Bâtiment 5 ★★☆☆

À Montvilliers, une commune de la banlieue parisienne, les tensions sociales s’exacerbent après le décès du maire, son remplacement par un néophyte et la mise en oeuvre imminente d’un projet de réhabilitation urbaine qui passe par l’évacuation d’une barre d’immeubles.

Quatre ans après l’immense succès des Misérables (deux millions d’entrées, prix du jury à Cannes et quatre Césars dont celui du meilleur film soufflé à J’accuse), c’est peu dire qu’on attendait avec impatience le deuxième film de Ladj Ly. Il se présente comme le deuxième volet d’un triptyque consacré à la banlieue.

Depuis sa sortie, j’ai lu beaucoup de critiques, souvent défavorables, à son sujet. La principale est la comparaison à son désavantage avec Les Misérables. Je ne suis pas le dernier moi non plus à comparer le film dont je fais la critique à d’autres, aux films précédents du même réalisateur ou bien à d’autres films d’autres réalisateurs sur le même sujet ou dans le même genre. Pour autant, je suis toujours un peu mal à l’aise à en faire un critère d’appréciation d’un film ; car il postule une comparaison que le spectateur, qui n’a pas nécessairement vu ces précédents, n’est pas toujours en mesure d’évaluer. Pour le dire autrement : si vous avez vu Les Misérables, peut-être trouverez-vous Bâtiment 5 moins bien ; mais si vous ne l’avez pas vu, Bâtiment 5 n’est pas mal du tout.

Autre critique adressée à Bâtiment 5 dans la presse : son manichéisme.
Certes, le cinéma de Ladj Ly est militant. Avec une rigueur documentaire, il stigmatise les impasses de la politique de la ville menée depuis quarante ans. Il affiche son parti pris, du côté des pauvres, des mal-logés et contre ceux qui en profitent et ne font rien.
Est-il pour autant manichéen ? Je ne le crois pas. Je trouve au contraire que les quatre personnages principaux du film sont bien campés et ne versent pas dans la caricature. Le nouveau maire (Alexis Manenti), un pédiatre de profession, voudrait bien faire. L’autre adjoint (Steve Tientcheu), qui revendiquait à bon droit cette magistrature, n’est pas un traître à sa race, mais au contraire un immigré de la deuxième ou troisième génération qui connaît bien le quotidien de ses administrés. La jeune Haby (Anta Diaw) est la figure par laquelle s’incarne la colère des populations menacées d’expulsion ; mais elle ne verse pas dans le communautarisme et se revendique Française d’aujourd’hui. Blaz (Aristote Luyindula) est un jeune homme placide et doux qui, à force d’humiliations, basculera, lui hélas, dans la violence.

La fin du film manque de basculer dans l’excès et le grotesque. Elle est sauvée in extremis par le tout dernier plan et par le beau geste de Haby qui tourne le dos à la violence anarchique pour lui préférer le débat démocratique et la lutte politique.

La bande-annonce

Soudain seuls ★★☆☆

Benjamin (Gilles Lellouche) et Laura (Mélanie Thierry) naviguent dans l’hémisphère sud. Sur le chemin du Chili, ils décident de faire un détour pour visiter une île déserte et montagneuse. Le temps d’y accoster, d’en découvrir quelques arpents, un orage les surprend, les obligeant à s’y abriter pour la nuit. À leur réveil, leur bateau a disparu. Dans l’attente d’hypothétiques secours, Benjamin et Laura doivent s’organiser pour survivre dans les ruines d’une station baleinière désaffectée.

Adapté du roman de la navigatrice Isabelle Autissier, qui connait bien ces latitudes australes, Soudain seuls est un survival movie. Le genre part d’un même postulat mais connaît plusieurs variations géographiques : un personnage, isolé du monde, doit lutter pour sa survie sur une île déserte (Seul au monde avec Tom Hanks), sur un bateau à la dérive (All is Lost avec Robert Redford), au milieu de l’Inlandsis groenlandais après un accident d’avion (Arctic avec Mads Mikkelsen), dans un parc naturel américain la main bloquée sous un rocher (127 heures avec James Franco) ou six pieds sous terre (Tunnel, Burried).

