The Square ★☆☆☆

Voici enfin la Palme d’Or 2017. Le public plébiscitait 120 battements par minute, Faute d’amour ou Les proies. Le jury présidé par Pedro Almodovar leur a préféré ce film suédois d’un réalisateur peu connu au sujet ingrat. Ce refus de la facilité force l’admiration. Mais il ne suffit pas pour emporter l’adhésion.

The Square arrive sur nos écrans avec un parfum de scandale. Comme les romans de Houellebecq, comme les films de Haneke, The Square est censé choquer le bourgeois en soulignant ses contradictions.

C’est autour de Christian, le héros, que le film gravite – au point d’effacer tous les rôles secondaires (même hélas celui de Elisabeth Moss remarquée dans les séries Mad Men et Top of the lake).  Le Danois Claes Bang est censé incarner le mâle suédois contemporain et toutes ses certitudes inébranlables. À la tête du musée d’art moderne de Stockholm, Christian est un quadragénaire de son temps : divorcé, père de deux filles, séduisant et séducteur, ouvert d’esprit et ouvert aux autres, à la pointe de l’avant-garde artistique. Mais une série d’événements vont mettre à mal son humanisme : le vol de son portefeuille, la désastreuse campagne publicitaire de la prochaine exposition de son musée, une nuit d’amour ratée avec une journaliste américaine…

Avec ses faux airs de James Bond, Claes Bang promène la même mimique mal réveillée durant tout le film alors que le réalisateur était censé nous montrer la transformation d’un homme. Ce jeu monotone est l’écho d’une faiblesse du scénario : son immobilisme. The Square n’est pas tant l’histoire d’une évolution qu’une accumulation de saynètes. Une succession de nouvelles – certes fédérées autour d’un même thème – plutôt qu’un roman. Certaines sont plus réussies que d’autres : on n’oubliera pas de sitôt ce dîner d’inauguration collet-monté au cours duquel un performer mime le comportement d’un singe dominant en terrifiant les participants. Le problème de cette scène d’anthologie est qu’elle figure déjà sur l’affiche du film, que sa bande-annonce en a montré de larges extraits et qu’elle s’étire beaucoup trop longtemps.

On imagine volontiers ce qu’un réalisateur de la puissance de Haneke aurait fait du désir de vengeance de Christian après qu’il s’est fait volet son portefeuille. On est frappé de la pauvreté de sa réaction et des conséquences finalement limitées qu’elle provoque. Alors qu’il s’agissait du principal ressort du film, de son fil narratif censé le tenir en tension pendant plus de deux heures, cette intrigue sans intérêt fait vite long feu.

Au lieu de la satire annoncée de la bien-pensance de nos sociétés sociales-démocrates, The Square se révèle au bout du compte un film trop long sur la crise de la quarantaine d’un Édouard Baer suédois.

La bande-annonce

L’Assemblée ★★☆☆

À partir du 31 mars 2016, des citoyens ordinaires se sont réunis chaque jour place de la République à Paris. Pour protester contre la loi El Khomri. Pour réfléchir à un autre ordre politique, économique et social. Leur mouvement a pris un nom : « Nuit debout ». Mariana Otero les a suivis du premier au dernier jour.

Pour qui s’intéresse à la chose politique, « Nuit debout » constitue sans doute l’un des événements les plus intéressants de ces dernières années. Inspiré du mouvement des Indignés en Espagne ou de Occupy Wall Street aux Etats-Unis, il s’agit d’un mouvement spontané de réinvestissement de la sphère publique, d’un refus de l’ordre prévalent, d’une tentative, parfois maladroite, d’en concevoir un autre. Avec Mariana Otero, une réalisatrice déjà remarquée pour Entre les mains, un documentaire sur une usine de lingerie en dépôt de bilan, le mouvement a trouvé sinon son historiographe du moins son gardien de mémoire.

