La Grande Magie ★☆☆☆

Une troupe de forains vient se produire devant les clients d’un hôtel chic du littoral atlantique. Parmi eux, un mari particulièrement possessif (Denis Podalydès) ne quitte pas d’une semelle sa femme (Judith Chemla) qui profitera d’un tour de magie pour se faire la belle. Le mari éploré accuse les forains de la disparition de son épouse. Pour se dédouaner, ceux-ci le persuadent que le temps s’est arrêté et qu’elle reviendra bientôt.

Tout le monde aime Noémie Lvovsky qui est lentement devenue une personnalité incontournable du cinéma français, devant comme derrière la caméra (La Grande Magie est son huitième film en tant que réalisatrice, son dix-neuvième en tant que scénariste et son cinquante-cinquième comme actrice). Sa joie de vivre, sa tendresse illuminent tous ses films. On imagine volontiers comment elle a convaincu tous les participants de ce film de la rejoindre : « On va tourner au bord de la mer ! En costumes ! Et on va chanter ! ». Ils ont tous répondu présents pour constituer un casting plaqué or, qui ressemble au palmarès des Césars ou au plateau d’une première à la Comédie-Française : Denis Podalydès, Sergi Lopez, Judith Chemla, Rebecca Marder (soupirs énamourés pour celle que je considère comme le plus bel espoir féminin de ces dernières années), Damien Bonnard, François Morel, sans oublier des seconds rôles aux petits oignons (Laurent Stocker, Laurent Poitrenaux, Philippe Duclos, Armelle, Catherine Hiégel….).

Sans doute cette troupe endiablée s’est-elle bien amusée pendant le tournage dont on imagine volontiers que les journées se terminaient par de joyeuses tablées dressées dans le parc jouxtant l’hôtel dans la tiédeur d’un été breton.
Mais la joie qu’ils ont prise à jouer est-elle communicative ? Elle ne l’est qu’à moitié. Certes, le propos est sympathique et le mélange des genres roboratif. Moi qui adore les comédies musicales ne puis que m’enthousiasmer des intermèdes chantés que La Grande Magie ménage. Le problème est que, même si les partitions signées Feu ! Chatterton sont diablement dans l’air du temps, elles s’accommodent mal des décors et de l’époque du film. Et, pire : les acteurs – à l’exception peut-être de Judith Chemla – chantent comme des casseroles. On a vraiment de la peine pour Denis Podalydès quand il entonne, au bord de la crise d’asthme, le solo de Mario au dernier acte de la Tosca.

Le problème aussi est que La Grande Magie s’englue dans un discours pseudo-philosophique autour du temps (le temps qui passe ou ne passe pas, le temps, convention sociale extérieure à notre ressenti intime…) qui fait cruellement penser à une resucée mal digérée d’un cours de terminale de philo. Ne reste finalement pas grand-chose : la folie d’un homme rongé par la jalousie.

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La Femme de Tchaïkovski ★☆☆☆

Piotr Tchaïkovsky, l’immense musicien russe, était secrètement homosexuel. Pour faire taire les rumeurs, il accepta de se marier avec Antonina Miliukova, une de ses élèves au conservatoire de Moscou, qui l’avait rencontré quelques années plus tôt, était tombée follement amoureuse de lui et lui avait écrit une longue lettre enflammée. Le mariage, consacré en 1877 à Moscou, fut un naufrage et ne dura que quelques semaines avant la séparation de corps des époux. Mais Antonina refusa toujours le divorce.

À moitié juif, à moitié ukrainien, ouvertement homosexuel, Kirill Serebrennikov est, au grand dam du Kremlin, sans doute le plus grand réalisateur russe contemporain. Fuyant la Russie, il s’est exilé à Berlin sans rompre pour autant tout lien avec sa patrie. Son attitude ambiguë sur la guerre en Ukraine – dont il souhaite la résolution sans condamner ouvertement l’agression russe – lui a valu un accueil mitigé sur la Croisette où la direction du Festival, croyant bien faire, avait fermé ses portes à toute délégation officielle russe mais avait sélectionné le dernier film en date de Serebrennikov.

