On murmure dans la ville (1951) ★★☆☆

Le docteur Noah Praetorius (Cary Grant) semble mener une vie réussie. Il enseigne à l’université à des étudiants qui le vénèrent et dirige une clinique en faisant du respect des malades sa priorité. Mais certains de ses confrères le jalousent pour son succès, à commencer par le professeur Ellwell qui a décidé de creuser dans son passé pour le discréditer. Pour toucher le docteur Praetorius, Ellwell va s’en prendre au mystérieux Shunderson qui ne quitte jamais Praetorius d’une semelle.

Ecoles Cinéma Club consacre une rétrospective à Joseph Mankiewicz, immense réalisateur américain, parfois occulté par la gloire des Hawks, Lubitsch, Capra, Lang… L’occasion de voir ou de revoir ses chefs d’oeuvre : Eve, La Comtesse aux pieds nus, Soudain l’été dernier… L’occasion aussi de découvrir d’autres films moins connus. L’Affaire Cicéron (un bijou), Quelque part dans la nuit et On murmure dans la ville sont, pour moi, de ceux là.

Le résumé que je viens de faire de ce dernier film est trompeur. On pourrait, à le lire, penser qu’il s’agit d’un film dramatique centré sur la révélation du passé mystérieux du docteur Praetorius. Mais il n’en est rien. On murmure… est un film léger au scénario loufoque (l’histoire de monsieur Shunderson est tordante), une screwball comedy comme on en réalisait à Hollywood depuis une quinzaine d’années – et comme la mode d’ailleurs allait lentement en disparaître.

Cary Grant y est époustouflant de charme et de drôlerie. Toute l’action gravite autour de lui, dont le personnage à force de perfection, finit par perdre toute crédibilité. Pour lui donner la réplique, la Twentieh Century Fox a recruté l’une de ses jeunes starlettes, Jeanne Crain, qui est tombée depuis dans les oubliettes de l’histoire du cinéma.

On murmure… se termine par un simulacre de procès – qui fait écho aux auditions au Sénat menées par Joseph McCarthy dans le cadre de la « chasse aux sorcières ». Bien évidemment, l’issue en sera heureuse car, répétons-le, on est dans la comédie loufoque et pas dans le drame. Cette légèreté, cette pétillance n’ont pas pris une ride. Pour autant, On murmure… suscite de ma part les mêmes réserves que La Dame du vendredi de Hawks. Réserves sans doute très subjectives et très conjoncturelles d’un hiver maussade. Et réserves que j’ai honte d’avouer tant ces films là ont légitimement acquis une place vénérée dans le panthéon du cinéma.

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Babi Yar. Contexte ★☆☆☆

Les 29 et 30 septembre 1941, dix jours après l’entrée de la Wehrmacht à Kiev, 33.371 Juifs furent assassinés dans le ravin de Babi Yar par des SS et des policiers allemands, aidés d’auxiliaires ukrainiens.

Le réalisateur ukrainien Serguei Loznista, né en Biélorussie soviétique en 1964, installé à Berlin depuis 2001, est l’auteur d’une œuvre protéiforme. Passionné d’histoire, chroniqueur de celle de son pays, il a réalisé des documentaires et des fictions : Dans la brume, Maïdan, Une femme douce, Donbass
Depuis plusieurs années, il souhaitait réaliser une fiction autour du massacre de Babi Yar. Mais, ne parvenant pas à boucler le budget de ce film ambitieux, il a pris le parti provisoire de plonger dans les archives, tant allemandes que russes, d’y retrouver des images souvent inédites et de les monter. Son principal obstacle pour parler de Babi Yar est qu’on n’en a quasiment aucune image, toute l’opération ayant été menée par l’occupant nazi sous le sceau du secret.

Comme son sous-titre l’annonce, ce documentaire remet le massacre en « contexte ». Il le fait tant et si bien qu’il finit presque par en oublier son sujet. C’est au bout d’une heure seulement, après que l’opération Barbarossa nous a été racontée dans le moindre détail, que seront évoqués, presqu’à la sauvette, les crimes commis à Babi Yar. Auparavant, on aura vu les colonnes de chars allemands partant à la conquête de l’URSS, les longues files de prisonniers de l’Armée rouge complaisamment filmés par la propagande nazie pour donner aux spectateurs l’impression d’une armée en déroute. Puis, les archives soviétiques montreront le même spectacle symétrique, lorsque Kiev sera reprise à l’automne 1943 : mêmes colonnes de chars, soviétiques cette fois-ci, mêmes prisonniers hagards, sous l’uniforme allemand désormais. Et dans un cas comme dans l’autre, les mêmes foules ukrainiennes qui applaudissent leur nouvel occupant: en 1941 les Allemands qui les libèrent du joug soviétique, en 1943 l’Armée rouge qui les libère de l’occupation allemande. Joie sincère d’être libérés ? ou collaborationnisme à tout crin, prompt à tous les revirements de vestes ?

