaptation fidèle du roman de Julie Bonnie Chambre 2 couronné en 2013 par le prix du livre FNAC. Un roman bref et poignant dont je me souviens que la lecture à l’époque m’avait touché – mais dont, Alzheimer aidant, je n’ai gardé qu’un souvenir très flou du contenu.

Voir le jour joue sur notre corde sensible en nous montrant des nouveau-nés attendrissants. Il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas se laisser émouvoir par leur innocence, par leur fragilité et par leur irrésistible détermination à vivre.

Voir le jour explore aussi un thème qui, depuis quelques années, fait florès au cinéma français : celui de l’hôpital. On pense à Hippocrate, le film de Thomas Lilti sorti en 2014 et à la série homonyme qu’il a réalisé pour Canal plus, ou à Patients, autant d’œuvres excellentes, aussi intelligentes qu’émouvantes. On pense aussi à Pupille, que j’avais classé parmi les tout meilleurs films de l’année 2018.

Marion Laine, une réalisatrice confirmée dont Sandrine Bonnaire est l’actrice fétiche, a recruté un casting aux petits oignons pour l’entourer : Brigitte Roüan, décidément aussi talentueuse devant que derrière la caméra, Laure Atika qui, l’âge venu, a su abandonner les rôles de bimbos qui avaient fait sa renommée, Sarah Stern, rousse exubérante, fille des Tuche, Kenza Fortas, cagole au cœur pur, héroïne de Shéhérazade.

Voir le jour n’est jamais meilleur que quand il filme l’activité trépidante de la maternité, ses alertes et ses conflits, . En revanche, il se dilue à vouloir raconter d’autres histoires : la relation mère-fille entre Jeanne et Zoé et surtout, au prix de flashbacks calamiteux, la folle jeunesse de Jeanne/Norma et sa rédemption dans le travail. Cette couche narrative n’apporte rien. Pire, elle vide un film qui aurait pu être exceptionnel de sa force.

PS : Un clin d’œil à Franck Bouysse dont on voit en passant l’affiche du livre Né d’aucune femme

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Petit Pays ★☆☆☆

Gaby a dix ans. Il vit une enfance protégée à Bujumbura au Burundi avec Michel, son père, un entrepreneur français expatrié, Yvonne, sa mère, d’origine rwandaise et Ana, sa sœur cadette. Élève de la classe de Mme Economopoulos, il forme avec quatre camarades une bande d’amis indéfectiblement soudés. Mais cet éden enfantin va se fissurer sous le poids des événements extérieurs : le coup d’État d’octobre 1993 qui renverse le président tutsi Melchior Ndadaye et surtout le génocide au Rwanda qui va décimer la famille de Yvonne.

Petit Pays est la fidèle adaptation du best-seller de Gaël Faye, publié en 2016, couvert de prix et désormais au programme dans les collèges. Le film comme le roman entremêlent deux histoires : la petite et la grande.
La petite : la chronique familiale d’un divorce annoncé. La grande : deux pays plongés dans la guerre civile.

Je l’avoue le rouge au front : je n’avais pas aimé le roman de Gaël Faye et n’en avais pas compris l’étonnant succès. J’ai conscience avec cet aveu honteux de me couper de 99 % de mes amis qui, au contraire de moi, ont été sensibles à sa pudeur et à sa force. Tout au plus me gagnerai-je la sympathie de leurs enfants qui se cherchaient un prétexte pour refuser de le lire !
Je lui reprochais un regard éculé – la guerre à regard d’enfant (soupirs) – un scénario trop chargé s’étendant sur un temps trop long et enfin un point de vue qui complique la compréhension à qui ne connaît pas les rebondissements de l’histoire politique burundaise. Dans un genre très similaire, je lui avais préféré Notre-Dame du Nil de Scholastique Mukasonga.

Les critiques que j’adressais au livre, je les adresse à l’identique au film qui en est la sage retranscription. Éric Barbier, qui fut il y a une trentaine d’années un réalisateur français plein d’avenir, est devenu un faiseur sans talent. Après avoir adapté La Promesse de l’aube, avec Charlotte Gainsbourg et Pierre Niney, il se colle à cette adaptation-là. Que fera-t-il ensuite ? Les Fourberies de Scapin ? L’Étranger ?