Mariana Otero est modeste. Elle s’est contentée de planter sa caméra et de filmer les débats. Se serait-elle attachée à une personnalité (on aperçoit François Ruffin, le réalisateur de Merci Patron ! qui allait devenir l’année suivant député de La France insoumise ou Monique  Pinçon-Charlot, la sociologue des fractures sociales à Paris), on lui aurait reproché de personnaliser à outrance un mouvement caractérisé par son absence de leader. Elle aurait pu à défaut se concentrer sur un thème. Elle le fait d’ailleurs peut-être en rendant compte des débats sur les modalités d’organisation des réunions. C’est le sens de la question inscrite sur l’affiche : « Comment parler ensemble sans parler d’une seule voix ? » C’est aussi le sens de la question subtilement polysémique lancée par un participant : « Comment donner une direction [un objectif] à un mouvement sans direction [sans chef] ? »

Cette question formelle, on le sait, est au cœur du questionnement démocratique. Qui a le droit de parler à l’agora ? Qui a le droit d’y siéger ? Qui a le droit d’y voter ? Avec un roboratif enthousiasme – et dans un joyeux bordel – les participants à « Nuit debout » se posent ces questions-là. Mais au motif que les réponses qui y ont été historiquement apportées doivent être remises en cause, notamment les théories révolutionnaires de la représentation, ils passent un temps infini à réinventer la roue au risque  de sombrer dans l’impuissance. Ainsi de ce militant qui, par défiance avec le concept de représentativité refuse de tenir comme légitime une décision prise à la majorité des votants faute d’une assistance suffisante.

Filmée par Mariana Otero, « Nuit debout » se perd dans des débats de pure procédure. Et oublie le fond. Quand il est évoqué, les mesures proposées frappent par leur radicalité – ce qui n’est pas un défaut – par leur irréalisme – ce qui pourrait en constituer un – et, plus tristement, par leur manque d’originalité. Ainsi de la commission Énergie : « Sortie des énergies fossiles – Fin de l’énergie nucléaire – 100 % d’énergie renouvelable » Vaste programme autour duquel d’ailleurs s’est construit depuis une vingtaine d’années un assez large consensus sinon dans la pratique du moins en théorie mais qui se heurte à des obstacles immenses qui n’arrêtent pas les utopistes de « Nuit debout ».

On aurait aimé en savoir plus sur « Nuit debout », sa sociologie, sa généalogie politique, ses héritages. Qui sont les manifestants de la place de la République ? Des jeunes ? des vieux ? des riches ? des pauvres ? Comment sont-ils arrivés là ? Comment en partiront-ils ? Quel bulletin de vote glisseront-ils dans les urnes en 2017 ? Le format documentaire choisi par Mariana Otero, caractérisé par sa sobriété et son effacement, empêche de livrer au spectateur ces informations pourtant utiles. L’Assemblée n’en documente pas moins un mouvement politique en train de se faire. Les premiers jours, la logistique est défaillante. Les orateurs utilisent des mégaphones en carton pour se faire comprendre. Mais petit à petit, une organisation se met en place. On monte des tentes, on installe une sono. Au bout de trois mois le mouvement s’étiole. La loi El Khomri a été adoptée par le 49.3. Les congés d’été approchent. Les militants sont fatigués.

La bande-annonce

Des lois et des hommes ★★★☆

John O’Brien pêche le saumon dans le nord de l’Irlande. Du moins le pêchait-il jusqu’à ce que la réglementation européenne interdisant les filets dérivants le lui interdise. Pour défendre son métier, il se lance dans une longue bataille politique qui le mènera jusqu’à Bruxelles.

Des lois et des hommes commençait mal. Par de longs travellings sur les plages battues par les vents d’Inishboffin, une île perdue au large de l’Irlande. Et par un plaidoyer larmoyant sur les techniques ancestrales de la pêche qui y étaient pratiquées, injustement condamnées par une inique réglementation eurocratique. Bref, j’ai eu peur, un instant, de m’être fourvoyé dans une séance de Connaissances du monde à Hénin-Beaumont.