J’en attendais beaucoup, dans une programmation qui ce mois-ci, après Babylon et Tar le mois dernier, est bien maigrelette. J’en attendais d’autant plus que j’avais été durablement marqué par Leto et par La Fièvre de Petrov.

Autant le dire sans ambages : j’ai été déçu.
Certes, La Femme de Tchaïkovski est un film puissant, violent, porté par une exaltation fiévreuse. Les décors en sont exceptionnels alors même qu’ils sont minimalistes. Les intérieurs sont étroits, enfumés, sordides. Les rares scènes extérieures ne sont pas moins étouffantes, qui montrent une ville boueuse, noyée dans la brume, véritable Cour des miracles peuplée de gueux (elles m’ont rappelé les décors hallucinés d’Alexeï Guerman). Le noir est omniprésent, avec quelques touches de rouge et, le temps d’une scène onirique où Antonina fantasme ses retrouvailles avec son bien-aimé, un blanc d’outre-ciel.

Le problème de La Femme de Tchaïkovski est l’histoire qu’il raconte, qui se résume à presque rien. L’affiche est trompeuse sinon mensongère. Point de passion dévorante entre le musicien et son épouse. Si passion il y a, elle est unilatérale. Et elle est pathologique. Tout se réduit à deux tristes faits : Tchaïkovsky est homosexuel et ne peut se laisser toucher par sa femme sans étouffer un spasme de dégoût. Quant à Antonina, elle voue à son mari un culte hyperbolique qui l’entraînera dans la folie (elle survivra vingt-trois ans à son époux, mort en 1893 du choléra, et finira à l’asile en pleine révolution de février 1917).

Pendant deux heures et vingt-trois minutes, qui deviennent vite interminables et répétitives, ce pauvre argument est essoré jusqu’à la trame. On y voit Tchaïkovski entouré de superbes éphèbes, dénudés et huilés. On y voit Antonina essayer contre toute raison de le conquérir puis s’entêter à refuser le divorce avant de sombrer dans la misère et dans la folie.

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Animals ★★★☆

En avril 2012, Ihsane Jarfi a été kidnappé, violé, torturé pendant toute une nuit et laissé pour mort à l’aube par quatre criminels homophobes. Pour ce meurtre, trois d’entre eux ont été condamnés deux ans plus tard à la réclusion à perpétuité, le dernier à une peine de trente ans.

Un réalisateur belge, Nabil Ben Yadir, s’est inspiré de ce fait divers sordide pour en faire à ce jour peut-être le film le plus perturbant de l’année naissante. Il a été légitimement interdit aux moins de seize ans. Il aurait pu l’être sans erreur de qualification juridique aux moins de dix-huit ; car il contient son lot de scènes « de grande violence (…) de nature (…) à troubler gravement la sensibilité des mineurs » au sens des dispositions de l’article R. 211-12 du code du cinéma.

Il faut, quitte à en révéler les ressorts, en détailler l’architecture.
Animals est composé de trois parties qui s’enchâssent chronologiquement mais qui n’en sont pas moins très différentes.

Dans la première partie, on fait la connaissance de Brahim (Soufiane Chilah) alors que sa famille s’apprête à fêter l’anniversaire de sa mère. La scène est filmée quasiment en temps réel, en sinueux plans-séquences caméra à l’épaule, dans le petit pavillon de banlieue où toute la nombreuse parentèle s’active à la préparation de la fête. On comprend progressivement deux choses. La première : l’homosexualité longtemps cachée de Brahim a été découverte par son frère et sa belle-soeur qui lui intiment de la taire. La seconde : Brahim avait invité son compagnon, Thomas, à la fête pour le présenter à ses parents – sans pour autant révéler la nature des liens qui l’attachent à lui – mais Thomas manque à l’appel.

