Years and Years ★★★★

Years and Years (qu’on aurait pu traduire Les années qui passent) racontent l’histoire d’une famille ordinaire de quatre frères et sœurs dans l’Angleterre post-Brexit des années 2020 avec ses nouvelles technologies et son populisme rampant incarné par la politicienne Vivienne Rook (Emma Thompson).

La série avait fait sensation à sa sortie l’an passé, sur BBC One au Royaume-Uni, HBO aux États-Unis et Canal + en France. Je l’ai regardé avec un an de retard mais avec un enthousiasme inentamé : Years and Years dispute à Tchernobyl le titre de meilleure série de l’année.

À quoi doit-elle cette réussite ? À sa capacité à mélanger harmonieusement plusieurs registres.

D’un côté, Years and Years est une dystopie politique et technologique qui louche du côté de Black Mirror en nous décrivant un futur à la fois très proche donc très crédible (une héroïne raconte avec beaucoup de justesse qu’elle s’imaginait, dans sa jeunesse, 2030 comme une date très lointaine et très futuriste et qu’elle est surprise d’en fêter le commencement sans avoir tant changé que cela) mais marqué par de nombreuses évolutions.

Ces évolutions ne sont pas toutes positives qui donnent à Years and Years une tonalité très pessimiste sans jamais pour autant sombrer dans le récit apocalyptique. À l’en croire, les nouvelles technologies, qui abaissent peu à peu la frontière entre l’humain et le non humain (passionnant personnage de Bethany qui fait son « coming out » en révélant à ses parents qui l’attendaient non pas son désir de changer de genre mais celui, plus surprenant, de devenir une « machine »), si elles fluidifient les communications, transforment notre société en immense Panopticon liberticide. Plus inquiétant encore, l’Angleterre post-Brexit sombre lentement dans un populisme xénophobe où la vulgarité (Emma Thompson en rajoute dans la caricature) le dispute à la peur tandis que le monde tout entier va à sa perte.

Cette toile historique s’incarne dans une famille ordinaire. La série de six épisodes d’une heure se donne le temps d’en approfondir chacun des personnages, leur conférant plus d’épaisseur que l’impression première qu’ils donnent : Stephen, l’aîné, bon mari et bon père, révèle des fragilités qu’on n’aurait pas imaginées, Edith, la militante, prend bientôt conscience de l’impasse de son engagement, Daniel, le cadet gay, puise au fond de lui des ressources inattendues pour porter secours à l’homme qu’il aime, Rosie, la benjamine, clouée dans son fauteuil roulant sans que jamais son handicap ne soit instrumentalisé, reviendra trop tard de son engouement spontané pour Vivienne Rook et son parti.

Dystopie politique, chronique d’une famille ordinaire : Years and Years, malgré une petite baisse de rythme autour du troisième épisode, est une réussite absolue. Regardez en le premier épisode – au final à couper le souffle – et vous ne décrocherez plus jusqu’au dernier.

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La Casa de Papel Saisons 3 & 4 ★★☆☆

Tokyo, Nairobi, Denver, Rio et tous leurs acolytes sont de retour. À la fin de la saison 2, ils avaient réussi à s’enfuir victorieusement de l’Hôtel de la monnaie avec un butin de près d’un milliard d’euros. Les voici à nouveau réunis pour un nouveau braquage qui vise cette fois-ci la Banque centrale d’Espagne.

La Casa de Papel n’a pas reçu un accueil triomphal à sa première diffusion en Espagne en 2017. C’est grâce à son inscription au catalogue Netflix et à un bouche-à-oreille élogieux que la série a acquis lentement une notoriété planétaire. Aussi le tournage d’une suite était-il inévitable.

Elle reprend les ingrédients qui avaient fait le succès des vingt-deux premiers épisodes (répartis très artificiellement en deux saisons). Un braquage d’une complexité folle – dont les rebondissements les plus chantournés repoussent les limites de la crédibilité. Une brochette de personnages au caractère bien trempé qui, au fil des épisodes, révèle leurs secrets. Une alternance millimétrée de scènes d’action et de romance. Enfin, ce qui n’a pas peu contribué au succès mondial de la série, trois symboles iconiques : les combinaisons rouges que portent les cambrioleurs et leurs otages, les masques à l’effigie de Salvador Dalí qui cachent leur visage et la chanson italienne Bella Ciao qu’un chœur (corse ? basque ?) entonne dans les moments les plus lyriques.