Mais le documentaire de Loïc Jourdain prend dans sa seconde moitié une nouvelle et intéressante dimension. On quitte l’île irlandaise venteuse pour le continent où John O’Brien fait l’expérience de l’action politique. Pour défendre sa cause, il rencontre d’abord d’autres pêcheurs européens confrontés aux mêmes difficultés que lui : une réglementation qui, au nom de la protection du stock halieutique, frappe indifféremment la pêche hauturière et la pêche artisanale. Après avoir sans succès tenté de mobiliser les autorités irlandaises qui, non sans hypocrisie, se dédouanent de leurs responsabilités sur Bruxelles, il comprend que c’est là qu’il faut porter le fer.

Le documentaire aurait pu alors non sans démagogie décrire un Candide à Berlaymont, un malheureux pêcheur égaré dans les interminables couloirs de la Commission européenne. Les spectateurs de Hénin-Beaumont et ceux de la quatrième circonscription des Bouches-du-Rhône en auraient eu pour leur argent.

Mais Loïc Jourdan a l’honnêteté de décrire la machine bruxelloise pour ce qu’elle ait : des procédures lentes, difficilement compréhensibles au profane, mais qui, si on en maîtrise les codes, est ouverte à la contradiction et soucieuse de l’intérêt général. La commissaire européenne à la pêche, Maria Damanaki, qui aurait pu jouer le rôle du méchant de service, devient étonnamment un allié de John O’Brien dans sa campagne pour « socialiser » la PCP (Politique commune de la pêche). Et Des lois et des hommes, ce documentaire folklorique sur la pêche en Irlande, de devenir un manuel finalement assez optimiste sur la construction européenne et ses procédures. Comme le remarquable Democracy sorti l’an passé.

La bande-annonce

Detroit ★★★☆

1967. L’Amérique est en effervescence. La guerre au Vietnam et la ségrégation raciale mettent le pays à feu et à sang. Pour maintenir l’ordre, la Garde nationale est appelée en renfort.

Le film de Kathryn Bigelow mérite les critiques élogieuses qui l’accompagnent. La réalisatrice oscarisée de Démineurs et de Zero Dark Thirty n’a rien perdu de son efficacité. Elle nous happe dans un récit haletant et ne nous en lâche pas durant 2h23. Et je le dis d’autant plus volontiers que je me plains souvent que les films sont trop longs.

Au cœur de Detroit, étirée pendant plus d’une heure, quasiment filmée en temps réelle, la reconstitution de la nuit du 25 juillet 1967. Unité de temps. Unité de lieu. Unité d’action. Se croyant sous le feu des balles d’un sniper, une brigade de la police de Detroit appréhende une huitaine de jeunes gens qui font la fête dans un hôtel : des Noirs pour la plupart et deux jeunes filles blanches en rupture de ban et en quête de sensations fortes auprès de ces mauvais garçons. À la tête de la brigade, un policier ivre de violence, dont les traits poupins ne sauraient faire illusion. Il forme avec ses hommes un concentré de racisme, de bêtise et de frustration sexuelle – devant ces Blanches si jeunes et si appétissantes qui se donnent à ces Noirs qu’ils méprisent.

Les critiques que vous lirez peut-être mentionnent le nombre de morts que laissera cette nuit sanglante. Le sachant, on a tendance à les décompter et à les attendre. De la même façon les critiques spoilent l’issue du procès qui aura lieu deux ans plus tard contre les policiers blancs. Je ne vous dirai ni l’un ni l’autre pour vous laisser profiter d’un scenario beaucoup plus ouvert que ne le sont ceux que la tyrannie du happy end condamne à un dénouement joué d’avance.

