Entre les lignes ★☆☆☆

Enfant de l’Assistance publique, Jane Fairchild (Odessa Young) travaille chez les Niven, une riche famille aristocratique anglaise brisée par la mort de ses deux fils pendant la Première Guerre mondiale. Elle entretient une liaison secrète avec Paul Sheringham (Josh O’Connor) le seul survivant d’une fratrie elle aussi décimée par la guerre. Paul est le fils d’aristocrates, proches des Niven. Il est promis à une riche héritière qui aurait dû épouser le fils aîné des Niven.

Entre les lignes est la traduction fade de Mothering Sunday, le titre du bref roman de Graham Swift et le titre original en anglais de l’adaptation qu’en a tirée la Française Eva Husson (Les Filles du soleil, Bang Gang). Tout est d’ailleurs un peu trop fade dans ce film qu’on croirait dérivé d’une intrigue secondaire de Downton Abbey. Certes, la nudité sans voile de sa jeune et ravissante héroïne – sur laquelle on aurait pu reprocher à la réalisatrice de porter un male gaze malaisant si celle-ci n’avait pas été une femme – semble a priori démentir cette accusation. Mais, il y a dans cette nudité faussement transgressive comme dans le montage chichiteux qui joue à saute-moutons avec les époques moins d’originalité que de conformisme aux règles canoniques du genre.

Reste certes, pour les indécrottables amoureux du genre dont je suis, le plaisir régressif de retrouver cette ambiance et cette époque jouées par un carré d’acteurs impeccables : la rafraîchissante Odessa Young (Assassination Nation), le jeune Josh O’Connor, révélé par The Crown où il interprétait le futur Charles III et les valeurs sûres multi-primées sans lesquelles il ne se produit plus de film anglais en costumes que sont Olivia Colemab et Colin Firth.

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Notre corps ★★☆☆

Après que sa productrice y a été soignée pendant deux ans et avant d’y être elle-même prise en charge pour un cancer du sein qui s’est révélé pendant le tournage, la documentariste Claire Simon (Les Bureaux de Dieu sur le Planning familial, Le Bois dont les rêves sont faits sur le Bois de Vincennes et les promeneurs qui y ont leurs habitudes, Le Concours sur l’entrée à la Fémis, Premières solitudes sur des lycéens d’Ivry et leurs questionnements face à la vie) a planté sa caméra à l’hôpital Tenon dans le vingtième arrondissement parisien. Elle y a filmé le corps des femmes souffrantes : des victimes d’endométriose ou de cancers, des parturientes en plein travail accouchant par voie basse ou par césarienne, des femmes en transition de genre qui suivent une hormonothérapie et réfléchissent à une mastectomie voire à une hystérectomie, des femmes en fin de vie auxquelles la médecine impuissante n’a d’autres ressources que de proposer des soins palliatifs…

J’appréhendais un peu les deux heures et quarante-huit minutes de ce documentaire hors normes. J’ai souvent pesté contre ces durées excessives, leur reprochant d’épuiser notre patience – et notre vessie – et regrettant qu’un montage plus serré ne les ramène pas à des formats plus comestibles. Pour autant, je n’ai pas regardé ma montre une seule fois pendant toute la projection de ce documentaire-là, même si on pourrait lui faire le reproche de passer en revue, sans beaucoup d’imagination, la quasi-totalité des pathologies traitées à Tenon et de pouvoir indifféremment durer une heure de moins – ou trois heures de plus – en fonction des consignes données au monteur.

Si je n’ai pas regardé ma montre, c’est parce que les séquences de Notre corps m’ont toutes profondément touché. À la différence des documentaires ou des films, nombreux, qui prennent l’hôpital pour cadre (Hippocrate, Premières Urgences, Sage-Femmes…), Notre corps s’intéresse moins aux soignants qu’aux malades. Notre corps ne dit rien du dévouement des médecins et des infirmiers, du stress permanent qu’ils subissent, de leurs conditions de travail dégradées à force de coups de rabot budgétaire. D’ailleurs le silence gardé sur toutes ces questions brûlantes pourrait presque lui être reproché. Il ne s’intéresse qu’à une seule chose : le corps souffrant des femmes.