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Mano de Obra ★★★☆

Au Mexique, des manœuvres s’activent dans une villa cossue en plein travaux. Un homme tombe du toit par accident. Il décèdera des suites de sa chute, laissant une femme enceinte et sans le sou. Son frère Francisco, manœuvre lui aussi, se bat sans succès pour obtenir une indemnisation. Mais son contremaître ne veut rien entendre et invoque l’état d’ébriété du défunt que rien n’atteste sinon des résultats d’analyse contrefaits. L’exaspération montant, Francisco décide de se venger.

Mano de Obra est un film sobre. Dans la forme comme dans le fond.

Quasi documentaire, Mano de Obra, constitué de longs plans fixes, manifeste pour un premier film un étonnant sens du cadrage. Les acteurs, tous amateurs à l’exception de celui qui joue le rôle de Francisco, forment un ballet millimétré. Le montage de Mano de Obra manie l’ellipse, racontant une histoire qui se déroule sur plusieurs mois sans jamais pour autant nous égarer.

L’histoire qu’il raconte bifurque au milieu du film.
Comme l’annonçait le résumé que j’en ai fait, on croit qu’il s’agira d’une histoire de vengeance. On se demande quelle voie suivra Francisco pour atteindre son but : l’occupation illégale de cette villa au confort indécent alors qu’il survit dans un studio misérable inondé par les intempéries ? le kidnapping voire l’assassinat de ce patron sans cœur qui reste sourd à ses revendications de plus en plus pressantes ?

Le film pourrait s’arrêter une fois ces questions résolues. Mais il rebondit, dans une sorte d’appendice ou de post-scriptum. Les spectateurs qui voudraient s’en réserver la surprise peuvent me quitter ici. On retrouve Francisco dans la villa après le meurtre du propriétaire. Il espère, grâce à une faille de la loi mexicaine, en acquérir la propriété. Il convainc ses anciens collègues de s’y installer avec lui pour rassembler l’argent nécessaire aux frais de justice. Lentement, sa personnalité change….

Cette seconde partie leste le film d’une dimension supplémentaire, au risque de le faire chavirer. La dénonciation, assez simpliste, du quasi-esclavagisme auquel les classes laborieuses mexicaines étaient réduites et l’exaltation, tout aussi simpliste, de la légitimité de leur rébellion sont l’une et l’autre brouillées par le tour que prend la vie de Francisco. Le héros positif ne le reste pas longtemps. Le film n’est plus simpliste ; il devient grinçant sinon désespérant.

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Dans un jardin qu’on dirait éternel ★★☆☆

Noriko a vingt ans et ne sait pas vraiment quoi faire de sa vie. Sa cousine Michiko est plus vive et plus volontaire. Un beau jour, sur la suggestion des parents de Noriko, les deux jeunes filles décident d’aller s’initier à la cérémonie du thé auprès de Mme Takeda. Les années passent ; mais le rituel hebdomadaire de la leçon chez la vieille professeure continue.

Dans un jardin qu’on dirait éternel est l’adaptation d’un livre de Noriko Morishita au titre explicite : La Cérémonie du thé – Ou comment j’ai appris à vivre le moment présent. Y sont entrelacés deux récits. D’un côté, un quasi-documentaire sur la cérémonie du thé au Japon, ses règles ancestrales, ses rituels précis, sa philosophie. De l’autre, l’histoire d’une jeune femme qui se cherche et qui se trouve.

Son rythme est lent voire languide. Mais Dans un jardin… n’est jamais ennuyeux. Sa narration s’étire sur plus de vingt ans pour embrasser la vie d’une femme, de la sortie de l’adolescence à l’âge mûr. Cette vie, on ne l’apprend que par bribes : la fin des études, le premier travail, des fiançailles avortées, la mort du père… Passée à la moulinette de Hollywood, une telle vie aurait été dramatique, pleine de rebondissements, de ruptures et de réconciliations. Sous l’œil d’un réalisateur japonais, tamisée par les shoji translucides du pavillon de thé, ces cloisons de papier qui filtrent la lumière, elle est douce-amère.

