A Ciambra ★★★☆

Pio a quatorze ans. Il est Rom. Il vit avec sa famille élargie dans un squat de Ciambra en Calabre. Il ne fréquente plus guère l’école, préférant suivre son frère aîné Cosimo et l’assister dans ses entreprises. Lorsque Cosimo est emprisonné, c’est à Pio qu’il incombe de reprendre la relève.

Le deuxième film de Jonas Carpignano s’inscrit aux frontières de la fiction et du documentaire. Le précédent Mediterranea se déroulait déjà dans la même ville de Calabre. Il avait notamment pour héros un réfugié burkinabé qui joue dans A Ciambra un rôle secondaire… tandis que Pio apparaissait dans Mediterranea. On l’aura compris, ces deux films constituent un diptyque qui documente les deux facettes d’une même réalité : la vie des minorités – subsahéliennes dans Mediterranea, rom dans A Ciambra – dans le sud de l’Italie.

Cette réalité est joyeuse. Du moins elle le semble vue à travers les yeux du jeune héros. Détrousser les passagers d’un train, voler des voitures, trafiquer le cuivre, se brancher illégalement au réseau électrique sont autant d’occasions pour Pio de démontrer son courage et sa malice. Quand la police débarque, on joue au gendarme et aux voleurs. Et le spectateur, fût-il conseiller d’État et balladurien, prend inéluctablement partie pour les seconds contre les premiers. Le même charme opérait dans À ceux qui nous ont offensés, un film britannique sorti en mars dernier qui avait pour protagonistes une bande de manouches.

Mais A Ciambra n’est pas un film joyeux. Car la vie de Pio est rude. Elle est violente. Les relations que les membres de la communauté entretiennent entre eux et avec les autres sont régies par une loi d’airain : la solidarité du groupe doit primer sur les relations que ses membres sont susceptible de nouer en dehors de lui. C’est cette règle qui sera mise à mal par l’amitié filiale qui unit Pio à Ayiva, un réfugié burkinabé qui, lui aussi, survit comme il peut de petits trafics.

Le film dénoue le dilemme shakespearien qu’il aura mis près de deux heures a noué. Dommage qu’il ne l’ait pas fait plus tôt. Délesté d’une bonne trentaine de minutes, au risque d’être privé de quelques scènes purement documentaires sans réelle valeur ajoutée narrative, A Ciambra aurait été plus nerveux et plus réussi.

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Ôtez-moi d’un doute ★★★☆

Erwan (François Damiens), la quarantaine bien entamée, est veuf. Sa fille Juliette (Alice de Lencquesaing) attend un enfant de père inconnu. À l’occasion d’un test pour déceler une éventuelle maladie congénitale, Erwan apprend qu’il n’est pas le fils de son père. Il embauche un détective privé qui retrouve son père biologique. Seul problème : celui-ci est le père d’Anna (Cécile de France) dont Erwan vient de faire la rencontre et qui l’attire irrésistiblement.

Ainsi résumé, Ôtez-moi d’un doute (avec un accent circonflexe dont l’affiche fait l’économie) pourrait laisser augurer une bien piètre comédie française au sujet copié de Molière ou Marivaux. Ce serait méjuger le cinéma de Carine Tardieu, la réalisatrice toute en finesse de Du vent dans mes mollets et La Tête de Maman.

L’action se déroule en Bretagne. Ancien militaire, rentré en France à la mort de sa femme pour s’occuper de sa fille, Erwan est démineur et débarrasse les plages bretonnes des bombes que la Seconde guerre mondiale y a laissées. C’est le genre d’homme qui s’est occupé des autres avant de se soucier de lui. Mais avec l’âge mûr vient le temps des interrogations. François Damiens est  touchant dans ce rôle de nounours tendre.

Cécile de France est parfaite dans celui d’Anna. Pourtant son personnage n’est pas très riche : elle se contente de tomber amoureuse d’Erwan. Mais avec quel naturel ! Cécile de France est une actrice qui ne se galvaude pas. On ne la voit pas si souvent. Mais chacune de ses apparitions est un bonheur : La belle saison (mon coup de cœur de l’année 2015), Möbius (mon coup de cœur de l’année 2013), Le Gamin au vélo (mon coup de cœur de l’année 2011)…

Les seconds rôles sont au diapason. On retrouve avec bonheur les vétérans Guy Marchand et André Wilms – dont j’adore la diction aristocratique. On reconnaît la jeune Alice de Lencquesaing – qui joue ces jours ci un autre rôle de femme enceinte dans Espèces menacées. Et on hurle de rire à chaque apparition de Esteban.