Le genre pose de sacrés défis aux scénaristes. Le premier est de donner à comprendre les réactions et les décisions du héros, seul et nécessairement muet. De ce point de vue-là, lui adjoindre un acolyte facilite les choses, comme c’est le cas ici où Benjamin et Laura dialoguent. Le deuxième est de créer des événements dans un temps nécessairement suspendu : que diable peut-il arriver à un homme dont la main est immobilisée sous un rocher sinon la lancinante attente, la soif et la faim ? De ce point de vue-là encore, laisser leur mobilité à Benjamin et à Laura permettra de montrer comment ils s’organisent pour se nourrir, se chauffer, se construire un fragile refuge et enfin, lorsque les secours tarderont à venir, organiser leur départ. Le troisième est de ponctuer le film de signaux d’espoir dont on sait structurellement qu’ils seront déçus. Si un avion de secours apparaît au bout de vingt minutes de film, il est par avance acquis qu’il s’éloignera sans apercevoir les naufragés…. sans quoi ils auraient été sauvés et le film se serait arrêté là. Le quatrième enfin est l’issue binaire du suspense que le film a installé : mourront-ils ou pas ? Avoir deux naufragés permet de multiplier les issues possibles : mourront-ils tous les deux ? un des deux réussira-t-il à se sauver ?

Soudain seuls coche toutes les cases du survival movie. Il a une qualité qui se renverse en défaut. Il voudrait y ajouter une autre dimension : la tragédie du couple. On découvre par bribes, à travers leurs échanges, les tensions qui opposent Benjamin et Laura, leur histoire, les conditions de leur rencontre, les hypothèques qui pèsent sur leur avenir. On a même droit à quelques scènes de ménage, suivies de réconciliations qui auraient été plus crédibles dans un F2 parisien que dans un abri de fortune sur une île déserte au large de l’Antarctique.

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Perfect Days ★★★☆

La soixantaine, solitaire, Hirayama répète chaque jour la même routine. Il se lève aux aurores, se rase soigneusement, enfile sa combinaison et part dans son minivan à son travail. Il est chargé de l’entretien des toilettes publiques pour une société tokyoïte. Il s’acquitte méticuleusement de sa tâche. Son collègue, le jeune Takashi est autrement plus fantasque, plus bavard et moins méticuleux. À midi il s’octroie une pause dans un jardin public et déjeune d’un sandwich en regardant la nature. Son travail achevé, Hirayama enfourche son vélo, passe aux bains publics et dîne dans un restaurant souterrain. Parfois, il fait un détour par une librairie pour y renouveler son stock de lectures, et par un bar où il a ses habitudes.

Hirayama, pour des motifs qui resteront obscurs, a décidé de se retirer du monde. La brutale apparition de sa nièce, dont il s’occupera pendant quelques jours, lèvera un pan sur le mystère de son passé sans nous expliquer les raisons de son choix de vie. Hirayama a choisi de mener une vie érémitique en plein Tokyo. Il y accomplit le travail le plus vil qui soit. Mais Il le fait avec une telle application que sa dignité n’en est pas affectée. Au contraire, Hirayama trouve dans sa routine quotidienne, aussi modeste soit-elle, son équilibre et sa joie.

Perfect days est un film minimaliste qui ne raconte rien ou presque. Inutile de laisser planer un suspens qui n’a pas lieu d’être ou d’escompter d’étonnantes révélations qui ne viendront jamais : Hirayama n’est pas un ancien agent de la CIA que la prise en otage de sa fille obligera à un ultime acte de bravoure façon Taken 1, 2 ou 3 ! Hirayama est tout simplement un homme qui a longtemps cherché la paix intérieure et qui a fini par la trouver en faisant du mieux possible son travail et en s’adonnant à ses loisirs : la musique  pop des 70ies, la lecture, la contemplation des saisons qui passent derrière l’objectif de son appareil photo….

Ainsi résumé, le film avec ses deux heures et cinq minutes pourrait sembler bien ennuyeux. Il n’en est rien. Car Wim Wenders réussit, par le miracle de sa mise en scène, à donner du rythme à une vie qui n’en a guère. La répétition monotone des jours est filmée sous un angle chaque fois différent, avec un montage qui lui donne une coloration inédite. Prenez l’exemple du réveil de Hirayama auquel on assiste au moins quatre ou cinq fois et qui n’est jamais exactement filmé de la même façon. De micro-événements surviennent : les lubies de Tikashi – qu’on imaginerait plus volontiers dans un film de Takeshi Kitano que chez Wim Wenders – l’arrivée susévoquée d’une nièce, la rencontre de l’ex-mari de la patronne du bar que Hirayama fréquente, etc.