La cérémonie du thé y est décrite par le menu. Ce rituel un peu compassé pourrait prêter à sourire. Si certaines de ses règles sont de bon sens, d’autres n’ont pas de logique sinon leur séculaire répétition. Les deux jeunes filles commencent par en rire moqueusement ; mais vaincues par l’irréductible patience de leur professeur, elles finissent par les comprendre et les respecter.

Comme tant d’autres films japonais (on pense aux derniers films d’Ozu ou aux Délices de Tokyo déjà interprétée par la merveilleuse Kiki Kirin depuis décédée), Dans un jardin… est d’une infinie délicatesse. Y règne une immense bienveillance à l’égard des êtres et des choses.

Le bruit du monde vous tympanise ? L’agressivité des rapports humains vous est insupportable ? L’impolitesse vous exaspère ? Courez voir Dans un jardin qu’on dirait éternel. Il agira comme un baume contre les tourments de notre temps.

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Effacer l’historique ★★☆☆

Trois voisins d’un lotissement anonyme en périphérie d’une ville moyenne du Pas-de-Calais (« Dieu que c’est laid ») ont noué autour d’un rond-point, pendant les occupations des Gilets jaunes, une amitié durable. Marie (Blanche Gardin, nouvelle venue chez Delépine & Kervern), seule dans sa maison depuis que son mari l’a quittée avec son fils, est victime d’un chantage à la sextape. Bertrand (Denis Podalydès) malgré les crédits qui s’accumulent, est subjugué par la voix d’une téléopératrice qui l’appelle de l’île Maurice. Christine est devenue conductrice de VTC mais se désespère de ne recevoir que des mauvaises notes de ses clients.

Groland en guerre contre les GAFA. Le duo Delépine & Kervern, devenu célèbre sur Canal + grâce à l’humour satirique et irrévérencieux de leur faux journal, tournent depuis une quinzaine d’années des longs métrages ensemble. Effacer l’historique est le dixième. Son titre (qui n’a aucun écho dans le scénario) et son affiche annoncent la couleur : il y sera question des NTIC – un acronyme que les millenials ne comprendront plus – des réseaux sociaux et de la déshumanisation qu’ils provoquent insidieusement.

Si on aime l’humour potache, on se régalera de celui qui habite chaque scène de Effacer l’historique. Cet humour narquois (le « numéro vert surtaxé », « l’abonnement gratuit à 18 euros par mois ») dénonce avec finesse les absurdités auxquelles les nouvelles technologies nous réduisent : Blanche Gradin qui stocke ses mots de passe dans son congélateur, Corinne Maserio qui peine à renseigner les test de sécurité idiots censés discriminer humains et IA, Denis Podalydès qui doit faire 50km pour retirer un LRAR….

Car l’humour du duo Délépine & Kervern n’est pas une fin en soi. Il est au service d’un projet : peindre le désarroi de la France périphérique devant les nouvelles technologies. Cette « France périphérique » – désormais conceptualisée dans les ouvrages savants du géographe Christophe Guilluy – où se jouent tout à la fois l’avenir de notre vivre-ensemble et le résultat de toutes les élections présidentielles, le duo aime la filmer. Leurs films se déroulent souvent dans des lotissements sans âme perdus autour d’immenses ronds-points sans âme et de centres commerciaux déshumanisés.

Plus ils tirent sur la corde, moins ils convainquent. Car le message, à force d’être martelé, devient inaudible. Car, surtout, Effacer l’historique, se trompe de cible et fait fausse route en nous parlant des nouvelles technologies. Le trio n’est jamais plus touchant que quand on en filme la solitude triste : l’alcool, le jambon sous-vide, les séries télévisées regardées à la chaîne, l’argent qui manque….

Pour le dire autrement, le film n’est jamais autant réussi que quand il s’éloigne de son sujet. La sextape de Blanche Gradin, son voyage à San Francisco pour aller la récupérer dans un data center sont parfois drôles en soi mais ne s’intègrent pas avec harmonie au tableau d’ensemble que Delépine & Kervern peignent de film en film : celui, comme l’aurait chanté Souchon, de la soif d’idéal de foules sentimentales attirées par des choses pas commerciales….