A la fin de la saison 2, je m’étais posé la question de l’opportunité de regarder les saisons suivantes. Parmi vous, certains me l’avaient chaudement conseillé me disant que j’y retrouverai le même plaisir ; d’autres me l’avaient déconseillé soulignant que l’intrigue reproduisait à l’identique celle que j’avais déjà vue.

Vous aviez raison, les uns comme les autres ! Ce nouveau volet se regarde avec la même gourmandise que le précédent. On y retrouve tous les ingrédients qui nous y avaient séduit. Et, le budget ayant considérablement augmenté, ils sont filmés avec une surenchère de moyens assez efficace dans les scènes d’action notamment.
Mais, cette surenchère n’est pas toujours utilisée à bon escient. Ainsi l’équipe du film semble avoir fait le tour du monde, pour aller tourner en Thaïlande ou au Panama quelques brèves scènes exotiques sans grande valeur ajoutée. Plus grave, la psychologisation des personnages tourne bientôt à la caricature, les relations qu’ils nouent confinent au vaudeville (Rio quittera-t-il Tokyo ? Denver se réconciliera-t-il avec Stockholm ?) et le sous-texte féministe lourdement martelé ne brille pas par sa subtilité.

La saison 4 se conclut par son lot bienvenu de rebondissements et de coups de théâtre. Mais elle ne marque pas la fin du cambriolage. On ne pourra donc s’empêcher de regarder la saison 5, prévue pour 2021, pour savoir comment Tokyo, Denver, Lisbonne et les autres se sortiront de la Banque centrale d’Espagne.

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Hollywood ★★☆☆

À Hollywood, quelques années après la Seconde Guerre mondiale, quelques jeunes gens rêvent de célébrité malgré les obstacles : Jack, jeune père de famille, obligé de se prostituer pour gagner sa vie, Archie, scénariste noir et homosexuel, Roy, acteur sans talent, Claire, jeune première étouffée par ses parents, Raymond, réalisateur sous contrat et sa femme Camille, une beauté afro-américaine cantonnée aux rôles de soubrettes.

Hollywood est la toute dernière mini-série Netflix, en ligne depuis le 1er mai. Les premiers de ses sept épisodes sont assez poussifs : on y découvre une galerie trop nombreuses de personnages – que le résumé ci-dessous a essayé poussivement d’énumérer – qu’on peine à identifier et que la suite du récit d’ailleurs oubliera en partie. L’écriture aurait été plus efficace si elle s’était concentrée sur un nombre plus limité de caractères.

Hollywood mélange l’histoire vraie et la fiction. On y croise quelques stars de l’époque : Viviane Leigh, décrite comme une hystérique, Rock Hudson sauvé par les efforts désespérés de son agent, Henry Wilson, pour que son homosexualité reste cachée du grand public, Hattie Mc Daniel, qui obtint en 1940 le tout premier Oscar décerné à une actrice afro-américaine pour son second rôle dans Autant en emporte le vent, Tallulah Bankhead, célèbre pour avoir la première révélée publiquement sa bisexualité… Ils sont filmés avec un soin jaloux apporté aux décors et aux costumes qui rend justice à l’exubérance et l’optimisme du temps.

Mais le scénario opte pour la fiction en imaginant le succès d’un film, Meg, produit par la veuve soudainement émancipée d’un nabab tyrannique, écrit par un scénariste noir et dont le premier rôle féminin aurait été joué par une actrice noire. Les studios de l’époque ne l’auraient jamais permis. Et du coup Hollywood, quittant ostensiblement le terrain de la reconstitution historique, prend des tours de conte de fées : il s’agit de réécrire l’histoire des majors hollywoodiennes en les débarrassant du racisme, de la misogynie et de l’homophobie qui y ont longtemps prévalu (il fallut attendre 1964 pour qu’un acteur noir se voit décerner l’Oscar du meilleur rôle et l’homosexualité de Rock Hudson ne fut révélée qu’à sa mort).

On peut adhérer à cette réécriture euphorisante de l’histoire – un peu avec le même plaisir régressif que celui qu’on prend devant les chasseurs de nazis de Inglorious Basterds. On peut aussi trouver l’exercice un peu futile.

