About Kim Sohee ★☆☆☆

En 2016, en Corée, une jeune étudiante effectue un stage dans un call-center et y découvre des conditions de travail déshumanisantes.

Il y a deux façons d’aller voir About Kim Sohee.
La première, analytique,, est de ne rien connaître de l’histoire que raconte le film et d’y découvrir progressivement le chemin de croix parcourue par cette jeune étudiante.
La seconde, synthétique, est de savoir que sa mésaventure a fait sensation en Corée du Sud et y a provoqué un changement de législation. Avec cette information en tête, le destin de Kim Sohee devient emblématique de celui des stagiaires sud-coréens, exploités par des entreprises sans foi ni loi pour des salaires de misère.

Dans un cas comme dans l’autre, on est pris au piège d’un procédé scénaristique qui nous enferme et nous étouffe. On voit la radieuse Kim Sohee se faner lentement dans un milieu professionnel toxique, sans trouver chez sa famille ou chez ses amis de planche de salut. On voit son travail lentement la broyer en se demandant où cette descente aux enfers la conduira et nous conduira avec elle.

About Kim Sohee est bizarrement construit en deux parties distinctes. Dans la seconde, Donna Bae campe une enquêtrice aussi mutique (on ignorera jusqu’au bout le traumatisme qu’elle vient de traverser) qu’obstinée. Remarquée dans Les Bonnes Etoiles, elle vole la vedette – et la tête d’affiche – à la jeune Kim si-eun qui interprète Sohee. Cette seconde partie leste le film, qui dure au total 2h17, de quarante-cinq minutes supplémentaires dont on peut se demander si elles étaient utiles.

La bande-annonce

L’Établi ★★☆☆

Ancien élève de Louis-le-Grand et de l’Ecole normale supérieure, membre de la Gauche prolétarienne qu’il avait rejointe après avoir quitté le PCF auquel il reprochait son révisionnisme, le jeune Robert Linhart décide, en septembre 1968, de se faire embaucher incognito à l’usine Citroën de la porte de Choisy à Paris pour y faire l’expérience de la vie ouvrière et pour y conscientiser ses camarades. Il raconte son expérience dans un livre autobiographique publié en 1978 :  L’Établi, qui fut adapté à La Cartoucherie en 2018 et qui est aujourd’hui porté à l’écran

En entendant le titre de ce film, j’ai cru qu’il désignait une table de travail dans une usine. Je ne sais pas si l’ambiguïté du titre est voulue ; mais le mot, labellisé, désigne en fait les intellectuels maoïstes qui après mai-68 se sont immergés – on dirait aujourd’hui embedded – dans les usines ou sur les docks. La pratique n’était pas nouvelle : Simone Weil l’avait déjà expérimentée en 1934. Elle semble avoir disparu de nos jours – sinon chez un Joseph Ponthus, l’auteur trop tôt disparu de À la ligne, à des fins d’ailleurs moins politiques que littéraires. On n’ouvrira pas ici le débat de savoir si les militants d’extrême-gauche auraient pu utilement, avant de manifester le dimanche à Sainte-Soline, partager la vie et les contraintes d’un agriculteur deux-sévrien.

L’Établi produit un écho bizarre, à la fois très daté et très contemporain. L’engagement politique des maoïstes de la Gauche prolétarienne à la fin des 60ies, il y a plus de cinquante ans, a été disqualifié par l’échec du communisme, en URSS et en Chine, par l’automatisation des usines et la disparition des bastions ouvriers et par l’élévation du niveau de vie qui a fait accéder les classes populaires au confort et au bien-être de la classe moyenne. En revanche, ses mots d’ordre et ses valeurs – la lutte contre le capitalisme prédateur, la défense des plus faibles, notamment des immigrés et des femmes – n’ont rien perdu de leur actualité. Comment ne pas applaudir aux derniers mots du film, qui résonnent aussi dans la bande-annonce : « Je trouve légitime de rêver un monde meilleur. Et peut-être aussi de le faire » ?

L’Établi a le mérite de décrire l’expérience de Robert Linhart avec une belle honnêteté. Il décrit la pénibilité de la vie en usine, le bruit, les cadences infernales, la fatigue et l’abrutissement des travailleurs lessivés physiquement et psychologiquement par leurs tâches. Il décrit également la cupidité des patrons et de leurs contremaîtres, leur brutalité, leur racisme et leur misogynie. Mais il décrit aussi les apories de la lutte sociale, les difficultés à mobiliser une majorité de travailleurs, effrayés à l’idée de perdre leur salaire voire leur emploi, les impasses de la grève.