Sans doute trois étoiles est-il bien généreux pour ce petit film qui n’a pas l’ambition d’être grand. Mais j’avoue honteusement avoir pris plus de plaisir à ses bons sentiments qu’aux décors torturés et au scénario interminable de Blade Runner 2049.

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Téhéran Tabou ★★★☆

À Téhéran de nos jours Pari et son fils muet Élias emménagent dans un grand immeuble d’un quartier populaire. Le mari de Pari est un toxicomane qui purge une longue peine de prison et elle se prostitue pour vivre. À l’étage au-dessus, Sara, qui étouffe entre un mari jaloux et une belle-mère possessive, est à nouveau enceinte après deux fausses couches. À l’étage au-dessous, Babak est un jeune musicien dont les enregistrements psychédéliques ne parviennent pas à franchir la censure islamique. Il a une liaison d’un soir avec Donya qui lui réclame le lendemain l’argent pour une hymenoplastie.

Immeuble Yacoubian à Téhéran. Comme le romancier Alaaa El Aswany l’avait fait pour décrire la société égyptienne (ou Georges Perec dans La Vie, mode d’emploi), le réalisateur iranien installé en Allemagne où la censure ne peut plus l’atteindre, Ali Soozandeh, fait cohabiter les héros de son film chorale dans le même immeuble. Le procédé pourrait sembler un peu facile. Mais le scénario est suffisamment bien tressé pour entrelacer ces trois histoires jusqu’à un final aux fausses allures de thriller qui les réunit toutes.

Prostitution, drogue, corruption, intégrisme religieux. La charge de Ali Soozandeh contre les tares de son pays d’origine est lourde. Elle n’est pas toujours subtile. Téhéran Tabou a parfois des airs de catalogue où chaque défaut de la société iranienne a droit à sa saynète. On y voit des pasdarans arrêter un couple d’amoureux dans un parc public, un mollah lubrique abuser de son autorité pour corrompre une femme, un médecin alcoolique pratiquer dans des conditions sanitaires douteuses un avortement.

Les personnages de Téhéran Tabou frisent le manichéisme. Dans cette société corrompue, ils n’ont à lui opposer que leur courage : Pari, la prostituée au cœur d’or, Sara la Madame Bovary perse, Babak, le musicien au génie incompris. Pour autant, ils ne sont pas parfaits. Pari va mettre sa voisine Sara dans une situation embarrassante. Sara cache un secret inavouable. Quant à Babak, le dénouement du film le révèlera moins chevaleresque qu’on l’aurait cru.

Le procédé utilisé pour les mettre en scène les prive de cette ambiguïté. La rotoscopie crée un effet de déréalisation. Téhéran devient une cité de bande dessinée peinte dans une palette chromatique rouge et noire. Téhéran Tabou perd-il pour autant en force de conviction ? Non. Car on sait par ailleurs, pour l’avoir lu dans la presse et déjà vu au cinéma, que la capitale iranienne vit sous un chape de plomb qui est sur le point d’éclater. Ses tares, même caricaturées, nous émeuvent et nous révoltent. Conquis par avance par le plaidoyer de Téhéran Tabou, nous nous laissons d’autant mieux nous en convaincre.

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Un beau soleil intérieur ☆☆☆☆

Isabelle (Juliette Binoche), la cinquantaine, peint et se cherche. Elle a un amant régulier (Xavier Beauvois) qui ne la satisfait pas, des vues sur un bel acteur de théâtre (Nicolas Duvauchelle) qui tarde à se déclarer, un ex-mari (Laurent Grévill) qui revient de temps en temps dans son lit et dont elle suspecte qu’il ait eu une liaison avec la galeriste qui l’expose (Josiane Balasko), une liaison avec un bel inconnu rencontré sur une piste de danse (Paul Blain). Comme le lui dira un radiesthésiste (Gérard Depardieu), fin psychologue, mais médiocre médium, Isabelle cache « un beau soleil intérieur ».