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Mrs. America ★★★☆

Mère de six enfants, épouse d’un notable de l’Illinois, Phyllis Schlafly a milité de tous temps dans les rangs des Républicains se présentant sans succès à trois reprises, en 1952, en 1960 et en 1970 aux élections à la Chambre. Spécialiste des questions de défense, anticommuniste chevronnée, c’est sur un tout autre terrain qu’elle deviendra célèbre dans les années soixante-dix : l’anti-féminisme. Mrs. America raconte le combat qu’elle mènera, face aux grandes figures féministes de l’époque, contre l’Equal Rights Amendment, un projet d’amendement constitutionnel reconnaissant l’égalité des sexes.

Diffusée depuis le 16 avril sur Canal plus, la mini-série Mrs America s’est achevée avant-hier avec son neuvième épisode. Une belle brochette de stars y raconte une page du féminisme américain mal connue de ce côté-ci de l’Atlantique : les années soixante-dix, coincées entre le libéralisme de la décennie précédente et le retour en force du conservatisme durant la décennie suivante. L’époque est marquée par une cause : la ratification de l’ERA votée par le Congrès en 1972 mais qui nécessite l’approbation des trois quarts des États fédérés américains pour entrer en vigueur.

Le combat se déroule entre deux camps que tout oppose. D’un côté, Phyllis Schlafly, impeccablement interprétée par la souveraine Cate Blanchett, sa mise en pli impeccable, ses tailleurs et ses lavallières collet-monté, et sa cohorte de petites mains gloussantes qui la secondent indéfectiblement dans son arrière-cuisine où elles confectionnent un bulletin qu’elles postent à tous ses supporters. De l’autre, les féministes new yorkaises et washingtoniennes, terriblement tendance (ah ! les lunettes Aviator de Rose Byrne !), que les combats des années soixante ont rodées aux manoeuvres politiciennes.

Les deux camps ne sont pourtant pas si monolithiques qu’il n’y paraît. Et l’avantage de cette série de près de neuf heures est le temps qu’elle prend à en décrire les dissensions internes.
Du côté de Phyllis Schlafly, le personnage joué par l’excellente Sarah Paulson incarne les contradictions de l’anti-féminisme : cette femme au foyer découvre dans l’engagement militant l’ivresse des responsabilités et d’une autonomie qu’elle refuse paradoxalement autres.
De l’autre côté, c’est la diversité, pas toujours facile à coaliser, qui prévaut avec « l’intersectionnalité » des luttes féministes, noire et lesbienne. D’ailleurs ce camp-là n’a pas, contrairement à l’autre, une seule figure de proue, mais plusieurs qui ont chacune leur épisode : Gloria Steinem (Rose Byrne), l’éditrice en chef de la revue féministe Ms., Shirley Chisholm (Uzo Aduba), afro-américaine candidate malheureuse à l’investiture républicaine en 1972, Betty Friedan (Tracey Ullman) , féministe vieillissante dont la célébrité acquise une décennie plus tôt avec la publication de son livre-manifeste The Feminine Mystique s’étiole, Bella Abzug (Margo Martindale), qui préside sous Carter la Convention nationale des femmes avant d’en être brutalement évincée.

L’Histoire ainsi racontée a une résonance particulière avec notre époque. Elle permet de mesurer les progrès accomplis depuis quarante ans pour la promotion des droits des femmes. Mais elle donne à réfléchir aussi sur leur fragilité.

La série a néanmoins un défaut structurel. Elle ne tient pas le plateau égal entre les deux camps. Comment d’ailleurs le pourrait-elle ? Notre cœur et notre raison penchent sans hésitation en faveur des féministes tant les thèses défendues par le camp de Phyllis Schlafly nous révulsent.

Sa conclusion dans son dernier épisode est un modèle d’ambiguïté. Ronald Reagan, après avoir emporté la primaire républicaine à la surprise générale, écrase Jimmy Carter, inaugurant une révolution conservatrice aux accents étonnamment trumpiens. Mais Phyllis Schlafly, jugée trop clivante, est écartée des responsabilités auxquelles elle aspirait (elle se voyait ambassadrice à l’ONU ou secrétaire à la Défense). Le dernier plan la surprend dans sa cuisine, seule, pelant des pommes pour le dîner familial sempiternellement servi à dix-huit heures. Glaçant.