L’Établi est d’une facture très classique – qui m’a rappelé les couleurs et le tempo de Annie colère. Les personnages secondaires qui entourent Swann Arlaud, lequel interprète Robert Linhart avec une belle austérité, frisent la caricature : le prêtre ouvrier délégué syndical de la CGT (Olivier Gourmet), l’épouse aimante et fidèle compagne de lutte (Mélanie Thierry), le patron roublard (Denis Podalydès), le jeune intello révolté (Lorenzo Lefebvre découvert dans Bang Gang), l’OS berbère analphabète (Malek Lamaraoui), etc. Mais ces caricatures revendiquées font partie de la reconstitution appliquée et réussie d’une époque qui continue à interpeler la nôtre.

La bande-annonce

Bonne Conduite ★★☆☆

Pauline (Laure Calamy) anime avec son amie Soazig dans un centre de prévention routière des stages de récupération de points. Mais, la nuit venue, masquée d’une cagoule, dans son bolide de course, elle traque les chauffards sur les routes du Finistère pour venger son conjoint tué dans un accident de la route. Tout dérape le jour où Jean-Yves Lapick (Tcheky Karyo), le riche armateur qu’elle avait laissé pour mort dans sa grosse cylindrée, ressuscite sans crier gare et que le corps d’un petit voyou est retrouvé carbonisé dans le coffre de sa voiture. Deux policiers pas très malins (David Marsais et Grégoire Ludig) mènent l’enquête.

Connaissez-vous le Palmashow, le duo d’humoristes préférés de vos enfants qui s’est fait connaître sur le Net avant d’accéder à la célébrité à la télévision et sur grand écran ? C’est le troisième film où Jonathan Barré les dirige après La Folle Histoire de Max et Léon en 2016 et Les Vedettes en 2022. Je n’avais vu aucun des deux tant je pensais être réfractaire à ce genre d’humour potache et bien trop vieux pour le comprendre et l’apprécier. C’est la présence au sommet de l’affiche de Laure Calamy, l’actrice la plus bankable du cinéma français ces temps-ci, ex aequo avec Viriginie Efira, qui m’a incité à aller voir Bonne Conduite. Et je ne l’ai pas regretté.

Il faut accepter de débrancher ses neurones pour apprécier cette parodie d’enquête policière dont on découvre dès les premières scènes le visage et les mobiles de la principale meurtrière. Laure Calamy s’en donne à cœur joie dans ce rôle excessif. Mais elle se fait voler la vedette par le duo du Palmashow : David Marsais et Grégoire Ludig sont irrésistibles en flics patauds qui croient voir avancer leur enquête au fur et à mesure qu’elle recule. Et Tcheky Karyo montre à soixante-neuf ans que l’âge de la retraite n’a pas encore sonné pour lui.

Bonne conduite fait quelques clins d’oeil malicieux aux Oiseaux de Hitchcock et à Usual Suspects de Bryan Singer. Entièrement tourné en Bretagne, il se clôt par une superbe séquence dont je vous laisse deviner le lieu où elle a été tournée.

La bande-annonce

C’est mon homme ★☆☆☆

Julien Delaunay a disparu en 1916 au front laissant sa femme, Julie (Leïla Bekhti) inconsolable. Elle a repris l’atelier de photographie qu’il tenait avant-guerre dans une petite ville de Bourgogne et vit dans l’illusion de son retour, dressant son couvert chaque soir à sa table dans cette attente insensée. Aussi, quand la photo d’un blessé de guerre paraît dans la presse, elle est persuadée de le reconnaître et court le rencontrer. Mais l’homme (Karim Leklou) est amnésique et ne la reconnaît pas. Julie n’en démord pas et obtient du médecin qui a Julien sous sa garde le droit de le ramener chez elle pour une mise à l’épreuve. Lentement Julien s’accommode à sa nouvelle vie, malgré l’hostilité du frère de Julie (Jean-Charles Clichet).
Mais une autre femme, Rose-Marie Brunet (Louise Bourgoin), chanteuse dans un cabaret à Paris, réclame preuves à l’appui le retour de son mari.