Une réserve toutefois. Kathryn Bigelow veut faire des événements – inspirés, comme il se doit, de faits réels – de l’Algiers Motel le produit inévitable d’un système raciste profondément ancré dans la psyché américaine et qui survit jusqu’à nos jours. C’est sans doute vrai. Mais, pour autant, quitte à paraître politiquement incorrect, cette récupération politicienne qui n’ajoute rien à la valeur cinématographique de Detroit me met mal à l’aise.

La bande-annonce

Happy End ★☆☆☆

Le Jeu des Sept familles façon Michael Haneke :
– Le grand-père (Jean-Louis Trintignant) ne se remet pas de la mort de son épouse qu’il a euthanasiée après une longue agonie et souhaite à son tour écourter ses jours ;
– La mère (Isabelle Huppert) a repris les rênes de l’opulente société familiale de NTP depuis que son père a pris du recul ;
– L’oncle (Mathie Kassovitz) est un chirurgien renommé qui joue au mari parfait avec sa seconde épouse alors qu’il passe ses nuits à échanger des messages pornographiques sur Messenger – en tout petits caractères – avec une brûlante violoncelliste ;
– Le fils (Franz Rogowski) qui renâcle à assurer la succession de sa mère est en proie à des pulsions autodestructrices ;
– La nièce (Fantine Harduin) est une enfant silencieuse qui a peut-être assassiné sa mère.

On est chez les bourgeois de Calais. Et c’est déjà là que le bât blesse. Parce que les grands bourgeois que décrit Haneke, leur impressionnante demeure, leur domesticité dévouée, ne vivent pas à Calais. À Néchin peut-être, à Neuilly sans doute. Mais pas à Calais. Pourquoi Calais alors ? Parce que Haneke veut que deux mondes se percutent. Celui des riches et celui des pauvres, réfugiés en tous genres qu’on voit par intermittence au second plan de l’image, sur le bord d’une voie expresse ou derrière une dune. On comprend le potentiel cinématographique d’une telle collision. Mais le choix malheureux du lieu du tournage le prive de toute crédibilité.

Haneke est peut-être l’un des plus grands cinéastes contemporains. Il n’a pas volé ses deux Palmes d’Or – double récompense dont ne peut s’enorgueillir qu’une poignée de réalisateurs (Francis Ford Coppola, Emir Kusturica, les frères Dardenne, Ken Loach). C’est sans conteste l’un des plus dérangeants. La violence verbale de certaines scènes du Ruban blanc m’ont durablement traumatisé. L’inéluctable déchéance physique d’Emmanuelle Riuva dans Amour m’a marqué à jamais.

Film choral, Happy End se présente comme un patchwork assumé de l’œuvre du cinéaste de la « glaciation émotionnelle » (« emotionale Vergletscherung »). Il revisite avec ses acteurs fétiches (c’est le quatrième film tourné avec Huppert) ses thèmes principaux : le sadisme des enfants, les perversions sexuelles des adultes, les pulsions morbides des aînés.

Mais un patchwork n’est pas un best of. Pris isolément, ces sujets ont donné naissance à des chefs d’œuvres hanekiens glaçants. Mis bout à bout, traités à la va-comme-je-te-pousse, ils provoquent un léger malaise et, pire, un profond ennui.

La bande-annonce

Numéro Une ★☆☆☆

Brillante polytechnicienne du corps des Mines, Emmanuelle Blachey (Emmanuelle Devos) siège au comité exécutif de Théores, un géant de l’énergie. Un réseau de femmes aussi influent que discret la contacte en marge du Women’s Forum de Deauville pour prendre la tête d’Anthéa, une entreprise du CAC 40. Peu sûre d’elle, mais flattée de la proposition qui lui est faite, Emmanuelle hésite à s’engager. D’autant que face à elle, l’influent Jean Beaumel (Richard Berry) est prêt à tout pour pousser la candidature de son poulain. Un homme évidemment.

