Maîtres ★★☆☆

Pendant quelques mois, le documentariste Swen de Pauw a planté sa caméra dans l’étude de trois avocates strasbourgeoises spécialisées en droit des étrangers. Il les filme en plein travail, face à leurs clients, plongées dans leurs dossiers, pendues au téléphone, dictant un courrier ou le regard vide à leur balcon tirant sur une cigarette. Face à elles défilent des demandeurs d’asile, des résidents en fin de droits, des étrangers qui aimeraient acquérir la nationalité française…. Autour d’elles, s’agite une ribambelle de stagiaires tandis que deux secrétaires d’un calme imperturbable gèrent le chaos.

Maîtres est un documentaire exigeant, pas toujours facile à comprendre et à suivre pour qui ne connaît rien au droit des étrangers. Il faut reconnaître, sans avoir nécessairement lu la dernière étude que le Conseil d’Etat lui a consacrée, que c’est un droit complexe aux frontières du droit civil, du droit administratif, du droit du travail. D’ailleurs cette complexité se reflète dans la répartition des tâches au sein du cabinet : c’est à Audrey Scarinoff, la jeune avocate fraîchement émoulue, qu’incombent les dossiers les plus ingrats, ceux jugés aux prudhommes, que lui confient ses deux aînées.

On peut y voir – et c’est d’ailleurs le sens que voudrait lui donner semble-t-il son affiche et le résumé que les distributeurs en font – un film militant sur la situation des étrangers en France et l’accueil déshumanisant que des services administratifs sans visage et des tribunaux débordés leur opposent.
Ce serait le déformer ou le réduire à ce qu’il n’est pas.

Car Maîtres est avant tout – et c’est sa principale vertu – un film sur le travail. Rien de plus ingrat, rien de moins sexy que de filmer des gens qui travaillent – surtout lorsqu’il s’agit d’un emploi de service exercé derrière son ordinateur dans des bureaux anonymes. Très souvent, les films de fiction ou les documentaires qui ambitionnent de rendre compte par exemple du travail d’un écrivain, d’un journaliste ou d’un haut fonctionnaire occultent cette dimension-là et ne montrent pas leurs personnages au « travail ».
Tel n’est pas le cas de ce documentaire profondément honnête qui se coltine cette réalité ingrate. Jamais il ne franchira la porte de ce cabinet, de ce phalanstère laborieux, de cette ruche pour s’autoriser des échappées belles, qui auraient été un peu faciles, au tribunal ou en préfecture par exemple.

On comprend que deux avocates se sont associées. Elles sont représentatives d’une profession de plus en plus féminisée – comme celle de magistrate. L’une, Christine Mengus a la soixantaine, de l’énergie à revendre et un sacré sens de l’humour. Elle n’hésite pas à chahuter ses clients, leur reprochant par exemple de ne pas l’avoir consultée plus tôt, avant que leur situation administrative ne devienne inextricable. Elle rappelle, toutes choses égales par ailleurs, la juge d’instruction belge de Ni juge, ni soumise. L’autre, Nohra Boukara, la quarantaine bien frappée, est plus militante même si ces convictions ne sont pas sans contradiction : si elle stigmatise les dérives d’un droit « colonialiste », elle exige d’un client qu’il renonce à sa culture patriarcale et embrasse spontanément l’égalité hommes-femmes.
Les deux femmes se sont adjoint les services d’une troisième avocate, Audrey Scarinoff, qui n’a pas trente ans. Il faut lire le dossier de presse pour comprendre qu’elle n’est pas encore associée – mais le deviendra peut-être. Il faut regarder l’annulaire de sa main gauche et y voir apparaître un diamant pour supputer qu’elle s’est fiancée pendant le tournage.

Maîtres devrait être montré à tous les avocats en formation. Ils y verraient, s’ils n’en sont pas déjà conscients, la grandeur et la servitude de leur profession et toucheraient du doigt ce qu’être « auxiliaire de justice » veut dire.

La bande-annonce

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