La bande-annonce de C’est mon homme est un modèle du genre. Avec un rythme très nerveux, par montage alterné, elle soulève une énigme : ce soldat amnésique est-il Julien, le photographe, le paisible mari de Julie ? ou Victor, le serveur un peu canaille, marié à Rose-Marie ? La question est posée et on augure un film d’époque qui mènera l’enquête sur fond de drame familial.

On est à moitié déçu. Car C’est mon homme ne tient pas ses promesses. L’enquête aura bien lieu ; mais elle ne commencera pas avant la seconde moitié du film. Il faut attendre la quarante-cinquième minute pour voir apparaître Rose-Marie alias Frimousse et pour que les deux femmes s’affrontent dans un duel, hélas, bien terne (Leïla Bekhti et Louise Bourgoin n’ont quasiment qu’une scène ensemble) qui ne connaît pas les rebondissements escomptés.

Dans sa première moitié, C’est mon homme nous raconte une histoire différente de celle esquissée dans la bande-annonce. Il nous parle moins de la quête d’identité d’un homme que du deuil impossible d’une femme, Julie, avec qui le film commence et que la caméra ne lâchera pas d’une semelle jusqu’à l’irruption de Rose-Marie. C’est mon homme est une sorte de Retour de Martin Guerre des Années folles, l’histoire d’une femme qui, inconsolable de la perte de son mari, décide de le ressusciter avec le premier inconnu venu.
Mais ce film-là ne peut pas aller à son terme, prisonnier du second qui ne tient que dans la mesure où l’identité de Julien/Victor restera jusqu’au bout incertaine.

La bande-annonce

À mon seul désir ★★★☆

Aurore (Louise Chevillotte) décide un beau jour de pousser la porte d’un club de striptease parisien et d’y travailler. Elle y est accueillie par Mia (Zita Hanrot), une stripteaseuse qui rêve de devenir comédienne.

Un double scrupule m’a habité pendant toute la première moitié du film. Je l’appelerais : échec et mate.
Échec ressenti d’un film à porter un regard original sur un cabaret de striptease, sur ses numéros, plus démodés qu’affriolants, sur la chaleureuse complicité qui y serait la règle entre les filles qui y travaillent. Voire malaise à enjoliver une réalité qu’on imagine volontiers, à tort ou à raison, plus glauque et plus phallocratique.
Mate : même si le film joue la carte du féminisme et vise expressément un public féminin (« l’idée que les femmes puissent avoir envie de mettre leur corps en représentation m’a toujours fascinée » écrit la réalisatrice dans le dossier de presse), on se demande qui il intéressera sinon de vieux cochons libidineux (comme moi ?) qui iront le voir pour se rincer l’oeil.

Mais mes réserves ont lentement sauté. La raison en était moins la façon dont Lucie Barleteau décrivait ce club de striptease. Je ne l’ai pas trouvée très originale par rapport aux ambiances de maison close décrites dans La Maison, dans Filles de joie ou dans l’excellent Party Girl, un mélange de sororité froufroutante, de sensualité un peu artificielle et de peur toujours sous-jacente que la violence masculine ne déborde.
La raison en vient du scénario qui aurait pu paresseusement se borner à présenter un milieu, sur un mode quasi-documentaire (le caméo de Frederick Wiseman, le célèbre documentariste qui avait plongé dans les coulisses du Crazy Horse, pouvait le laissait augurer). Mais le scénario raconte une histoire. Une histoire poignante – même si certaines critiques avec lesquelles je suis en désaccord la trouvent téléphonée : la relation d’amitié et bientôt d’amour qui se noue entre Aurore et Mia.

Cette histoire est portée par deux actrices épatantes. On connaît depuis longtemps Zita Hanrot, César 2016 du meilleur espoir féminin, qui réussit à se faire une place au soleil, malgré l’ombre portée de ses consœurs, Leïla Bekhti, Hafsia Herzi, Sabrina Ouazani, Oulaya Amamra, Lyna Khoudri… On connaît moins bien Louise Chevillotte, dont la première apparition chez Philippe Garrel, dans L’Amant d’un jour en 2017, m’avait subjugué. Elle a la capacité rare de se métamorphoser d’une scène à l’autre, banale dans ce plan-ci, renversante de beauté le plan suivant.