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La Casa de Papel Saisons 1 & 2 ★★★☆

Des repris de justice braquent la Monnaie royale de Madrid pour le casse du siècle. Il ne s’agit pas seulement de s’emparer du magot mais de prendre les employés en otage et de tenir un siège de plusieurs jours pour faire tourner les rotatives à pleine vitesse et s’enfuir avec un butin d’un milliard d’euros. Le cerveau de l’opération, prévue dans les moindres détails, se fait appeler le Professeur et en a tous les attributs : veste en tweed, cravate, barbe et lunettes. Quant aux huit membres de l’opération, un nom de ville a été attribué à chacun : Berlin, Tokyo, Nairobi, Denver, Moscou, Rio, Helsinki, Oslo…

Voilà plus de deux ans que Netflix a entamé la diffusion de La Casa de Papel suscitant à travers le monde entier un engouement communicatif. Les combinaisons rouges des braqueurs, leurs masques à l’effigie de Salvador Dalí et jusqu’à la musique remastérisée de Bella Ciao sont devenus iconiques.

Ce succès est-il mérité ? À mon sens oui. Car la série réussit le pari de maintenir un tempo d’enfer pendant ses vingt-deux épisodes (treize dans la première saison et neuf dans la deuxième sans qu’on comprenne d’ailleurs la raison d’être de cette césure). Pendant plus de seize heures au total qui se binge-watchent compulsivement, on reste suspendu au sort du professeur et de ses acolytes en espérant secrètement leur réussite. Car, comme souvent dans les films de braquage, les criminels sont plus séduisants que les policiers qui les pourchassent.

La Casa de Papel comporte quelques retours en arrière sur la préparation du braquage dans une planque à la campagne, le temps d’y anticiper chaque événement et d’y forger un esprit d’équipe. Mais la série évite un défaut redouté : consacrer à chacun des cambrioleurs un épisode avec son flashback lourdement démonstratif. C’était le biais dans lequel Lost tombait – qui devait s’éterniser pendant plus de cent-vingt épisodes.

Certes, La Casa de Papel n’est pas sans défaut. Le principal est sans doute l’accumulation d’invraisemblances (celle qui m’a le plus frappé est la vitesse avec laquelle les protagonistes avalent les soixante kilomètres entre Madrid et Palomeque). Un autre est l’accumulation de romances, plus ou moins improbables, entre Tokyo et Rio, entre Denver et une otage et, plus que tout, entre deux autres protagonistes principaux dont je ne dévoilerai pas le nom mais dont l’idylle plombe sérieusement la crédibilité du récit.

Mais ces défauts ne pèsent guère en balance du plaisir qu’on prend à cette série addictive, à ces innombrables rebondissements et à ces personnages charismatiques.

Se pose la question à la fin de la deuxième saison – dont on ne dévoilera rien qu’on ne sache déjà en révélant qu’elle voit le braquage se conclure. Faut-il regarder les deux suivantes, qui n’ont été tournées qu’en raison du succès des deux premières et qui repartent sur de nouvelles bases ? Ou faut-il s’en dispenser pour rester sur une bonne impression ?

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Show Me A Hero ★★★☆

La ville de Yonkers dans l’État de New York s’est vue infliger en 1985 par un juge fédéral l’injonction de construire deux cents logements sociaux. La colère des habitants, des Blancs de la classe moyenne américaine, qui craignent à la fois la cohabitation avec des populations noires défavorisées et la perte de valeur de leur propriété immobilière, provoque la chute du maire de Yonkers, un Républicain blanchi sous le harnais (James Belushi) et l’élection d’un jeune conseiller démocrate, Nick Wacicsko (Oscar Isaac). Menacé par la Justice d’une astreinte faramineuse s’il n’exécute pas le jugement, le jeune édile n’a d’autre solution que de s’y plier, s’attirant l’opposition de la majorité de son conseil et une impopularité tenace.