Le documentaire de Serguei Loznitsa n’épargne personne. Ni les Nazis allemands, ni les Soviétiques, ni même les Ukrainiens dont la passivité semble être le seul trait de caractère – alors qu’il y aurait eu des choses à dire, sinon à montrer (car on imagine que ses images sont rares), de la résistance ukrainienne à la fois contre l’invasion allemande et contre la « libération » puis l’occupation soviétique de 1943-1945.

Babi yar. Contexte nous montre que les meurtres de Babi Yar ont été étouffés par l’URSS ou plutôt que leur mémoire a été travestie : leur caractère antisémite était nié par la propagande qui affirmait sans vergogne que des résistants communistes en avaient été les victimes sans faire mention de leur judéité.

Il y aurait eu aussi des choses à dire et à montrer sur les atermoiements de l’Ukraine indépendante depuis 1991 à ce sujet. Or, le documentaire de Sergei Loznitsa n’en dit mot. Pourtant plusieurs projets de mémorial ont été conçus à Babi Yar ; mais aucun n’a été réalisé. En 2014, l’avenue qui mène à Babi Yar avait été rebaptisée par le maire de Kiev avenue Stepan Bandera, du nom d’un nationaliste ukrainien anticommuniste qui collabora avec l’Allemagne nazie en créant la Légion ukrainienne, sous commandement de la Wehrmacht – une décision administrative que la justice ukrainienne n’a pas estimé bon d’annuler. Sans doute, le 30 septembre 2022, sensible à l’opinion internationale, le président Zelensky s’est-il rendu sur le site pour commémorer le 81ème anniversaire du massacre. Espérons que ce geste signe un infléchissement dans la politique mémorielle de l’Ukraine.

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Un petit frère ★★☆☆

Un petit frère brosse la chronique pendant vingt ans d’une famille ivoirienne immigrée en France. Rose est arrivée à Paris en 1989, avec deux de ses quatre fils. Hébergée par un couple de parents, elle trouve un emploi de femme de ménage dans un hôtel. Éprise de liberté, elle refuse l’union avec Jules César, un compatriote que sa famille lui présente, et lui préfère une aventure sans lendemain avec un ouvrier tunisien du bâtiment.
Bientôt Rose part s’installer à Rouen pour rejoindre Thierry, son amoureux. Jean et Ernest, ses fils, l’accompagnent et grandissent.

Jeune Femme, le premier film de Leonor Serraille, avait reçu à sa sortie en 2017 un accueil enthousiaste – que j’étais un des rares à ne pas totalement partager. Il a fallu attendre plus de cinq ans la sortie du second, qui ne lui ressemble en rien. Rompant avec le portrait d’une femme de notre temps, Leonor Serraille s’attaque à un genre casse-gueule, la chronique familiale au long cours, sur plusieurs décennies. Plusieurs écueils la menacent : le rythme du récit, son unité, le vieillissement des personnages…

Le pari est relevé en trois tableaux qui, sans rompre avec le fil chronologique, se focalisent successivement sur Rose puis sur chacun de ses deux enfants. Ces trois tableaux brossent le portrait d’un beau personnage féminin qui aurait amplement mérité que le titre du film lui soit consacré : pourquoi diable évoque-t-il ce petit frère qui n’occupe finalement que la deuxième ou la troisième place ? Cette Mère courage, femme libre, attachante, passionnément dévouée à ses enfants est remarquablement interprétée par Annabelle Lengronne – alors que le comique Ahmed Sylla (L’Ascension, Le Dindon, Tout simplement noir…) ne convainc guère dans le rôle d’Ernest adulte.

Seule ombre au tableau que j’avoue le rouge au front tant elle est politiquement incorrecte : j’ai trouvé à ce Petit frère un peu trop de bien-pensance pour m’embarquer complètement.