La deuxième se déroule quelques heures plus tard et commence dans le centre ville où Brahim est parti chercher Thomas. Après avoir pris la défense d’une jeune femme harcelée par quatre voyous, Brahim se retrouve embarqué avec eux dans leur voiture. La découverte de son homosexualité hystérise leur violence. C’est là qu’on assiste en direct à son lynchage, complaisamment filmé avec leurs téléphones portables par les assassins. La scène est insoutenable. Plusieurs spectateurs, le cœur au bord des lèvres, quittent la salle. L’un, plus bruyant que les autres, crie au scandale.

Le film aurait pu se terminer là et nous laisser sidérés. Il comporte pourtant une troisième partie. Elle suit Loïc, un des quatre assassins qui, à l’aube, rentre chez lui. Loïc croise sa mère, abrutie par l’alcool, son beau-père, violent. Il nettoie ses habits ensanglantés et revêt un élégant costume pour se rendre, ainsi qu’on le comprendra bientôt, à la cérémonie organisée pour le remariage de son père. L’ultime plan du film révèle une surprise dont on ne dira rien mais qui éclaire le déchaînement de violence dont Loïc s’est rendu la veille coupable d’une lumière inattendue.

Animals pose la question de la représentation de la violence au cinéma. Des grands films, et non des moindres, s’y sont frottés : Salo ou les 120 Journées de Sodome, Orange mécanique, Requiem pour un massacre, Tueurs nés, Funny Games, Irréversible… Toujours, les mêmes questions reviennent : faut-il montrer la violence pour mieux la dénoncer ? Ne court-on pas ce faisant le « risque de la jouissance de son spectacle » pour reprendre les mots de Jacques Mandelbaum dans Le Monde.

Regarder Animals sans fermer les yeux ni quitter la salle est une expérience éprouvante « qu’on ne conseillerait pas à son pire ennemi » écrit à raison Marie Sauvion dans Télérama. Les amateurs de feel-good movie passeront leur chemin et iront voir cette semaine Juste ciel ! ou Un homme heureux qui leur feront passer un bon moment et qu’ils auront oublié dans un mois. Mais je le recommande chaudement à tous ceux qui aiment que le cinéma les sorte de leur zone de confort, au risque du malaise. Et surtout, je ferai de son visionnage une peine complémentaire obligatoire à toutes celles prononcées contre des homophobes : ils y réaliseront peut-être leur violence, leur veulerie et leurs contradictions.

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Marlowe ☆☆☆☆

Une riche héritière, Clare Cavendish (Diane Kruger) recrute Philip Marlowe (Liam Neeson), un détective privé, pour retrouver la trace de Nico Peterson, son amant disparu. L’enquête mènera l’inspecteur au Club Corbata, lieu de toutes les turpitudes, sur les traces d’un trafic de cocaïne dans le Los Angeles des années 30.

Mais quelle mouche a piqué Metropolitan pour sortir de la naphtaline Neil Jordan (72 ans), Liam Neeson (70 ans) et Jessica Lange (73 ans) pour leur faire réaliser et interpréter un remake improbable d’un des plus grands chefs d’oeuvre du cinéma, Le Grand Sommeil de Howard Hawks ? Robert Mitchum s’y était déjà essayé en 1978. le film fut un flop.

Certes, objectera-t-on, il ne s’agit pas d’une nouvelle adaptation du roman de Chandler de 1939, mais de celui, écrit en 2014, par John Banville. Mais la nuance est trop subtile. Et le constat demeure. Accablant.

Marlowe est un film calamiteux. Certes, ses décors et ses costumes restituent un peu de la magie et de la folle élégance de la Californie des 30ies. Mais c’est sa seule qualité – qui d’ailleurs n’arrive pas à la cheville de l’exubérance des décors et des costumes de Babylon.

Le reste est d’une affligeante médiocrité. À commencer par l’histoire dont on se demande si l’incompréhensible complexité tient à la maladresse du scénariste ou à une vaine tentation de plagier les intrigues filandreuses de Chandler.
Mais c’est surtout le numéro des acteurs qui fait peine à voir. Liam Neeson a passé depuis longtemps l’âge de courir et d’encaisser les uppercuts. Quant à Jessica Lange, je préfère garder d’elle les images de Le facteur sonne toujours deux fois que celles du lifting raté qu’elle dévoile ici (Madonna ! Sors de ce corps !)