Numéro Une est un film à thèses. Depuis son titre avec ce E majuscule en rouge mat. Depuis son affiche où l’on voit Emmanuelle Devos, impeccable en tailleur pantalon, entourée d’hommes, sur les portraits qui ornent les murs et en face d’elle, anonymes et menaçants. Tonie Marshall – la seule femme à ce jour à avoir obtenu le César du meilleur réalisateur – ne s’en cache pas : elle a voulu faire un film sur « la difficulté des femmes à accéder à des postes importants ».

Tonie Marshall avait le projet d’en faire une série. Numéro Une en porte les traces, qui compte trop de rebondissements, d’intrigues secondaires que ses deux heures ne suffisent pas à développer. On aurait aimé avoir plus de respiration pour partager la vie d’Emmanuelle Blachey, ses espoirs et ses déceptions. Borgen, Baron Noir et même L’État de Grace (mini-série française injustement oubliée pour avoir eu le tort en 2006 de prédire l’élection d’une femme à la présidence de la République) ont démontré qu’on pouvait efficacement décrire les arcanes du pouvoir à condition de s’en laisser le temps.

Comprimé dans un corset trop étroit, Numéro Une a les défauts qu’on reproche aux premiers épisodes de ces séries, avant que, le temps passant, on se familiarise avec leurs personnages et leurs situations. Tout y sonne faux. Ce cénacle de femmes complotistes dévoué corps et âme à leur candidate. Ces hommes veules. Ces cocktails de l’Arop où se décide la liste des PDG du CAC 40. Ces palais élyséens au protocole empesé. Tout sonne faux sauf Emmanuelle Devos parfaite de bout en bout.

La bande-annonce

L’Atelier ★★★☆

Sous le soleil estival de La Ciotat, Olivia (Marina Foïs) anime un atelier d’écriture avec quelques jeunes de la ville. Ils entreprennent l’écriture d’un polar qui puise son inspiration dans son passé industriel. Parmi eux Antoine se singularise vite. Solitaire, mutique, il manifeste un tempérament violent qui inquiète Olivia autant qu’il la séduit.

Jetez un œil à la bande annonce de L’Atelier. Vous a-t-elle plu ? Alors allez voir le dernier film de Laurent Cantet qui lui est très fidèle. Vous a-t-elle déplu ? Alors n’insistez pas.

Une Palme d’Or peut tuer un réalisateur. Laurent Cantet l’a décrochée en 2008 avec Entre les murs. Je sais les débats que ce film a suscités. Je le considère néanmoins, sur la forme comme sur le fond, comme un chef d’œuvre. Changeant complètement de registre, le réalisateur est allé tourné quatre ans plus tard au Canada l’adaptation d’un roman de Joyce Carol Oates. Succès critique mais échec commercial. Après une escale à Cuba (Escale à Ithaque) en 2014, Cantet revient à des régions et des sujets plus familiers : comme François Bégaudeau dans Entre les murs, Marina Foïs – qu’on avait rarement vue aussi juste dans un rôle où on ne lui demande pas de faire rire – est en position de transmettre à des adolescents un savoir.

C’est d’ailleurs les scènes de groupe tournées avec ces sept jeunes qui constituent le point faible du film. Leur spontanéité est trop artificielle, leurs progrès trop rapides, leurs productions trop achevées, leurs caractères trop stéréotypés.

C’est quand le film se focalise sur le duo Olivia-Antoine qu’il est le plus convaincant. Antoine a la beauté du diable. C’est un adolescent sans histoire qui vit dans un appartement avec deux parents aimants et une petite sœur. Comme les ados de son âge, il a des amis et joue sur sa console vidéo. Mais Antoine a plus de profondeur qu’il n’en a l’air. Pour tromper son ennui, il nage dans les calanques, se muscle et regarde les appels au crime d’un nazillon provençal sur Internet. Au XIXème siècle, on aurait dit qu’il a le spleen ; au XXIème, on dira qu’il a la haine. Mais c’est peut-être plus un personnage du siècle dernier qu’Antoine évoque : Meursault qui tue gratuitement, sans motif, un Arabe anonyme sur la plage d’Alger parce que sa mère est morte l’avant-veille et qu’il a le soleil dans les yeux.