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Aftersun ★★☆☆

Un père et sa fille partent passer une semaine en Turquie dans une résidence de vacances en bord de mer. Sophie (Frankie Corio) a onze ans. C’est une pré-ado vive et sensible. Calum (Paul Mescal, révélé par la série Normal People) est plus secret : on comprend qu’il est séparé de la mère de Sophie, qu’il a quitté l’Ecosse pour Londres, que le menace peut-être le gouffre de la dépression.
Une vingtaine d’années plus tard, Sophie, devenue adulte et mère de famille, se remémore cette parenthèse enchantée en revisionnant les images qu’elle en avait tourné avec sa caméra Super-8.

Aftersun provoque des réactions très contrastées. La critique est très positive. Elle salue un premier film « plein de grâce » (La Septième Obsession), « minimaliste et émouvant » (Les Echos), « délicat comme un tableau impressionniste » (Marie-Claire), « qui rejoue la victoire deleuzienne de l’image-temps sur l’image-mouvement, de la subjectivité sur le réel » (Les Inrocks). Bande à part évoque « chant d’amour filial au moment charnière de la fin de l’enfance, entre jaune soleil et bleus à l’âme », Transfuge  la « mélancolie proustienne [qui sourd] du paradis perdu de l’enfance ».

Les avis des spectateurs, à commencer par celui de l’amie qui m’avait convaincu d’aller hier le voir – alors que je penchais naturellement pour Astérix ou Avatar – sont nettement plus hostiles : « le prototype du film d’auteur ennuyant (sic) où rien ne se passe », « beaucoup plus de prétention que de talent », « film de festival (…) tape-à-l’œil et sans grand intérêt »…

Comme en témoignent mes deux étoiles mi-chèvre mi-chou, mon opinion est à mi-chemin de ces deux pôles radicalement opposés. J’ai été longtemps déconcerté par le faux rythme dans lequel Aftersun s’installe, attendant que le film commence, qu’il s’y passe quelque chose, escomptant un coup de théâtre (la mort par noyade de Sophie ? l’AVC de Callum ? des attouchements incestueux du père sur sa fille ?) alors que [SPOILER] rien ne se passe finalement. Comme bien d’autres spectateurs j’ai été surpris et frustré de cette attente vaine, éprouvant confusément le sentiment de m’être fait rouler par un film qui m’avait fait une promesse non tenue.
Mais à la réflexion, je me suis demandé si un film ne pouvait pas précisément fonctionner sur ce schéma là, celui du temps suspendu, de l’attente frustrée, du non-événement. Et préférant regarder le verre à moitié plein (la confusion des sentiments de cette pré-ado m’a beaucoup touché) que celui à moitié vide (je n’ai rien compris au personnage du père et à la crise qu’il traverse…. ou pas), j’ai décidé de ne pas honnir ce film malgré le peu de goût que j’aurai pris à le voir.

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Feu follet ★☆☆☆

En 2069 sur son lit de mort le roi Alfredo se remémore son passé. Encore prince, cinquante ans plus tôt, alors qu’il achevait ses études d’histoire de l’art, il avait obtenu de ses parents l’autorisation de travailler dans une brigade de sapeurs-pompiers. Il y était tombé amoureux de son instructeur, le bel Alfonso. Mais la mort du père d’Alfredo et son accession au trône avaient eu raison de cette idylle.

Sorti en salles en septembre dernier, désormais disponible en DVD, Feu Follet nous vient du Portugal. Son format est surprenant : il dure une heure et sept minutes seulement. Son style l’est encore plus : Feu Follet s’affiche comme une comédie musicale durant laquelle on verra à trois reprises les acteurs pousser la chansonnette et se lancer dans un ballet plus ou moins impromptu.

C’est surtout un film queer à la sensualité revendiquée et omniprésente. La passion que le jeune Alfredo nourrit pour la pinède royale est lourde d’arrière-pensées érotiques, de fiers troncs durs dressés, de montées de sève printanières. La caserne de pompiers où il est affecté est un nid d’éphèbes dénudés qui préparent la prochaine édition du calendrier. Les gestes de premier secours auxquels Alfonso initie Alfredo sont l’occasion de frôlements exquis.

Les deux jeunes gens se retrouvent bientôt seuls dans une forêt calcinée. Alfonso est nu, adossé à un arbre, dans une pose de Saint Sébastien. Alfredo ne reste pas habillé très longtemps. Les deux pompiers s’aiment en s’échangeant des mots doux qui résonnent avec le passé colonialiste du Portugal, leur différence de classe et leur différence de peaux.