L’autre atout du film est la morale qu’il professe. Une morale peut-être autobiographique que nous livre Wim Wenders, ce si jeune réalisateur de soixante-dix huit ans. Au départ de Perfect Days était une commande publicitaire que lui avait passée la municipalité de Tokyo sur les toilettes publiques de Shibuya. Comme Hirayama qui réussit, malgré son emploi dévalorisé, à faire de chaque journée un moment de bonheur, Wim Wenders réalise une oeuvre d’art à partir d’une commande banalement mercantile.

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Rien à perdre ★★☆☆

Mère célibataire, Sylvie (Virginie Efira) tire à Brest le diable par la queue et élève seule ses deux enfants, Jean-Jacques (Felix Lefebvre, révélé chez Ozon), un adolescent qui a trouvé dans la trompette et la pâtisserie un moyen de soigner sa boulimie, et Sofiane. Une nuit où Sylvie travaillait et où Jean-Jacques n’était pas rentré, le petit Sofiane se brûle au second degré en voulant se cuisiner des frites. Un signalement à l’Aide sociale à l’enfance provoque son placement. Sylvie, effondrée, se rebelle.

Il y a deux façons de lire ce film.

La première, la plus spontanée, érige Sylvie en victime d’un système administratif aveugle qui ignore le lien qui l’unit à son fils, l’amour qu’elle est capable de lui prodiguer, le trou béant dans lequel elle va s’enfoncer si Sofiane lui est retiré ainsi que le traumatisme dévastateur que cette séparation causera chez l’enfant. Ce film-là a l’avantage de la simplicité. Virginie Efira y est parfaite, qui suscite spontanément notre sympathie en Erin Brockovitch de l’ASE. Mais le film a le défaut de ses qualités : il sombre vite dans le manichéisme. Et il se condamne à une surenchère bien vite irritante – chaque tentative de Sylvie pour retrouver Sofiane se heurte au refus obtus de l’administration de le lui rendre – jusqu’à un épilogue prévisible : n’ayant plus « rien à perdre », l’héroïne n’a d’autres solutions que de brûler ses vaisseaux.

Mais Rien à perdre se prête aussi à une lecture plus subtile. Il n’oppose plus bord à bord une mère aimante à une administration butée. Plus subtilement, il laisse planer un doute sur les failles de Sylvie et, surtout, montre que l’administration, guidée par un principe de précaution, agit pour le bien de l’enfant.  Cette subtilité-là, c’est India Hair qui l’instille dans le rôle d’une assistante sociale toute en nuances. Ce film-là est autrement plus ouvert que le précédent. Mais il souffre d’un défaut paradoxal et rédhibitoire : Virginie Efira. L’actrice est si connue, si belle, si solaire, qu’on ne peut que prendre fait et cause pour elle. Pour tourner ce film-là, la réalisatrice Delphine Deloget aurait dû choisir une actrice moins connue, moins séduisante.

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L’Arche de Noé ★★★☆

Alex (Finnegan Oldfield) a été condamné à des heures de TIG dans l’association dirigée par Noëlle (Valérie Lemercier). Elle accueille des jeunes LGBT rejetés par leurs familles.

Des foyers de jeunes, laissés à eux-mêmes, qui se reconstruisent difficilement grâce à l’attention que leur portent leurs éducateurs et grâce à l’affection chahuteuse que leur prodiguent les autres pensionnaires, on en a vu treize à la douzaine : Dalva, La MifMon frèreConséquencesLa Tête haute, States of GraceFish TankDog Pound… À tel point que leur description est devenue un genre cinématographique en soi.

L’Arche de Noé, avec son titre, son affiche et son pitch tellement bien-pensants, a pris le risque d’explorer ce sillon déjà maintes fois labouré. D’ailleurs, sa maigre distribution en salles, la quasi-absence de publicité au moment de sa sortie et sa disparition, trois semaines à peine après le 22 novembre, démontrent à la fois que ses distributeurs n’ont pas cru à son succès et qu’il n’a pas su trouver son public. Espérons qu’il ait une seconde vie en VOD et à la télévision où je fais le pari qu’il sera souvent (re)diffusé.

Car L’Arche de Noé est une réussite totale. Il réussit à nous prendre par la main pour nous faire pénétrer dans les murs de cette association, nous en présenter les règles – notamment celle qui limite à six mois la durée maximale du séjour et oblige donc les locataires à élaborer et mettre en oeuvre un projet de réinsertion avant cette échéance – et les acteurs. Signe d’une mise en scène réussie et d’une direction impeccable : chaque rôle secondaire trouve sa place et a son identité attachante, Krystal et Princesse, les travestis en pleine transition, Elsa, qui tait derrière ses cheveux rouges un traumatisme enfoui, Melvin, gamin mutique dévoré par la honte de ses pulsions, Brian, énorme nounours rongé par ses démons….