Laurent Cantet aurait pu forcer le trait et dévoiler, derrière l’apparente normalité de l’adolescent boudeur, un monstre de noirceur. Il ne tombe pas dans ce piège. J’en ai déjà trop dit sur un dénouement qui aurait gagné à être plus resserré – le film dure quinze minutes de trop – mais qui brille par sa subtilité.

La bande-annonce

La Planète des singes – Suprématie ★☆☆☆

Caesar, le chef des singes, décide de lancer une vendetta personnelle contre le colonel McCullough qui a tué sa femme et sa fille.

Mon résumé est bien court ? C’est que le scénario de ce troisième volet du reboot de l’indépassable chef d’œuvre de 1968 avec Charlton Heston est indigent.

Mais revenons un instant en arrière.
En 1963 le Français Pierre Boulle écrit un bref roman de 270 pages qui devient immédiatement un best-seller. Les droits sont achetés par Hollywood qui le porte à l’écran en 1968. Le film est un succès mondial. Sa scène finale – qui ne figurait pas dans le livre – est restée dans toutes les mémoires. Des suites, de plus en plus médiocres, sont tournées en 1970, 1971, 1972 et 1973. En 2001, Tim Burton en refait l’adaptation. Il est de bon ton d’en dire du mal. La Planète des singes serait un accident de parcours dans la filmographie éblouissante du grand réalisateur. Pourtant, il n’est pas si mauvais. Sa scène finale, sans égaler celle de 1968, n’est pas sotte.
En 2011, Hollywood décide de redémarrer (« rebooter ») la franchise. Trois films sont prévus qui raconteront comment les Singes sont devenus les maîtres de la Terre. Leur titre a manifestement plongé dans la confusion la plus absolue leurs traducteurs français. Rise of the Planet of the Apes a été traduit La Planète des Singes : Les Origines. Dawn of the Planet of the Apes devient L’Affrontement. Et le troisième opus, War of the Planet of the Apes est traduit Suprématie. J’avoue un certain désarroi. Voire un léger agacement.

Mais le plus grave n’est pas là. La Planète des singes repose sur un mécanisme simple et formidablement efficace : le renversement des hiérarchies biologiques ou raciales. L’homme détrôné de sa place centrale est remplacé par un animal de cirque. Or ce ressort a été totalement abandonné dans le dernier épisode. Caesar est devenu humain, trop humain. C’est un personnage en quête de vengeance. Une vengeance qu’il veut exercer contre un humain qui, lui, est réduit au rang d’une brute animale ivre de violence.

La Planète des Singes : Suprématie a coûté 150 millions de dollars. Pour ce prix là, on en a sans doute pour ses yeux en guise d’effets spéciaux de chimpanzés filmés en motion capture, de combats et de batailles. Mais ce déploiement extravagant de moyens n’a aucun sens s’il est au service d’un scénario étique qui a perdu de vue les fondamentaux de la série.

La bande-annonce

La Passion van Gogh ★☆☆☆

Un an après la mort de Vincent Van Gogh, le facteur Joseph Roulin retrouve à Arles une lettre du peintre à son frère. Il charge son fils Armand d’aller à Paris la lui remettre en main propre. Le jeune homme se lance dans une enquête policière pour élucider les causes du décès de l’artiste.

La Passion Van Gogh (clin d’œil au film de Vincente Minnelli La vie passionnée de Vincent Van Gogh avec Kirk Douglas dans le rôle titre ?) vaut surtout par son procédé graphique. Chaque plan a été d’abord tourné en prise de vues réelles avec de vrais acteurs – on reconnaît Saoirse Ronan, la jeune héroïne de Brooklyn, ou Jerome Flynn, l’habile spadassin de Game of Thrones – puis peint à l’huile « à la façon » de Van Gogh. La technique est très réussie et nous immerge dans la peinture du peintre à l’oreille coupée. On pénètre dans la Maison jaune de Arles, dans la chambre à coucher du peintre, dans le café avec sa table de billard où il passait ses soirées. On arpente les rues d’Auvers-sur-Oise, entre sa célèbre église au chevet, l’auberge Ravoux où l’artiste louait une chambre misérable, les champs avoisinants. On prend une anisette avec le docteur Gachet et on écoute sa fille jouer au piano.