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Astrakan ★★☆☆

Samuel a treize ans. Il est orphelin. Il a été placé par les services sociaux dans une famille d’accueil. C’est auprès de Marie, de Clément et de leurs deux garçons qu’il devra douloureusement  entrer dans l’adolescence.

L’an dernier à la même époque, La Vraie Famille, un coup de cœur inscrit illico dans mon Top 10 2022, évoquait la douleur d’une mère d’accueil contrainte de se séparer du petit garçon confié à ses soins par l’Aide sociale à l’enfance avant de lui être repris. Astrakan renverse la perspective et évoque le placement non plus du point de vue des parents accueillants mais de l’enfant accueilli.

Le sujet n’est pas nouveau : Besson, Truffaut, Pialat l’ont tangenté, mettant l’enfance à nu, percutant l’innocence perdue des plus jeunes avec la médiocrité rance des adultes, révélant les dessous sordides des querelles familiales.

David Depesseville s’est lancé un pari audacieux pour son tout premier film : creuser cette veine en refusant tout manichéisme. Il aurait pu raconter Cosette chez les Thénardier. Il préfère filmer un pré-ado renfrogné, mal aimable qu’accueille une famille ordinaire, qui ne cache pas que la rente que lui verse l’Etat pour l’accueil de Samuel l’aidera à boucler ses fins de mois, mais qui ne verse pas pour autant dans la caricature. L’interprétation tout en nuances de Bastien Bouillon – dont je parie qu’il obtiendra le César du meilleur espoir masculin pour La Nuit du 12 dimanche prochain – et Jenny Beth – qui obtint celui du meilleur espoir féminin en 2019 pour Un amour impossible – y est pour beaucoup.
Les décors jouent aussi un grand rôle, suffisamment banals pour qu’on ne réussisse pas à les localiser (on devine qu’il s’agit des lacs du Morvan aux plaques d’immatriculation des voitures) et à les dater (on se serait cru dans la France des 80ies si on n’y comptait pas en euros et si on n’y voyait pas un téléphone portable).

Avec beaucoup de subtilité, Astrakan chemine sur cette ligne de crête. Nous accompagnons Samuel dans la découverte dérangeante de la sexualité : avec une amie de collège entreprenante jusqu’au malaise, avec un oncle dont le comportement déroutant laisse planer la menace non dite de la pédophilie

Malheureusement, Astrakan trouve vite ses limites. L’âpreté de son propos nous laisse à distance. Son héros mal aimable nous interdit de l’aimer. Ses dernières minutes, étonnamment lyriques, accompagnées d’une musique jusqu’alors silencieuse, détonnent : s’agit-il de rushes coupés au montage ? ou des pièces du puzzle censées redonner à l’ensemble la lisibilité qu’il n’a pas ?

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La Famille Asada ★★☆☆

Masashi Asada est le fils cadet d’une famille soudée et aimante. Son père, qui a sacrifié ses ambitions professionnelles pour s’occuper de ses deux fils tandis que sa mère enchaînait les gardes de nuit à l’hôpital, lui a transmis sa passion pour la photographie.
Après une scolarité chaotique, le jeune Masashi décide de faire de sa passion son métier. Le succès tarde à venir ; mais son premier recueil, qui rassemble les photos qu’il a prises de sa famille, obtient un prix convoité et assoit sa réputation. Bientôt Masashi trouve sa marque : immortaliser une famille en lui faisant revivre un moment heureux.
Lorsque le tsunami du 11 mars 2011 détruit les côtes du nord-est de Honshu, Masashi se rend sur les lieux et aide les secouristes à retrouver les albums photos abandonnés dans les maisons détruites et à les restaurer.

La Famille Asada est un feel good movie comme on aimerait en voir plus souvent en cette période maussade de l’année où nous attendons tous impatiemment le retour du printemps et la remontée des températures encore hostiles. C’est un film rempli de tendresse qui donne chaud au cœur.
Son fil rouge est la photographie et son rapport au temps, sa capacité unique à arrêter le temps qui passe en captant l’essence intime des êtres.