Feu Follet est traversé par une légèreté qu’on trouvera, selon les cas, charmante ou superficielle. Son hédonisme joyeux est sans doute sa principale qualité, sa modestie son principal défaut.

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Maîtres ★★☆☆

Pendant quelques mois, le documentariste Swen de Pauw a planté sa caméra dans l’étude de trois avocates strasbourgeoises spécialisées en droit des étrangers. Il les filme en plein travail, face à leurs clients, plongées dans leurs dossiers, pendues au téléphone, dictant un courrier ou le regard vide à leur balcon tirant sur une cigarette. Face à elles défilent des demandeurs d’asile, des résidents en fin de droits, des étrangers qui aimeraient acquérir la nationalité française…. Autour d’elles, s’agite une ribambelle de stagiaires tandis que deux secrétaires d’un calme imperturbable gèrent le chaos.

Maîtres est un documentaire exigeant, pas toujours facile à comprendre et à suivre pour qui ne connaît rien au droit des étrangers. Il faut reconnaître, sans avoir nécessairement lu la dernière étude que le Conseil d’Etat lui a consacrée, que c’est un droit complexe aux frontières du droit civil, du droit administratif, du droit du travail. D’ailleurs cette complexité se reflète dans la répartition des tâches au sein du cabinet : c’est à Audrey Scarinoff, la jeune avocate fraîchement émoulue, qu’incombent les dossiers les plus ingrats, ceux jugés aux prudhommes, que lui confient ses deux aînées.

On peut y voir – et c’est d’ailleurs le sens que voudrait lui donner semble-t-il son affiche et le résumé que les distributeurs en font – un film militant sur la situation des étrangers en France et l’accueil déshumanisant que des services administratifs sans visage et des tribunaux débordés leur opposent.
Ce serait le déformer ou le réduire à ce qu’il n’est pas.

Car Maîtres est avant tout – et c’est sa principale vertu – un film sur le travail. Rien de plus ingrat, rien de moins sexy que de filmer des gens qui travaillent – surtout lorsqu’il s’agit d’un emploi de service exercé derrière son ordinateur dans des bureaux anonymes. Très souvent, les films de fiction ou les documentaires qui ambitionnent de rendre compte par exemple du travail d’un écrivain, d’un journaliste ou d’un haut fonctionnaire occultent cette dimension-là et ne montrent pas leurs personnages au « travail ».
Tel n’est pas le cas de ce documentaire profondément honnête qui se coltine cette réalité ingrate. Jamais il ne franchira la porte de ce cabinet, de ce phalanstère laborieux, de cette ruche pour s’autoriser des échappées belles, qui auraient été un peu faciles, au tribunal ou en préfecture par exemple.

On comprend que deux avocates se sont associées. Elles sont représentatives d’une profession de plus en plus féminisée – comme celle de magistrate. L’une, Christine Mengus a la soixantaine, de l’énergie à revendre et un sacré sens de l’humour. Elle n’hésite pas à chahuter ses clients, leur reprochant par exemple de ne pas l’avoir consultée plus tôt, avant que leur situation administrative ne devienne inextricable. Elle rappelle, toutes choses égales par ailleurs, la juge d’instruction belge de Ni juge, ni soumise. L’autre, Nohra Boukara, la quarantaine bien frappée, est plus militante même si ces convictions ne sont pas sans contradiction : si elle stigmatise les dérives d’un droit « colonialiste », elle exige d’un client qu’il renonce à sa culture patriarcale et embrasse spontanément l’égalité hommes-femmes.
Les deux femmes se sont adjoint les services d’une troisième avocate, Audrey Scarinoff, qui n’a pas trente ans. Il faut lire le dossier de presse pour comprendre qu’elle n’est pas encore associée – mais le deviendra peut-être. Il faut regarder l’annulaire de sa main gauche et y voir apparaître un diamant pour supputer qu’elle s’est fiancée pendant le tournage.

Maîtres devrait être montré à tous les avocats en formation. Ils y verraient, s’ils n’en sont pas déjà conscients, la grandeur et la servitude de leur profession et toucheraient du doigt ce qu’être « auxiliaire de justice » veut dire.