Malheureusement cette féérie de l’œil, même si on imagine sans peine la somme de travail qu’elle a demandé à une armada de peintres, ne suffit pas à nourrir un film. Il y aurait fallu un scénario autrement plus original que celui écrit par les deux co-réalisateurs. Le leur ressemble à une histoire du Club des cinq : une enquête policière menée par un jeune godelureau – auquel Pierre Niney prête sa voix – qui remet en cause la thèse du suicide pour privilégier celle de l’assassinat. Outre que cette thèse soit historiquement peu crédible, elle n’a au bout du compte qu’un médiocre intérêt. Ce qui nous intéresse chez Van Gogh, ce ne sont pas les causes, plus ou moins mystérieuses, de sa mort. Mais sa peinture. Or, il y a dans La Passion Van Gogh un hiatus insupportable entre la magie de sa peinture, saturée de couleurs et de mouvements, et la platitude bon enfant de l’histoire qu’elle illustre.

La bande-annonce

La Quête d’Alain Ducasse ☆☆☆☆

Alain Ducasse est à la tête d’un empire. Il dirige vingt-trois restaurants dans le monde : à Paris, à Monte-Carlo, à Tokyo, à Londres, à Hong Kong… Il accumule dix-huit étoiles Michelin au total. Un record. Gilles de Maistre l’a suivi pendant deux ans autour du monde : des États-Unis au Japon, de la Mongolie aux Philippines. Le fil rouge de son documentaire : l’ouverture au cœur même du château de Versailles du dernier restaurant d’Alain Ducasse

La Quête d’Alain Ducasse est un titre subtilement polysémique. Il s’agit d’une part de partir à la recherche d’Alain Ducasse. Il s’agit d’autre part de comprendre ce que lui recherche. La réponse à la seconde question est simple : il recherche l’excellence. Excellence des produits qu’on le voit soigneusement sélectionner. Excellence des hommes – les femmes sont peu nombreuses dans son entourage – dont il dit qu’il les encourage à s’autonomiser alors qu’on le voit surtout veiller au grain à chaque détail et distiller autour de lui une crainte révérencieuse. Excellence des procédés : le glocal, alpha et oméga du management gastronomique.

Le problème est que l’homme Alain Ducasse nous reste opaque. On ne nous dit rien de son parcours sinon qu’il a conquis ses premières étoiles au Louis XV de Monte-Carlo et qu’il a échappé de justesse à la mort dans un accident d’avion dont il fut le seul rescapé en 1984. On ne nous dit rien de sa famille – il a épousé en 2007 une architecte de dix-sept ans plus jeune que lui  et il en a eu quatre enfants – de ses amis, de ses relations ou de la nationalité monégasque qu’il a acquise pour des motifs qu’on soupçonne volontiers. On n’apprendra guère plus sur l’organisation administrative et financière des établissements Ducasse : comment réussit-il à maintenir le même niveau d’excellence dans autant d’établissements ? Comment peut-il être partout sans courir le risque de n’être nul part ?

Le problème de ce documentaire est qu’il est tout entier à la gloire d’Alain Ducasse. Eût-il été financé par son service de communication qu’il n’aurait pas été moins louangeur. Les premières minutes, aux fausses allures de clip, rythmées par une musique entraînante, commentées par une voix off racoleuse, donnent le ton. Un ton qui hélas, reste toujours le même, confit en admiration, durant tout ce publireportage.

La bande-annonce