Le sujet est intelligent et son traitement touchant. Mais pour autant, je ferai à La Famille Asada deux reproches.
Le premier est sa structure assez bancale. La Famille Asada raconte deux histoires : la première est celle de la découverte par Masashi de sa vocation, la seconde celle de sa participation aux opérations de secours de 2011 autour de Fukushima. D’ailleurs, les deux sujets sont si distincts l’un de l’autre qu’en voyant la bande-annonce, j’ai cru un instant qu’il s’agissait de deux films différents.
La seconde vise les mécanismes de narration très conventionnels et un peu racoleurs qui, systématiquement, visent dans le même mouvement à nous faire sourire et pleurer. Sans doute y parviennent-ils avec une redoutable efficacité : je défie quiconque de regarder La Famille Asada sans verser sa larme. Mais, après plus de deux heures à ce régime répétitif, on a l’impression d’être l’otage d’un spectacle qui ne nous laisse aucun choix.

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La Montagne ★☆☆☆

Pierre (Thomas Salvador himself) est roboticien. À l’occasion d’un déplacement chez un client dans les Alpes, l’appel des cimes est le plus fort : il renonce à revenir à Paris, achète l’équipement complet du parfait alpiniste et plante sa tente au pied de l’Aiguille du midi.

Le premier film de Thomas Salvador, sorti début 2015, Vincent n’a pas d’écailles, le mettait d’emblée dans la foulée des Peretjako, Triet, Brac, Betbeder, Letourneur, ces jeunes réalisateurs qui insufflaient un vent d’air frais dans le cinéma français. Mais depuis huit ans, plus rien. C’est avec d’autant plus de gourmandise qu’on le retrouve dans son second long, qui présente avec le premier plusieurs ressemblances : Thomas Salvador y interprète à nouveau le rôle principal, y raconte une histoire volontairement minimaliste et y instille quelques touches de fantastique.

Le sujet de La Montagne est riche de promesses : un homme « normal » abandonne tout pour embrasser une autre vie. Et ses premiers plans le mettent en scène avec une économie remarquable. On ne saura rien de Pierre, de son passé, de ses amours, sinon de sa famille qui, l’espace d’un déjeuner, essaiera en vain de le convaincre de revenir à son ancienne vie. Mais on le verra très vite prendre ses marques dans la Vallée blanche, dont les horizons majestueux donnent lieu à quelques plans superbes.

Il y aurait eu beaucoup à dire sur ce personnage, sur son lâcher-prise, sur les motifs qui l’ont conduit à prendre cette décision radicale et sur les difficultés pratiques à la mettre en oeuvre. Mais telle n’est pas la voie choisie par Thomas Salvador. Comme dans Vincent n’a pas d’écailles, il prend dans la seconde moitié de La Montagne le parti du fantastique voire du surnaturel. S’y rajoute une romance dont le seul mérite est de faire jouer la toujours parfaite Louise Bourgoin. Certains spectateurs les trouveront peut-être très poétiques. Je les ai quant à moi trouvés maladroits.

D’autant que le film a la mauvaise idée de s’allonger interminablement. J’ai passé la dernière demi-heure à anticiper à chaque plan qu’il était le dernier. Mais le scénario rajoute encore et encore une couche de plus. Le film s’étire pendant 1h52 – alors que Vincent…. avait l’élégance de durer 1h18 à peine. Et la façon dont il se termine, tout bien réfléchi, est particulièrement gnangnan. Dommage….

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Le Retour des hirondelles ★★☆☆

Un mariage est arrangé entre Le Cadet, un simplet sous l’emprise de sa famille, dont le rhésus rare va sauver le nabab du village, et Guiying, une jeune femme devenue incontinente et handicapée à force de coups et de mauvais traitements. Le couple misérable s’installe sur le lopin de terre qui lui a été concédé et y construit une minuscule maison. Lentement, la tendresse naît entre les deux êtres tandis que les saisons passent et que la Chine rurale se transforme.