Show Me A Hero – dont le titre est emprunté à une citation de F. Scott Fitzgerald « Show me a hero and I will write you a tragedy » – traite d’un sujet rébarbatif s’il en est : l’impossible mise en oeuvre d’une politique foncière de déségrégation sociale dans l’Amérique des années quatre-vingts. On imagine difficilement sujet plus austère qui aurait volontiers tourné à l’exposé indigeste sans le génie de David Simon et de Paul Haggis.

Le premier est un des scénaristes vedette de la chaîne HBO. Il a signé The Wire, Treme et The Plot Against America – dont je rendais compte hier. Le second est un réalisateur canadien dont Collision obtint en 2005 à bon droit l’Oscar du meilleur film.

On retrouve dans Show Me A Hero les qualités conjuguées et de l’un et de l’autre. Comme il l’avait fait pour Baltimore dans The Wire et pour La Nouvelle-Orléans dans Treme, Simon dissèque l’organisation sociale d’une ville. On découvre Yonkers, la quatrième ville de l’État de New York, aux portes de Big Apple, avec sa classe moyenne rongée par la peur du déclassement et ses minorités afro-américaine et hispanique en mal d’intégration. On découvre aussi le fonctionnement de la démocratie municipale américaine avec son spoils system (tous les postes de direction de la mairie sont affectés en fonction des allégeances politiques et changent à chaque alternance), ses campagnes électorales à répétition, ses fréquents redécoupages des limites des circonscriptions qui rebattent les cartes…

On retrouve aussi la patte de Paul Haggis. En 2004, il signait avec Collision un film polyphonique entrelaçant le parcours de plusieurs habitants de Los Angeles. Le procédé est devenu ultra-fréquent, notamment dans les séries dont il épouse volontiers le rythme méandreux. Paul Haggis le reprend ici pour raconter en parallèle l’histoire de Nick Wacicsko et celles de plusieurs habitants de Yonkers – une infirmière diabétique en passe de perdre la vue, une jeune veuve qui manque sombrer dans la drogue, une mère dominicaine qui élève seule ses trois enfants, une adolescente en couple avec un voyou…

Le seul défaut peut-être de la série est que Oscar Isaac y est si charismatique, ses démêlés au conseil municipal y sont si captivants que les séquences consacrées aux autres habitants, dont on ne comprendra qu’in extremis le lien avec celles consacrées au maire, peinent à susciter l’attention.

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The Plot Against America ★★★☆

Mini-série en six épisodes, The Plot Against America est l’adaptation de l’uchronie de Philip Roth qui imagine l’Amérique pendant la Seconde guerre mondiale dirigée par un président isolationniste et antisémite, le célèbre aviateur Charles Lindbergh.

Philip Roth, auteur d’une oeuvre immense qui aurait amplement mérité le Prix Nobel de littérature, s’était aventuré en 2004 dans un genre qui ne lui était pas familier : la dystopie. Mais il le fit, comme dans l’ensemble de ses romans, à hauteur d’homme, à travers les yeux de son double autobiographique, le jeune Philip (!) Levin, qui, comme l’auteur né en 1933, n’a pas encore dix ans et grandit dans une famille aimante près de New York, dans le New Jersey.

Fidèlement adapté par David Simon, le scénariste de The Wire et Treme, The Plot Against America ne nous transporte donc pas dans un univers radicalement futuriste façon La Servante écarlate ou 1984. On n’est pas dépaysé dans la petite maison de la classe moyenne juive de Newark. Sauf que… l’Amérique ne prend pas exactement dans le livre de Roth la direction vers laquelle F. D. Roosevelt l’avait guidée. Cédant à ses pulsions isolationnistes, elle porte au pouvoir lors des élections présidentielles de 1940 un candidat républicain qui promet aux Américains la paix et flatte leurs penchants antisémites.

L’Amérique de The Plot Against America n’est pas la République de Gilead de La Servante écarlate : ni camps de concentration ni a fortiori de Solution finale, mais un climat qui autorise bientôt les pogroms menés par des extrémistes et une discrimination d’État décomplexée, par exemple dans la mise en oeuvre d’un programme « volontaire » de délocalisations des populations juives urbaines vers le Midwest. Ce refus de la science-fiction, cette fidélité à un univers familier rendent la dystopie encore plus crédible et encore plus terrifiante.