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La Dame du vendredi (1940) ★★☆☆

Journaliste brillante, formée à la dure par le rédacteur en chef  du Morning Post, Walter Burns (Cary Grant), qu’elle a épousé avant de s’en séparer, Hildy Johnson (Rosalind Russell) a décidé de quitter le métier pour se marier à un modeste employé de bureau d’Albany. Apprenant la nouvelle, Walter Burns, qui brûle de reconquérir son ancienne épouse, cherche à la retenir en lui demandant de couvrir les dernières heures d’un condamné à mort dont il est persuadé de l’innocence. Hildy, que la passion du journalisme n’a jamais quittée, accepte cette mission et va se retrouver impliquée dans la rocambolesque évasion du prisonnier.

La Dame du vendredi est peut-être un des films hollywoodiens les plus mythiques. Howard Hawks adapte une pièce de théâtre de 1928 The Front Page sur la presse, la justice et la corruption de la politique dont l’action en trois actes se déroulait dans la salle de presse du tribunal de Chicago au-dessus de la potence où un condamné à mort allait être pendu. La pièce n’avait rien de drôle ; mais Hawks en transforme radicalement le sujet et l’esprit en changeant le sexe de son personnage principal, Hildy Johnson, confié sur les planches à un homme. La Dame du vendredi – traduction calamiteuse de His Girl Friday, allusion à peine voilée au Vendredi de Robinson – devient une screwball comedy loufoque à souhait, célèbre pour ses dialogues à la mitraillette.
La Dame du vendredi est aussi un film profondément féministe qui met son héroïne en valeur, dès son premier plan où on la voit traverser majestueusement la salle de presse du Post. Le rôle avait été proposé à Ginger Rogers, Claudette Colbert ou Carole Lombard. Il échut à Rosalind Russell qui n’acquit pas la célébrité de ses concurrentes mais n’en est pas moins éblouissante.

Il est sacrilège de trouver à redire à ce chef d’oeuvre de la comédie américaine. Cary Grant y est d’un charme étincelant. Les dialogues sont un feu d’artifice. Pour autant, à mon grand désarroi, j’avoue que je m’y suis un peu ennuyé. Je m’y suis ennuyé comme je m’ennuie devant La Joconde. Parce que la perfection, à un tel niveau, lasse. Parce que l’oeuvre est trop lisse, trop impeccable, trop prévisible aussi, pour provoquer chez moi une surprise, une interrogation.

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Ashkal ★☆☆☆

Dans Les Jardins de Carthage (ça commence comme Salammbô), un complexe immobilier laissé à l’abandon en périphérie de Tunis dont la construction avait été interrompue à la chute de Ben Ali, un gardien d’immeuble meurt brûlé vif. S’est-il immolé ? A-t-il été tué ? Bientôt, dans les mêmes circonstances, une jeune employée de maison perd la vie. Deux policiers mènent l’enquête, sur fond de corruption endémique au sein de la police tunisienne et de règlements de comptes : Batal, un père de famille pris dans un conflit de loyauté, et Fatma, une jeune policière dont le père siège à la Commission Vérité et Réconciliation.

Il y a quelques mois, Harka faisait le constat amer de l’anomie de la société tunisienne, libérée de la dictature mais incapable de faire une place aux plus démunis de ses membres. Il se terminait par l’immolation de son héros devant les grilles du gouvernorat de Sidi Bouzid, sur les lieux mêmes où Mohamed Bouazizi s’était immolé le 10 décembre 2010, déclenchant la « Révolution de jasmin ». Ashkal utilise la même figure traumatisante du brûlé vif. Mais il laisse planer un doute sur les motifs de ces immolations à répétition. S’agit-il de meurtres dont il faut trouver le coupable ? ou d’une vague de suicides ?

La question, posée dès la bande-annonce, est stimulante. Elle promet un film qui oscille entre polar et fantastique, avec l’once d’exotisme que garantit son tournage en Tunisie et la dimension politique que permet en arrière-plan la description de cette société fracturée.
Mais hélas, le film ne démarre jamais. La multiplication des immolations et quelques courses poursuites hideusement filmées dans le ventre de ces immeubles en construction ne relancent jamais l’histoire qui fait du surplace.
Lentement mais sûrement, on se désintéresse d’Ashkal. Et la scène finale, que j’ai trouvée particulièrement grotesque, ni ne donne les réponses aux questions que le film avait soulevées, ni ne lui apporte une profondeur qui décidément lui aura manqué.

La bande-annonce