Les cinquantenaires ont la côte. Le cinéma français aime décrire leurs tourments. Après Isabelle Huppert (L’Avenir), Agnès Jaoui (Aurore), Ariane Ascaride (Le Fil d’Ariane) et Valérie Lemercier (Marie-Francine), c’est au tour de Juliette Binoche, née en 1964, d’endosser le perfecto et de chausser les cuissardes de la célibattante trop jeune pour baisser le pavillon, mais trop vieille pour virevolter d’un amant à l’autre.

Cinéaste chevronnée, la réalisatrice de Beau travail, Vendredi Soir et White Material rate son passage à la comédie.

La faute à un scénario sans queue ni tête, vaguement inspiré des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Juliette Binoche passe, à son corps/cœur défendant, d’un amant à l’autre sans solution de continuité. Le film est une succession de rencontres. Il aurait pu y en avoir trois de plus. Ou deux de moins. Très vite l’ennui s’installe.

La faute à un chef opérateur qui alterne, avec une rare maladresse les plans américains et les (très) gros plans lorsque la réalisatrice veut souligner l’intimité des âmes, au risque de zoomer sur les comédons des acteurs.

La faute enfin et surtout à des personnages inconsistants, indécis et veules. On me dira qu’ainsi est la vie. Je répondrai que le cinéma pourrait nourrir de plus hautes ambitions que de filmer platement la vie. On retrouve la marque de Christine Angot – qui a co-écrit le scénario avec Claire Denis – dont je n’ai jamais aimé les romans violents et égocentriques à l’exception notable du tout dernier. Les contradictions de Juliette, loin de la rendre touchante, sont vite horripilantes. Un exemple : à l’occasion d’un festival artistique dans le Limousin, elle se révolte soudainement contre les lieux communs que ses amis artistes échangent, finit la nuit avec un local rencontré en boîte… mais rompt avec lui après que l’un de ses amis lui reproche de ne pas être du même milieu qu’elle.

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Barry Seal ★☆☆☆

Dans les années quatre vingts, un pilote d’avion, Barry Seal, est employé par la CIA pour photographier les camps des guérillas marxistes d’Amérique centrale. Son audace le fait remarquer par les cartels colombiens qui lui demandent de transporter de la cocaïne en contrebande vers les États-Unis. La CIA, loin de s’en formaliser, l’utilisera pour apporter de l’aide aux contras nicaraguayens.

Hollywood aime les histoires incroyables. Pas besoin de les imaginer : la réalité en regorge. On voit depuis quelques années se multiplier à Hollywood ces films « inspiré(s) de faits réels » qui retracent, sur un mode mi-cocasse, mi-sérieux, les pages glorieuses ou moins glorieuses de l’histoire américaine contemporaine. La Guerre selon Charlie Wilson montre le rôle joué par un extravagant parlementaire texan dans le soutien américain aux moudjahidin afghans en guerre contre l’envahisseur soviétique. American Bluff met en scène des arnaqueurs recrutés par le FBI pour piéger des maffieux. Infiltrator s’inspire de l’autobiographie d’un agent fédéral infiltré dans le cartel de Medellin. War Dogs a pour héros deux trafiquants d’armes qui approvisionnent l’armée d’occupation américaine en Irak.

Ces films ont beaucoup de traits communs. Pour le meilleur et pour le pire. Ils ont pour héros un Américain « moyen » qui profite des failles du système pour le pervertir. Ils racontent son ascension délirante et sa chute vertigineuse. Ils sont le reflet d’une époque (les 70ies pour American Bluff et leurs pantalons pat d’eph, les 80ies pour Barry Seal et leurs coiffures ébouriffantes).
Cette légitimation quasi-automatique par la « réalité » constitue moins une force qu’une faiblesse. Car elle place ces films dans un entre-deux inconfortable. Prenez Barry Seal qui essaie de nous faire comprendre la trouble politique de Reagan en Amérique centrale. Cet effort louable de pédagogie n’atteint pas son but. On ne comprend pas grand chose à un arrière-plan géopolitique qui aurait, à lui seul, exigé de plus amples développements. Le fait que le personnage de Barry Seal ait réellement existé ne lui donne pas pour autant une plus grande présence cinématographique. Tom Cruise accroît cet effet de déréalisation : la star hollywoodienne est trop sexy, trop souriante, trop sportive pour rendre crédible ce personnage soi-disant « réel » – qui en fait était un petit gros bedonnant qui ressemblait plus au héros des Sopranos qu’à celui de Mission impossible.