Je ferais pourtant à Notre corps deux critiques.
La première, volontiers injuste, est de nous prendre en otage, d’exercer sur nous un chantage affectif. Qui n’est pas ému aux larmes par un accouchement, par le corps si fragile d’un nouveau-né, tout gluant de vernix, qu’on pose sur le sein de sa mère ? Qui n’est pas déchiré devant le désarroi d’une patiente en fin de vie à laquelle le médecin annonce l’échec de son ultime radiothérapie ?
La seconde me mettra probablement à dos les féministes les plus radicaux. Car Notre corps se revendique telle, qui filme, avec une équipe technique uniquement composée de femmes, des patientes exclusivement. Si, bien sûr, il existe des pathologies – l’endométriose – et des situations – l’accouchement – que seules les femmes vivent, je ne suis pas convaincu que la situation des femmes face à la maladie, face à la souffrance, face à la mort, soit radicalement différente de celle des hommes. À l’approche genrée portée par le film, qui voudrait cliver l’humanité en deux catégories, je préfère l’universalisme qui unit les hommes et les femmes face aux défis communs auxquels ils sont confrontés. Si le possessif pluriel du titre me galvanise, c’est à condition de nous englober tous, pas de nous diviser.

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Lost in the Night ★★☆☆

Emiliano est le fils d’une activiste écologiste, disparue et probablement tuée par la police trois ans plus tôt. La quête de sa mère le mène dans la luxueuse résidence secondaire d’une famille de stars – Carmen est chanteuse, Rigo est artiste, Monica, la fille de Carmen, est influenceuse – où Emiliano se fait embaucher comme homme à tout faire.

Le cinéma mexicain est fascinant Trois figures tutélaires le dominent aujourd’hui, Alfonso Cuarón, Guillermo del Toro et Alejandro Iñárritu, au risque d’écraser les autres. Parmi elles, Carlos Reygadas, Michel Franco (je ne me suis jamais remis de la dernière scène de Después de Lucía) et Amat Escalante.

Je n’ai pas vu ses deux précédents films, interdits aux moins de seize ans, La Région sauvage (2016) et Heli (2013). Celui-ci n’est pas piqué des hannetons. Il est pourtant autorisé à tous les publics, quand bien même on y voit lors d’une scène d’amour bucolique, Emiliano et sa fiancée se donner tendrement du plaisir l’un à l’autre, avant de disserter sur le goût du sperme et celui du sirop d’agave. Mais au-delà de cette scène sans conséquence, c’est tout le film qui baigne dans une ambiance troublante.

D’une grande densité, il mêle plusieurs sujets : l’écologie, le capitalisme prédateur, le millénarisme évangéliste, les conflits de classe dans un pays, le Mexique, dont on sait que les inégalités y sont parmi les plus criantes au monde, le star-system et l’influence des réseaux sociaux… On croit un instant que le propos va sombrer dans la caricature, noircissant les traits de ces stars dégénérées, ivres de leur supériorité. Mais Lost in the Night est moins caricatural et plus subtil. Son scénario, au rythme déconcertant, fait de brusques accélérations et de brutaux ralentissements, est sacrément riche. La fin n’en finit pas. Mais son dernier plan, avec la sublime Ester Expósito – qui, à l’avant première, était aussi bombissime sur la scène qu’à l’écran – valait l’attente.

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Le Règne animal ★☆☆☆

Dans un futur proche, des mutations inexpliquées transforment progressivement certains humains en animaux. C’est le cas de la femme de François (Romain Duris), qui va être transférée dans un centre gardé dans le sud-ouest de la France. Pour rester proche d’elle et lui rendre visite, François décide de s’y installer, avec son fils Émile (Paul Kircher, le fils d’Irène Jacob). Mais le fourgon qui transporte les malades dérape sur la chaussée glissante, les libérant dans la nature. Et Émile ressent dans son corps des évolutions inquiétantes.

Le premier film de Thomas Cailley, Les Combattants, mettant en scène deux adolescents terrifiés par une catastrophe écologique imminente, était intrigant. Le second, qu’il a fallu attendre plus de neuf ans, ne l’est pas moins. À tous ceux qui se plaignent du conformisme du cinéma français, de la paresse de ses scénarios franchouillards et de son manque d’ambition, Le Règne animal apporte une preuve éclatante de sa vitalité et de son audace.