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L’Infirmière ★☆☆☆

Ichiko est infirmière à domicile. Elle a notamment la charge, dont elle s’acquitte consciencieusement, d’une personne âgée, une grand-mère en fin de vie qui fut une grande artiste-peintre. Ichiko s’attache à cette grabataire et à sa famille. Elle va même jusqu’à aider ses deux petites-filles dans leurs révisions scolaires.
Sa vie éclate lorsque la plus jeune des deux sœurs est kidnappée. L’auteur du crime est le propre neveu d’Ichiko. Une part de responsabilité rejaillit sur elle après le témoignage de la sœur aînée, liée à Ichiko par une attirance malsaine. Ichiko voit bientôt son nom jeté en pâture à la presse et sa vie s’écrouler.

L’Infirmière raconte une histoire passablement compliquée – que j’ai essayé non sans mal de résumer dans les quelques lignes qui précèdent. Pour ne rien simplifier, il le fait sous une forme très alambiquée en intercalant des plans d’une différente temporalité : certains sont situés au moment du kidnapping, d’autres racontent quelques mois plus tard la vengeance qu’Ichiko fourbit.

L’Infirmière soulève des questions passionnantes : la responsabilité des crimes commis par les siens (le « suis-je le gardien de mon frère ? » biblique), la vendetta des médias, expéditifs à stigmatiser les accusés, la vengeance et les formes qu’elle emprunte.

L’Infirmière fait partie de ces films intelligents qui laissent une marque, longtemps après son visionnage, par les questions, souvent sans réponse, qu’ils suscitent. Mais, en sortant de la salle, j’avoue honteusement ne pas y avoir compris grand-chose et, pire, m’en être franchement désintéressé faute de toute empathie avec son héroïne – aussi brillamment interprétée soit-elle par Mariko Tsutsui qu’on avait déjà remarquée dans Harmonium, le précédent film de Kôji Fukada

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Tenet ★★☆☆

Un espion innomé travaille pour la CIA. Face à lui Andrei Sato, un milliardaire russe mène les pires actions criminelles pour assembler les neuf parties d’un mystérieux « algorithme » dont la réunion pourrait entraîner la destruction de l’humanité. Le combat est déséquilibré ; car Sator se révèle être en fait la main agissante des générations futures qui ont découvert le moyen d’inverser le sens du temps.

C’est avec une gourmandise non feinte que je suis allé voir Tenet ce week-end, le masque soigneusement porté pendant toute la séance ainsi que le décret du 28 août 2020 en fait désormais l’obligation. Tenet, on l’a dit et redit, est le premier blockbuster à sortir depuis le déconfinement (sa sortie en France précédant même de quelques jours celle aux Etats-Unis), celui qui, dans un contexte déprimé, devrait enfin inciter les Français à retrouver le chemin des salles.

J’aurai dès lors scrupule à tirer sur l’ambulance et à mesurer mon soutien. D’autant que j’ai pris un plaisir régressif à ce James Bond movie avec son lot de courses poursuites, son voyage au tour du monde (de Kiev à Amalfi, de Londres à Tallinn, d’Oslo au Vietnam), son espion tiré à quatre épingles (quels que soient les obstacles qu’il rencontre, la barbe de John David Washington, fils de Denzel, demeure impeccablement taillée), son méchant très méchant (Kenneth Branagh qui se fait décidément une spécialité de ce genre de rôles) et sa sublime James Bond girl (Elizabeth Debicki et son 1m88 qu’on retrouvera dans la prochaine saison de The Crown dans le rôle de Lady Di).

Mais, de Christopher Nolan, qui a signé quelques uns des plus grands films de la décennie (Inception, Interstellar, Dunkerque…), on attendait plus. On en attendait une dose de complexité que Tenet semble offrir avec son concept super-intelligent, l’inversion du temps, et avec l’ensemble des questions que le film égrène au risque d’en obscurcir le récit : qui est ce mystérieux militaire qui sauve la vie du héros dans l’opéra de Kiev durant la scène d’ouverture ? qui est cette femme qui plonge du yacht de Sator au large du Vietnam ? d’où viennent les impacts de balles sur les vitres de la chambre forte d’Oslo où il entasse des œuvres d’art ? pourquoi le rétroviseur de la voiture du héros à Tallinn est-il endommagé ?