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Mon garçon ★☆☆☆

Julien (Guillaume Canet) et Marie (Mélanie Laurent) viennent de se séparer. Julien travaille à l’étranger ; Marie a gardé la maison familiale dans le Vercors et y élève leur fils avec Grégoire, son nouveau compagnon.
Mon garçon commence lorsque Julien apprend que son fils vient de disparaître alors qu’il était en colonie de vacances en montagne. Julien revient de toute urgence dans le Vercors, se rapproche de la police – qui le considère bientôt comme un suspect potentiel. Julien est convaincu de la culpabilité de Grégoire.

Mon garçon et Faute d’amour sont sortis le même jour et ont le même scénario : un couple en pleine séparation voit leur fils disparaître mystérieusement et part à sa recherche. Mais les ressemblances s’arrêtent là. Le film de Zvianguitsev est une dissection au scalpel d’un couple égoïste et un portrait en creux de la Russie post-soviétique. Il est construit autour d’un faux enjeu : la recherche du jeune Alyocha. Mon garçon ne s’intéresse pas vraiment au couple que forme Julien et Marie – sinon dans un face à face où Mélanie Laurent démontre son talent. Il se focalise sur la recherche de l’enfant et se termine comme un vulgaire film policier.

Au demeurant, les vingt dernières minutes du film et le jeu du chat et de la souris qui s’y joue sont les meilleures. Ce sont les seules à avoir été scénarisées, le restant du film ayant été tourné selon un principe d’improvisation. Sans doute très excitant pour les acteurs, le procédé l’est nettement moins pour le spectateur qui regarde Guillaume Canet découvrir avec de grands yeux ébahis et la bouche béante des rebondissements auxquels il ne sait pas vraiment comment réagir.

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Blade Runner 2049 ★☆☆☆

Comme Deckhart (Harrisson Ford) trente ans plus tôt, K (Ryan Gosling) est un « blade runner ». Sa tâche : retrouver les « replicants », des robots humanoïdes , et éliminer ceux qui sont entrés en rébellion contre les humains. À l’occasion d’une de ses missions, K fait une découverte bouleversante qui remet en cause la ligne de démarcation entre l’humain et la machine.

Depuis que la rumeur avait grossi qu’une suite à Blade Runner était en préparation, j’attendais avec impatience cette échéance. Je me suis rué dans les salles le jour même de sa sortie – en compagnie de quelques milliers d’aficionados aussi masculins, solitaires et quadragénaires que moi, me réjouissant par avance de ce que j’escomptais être le second meilleur film de l’année 2017 après La La Land bien entendu.

Je suis tombé de haut. De l’armoire. Que dis-je ? du gratte-ciel !

Certes, il y avait de quoi être intimidé par l’un des plus films les plus iconique de l’histoire du cinéma. Au point de se demander quel sens il y avait à lui donner une suite. Je ne sache pas qu’on ait jamais tourné 2002 Odyssée de l’espace ou Rencontres du quatrième type. Alors à quoi bon réaliser Blade Runner 2 – sinon pour décevoir les irréductibles fans de mon espèce ? Car de deux choses l’une : soit la suite est infidèle à l’original et nous crierons à la trahison, soit elle la recopie et on l’accusera de bégayer.

C’est dans ce second travers que tombe Blade Runner 2049. À force de se frotter à son modèle indépassable, Blade Runner 2049 s’écroule sur lui-même. Comme un trou noir qui implose.
Prenons par exemple les décors. On se souvient tous de la Los Angeles polluée, pluvieuse, polyglotte qui servait de cadre au film de 1982. Denis Villeneuve le recopie à l’identique. Pire : il l’enlaidit – là où on aurait pu escompter que les progrès des techniques en trente ans auraient permis  des effets autrement saisissants.