Certes L’Arche de Noé ne contient guère de surprises. Il se conclut exactement de la façon dont on le pressentait dès la première scène. Mais il ne verse jamais dans le film à thèse dans lequel chacun des personnages et chacune des situations auraient comme unique fonction d’évoquer un aspect des difficultés rencontrées par ces jeunes. Il réussit à rendre vivants et profondément attachants des caractères qui n’auraient pu être que des caricatures ou des prétextes.

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Le Temps d’aimer ★★★☆

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au pied des remparts de Saint-Malo, Madeleine (Anaïs Demoustier), mère célibataire d’un petit Daniel, rencontre François (Vincent Lacoste), héritier rebelle d’une riche famille d’industriels. Entre eux, c’est le coup de foudre. Mais chacun cache un lourd secret qui hypothèquera pendant vingt ans leur couple.

Katell Quillévéré est une jeune réalisatrice bretonne – comme son nom l’indique – dont j’avais adoré le premier film, Suzanne, lequel avait valu en 2014 à Adèle Haenel son premier César. Deux ans plus tard, elle jouait sur du velours en signant l’adaptation d’un des meilleurs livres de la décennie, Réparer les vivants de Maylis de Kerangal, devenue santo subito l’un de mes films préférés de l’année 2016.

Elle signe avec Le temps d’aimer un film d’un classicisme assumé auquel on pourrait adresser le reproche légitime qu’il aurait été filmé à l’identique il y a vingt ou quarante ans. C’est une reconstitution léchée de la France de la Libération avec son imagerie bien connue : des GIs débordants de vitalité, des caveaux enfumés, des Françaises qui découvrent émerveillées le chewing-gum et le twist… Le film commence par des images d’archives d’une force saisissante des Tondues de la Libération, accusées, selon l’expression d’usage, de « collaboration horizontale ».

Mais Le Temps d’aimer ne se résume pas à son simple prétexte historique. Son vrai sujet est le couple que forment Madeleine et François et les secrets qu’ils dissimulent. La bande-annonce en révèle un, l’homosexualité cachée de François ; il ne dit rien de l’autre, que le film pourtant révèle rapidement. Il contient une scène proprement stupéfiante, qui aurait pu sombrer dans la vulgarité ou le voyeurisme, mais que Katell Quillévéré réussit à monter avec une infinie élégance. Elle interroge le couple, la bisexualité, le désir qui va et qui vient, l’amour et la sexualité. J’espère en avoir suffisamment dit, mais pas trop, pour vous donner la curiosité de la voir.

Un mot des acteurs. J’ai si souvent dit du bien d’Anaïs Demoustier qu’il n’est pas nécessaire d’en rajouter une couche (néanmoins, « Anaïs, si vous lisez ces lignes, etc etc. »). Mais j’ai trop reproché à Vincent Lacoste sa lippe baveuse, son élocution languissante, sa silhouette dégingandée pour ne pas faire ici amende honorable : il est parfait dans le rôle de François, loin du registre ado-comique dans lequel il s’est longtemps complu. Comme l’an passé avec De nos frères blessés, le film historique lui va bien.

J’aurais un seul reproche à faire au Temps d’aimer : son titre. Je parie que, d’ici quelques semaines, vous et moi nous souviendrons de ce film mais chercherons à nous remémorer son titre passe-partout et anonyme qui nous aura échappé.

La bande-annonce

Cesária Évora, la diva aux pieds nus ★★☆☆

Cesária Évora a eu un bien étrange destin. Née en 1941, à Mindelo, dans une des îles du nord de l’archipel du Cap-Vert, elle a chanté très jeune dans les bars et les cafés. Elle a même enregistré quelques disques. Mais la célébrité vint sur le tard, à cinquante ans, avec l’album Miss Perfumado et le single Sodade qui commémorait le travail forcé des Cap-Verdiens dans les plantations de cacao de Sao-Tomé-et-Principe par le pouvoir colonial portugais.
Suivirent, jusqu’à sa mort en 2011, vingt ans de succès planétaire et de tournées mondiales.