Le problème est que le concept de voyage dans le temps et ses apories ont déjà été explorés par des films qui n’étaient pas moins ambitieux : La Jetée, Terminator, Edge of Tomorrow, L’Armée des douze singes, Interstellar, Looper
Le problème surtout est que son utilisation ici est faussement intelligente. Il sert dans plusieurs scènes d’action où l’on voit, dans le même plan, certains personnages en marche avant et d’autres en marche arrière. La première est étonnante ; mais à partir de la seconde, le procédé devient répétitif. Il sert surtout à revisiter chacune des scènes du film – et à répondre aux questions que le spectateur attentif s’était posé.

Du coup, on sort de la salle mi-figue mi-raisin. Ravi d’avoir retrouvé le plaisir d’un blockbuster, mais un peu déçu par ses promesses non tenues. Car si Tenet est complexe, il n’en est pas profond pour autant

La bande-annonce

Light of my Life ★☆☆☆

Dans un futur proche, la planète a été décimée par une mystérieuse peste qui a tué toutes les femmes condamnant à terme la race humaine à l’extinction faute d’enfants. Toutefois, une jeune fille est encore vivante.
Rag a douze ans. C’est une pré-ado vive et intelligente. Son père, qui lui voue un amour infini, veille jalousement sur elle. Leur vie est une suite ininterrompue de déambulations dans l’Ouest américain, à la recherche d’un refuge où ils pourraient enfin trouver la paix.

Light of my Life relève un défi audacieux : explorer le même thème que deux films qui avant lui l’ont fait avec un succès indépassable. Le premier est La Route – adapté du prix Pulitzer 2007 de Cormac MacCarthy. Dans une Amérique tout aussi pluvieuse et tout aussi dangereuse, Viggo Mortensen y déployait déjà des trésors d’amour paternel et d’inventivité pour protéger son fils. L’affiche de Light of my Life reproduit d’ailleurs quasiment à l’identique celle de la Route : même duo harassé de fatigue, même vêtements sales gorgés par la pluie, mêmes couleurs grisâtres… Le second est Les Fils de l’homme – lui aussi adapté d’un roman d’anticipation à succès, écrit celui-ci par P.D. James – où Clive Owen, dans un monde brutalement condamné à la stérilité, se voyait confier la lourde tâche de protéger une femme enceinte.

Face à ces deux écrasants précédents, Light of my Life, hélas, n’est pas à la hauteur et se condamne à n’être qu’un film post-apocalyptique de plus. Le genre n’étant pas pour me déplaire, j’inclinais à la bienveillance ; mais ma bienveillance a des limites.

Ici Casey Affleck, qui a écrit le scénario, produit et réalisé le film, et qui interprète le rôle principal, englue la narration dans des dialogues aussi verbeux qu’interminables. Le film s’ouvre ainsi par un plan fixe d’une dizaine de minutes durant lequel le père raconte à sa fille une histoire, durant la veillée, sous la tente, vaguement inspirée de la parabole de l’arche de Noé.

Le film a son lot de rebondissements convenus. Comme de bien entendu, le duo fait des rencontres. Certaines sont plus heureuses que d’autres. Elles auraient pu continuer longtemps, le film qui dure déjà deux heures pouvant sans préjudice en compter facilement une de plus ou une de moins. La seule chose qui est réussie est le cadrage qui laisse toujours ouverte une ligne de fuite déserte d’où on pressent que pourrait surgir à chaque instant une menace. Cette tension permanente cloue le spectateur à son siège. Ce n’est pas la sensation la plus agréable qui soit ; mais c’est une qualité du film qu’il faut lui reconnaître.

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A Perfect Family ★★★☆

Thomas, Helle, leurs deux filles, Caroline, quatorze ans et Emma, douze ans, forment une famille en apparence parfaite. Mais ce bonheur va éclater sous l’effet d’une double révélation : Thomas va changer de sexe et Helle demande le divorce. Pour les deux filles, et surtout pour Emma la cadette, le choc est brutal.