Car il fallait oser imaginer cette histoire fantastique, quelque part entre LadyHawke et Twilight, et financer des effets spéciaux qui, comme le sont parfois ceux des films à petit budget, sont plus ridicules qu’impressionnants.

Le problème est que cette originalité est, tout bien considéré, sa seule qualité.
Car Le Règne animal échoue à conjuguer les deux sujets qu’il entend entrelacer.
Le premier, ou plutôt les deux premiers, sont lourdement métaphoriques. Il s’agit – comme dans Twilight – des métamorphoses traumatisantes qu’induit l’adolescence, notamment la découverte de la sexualité. Il s’agit aussi – les références les plus élogieuses seraient ici E.T. ou Avatar – de l’inquiétude et de la xénophobie qu’inspire dans la majorité de la population la présence de « corps étrangers ».
Le second, c’est le film fantastique grand spectacle, avec effets spéciaux bluffants et maquillages impressionnants, tels que ceux grâce auxquels un Tom Mercier méconnaissable (La Bête dans la jungle, Synonymes) est transformé en homme-oiseau.

Le problème de ce Règne animal est qu’il est trop pataud, trop démonstratif quand il file la métaphore et pas assez impressionnant quand il filme les inquiétantes mutations de l’espèce humaine.

Un autre problème, mais très subjectif, réside dans mes difficultés à supporter les deux acteurs principaux, Romain Duris auquel je fais depuis bientôt trente ans le reproche de cabotiner, et l’horripilant Paul Kircher, la lippe pendante, l’élocution chougneuse. Même le second rôle trop fugace d’Adèle Exarchopoulos n’a pas réussi à me faire oublier l’irritation que ces deux-là provoquaient.

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Bernadette ★★☆☆

Quelle superbe idée ! Lequel d’entre nous en apprenant que Catherine Deneuve interpréterait Bernadette Chirac n’a pas été amusé, enthousiasmé, intrigué, appâté ?
Peut-être d’autres actrices lui ressemblaient-elles plus : Nathalie Baye, Catherine Sillhol… Mais, pour interpréter l’ex-Première Dame, qui de mieux que la Première Dame du cinéma français, notre Meryl Streep tricolore, notre légende nationale, l’immense, l’unique Catherine Deneuve ?

Pour l’entourer, Léa Domenach a construit patiemment un casting plaqué or. Michel Vuillermoz est enthousiasmant dans le rôle du grand Chirac. Une amie a déploré qu’il n’ait pas le charme canaille ni le charisme de l’ancien président. Mon fils a relevé, à bon droit, qu’il n’exprimait aucune tendresse pour sa femme. Il l’a même trouvé antipathique. Je ne suis pas d’accord sur ce dernier point. Michel Vuillermoz tire le Grand Jacques du côté du comique voire du ridicule, le décrivant comme un grand échalas un peu perché, manquant du bon sens que sa femme, elle, possède. Pour autant, ce n’est pas un mauvais bougre. Ses infidélités ne sont jamais mises à son passif. Son seul défaut serait sa passion envahissante pour les arts premiers et les statuettes africaines.
Sara Giraudeau est elle aussi épatante dans le rôle de Claude Chirac – même si elle ne lui ressemble pas et n’a guère essayé de lui ressembler, sinon par sa coupe garçonne et ses tenues. Mais le meilleur second rôle est sans conteste celui joué par Laurent Stocker, dont on ne dira jamais assez l’immense talent mal exploité. Sa ressemblance avec Nicolas Sarkozy ne saute pas aux yeux ; mais son élocution est sidérante. Chaque fois qu’il dit « Ma,am Chirac », c’est Sarkozy qu’on entend parler.