Les personnages ? Ryan Gosling fait du Harrison Ford Canada Dry. Je ne dirai jamais de mal du héros de La La Land. Mais s’il continue à afficher un masque mutique totalement dénué d’expression (parce qu’il joue le rôle d’un robot ?), je risque de réviser mon jugement. Et ce n’est pas l’apparition du grand Harrison – qui, dans un Marcel informe affiche désormais un bidon de septuagénaire – qui donnera à Blade Runner 2049 un peu de piment. Heureusement qu’il y a les femmes : Robin Wright (qui ressemble énormément à Claire Underwood), Ana de Armas, belle comme un cœur, et Sylvia Hoeks qui suscitera les mêmes fantasmes fétichistes que ceux qu’avaient déjà provoqués les héroïnes androïdes et latexées de Terminator 3 ou Catwoman.

Quant à l’intrigue, qu’en dire sinon qu’elle se traîne interminablement durant près de trois heures (oui TROIS heures !!!!!). Heureusement, le générique dure dix bonnes minutes, réduisant d’autant cet exténuant pensum. L’absence de rythme est effarante, à une époque où la production cinématographique et télévisuelle a atteint une telle sophistication, une telle énergie. Comme si Denis Villeneuve s’était fait un devoir de ralentir le tempo pour plonger les spectateurs dans une apathie maussade dont ils sont périodiquement réveillés par une musique aussi assourdissante qu’irritante. Et la philosophie qui l’inspire – « les robots, eux aussi, ont un cœur » – nous surprend autant qu’une laitue défraichie en solde chez Carrefour Market.

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Gauguin ★★☆☆

En 1891, Vincent Gauguin étouffe à Paris. Faute de pouvoir vendre ses toiles à un public qui n’en a pas encore compris le génie, il vit misérablement. Les paysages, les gens, la lumière ne l’inspirent plus. Il rêve d’ailleurs et veut y partir, même s’il doit y sacrifier sa vie de famille.
Le voici à Tahiti, loin de sa femme et de ses cinq enfants. Il retrouve l’inspiration auprès d’une belle vahiné, peint avec frénésie, mais ne parvient pas à échapper à la misère.

Le biopic est décidément à la mode. Et les artistes du tournant du siècle tiennent la côte. Après Rodin et Cézanne, sans parler outre-Rhin de Schiele ou de Paula Becker, c’est au tour du maître de l’école de Pont-Aven.

Gauguin a le défaut de venir s’ajouter à cette liste déjà bien longue. Comme si les ressorts de l’imagination ne suffisaient plus aux scénaristes qui doivent trouver dans la vie de nos hommes célèbres, des béquilles pour construire des personnages.
Il en a les qualités et les défauts. Il offre notamment à Vincent Cassel l’occasion d’une impressionnante interprétation. Comme Vincent Lindon dans Rodin ou comme Jacques Dutronc dans Van Gogh, Vincent Cassel habite son personnage. Il en a la maigreur morbide et le regard enfiévré.

Gauguin a une originalité qui le distingue du lot : l’essentiel de son action se déroule à Tahiti. Édouard Deluc réussit à filmer cette île exotique sans verser dans l’imagerie de carte postale : pas de coucher de soleil sur le lagon, ni de vahinés dansant lascivement le tamuré. La caméra garde toujours la mesure, qui filme des paysages paradisiaques sans souci d’estéhétisation et qui restitue la dureté d’une terre résolument étrangère au Blanc.

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Money ★★★☆

Alexandra (Charlotte Van Bervesselès), son frère Eric (Vincent Rottiers) et son amoureux Danis (George Babluani) vivotent au Havre et rêvent d’une vie meilleure. Ils croient pouvoir y accéder en dérobant à un notable local (Louis-Do de Lencquesaing) une valise remplie de billets de banque. Mais leur larcin entraîne une réaction en chaîne qui risque de les broyer.

L’affiche de Money est doublement trompeuse. D’une part, sa couleur, le rouge, annonce une histoire riche en hémoglobine, sur les traces du précédent film du réalisateur franco-géorgien Gela Babluani 13 (Tzameti). Or, Money est un film noir dans lequel le sang ne coule guère. D’autre part, ses trois héros pris dans le nœud coulant d’une corde qui menace de se tendre font trop penser aux héros naïfs et positifs qui découvrent par hasard un magot alors que Alexandra, Eric et Danis sont des petites frappes pas si honnêtes que cela.