Le documentaire de Ana Sofia Fonseca revient sur cette vie hors du commun. Cesária Évora en constitue le centre bien entendu ; mais elle en reste bizarrement étrangère, comme si elle était constamment ailleurs, perdue dans un nuage éthylique. Car Cesária Évora était gravement alcoolique. Elle avait besoin de boire pour chanter et interrompait même ses récitals pour s’asseoir à une table spécialement prévue à cet effet sur scène, allumer une cigarette, siroter un verre de whisky pendant que ses instrumentistes meublaient le silence.

Le documentaire parle assez peu de son art et de ses chansons. Mais il la montre, dans sa maison de Mindelo, qu’elle a fait construire avec ses premières royalties. Elle y vit au milieu d’une véritable cour des miracles, entourée de sa famille, de ses amis et aussi d’une foule nombreuse de profiteurs que sa générosité proverbiale attirait comme des mouches. Car Cesária Évora avait si longtemps vécu dans la pauvreté qu’elle était incapable de ne pas dilapider autour d’elle son argent en ouvrant sa bourse aux plus pauvres.

On sort de la salle un peu déçu de ne pas l’avoir plus entendue mais complètement emballé par l’image détonante de cette star placide que le succès a touchée trop tard pour la sauver de ses démons.

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La Vénus d’argent ☆☆☆☆

Jeanne est prête à tout pour réussir. Elle vit avec son père, son petit frère et sa petite sœur dans une caserne de gendarmerie en banlieue parisienne. Mais cette étudiante polymathe est bien décidée à intégrer le monde carnassier de la haute finance.

Quelques semaines après Le Théorème de Marguerite, voici à l’affiche – et sur son affiche – le portrait d’une jeune femme surdouée qui cherche à se faire place dans le monde hostile qui l’entoure. Pour Marguerite, c’était la démonstration de la conjecture de Goldbach. Pour Jeanne, la coupe à la garçonne, caparaçonnée dans un costume cravate trop grand pour elle, ce sera la banque d’affaire façon Le Loup de Wall Street.

Hélas ! Là où Anna Novion réussissait si bien à nous faire partager la passion dévorante de Marguerite pour les mathématiques et son mal-être, Héléna Klotz caricature le monde de la finance et crée une distance avec son héroïne et ses tourments.

Filmé à l’économie, avec deux ou trois ordinateurs, des traders gominés et des recruteurs posant des questions ridicules, le monde professionnel que Jeanne a décidé d’infiltrer est une caricature. Son patron, interprété par Sofiane Zermani, qui semble aussi à l’aise à passer des ordres de vente que je le serais à chausser des patins sur glace, est l’un des pires rôles jamais écrits. Tout en lui sonne faux, depuis les abdos soigneusement découpés, jusqu’à sa suite au Shangri-La et à sa Rolls Royce – dont la vénus d’argent qui coiffe la calandre donnera son nom au film, on ne sait pourquoi.

La chanteuse Pomme fait des débuts prometteurs à l’écran. Elle interprète une jeune femme dont on peine à comprendre le moteur. Quand le film démarre, elle retrouve le militaire (Niels Schneider) dont elle a été amoureuse quatre ans plus tôt et qui l’a abandonnée après l’avoir déflorée. Leur relation, qui constitue le fil rouge du film, est incompréhensible : veut-elle se venger du mal qu’il lui a fait ? ou au contraire renouer avec lui la relation détruite ?

On croit un instant que le film sera sauvé du naufrage par Anna Mouglalis qui, toujours aussi magnétique, y fait une apparition à son milieu. Mais, laissée à elle-même, elle est si mal dirigée, que son seul talent ne suffit pas à donner au rôle ridicule qu’elle est censée interpréter – la dirigeante d’une organisation humanitaire mêlée à des opérations louches initiées par le patron de Jeanne – un peu d’épaisseur.

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La Rivière ★★☆☆

Documentariste amoureux de la nature, Dominique Marchais avait déjà consacré plusieurs documentaires aux défis posés au monde agricole : Le Temps des grâces (2009), La Ligne de partage des eaux (2013), Nul homme n’est une île (2017). Il s’est rendu cette fois, le long des gaves, ces rivières qui dégringolent des Pyrénées jusqu’à l’Atlantique, dont l’écosystème est menacé par l’activité humaine, par les barrages qui bloquent la remontée des saumons, par les pesticides et les nitrates qui les polluent, par la culture intensive du maïs qui en assèche le débit.
Il donne la parole à des défenseurs de l’environnement, des bénévoles, des garde-pêche, des scientifiques qui inlassablement arpentent le versant des rivières, en diagnostiquent l’inquiétante dégradation et proposent des solutions pour la ralentir.