La bande-annonce

Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan ★★★☆

Est-il besoin de rappeler l’intrigue des Trois Mousquetaires que nous avons lu enfant ou, à défaut, que nous connaissons à force d’en avoir entendu parler ?
Le jeune d’Artagnan (François Civil) monte à Paris avec un seul rêve : s’enrôler chez les Mousquetaires du Roi, une troupe d’élite dirigée par le comte de Tréville (Marc Barbé). Sitôt arrivé dans la capitale, le fier Gascon a maille à partir avec trois mousquetaires qu’il défie successivement en duel : le mystérieux Athos (Vincent Cassel), le fier Porthos (Pio Marmaï), le bel Aramis (Romain Duris). Mais une escarmouche avec les gardes du Cardinal de Richelieu a tôt fait de resserrer leurs rangs. Les quatre amis vont aider la Reine Anne d’Autriche (Vicky Krieps) à déjouer le complot fomenté par Milady (Eva Green), une espionne à la solde du Cardinal qui cherche à la compromettre aux yeux du Roi (Louis Garrel) en révélant qu’elle a donné au duc de Buckingham, son ami, une précieuse parure de diamants. D’Artagnan devra aller jusqu’en Angleterre pour récupérer les ferrets de la Reine avant que Milady n’y parvienne.

Roulez, tambours, Sonnez, trompettes ! C’est aujourd’hui que sort en salles, annoncé à grand renfort de publicité, le blockbuster censé sauver le cinéma français, encore malade du Covid et toujours menacé par la concurrence de Marvel et de ses avatars.

Pathé a mis le paquet avec un budget de 72 millions d’euros, des décors somptueux (au Louvre, à l’hôtel des Invalides, au château de Fontainebleau, à l’abbaye de Royaumont…) et une palanquée de stars, parmi lesquelles, s’il fallait n’en retenir qu’une, je citerais Louis Garrel, qui interprète le jeune Louis XIII avec un mélange de maladresse et d’autoritarisme hilarant..

Que dire du résultat ? Qu’il est sans surprise.
Les pékins moyens, comme moi, en auront pour leur argent, ne s’ennuieront pas une minute, seront bluffés par la magnificence des décors et des costumes et prendront un plaisir régressif à retrouver les sensations qu’ils avaient éprouvées, enfant, à la découverte de cette histoire édifiante et pleine de rebondissements. Les puristes peut-être feront la fine bouche, reprochant à ces Trois Mousquetaires les libertés prises avec le roman de Dumas : d’Artagan est enterré vif dès la première scène, Porthos est bisexuel (j’ai redouté un instant que Milady soit vegan et d’Artagnan intolérant au lactose), Athos se voit enfermé et condamné à mort pour un crime dont il est innocent, etc. Mais ces mégotages sont bien mesquins.

Les Trois Mousquetaires est un diptyque dont la première partie s’achève au beau milieu du livre. Sa seconde sortira sur les écrans le 13 décembre, pariant sur les fêtes de Noël pour faire carton plein. Pourquoi diable faut-il l’attendre si longtemps ?

La bande-annonce

Apaches ★★☆☆

Paris 1900. Après avoir été témoin de la mort de son frère aîné, Billie (Alice Isaaz) n’a plus qu’une idée en tête : le venger. Pour ce faire, elle s’inflitre dans la bande des Apaches, une association de malfaiteurs que dirige Jésus (Niels Schneider) épaulé par son fidèle second, Ours (Artus).

Apaches est un film de gangsters en costumes, un revenge movie qui lorgne du côté de Peaky Blinders ou de Paris Police 1900, la série de Canal Plus. J’ai également pensé au film Les Anarchistes qui, malgré son casting prestigieux – Tahar Rahim, Adèle Exarchopoulos, Swann Arlaud, Guillaume Gouix, Karim Leklou… – était passé inaperçu à sa sortie en 2015.

Apaches est un film à prendre au premier degré qui rappelle la folle vitalité et le culot de Luc Besson ou de ses épigones dans les 90ies. Son scénario rebondissant et ses personnages charismatiques évoquent les feuilletons d’Eugène Sue. Gavroches courageux, prêtres défroqués, prostituées au grand cœur, voyous inquiétants, toute la palette prévisible des caractères de l’époque est convoquée. La production n’a pas lésiné sur les moyens et sur l’usage de la palette graphique pour restituer l’ambiance rétro-punk de l’époque. La musique est contemporaine et assume ses anachronismes.