Il aurait fallu une affiche plus réaliste, un titre moins clinquant pour faire connaitre ce petit film noir qui ne manque pas de caractère.
Certes, son scénario est particulièrement rocambolesque. Alexandra est serveuse dans un restoroute minable où l’édile havrais et une bande de mafiosi corses se donnent rendez-vous pour conclure un pacte de corruption. Ayant repéré la valise, Alexandra saute dansa sa vieille voiture, file celle du politicien véreux, pénètre dans sa riche propriété et l’y découvre… sur le point de se pendre (d’où peut-être la subtile présence d’une corde sur l’affiche ci-dessus).

Ainsi racontée, l’intrigue manque passablement de crédibilité. On se demande comment le scénariste va s’en dépêtrer. Et on admire son habileté à le faire. Mieux : on est surpris du tour que prend l’histoire, évitant de s’engager dans la direction où on l’attendait, acceptant de sacrifier un des personnages principaux (je vous mets au défi de deviner lequel) et se concluant par une scène qui, si on la réduit à son dernier plan, pourrait sembler totalement loufoque alors qu’elle fonction très bien.

C’est qu’outre son scénario bien huilé, Money a un second atout de poids : l’interprétation de ses acteurs : Louis-Do de Lencquesaing en salaud haïssable, Benoît Magimel en nettoyeur fatigué et surtout Vincent Rottiers – qu’on a vu cette même semaine dans Espèces menacées – qui confirme tout le bien que ses précédentes apparitions laissaient augurer de son jeu racé.

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Espèces menacées ★★★☆

Tomasz (Vincent Rottiers) et Jospéhine (Alice Isaaz) viennent de se marier. Mais bien vite Tomasz se révèle jaloux et violent. Joséphine, qui s’est fâchée avec ses parents, appellera-t-elle son père au secours ?
Mélanie (Alice de Lencquesaing) est enceinte. Elle annonce à son père (Eric Elmosnino) qu’elle va se marier avec un homme de 63 ans.
Anthony (Damien Chappelle) peine à se fixer professionnellement et sentimentalement. Sa mère (Brigitte Catillon) perd lentement la tête et Damien doit quitter Paris pour venir prendre soin d’elle.

Espèces menacées est l’adaptation de trois nouvelles de Richard Bausch, un romancier célèbre aux États-Unis, quasi-inconnu de ce côté-ci de l’Atlantique. Adapter des nouvelles au cinéma est casse-gueule. Un risque est d’enchaîner les histoires comme un film à sketches. Un autre est d’essayer d’inventer entre elles un lien artificiel. Un troisième, dans lequel tombe Espèces menacées, est de s’attacher à l’une plus qu’aux autres. Bien vite, le film se focalise sur Tomasz et Joséphine. Il se désintéresse de Mélanie, de son vieux mari et de son futur bébé. Il traite par-dessus la jambe Anthony, qui entretemps s’est enamouré de sa femme de ménage.

Espèces menacées n’en présente pas moins une unité de lieu . Les trois histoires se déroulent dans la baie des Anges, à Nice ou dans ses environs.
Il est frappant de voir combien le cinéma français se « provincialise ». Le temps n’est plus où tous les films se tournaient à Paris. Considérez les films sortis le mois dernier. Quasiment tous se déroulent en province : Ôtez-moi d’un doute (Lorient), Kiss & Cry (Colmar), Gauguin (Polynésie), Mon garçon (massif du Vercors), Money (Le Havre). C’est souvent l’effet des subventions versées par les collectivités territoriales – qui exigent en contrepartie que le tournage se déroule sur leur territoire. Mais cette exigence est bénéfique qui conduit les réalisateurs à s’emparer d’un lieu et à en exalter l’esprit. C’est particulièrement le cas de Gilles Bourdos – qui avait déjà tourné son Renoir dans la région. Sous sa caméra, Nice ne ressemble pas à l’image de carte postale qu’on en a. Pas de soleil ni de mer bleue. Mais une Riviera hivernale, grise et vide de ses touristes – qui n’est pas sans rappeler Mon âme par toi guérie où jouait déjà l’excellent Gregory Gadebois.

Aucune publicité n’a été faite de ce « petit » film. Ni dans les cinémas, ni dans les abribus. Je ne serais pas aller le voir si sa bande-annonce ne m’avait tapé dans l’œil. Jetez-y le vôtre. Et laissez vous tenter.

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