Le documentaire écologique est devenu un genre en soi. Il ne se passe pas de mois, sinon de semaine sans qu’on en voie sortir un en salles, certes souvent, dans une distribution très confidentielle. Certains rencontrent le sujet, moins d’ailleurs en raison de leur contenu que de leurs têtes d’affiche : Une vérité qui dérange avec le prix Nobel Al Gore, Home du photographe Yann Artus-Bertrand, dont nous avons tous offert les livres illustrés à Noël à notre belle-mère/beau-frère/ filleul(e) au début des années 2000, Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent… celui qui m’a laissé le souvenir le plus marquant fut Le Cauchemar de Darwin de Hubert Sauper sorti en 2004.

Le reste de la production ne laisse pas un souvenir marquant. Elle oscille entre deux écoles. La première se veut très pédagogique. La sensibilisation et l’éducation sont ses objectifs affichés. La seconde est plus poétique voire élégiaque : c’est la nature, sa beauté, sa fragilité qui sont mises en valeur.

Le documentaire de Dominique Marchais se situe à la rencontre de ces deux tendances. Il ne résiste pas à la tentation d’esthétiser la nature, d’en filmer la tranquille beauté dans de longs travelings silencieux. Mais il entend surtout délivrer un message, radicalement écologique : les écosystèmes sont fragiles, l’activité humaine les menace et ils seront fatalement détruits si rien n’est fait pour infléchir la tendance actuelle. Il a le mérite de ne pas sombrer dans l’alarmisme et de proposer des alternatives : ainsi de la culture du maïs grand-roux basque, porteur d’une plus grande diversité génétique et moins glouton en eau.

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Edouard Louis, ou La Transformation ★☆☆☆

Eddy Bellegueule est né et a grandi dans l’ouest de la Somme dans une famille très modeste. Il s’y sent très vite rejeté en raison de ses manières efféminées et de son intellectualisme. Il quitte son village pour intégrer un internat à Amiens dans la section théâtre d’un lycée puis, le bac en poche, il entame des études d’histoire, avant d’intégrer l’Ecole normale supérieure. Son changement de nom à vingt-et-un ans consacre son changement de classe. Son parcours est désormais bien connu puisqu’il en a fait le sujet d’un livre autobiographique publié en 2014, très commenté par les médias, En finir avec Eddy Bellegueule (qui a fait en 2017 l’objet d’une adaptation à l’écran qu’Edouard Louis a reniée, Marvin ou le Bonne Education).
Intellectuel chenu et respecté, normalien, agrégé de philosophie, qui depuis trente ans tourne des documentaires engagés sur Sloterdijk, Le Clézio, Kristeva ou Foucault, François Caillat filme aujourd’hui Edouard Louis à Amiens, de retour sur les lieux où, entre quinze et vingt ans, sa transformation s’est opérée.

Le documentaire est minimaliste. Par sa durée : une heure et douze minutes à peine. Par son contenu : on y voit Edouard Louis, timide et souriant (d’un sourire qu’il dit ne pas aimer alors qu’il est si charmant), raconter son histoire en train de déambuler devant son ancien lycée et dans la maison de la culture où il travaillait comme ouvreur pour gagner un peu d’argent.

Ceux – et ils sont nombreux – qui ont lu En finir…. n’apprendront pas grand-chose devant ce documentaire. Quant à ceux qui ne l’ont pas lu, on leur recommandera plutôt de se plonger dans le livre que de regarder ce documentaire un peu fade. Pour autant, le parcours d’Edouard Louis et sa capacité à le théoriser sont passionnants. Edouard Louis incarne, après Annie Ernaux, et avec Didier Eribon et son Retour à Reims, l’illustration exemplaire du parcours d’un transfuge de classe, qui a fui un milieu qu’il détestait et qui le marginalisait, mais qui se déteste de détester les siens et cultive éternellement la culpabilité de la trahison de ses origines.

Cette tension paranoïaque est parfaitement expliquée dans ce film. Eddy Bellegueule a grandi dans un milieu qui ne lui correspondait pas. Il s’en est affranchi pour se réaliser. Mais cette transformation a eu un coût : celui de sa trahison pour sa classe dont il se sent solidaire et pour les siens avec lesquels il se sent indissolublement lié. C’est d’ailleurs le sujet de deux de ses livres ultérieurs : Qui a tué mon père en 2018 et Combats et métamorphoses d’une femme en 2021.

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