Que dire d’un film où on a copieusement dormi ? La question se pose avec une acuité accrue aux critiques dans la force de l’âge. Les années passant, il m’arrive de plus en plus souvent de somnoler dans l’émolliente chaleur d’une salle de cinéma. Dois-je le cacher et prétendre avoir gardé ma conscience tout le film durant ? ou en faire l’aveu rougissant mais honnête quitte parfois à renoncer à critiquer un film dont le sel m’aurait échappé ?

Ces considérations narcoleptiques ne sont pas aussi égocentriques qu’on pourrait le penser : Le Retour des hirondelles est un film long (2h16), lent, contemplatif, ponctué de plans séquences superbement éclairés mais pas toujours compréhensibles (on voit sans transition nos deux héros traverser une vallée enneigée et pique-niquer sur une dune de sable), qui invite à la rêverie et à la somnolence. Certains y auront résisté mieux que moi et seront mieux placés pour en faire une critique éclairée.

Le Retour des hirondelles m’a rappelé tout un pan du cinéma chinois contemporain qui documente la modernisation à marche forcée de la Chine. Elle est au cœur de l’oeuvre de Jia Zhangke, peut-être le plus grand réalisateur chinois vivant. C’est aussi le thème principal de Séjour dans les monts Fuchun ou de So Long, My Son qui ont remporté en France un succès mérité, mais aussi de Vivre et Chanter ou de Les anges portent du blanc, passés plus inaperçus. Plusieurs documentaires l’ont pris à bras le corps tels que H6 filmé à Shanghai dans l’un des plus grands hôpitaux au monde, Derniers jours à Shibati dans la ville multimillionaire de Chongqing au Sichuan ou Guangzhou, une nouvelle ère, tourné dans une petite île située d’un bras de la Rivière des perles près de Canton.

Le noir pessimisme qui imprègne Le Retour des hirondelles lui a valu la censure de Pékin. Après avoir obtenu un vif succès en salles – et sans doute attiré l’attention des autorités que, sans cela, il n’aurait pas émues – Le Retour des hirondelles est retiré des écrans et son auteur assigné à résidence. Le reproche qui lui est adressé : donner des campagnes chinoises une image trop sombre et infirmer la promesse du Parti d’y avoir éradiqué la pauvreté absolue.

N’ôtons pas à ce film ses qualités. Il raconte avec une infinie délicatesse le lent rapprochement entre deux éclopés de la vie. Il filme avec poésie la terre du Gansu – où le réalisateur Li Ruijun a grandi – ses paysans rudes à la tâche (le héros est interprété par le propre oncle du réalisateur) et les saisons qui passent. Mais il le fait avec une telle lenteur qu’entre la fascination et la somnolence, la seconde, chez certains spectateurs vieillissants, risque de l’emporter.

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Tendres passions (1983) ★★☆☆

Tendres Passions raconte tout au long de leurs vies pleines de vicissitudes l’amour d’une mère et de sa fille. Jeune veuve, Aurora Greenway (Shirley MacLaine) s’est vouée à l’éducation de sa fille unique, Emma (Debra Winger), qui quitte Houston et le nid familial pour se marier et suivre son mari, professeur d’université, dans l’Iowa puis dans le Nebraska. Elle y a trois enfants mais son mariage, fragilisé par les infidélités de son mari puis les siennes, bat vite de l’aile. Aurora en revanche trouve l’amour auprès de son voisin, un astronaute retraité (Jack Nicholson).

Tendres Passions est un film qui a connu une drôle d’histoire. C’est l’adaptation d’un roman de Larry McMurtry, un romancier américain qui a beaucoup travaillé avec le cinéma (La Dernière Séance, un film mythique de Bogdanovich, est adapté d’un de ses romans, tout comme Le Secret de Brokeback Mountain). Le scénario avait beaucoup circulé à Hollywood avant que Paramount ne s’en empare et ne confie sa réalisation à James L. Brooks, un producteur dont c’était le premier passage derrière la caméra – et qui lui valut l’Oscar du meilleur réalisateur ! Le rôle joué par Jack Nicholson avait été proposé à Burt Reynolds, celui de Debra Winger à Jodie Foster, qui y avait renoncé pour sagement poursuivre ses études.