Bien sûr, on pourra faire la fine bouche, reprocher au scénario ses facilités et aux acteurs de friser parfois la caricature. On pourra aussi trouver que Niels Schneider n’a pas les épaules assez larges ni le charme vénéneux de Cilian Murphy pour porter à lui seul le rôle d’un chef de bande. Mais on aurait tort de minauder devant ce spectacle divertissant et de trouver à redire aux interprétations d’Alice Isaaz, incandescente une fois de plus, et surtout d’Artus qui, depuis sa révélation dans Le Bureau des légendes est en train tout doucement de se tailler une place à sa mesure dans le cinéma français.

La bande-annonce

The Lost King ★★☆☆

Philippa Langley, une historienne amateur, s’est mis en tête de retrouver la dépouille de Richard III et y est parvenue en 2012… sous un parking de la ville de Leicester dans le nord de l’Angleterre. Cette histoire incroyable avait déjà fait l’objet d’un documentaire télévisé sur Channel 4 au titre évocateur : The King in the Car Park.

Les scénaristes Steve Cogan et Jeff Pope, qui avaient déjà travaillé avec Stephen Frears sur Philomena (2013), se sont emparés de cette histoire vraie d’une mère de famille anonyme qui, contre tout le système institutionnel, s’est entêtée dans son intuition en voulant à la fois retrouver la dépouille de Richard III et restaurer son image ternie par la propagande des Tudor qui avaient vaincu le dernier des Plantagenet à la bataille de Bosworth en 1485.

Pour donner vie à un récit autrement bien austère, ils y instillent une dose de comédie et une autre de fantastique en ressuscitant le fantôme de Richard III et en le faisant dialoguer avec Philippa. J’ai lu dans beaucoup de critiques que ces scènes là étaient peu crédibles et ratées. Je ne suis pas d’accord. J’ai trouvé au contraire qu’elles permettaient d’éclairer le personnage de Philippa, un mélange paradoxal d’extrême faiblesse (la frêle Sally Hawkins souffre du syndrome de fatigue chronique) et de grande détermination (elle devra tenir tête aux autorités scientifiques qui raillent son absence de diplômes et convaincre des sponsors de financer ses recherches).

The Lost King est aussi l’occasion de retrouver Stephen Frears à quatre-vingts ans passés.
Ma cinéphilie est née au milieu des 80ies au contact de son cinéma. Dans une veine qui fut ensuite reprise avec le succès que l’on sait par Ken Loach, ses premiers films faisaient la critique des dérives ultralibérales de l’Angleterre de Thatcher : My Beautiful Laundrette (1985), Prick Up your Ears (1987), Sammy et Rosie s’envoient en l’air (1987). A l’époque, encore privé de cinéma étranger, sinon hollywoodien, je leur trouvais un exotisme fou et y apprenais grâce à eux des expressions anglaises que je ne connaissais pas. Stephen Frears s’est ensuite expatrié à Hollywood dans les 90ies au risque d’y perdre sa touche : si ses Liaisons dangereuses restent une référence, ses autres films américains sont tombés dans un oubli légitime. Depuis, Stephen Frears est rentré en Angleterre. Il s’est effacé derrière ses films, parfois très réussis pourtant : The Queen, Tamara Drewe, The Program… J’attends avec impatience son prochain film, l’adaptation de l’avant-dernier roman en date de Jonathan Coe, Billy Wilder et moi.

La bande-annonce

Le Bleu du caftan ★★★☆

Halim (Saleh Bakri) est un maleem, un tailleur réputé qui, selon une technique transmise depuis des générations, brode les caftans les plus élégants, dans une modeste échoppe de la médina de Salé, près de Rabat au Maroc. Il partage, avec sa femme Mina (Lubna Azabal), le lourd secret de son homosexualité, dans un pays où elle est encore pénalement sanctionnée. Mais l’arrivée d’un bel apprenti, Youssef (Ayoub Missioui), et la récidive du cancer dont Mina est atteinte rebattent les cartes.