Depuis quelques années on voit se multiplier les films ou les documentaires sur le transgenrisme : Une femme fantastiqueFinding Phong, Coby, Il ou Elle, Girl, Bixa Travesty, Lola vers la mer, Indianara, etc. J’en rends compte systématiquement avec un intérêt suspect : aurais-je envisagé des mesures radicales pour enfin décrocher les postes auxquels une politique de recrutement strictement paritaire dans la haute fonction publique me complique l’accès ?

Ces films et ces documentaires se focalisent sur leur héro.ïne et suivent le processus, physiquement et physiologiquement douloureux, de sa réassignation sexuelle. A Perfect Family change la focale en s’intéressant moins au héros, Thomas rebaptisé Agnete, qu’à sa famille et plus particulièrement à sa fille cadette.

Ce qui intéresse la réalisatrice Malou Reymann qui, dit-elle, a vécu la même expérience, ce sont les conséquences du changement de sexe du père sur l’équilibre familial. On voit la jeune Emma, remarquablement interprétée par Kaya Toft Loholt, traverser toute une palette de sentiments : l’incompréhension face à une décision aussi radicale que rien ne laissait augurer, la colère devant ce qu’elle assimile à une trahison, la honte quand elle doit subir les sarcasmes sexistes dont Thomas/Agnete est inévitablement l’objet, et enfin bien sûr, car le film se clôt évidemment par un happy end, l’empathie.

Un danger guettait un tel film que laissait redouter son titre (traduction écourtée de A Perfectly Normal Family qui ne porte pas tout à fait le même message) : nous présenter une « famille parfaite » où la « différence » du père était admise avec bienveillance. Le film y verse souvent, notamment dans sa conclusion qu’on sentait venir depuis des kilomètres. Mais il le fait avec une telle sensibilité que même ses passages les plus gnangnans – la chanson d’Emma à la confirmation de son aînée, émouvante ode à l’amour sororal – réussissent à nous émouvoir.

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The Perfect Candidate ★☆☆☆

Maryam est saoudienne. Élevée au sein d’une famille aimante, récemment endeuillée par la mort de la mère, elle est l’aînée de trois sœurs. Elle a hérité de son père, musicien professionnel malgré les obstacles qui entravent l’exercice de son art, un caractère indépendant et intransigeant.
Maryam est médecin dans une petite clinique provinciale. Chaque jour elle se désespère de l’état de la voirie dans sa ville. Lorsque un concours de circonstances lui en donne l’occasion, elle décide de se porter candidate aux élections municipales.

Sorti en 2013, Wadjda peut s’enorgueillir d’être le premier film saoudien. Après un détour pas vraiment convaincant par Hollywood – où elle a tourné une biographie de Mary Shelley et un second film directement diffusé sur Netflix – sa réalisatrice revient au bercail. The Perfect candidate reprend le même sujet que Wadjda : dans l’un comme dans l’autre, il est question d’émancipation féminine en Arabie saoudite.

Dans Wadjda, une jeune adolescente avait décidé de braver l’interdit qui l’empêchait de faire du vélo. Dans The Perfect Candidate, la belle Maryam – dont la beauté éclate quand elle écarte les pans de son niqab – s’attaque à un autre tabou : la participation des femmes à la vie politique.

La charge de Haifaa Al-Mansour est bien sage. La réalisatrice saoudienne sait jusqu’où ne pas aller trop loin. Du coup, son film, qui suit un chemin déjà tout tracé, pourra sembler bien tiède et sa morale bien convenue.

Le seul intérêt qu’on pourra y prendre sera d’y voir quelques images de l’Arabie saoudite et de la façon dont les hommes et les femmes y vivent. Aucune tension ne semble traverser une société dont les membres, hommes ou femmes, se montrent les uns avec les autres d’une douceur angélique. Mais la stricte séparation des sexes qu’impose le respect scrupuleux de la loi coranique constitue un spectacle étonnant auquel on peine à s’habituer.

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