Le film remporta aux États-Unis un succès inattendu et une pluie d’Oscars, notamment pour Shirley McLane (meilleure actrice) et Jack Nicholson (meilleur acteur dans un second rôle). En revanche, Debra Winger était injustement oubliée. À sa sortie en France, quelques mois plus tard, il fut démoli par la critique et snobé par le public.

Car Tendres Passions est un film déconcertant, une saga familiale censée se dérouler sur une vingtaine d’années mais durant lesquelles les personnages ne prennent pas une ride, qui essaie de maintenir la balance entre la comédie, voire le vaudeville (la scène de la première nuit entre Aurora et son voisin) et le mélodrame (la fin tire-larmes d’Emma).

Le voir près de quarante ans plus tard est une sacrée expérience qui nous replonge dans les 80ies dès les premières images et les premières mesures de la célèbre musique de Michael Gore. Tout y semble démodé, depuis les coiffures de Debra Winger jusqu’aux shorts de bain de Jack Nicholson et à l’intérieur surchargé de la chambre à coucher de Shirley McLane. On peut être allergique à ce kitsch suranné ou au contraire apprécier cette madeleine tendrement nostalgique.

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Costa Brava, Lebanon ★☆☆☆

Soraya et Walid ont décidé de quitter Beyrouth et sa pollution pour s’installer dans une maison de famille sur les pentes désolées du Mont-Liban. Là, avec la mère de Walid, dont les poumons ne supportaient pas l’air empuanti de la capitale, et leurs deux filles, Tala et Rim, ils ont construit un phalanstère auto-suffisant qui suffit à leur bonheur.
Mais la construction d’une décharge sous leurs fenêtres va venir briser le fragile équilibre de cet éden familial et rouvrir les fractures qu’il avait réussi à combler.

Le carton sur lequel s’ouvre le film nous dit que son action se déroule au Liban « dans un futur proche ». Pourtant, son action n’a rien de futuriste et pourrait tout aussi bien se dérouler de nos jours dans un pays dont on sait, même si on n’y est jamais allé, qu’il est gangrené par la maladministration. L’explosion qui ravagea le port de Beyrouth en août 2020 y est évoquée ainsi que la crise des poubelles : faute de décharges, les poubelles s’accumulent régulièrement dans les rues de Beyrouth, attirant les rats et provoquant des maladies.

Soraya et Walid forment en apparence un couple soudé. Ils se sont rencontrés quelques années plus tôt, à Beyrouth, dans les manifestations. On les imagine volontiers insoumis, anticapitalistes, écologistes sans compromis. C’est le cas de Walid dont l’intransigeance l’a peu à peu enfermé dans des choix de vie radicaux. Soraya (interprétée par la lumineuse Nadia Labaki, la réalisatrice de Caramel et de Capharnaüm) est plus ambiguë. C’est une ancienne star de la chanson qui, malgré l’amour qu’elle porte à Walid et les valeurs qu’elle partage avec lui, regrette sa vie passée, la vie urbaine, les rencontres et les échanges qu’elle autorise.

Le couple formé par Soraya et Walid résistera-t-il aux nuisances visuelles et olfactives créées par la décharge en construction ? C’est l’enjeu de l’intrigue qui se déroule sous les yeux de leurs deux filles. À neuf ans, Rim est encore une enfant tout entière inféodée à son père et à son combat. Tala à dix-sept ans est moins entière, qui succombe à l’attraction que suscite en elle le bel ingénieur en charge du chantier. Et la grand-mère revendique avec une ironie contagieuse le droit de vivre librement ses derniers jours.

Malgré une interprétation sans faille, Costa Brava, Lebanon (quel titre déconcertant qui aurait mieux convenu à un film de plage que de montagne !) gâche un beau sujet par une mise en scène languissante et un scénario qui manque de rythme.

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