Ce biopic sur un sujet si connu était menacé par deux écueils. Le premier était de trahir la vérité, une trahison d’autant plus rédhibitoire que la vie des Chirac est connue de tous et que chacun de ses rebondissements (son élection en 1995, la dissolution ratée de 1997, sa « disparition » la nuit de la mort de Lady Di en août 1997, la qualification de JM Le Pen au second tour en 2002, l’AVC qui le frappe en septembre 2005, l’élection en 2007 du « traître » Sarkozy…) fait désormais partie de notre patrimoine historique. Le second, symétrique, était de trop vouloir coller à la réalité.
C’est ce second parti qu’a choisi le film. Il se condamne ainsi à ne rien nous apprendre qu’on ne sache déjà. Il se condamne aussi à jouer sur un seul registre : l’amusement provoqué par des acteurs célèbres jugés sur leur capacité à pasticher leurs modèles.

Ne crachons pas dans la soupe ! Le pastiche se regarde avec gourmandise. On sourit constamment et on rit souvent. C’était sans doute l’effet recherché, loin de toute réflexion sur les réformes entreprises pendant les deux mandats de Jacques Chirac…. ou celles qui ne l’ont pas été, le procès en immobilisme étant peut-être le plus pertinent que l’Histoire instruira contre lui. Bernadette est un film absolument a-politique, qui ne dit rien de la droite ou de la gauche, des défis auxquels la France a été confrontée à l’extérieur comme à l’intérieur pendant ces douze années ; et c’est bien surprenant de sa part.

Un dernier regret : les couronnes de lauriers tressées sans nuance à Bernadette Chirac dans une ode à sa seule gloire. Bernadette l’érige en sainte laïque, en Mère courage, en observatrice avisée de la vie politique, en juge hors pair des qualités et des défauts des hommes. C’est beaucoup, c’est sans doute trop.

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Mystère à Venise ★★☆☆

Retiré des affaires du monde, Hercule Poirot (Kenneth Branagh) s’est installé dans la Cité des doges. Un policier italien (Riccardo Scamarcio) assure sa protection. Une amie romancière (Tina Fey), pariant sur son cartésianisme et son goût des défis, réussit toutefois à le sortir de sa retraite pour le faire assister, la nuit d’Halloween, à une séance de spiritisme dans un splendide palazzo vénitien où la fille de la propriétaire (Kelly Reilly) a trouvé la mort deux ans plus tôt. Mais la soirée, qui réunit une dizaine de convives, s’achève par la mort de l’un des participants. Refusant d’en imputer la responsabilité aux esprits qui hanteraient cette lugubre demeure, Hercule Poirot mène l’enquête.

Après avoir adapté deux des plus célèbres romans d’Agatha Christie, Le Crime de l’Orient-Express et Mort sur le Nil, déjà portés à l’écran dans les 70ies avec Peter Ustinov dans le rôle du méthodique détective belge, Kenneth Branagh signe un troisième épisode à partir d’un de ses romans moins connus (publié en France sous les titres La Fête du Potiron ou, plus vendeur, Le Crime d’Halloween). Il en a déplacé l’action à Venise filmée sous une pluie hivernale. Les mauvaises langues diront que les vues de la ville, au début et à la fin du film, en constituent les meilleurs moments.

Entre les deux, la caméra s’enferme dans un huis clos, comme les enquêtes à la Cluédo nous y ont habitués. Toute adaptation d’Agatha Christie qui se respecte  doit en effet sacrifier à ce rituel inviolable. La règle est simple. Un crime est commis. Une dizaine de personnages sont suspectés, l’enquête menée d’une main de fer par Poirot permettant de révéler chez chacun des coupables potentiels un pan caché de son histoire personnelle qui justifierait son acte.

Pour donner du piment à cette recette éculée, il faut un sacré talent. Kenneth Branagh en a plus qu’il n’en faut. On lui avait fait le reproche de beaucoup cabotiner dans les deux premiers opus. Il est plus sobre ici. Et c’est tant mieux. Il concentre son talent sur la réalisation. Non tant dans le scénario qui, hélas, est si corseté qu’il ne faut guère en attendre de surprises que dans la mise en scène : les décors, les lumières, la musique tirent ce film vers l’horreur, le fantastique, le giallo, ce genre italien qui connut ses heures de gloire dans les 70ies avec Mario Bava et Dario Argento.

Mystère à Venise n’est pas le navet affligeant que certains m’avaient décrit. Il est loin aussi d’être un chef d’oeuvre. C’est un film qui ne ment pas sur la marchandise et qui plaira aux amateurs du genre.

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