L’offensive de charme de Charles Lindbergh divise jusqu’à la communauté juive : certains choisissent l’exil au Canada, d’autres comme le père de Philip prônent la résistance, d’autres enfin, tels la tante de Philip (Winona Ryder) et le rabbin qu’elle épouse (John Turturro), optent pour la collaboration. En filigrane se tisse une interrogation toujours contemporaine, valable peut-être à différents degrés pour tous les Juifs dans tous les pays du monde : comment être juif aux États-Unis ? La réponse de Philip Roth est claire et sans appel, qu’il martèle dans tous ses livres : la judéité et l’américanité ne sont en rien incompatibles.

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The Eddy ★☆☆☆

Elliot Udo (André Holland) est un jazzman new-yorkais qui s’est expatrié à Paris. Il y a fondé un club, The Eddy, avec son ami Farid (Tahar Rahim). Il a un temps vécu en couple avec Maja (Joanna Kulig), la chanteuse du groupe qui s’y produit tous les soirs. Sa fille adolescente (Amandla Stenberg), qui s’est violemment disputée avec sa mère, vient le rejoindre à Paris. Mais The Eddy perdant de l’argent, Farid a pris des contacts dans le milieu qui vont mettre en péril sa sécurité et l’avenir du club.

The Eddy est la dernière série distribuée par Netflix, avec tambours et trompettes. L’expression est pertinente s’agissant d’une série dont la musique est le véritable héros. Elle ne se réduit pas, comme souvent, à un simple accompagnement, à un bruit de fond plus ou moins sur-signifiant. Elle est au centre du film, qui prend souvent des teintes documentaires, captations de performances ébouriffantes dont tous les amoureux de jazz se délecteront.

Mais pour tenir huit fois une heure, il fallait tisser un récit. Et c’est là que le bât blesse. Car personne ne semble vraiment convaincu, ni les scénaristes, ni les acteurs et ni a fortiori les spectateurs par la vague intrigue policière avec son lot de petites frappes patibulaires qui se noue autour du club. Et ce n’est pas en modifiant la focale à chaque épisode, censé se concentrer sur un des personnages de ce récit polyphonique (c’est exactement le même procédé qui est utilisé dans Lost ou dans Mrs. America), que le résultat est plus convaincant.

Quatre réalisateurs ont été recrutés pour réaliser deux épisodes chacun. L’honnêteté me force à dire que c’est Damien Chazelle, l’auteur de La La Land (dont vous savez, fidèles lecteurs, l’immarcescible admiration que je lui voue), l’amoureux de jazz qui avait auparavant signé Whiplash, qui s’en sort le plus mal. Le deuxième épisode est une calamité après laquelle j’ai bien failli abandonner la série. Houda Benyamina, la jeune réalisatrice de Divines sauve la donne dans l’épisode suivant, sans doute le plus touchant de tous.

Entièrement tourné à Paris, à cheval entre les deux côtés du périphérique, The Eddy rassemble un casting cosmopolite : Tahar Rahim et Leïla Bekhti, en couple à l’écran et à la ville, Joanna Kulig, l’héroïne polonaise de Cold War et la jeune Amandla Sternberg, graine de star aux yeux de chat propulsée par le succès de Hunger Games et de The Hate U Give. On imagine le plaisir que ce petit monde a pris à tourner ensemble. Dommage que leur joie ne soit pas plus communicative…

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Killing Eve – Saison 1 ★☆☆☆

Eve Polastri (Sandra Oh) est une fonctionnaire ordinaire du MI5, le service de contre-espionnage britannique. Vilanelle (Jodie Comer) est une tueuse à gages surdouée qui travaille pour une mystérieuse organisation criminelle. Les intuitions de la première, la perversité de la seconde vont mettre les deux femmes au prise.

Séduit par Fleabag, j’ai appris que sa créatrice, l’irrésistible Phoebe Waller-Bridge, avait dans la foulée en 2018 pour la BBC créé, scénarisé et produit, à défaut d’y jouer elle-même, l’adaptation d’un roman d’espionnage. Le livre – que je n’ai pas lu – semble loucher du côté de Nikita ou de Lucy en mettant en scène une assassin psychopathe, une véritable machine à tuer, aussi belle que cruelle. On pouvait compter sur Phoebe Waller-Bridge pour en faire autre chose.