L’actrice-scénariste-réalisatrice Maryam Touzani forme avec son mari Nabil Ayouch un sacré tandem.. Ils ont à tous les deux écrit et réalisé quelques uns des films marocains les plus marquants de ces dix dernières années : Much Loved, Razzia, Haut et fort
On retrouve dans le deuxième film de Maryam Touzani, les mêmes ingrédients que dans le premier, Adam, qui avait pour sujet la condition d’une fille mère recueillie par une boulangère. On y retrouve d’abord la même actrice, impressionnante, Lubna Azabal. On y retrouve surtout la même ambiance confinée, là dans la minuscule boulangerie où cohabitaient les deux femmes de Adam, ici dans l’échoppe où Halim, Mina et Youssef travaillent. On y retrouve surtout la même inlassable détermination à dénoncer les tabous d’un Maroc hypocrite et viriliste.

C’est d’ailleurs le – seul – reproche que j’adresserais à ce film autrement remarquable : sa bien-pensance. On m’objectera que mieux vaut être bien-pensant que mal-pensant. Et on aura raison. On m’objectera surtout que ce reproche-là, à le supposer fondé, ne doit pas occulter les autres qualités du film. Sa principale est son immense sensibilité. Tout est beau, doux et touchant dans le trio que forment Halim, Mina et Youssef : l’immense amour de Halim pour son épouse, la résilience de Mina qui se bat contre le cancer qui va inexorablement l’emporter en grignotant des mandarines et en profitant des derniers petits bonheurs que la vie offre chichement, la timidité de Youssef et la relation qui se noue lentement avec son maître, faite de respect filial et d’attraction sensuelle…

Le Bleu du caftan dure sans doute trente minutes de trop. Mais ces trente minutes là ont pour fonction de préparer à la dernière scène, qu’on devine vite, mais qui n’en constitue pas moins une conclusion poignante à un drame réussi.

La bande-annonce

El (1953) ★★☆☆

Francesco Galvan est un richissime propriétaire terrien. Encore célibataire quoique dans la force de l’âge, il rencontre à l’office du Jeudi Saint la belle Gloria Milalta. Qu’elle soit déjà fiancée à un ami de longue date de Francesco, le jeune ingénieur Raul Conde, n’empêchera pas Francesco de faire la cour à Gloria et de lui demander sa main.
Quelques mois plus tard, Raul retrouve par hasard Gloria. Elle est dévastée. Elle raconte comment Francesco, dévoré par une jalousie maladive, a ruiné son mariage.

Luis Bunuel, on le sait, a vécu une quinzaine d’années en exil au Mexique. Il y réalisa quelques uns de ses chefs d’oeuvre : Los Olvidados, La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz, NazarinEl – sorti en France à l’époque sous le titre Tourments – n’est pas le plus connu. Il vient de ressortir en salles dans une version restaurée.

C’est un film d’un grand classicisme qui n’a ni le génie ni les outrances du reste de la filmographie du surprenant réalisateur espagnol. Il ressemble aux films noirs qui se tournaient à la fin des années 40 à Hollywood. On y retrouve les mêmes personnages si élégants, les mêmes décors luxueux. On y retrouve aussi l’intérêt si vif de Hollywood pour la psychanalyse qui caractérise les films de Lang ou de Hitchcock. Adapté d’un court récit de Mercedes Pinto qui s’était fait expulser de l’Espagne phalangiste pour avoir revendiqué le droit au divorce pour les femmes victimes de maris violents, El constitue une analyse presque clinique d’un cas d’école de paranoïa. D’ailleurs Jacques Lacan l’évoquera dans son séminaire de Sainte-Anne.

On y voit la malheureuse Gloria devenir la victime des lubies de plus en plus délirantes de l’infernal Francesco. Tout nourrit sa paranoïa, du souvenir de Raul, l’ancien fiancé de Gloria, à la rencontre inopinée, durant leur voyage de noces, d’un ancien ami de Gloria. Pour la punir de fautes imaginaires, il menace de la jeter du haut du clocher d’une église (la scène annonce celle qui clôt Vertigo  sorti cinq ans plus tard), lui tire dessus avec des balles à blanc. S’imaginant la risée des croyants qui assistent à une messe, Francesco saute à la gorge de l’officiant et manque l’étrangler. Il sera finalement soigné et finira ses jours dans un couvent. Mais l’ultime scène, qui le voit serpenter dangereusement dans le jardin, comme il le faisait jadis en proie à une crise, laisse planer le doute : est-il ou non guéri de sa paranoïa ?

La bande-annonce