Killing Eve ne se réduit pas en effet à une banale histoire de meurtrière en cuissardes comme on en a si souvent vue. Croisant les genres, la créatrice de Fleabag y instille une bonne dose d’humour noir. On y retrouve son ironie – même si en ont été gommées les vulgarités les plus réjouissantes – et son rythme. La diction accélérée de Sandra Oh rappelle celle Phoebe Waller-Bridge dans Fleabag.

Le problème est qu’une fois la situation installée avec d’un côté Vilanelle qui sillonne le monde, de Vienne à Moscou en passant par la Toscane et Berlin, pour y commettre les crimes les plus sophistiqués, et de l’autre Eve qui a été renvoyée du MI5 pour travailler sous couverture dans une unité spéciale du MI6, le jeu du chat et de la souris qui se déroule entre elles tourne bientôt à vide. Il a beau multiplier les rebondissements et les révélations, il devient de moins en moins crédible.

Si bien qu’à la fin de la première saison, j’hésite à regarder les deux suivantes…

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Hunters ★☆☆☆

À New York, en 1977, l’assassinat mystérieux de sa grand mère met en contact Jonah (Logan Lerman) avec Meyer Offerman (Al Pacino). Le milliardaire dirige un groupe hétéroclite de « chasseurs ». Leurs proies : les anciens nazis réfugiés aux États-Unis qui complotent à l’instauration d’un Quatrième Reich.

Précédée d’une tonitruante campagne de publicité, la dernière série d’Amazon est sortie le 21 février juste à temps pour le confinement. Elle a pour elle une reconstitution minutieuse des années soixante dix, de leur chaos (l’épisode 7 se déroule durant le black out du 13 juillet 1977 dont il impute la cause à un sombre complot ourdi par les nazis), de leurs looks afro et pat d’eph improbables, et de la présence en tête d’affiche d’Al Pacino.

Mais, après un premier épisode très réussi, qui s’ouvre par une scène d’anthologie (un Nazi, reconverti en politicien américain, assassine de sang froid toute sa famille durant un barbecue après avoir été reconnu par une ancienne détenue des camps) et qui voit le jeune Jonah être adoubé par les « chasseurs », la série s’installe dans un rythme assez poussif. D’épisode en épisode, on suit les protagonistes progresser pas à pas dans la traque du Loup, le sadique médecin-chef du camp où Meyer Offerman et la grand-mère de Jonah ont passé la guerre.
Pendant ce temps, les Nazis, dirigés par une colonelle (Lena Olin), aussi élégante que sadique, dont l’ultime scène de la série révèlera l’identité, fomentent un plan machiavélique : annihiler la moitié de la population américaine en empoisonnant son sucre de maïs (sic). Et une courageuse policière afro-américaine enquête sur les meurtres commis par les « chasseurs ».

Si Hunters se bornait à gentiment raconter cette histoire, on s’ennuierait sans se plaindre. Mais il y a plus grave.

D’une part, la narration est entrelardée de flashbacks dans des camps de concentration/d’extermination où, dans un éclairage grisailleux et avec une délectation malsaine, sont reconstitués les crimes les plus sadiques commis par des Nazis psychopathes. Ces reconstitutions ont suscité une réaction officielle du musée d’Auschwitz et de la Fondation pour la Shoah qui leur ont reproché leur outrance, craignant qu’elles encouragent le négationnisme.

D’autre part, la série, qui raconte la prise de conscience d’un adolescent des crimes commis contre sa famille et de l’urgence à en punir les auteurs, résonne comme un appel au vigilantisme. Les autorités officielles américaines sont accusées d’avoir encouragé l’exil de nombre de scientifiques nazis – ce qui, s’agissant par exemple de Wernher von Braun, le père des V2 puis du programme Apollo, constitue un fait historique avéré. Mais elles sont aussi accusées de rester passives devant les menées criminelles d’une bande de criminels nazis nostalgiques et psychopathes – ce qui relève évidemment de la fiction. Cette inertie justifie l’activisme des « chasseurs », les séances de torture qu’elles infligent à leurs prisonniers, voire les assassinats sans procès qu’ils commettent.
Certes ce message est corrigé in extremis au dernier épisode par un twist étonnant – et fort peu crédible – qui annonce peut-être une seconde saison au contenu moral moins ambigu. Mais il est déjà trop tard…

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