Razzia ★★★☆

Quatre personnages vivent à Casablanca en 2014 sur fond de troubles sociaux. Salima étouffe : elle ne supporte ni son mari ni la société marocaine qui entendent contrôler ce qu’elle fait, ce qu’elle porte, ce qu’elle dit. Joe est un restaurateur prospère qui vit au jour le jour, dans ses rapports avec les femmes et avec les êtres, la difficulté d’être Juif à Tanger. Hakim adule Freddy Mercury dont il reprend les standards sur les scènes ; mais il est en butte au mépris de son père qui conteste ses choix de carrière. Dans une maison luxueuse, entre des parents invisibles et une nounou qui lui sert de mère de substitution, Inès est en pleine crise d’adolescence.
Le fil rouge qui les relie est peut-être un vieil instituteur chassé de sa salle de classe au début des années quatre-vingts. Son crime : avoir enseigné aux enfants de l’Atlas en berbère et pas en arabe.

L’œuvre de Nabil Ayouch dessine un portrait amer du Maroc contemporain. Ali Zaoua, prince de la rue (2001) suivait une bande de gamins sur le port de Casablanca. Les Chevaux de Dieu (2012) montrait comment l’islamisation avait pu devenir une réponse à la colère sociale. Much Loved (2015) son film le plus puissant et le plus controversé racontait la vie de quatre prostituées à Marrakech. Razzia est l’aboutissement et la synthèse de ses précédents films.

Le procédé pourrait sembler lourdement démonstratif. Il ne l’est que sur le papier. Le film choral est un procédé complexe sans être compliqué : prenez quatre ou cinq histoires, entrelacez les, tâchez de les faire se rencontrer à un moment ou à un autre (Razzia n’y parviendra qu’à moitié dans une scène de fête), ça marche à tous les coups. Les années 2000 avaient vu se multiplier les films choral ou films mosaïques (qui se dit en anglais « hyperlink cinema ») : Traffic, Crash, Syriana, Babel… Les séries TV les plus réussies ont repris le procédé : Les Sopranos, Downton Abbey, Game of Thrones… À force d’être utilisée, la ficelle semble usée. Mais Razzia montre qu’elle fonctionne encore.

Ce qui relie ces quatre personnages, c’est bien sûr leur quête de liberté. Liberté de la femme qui ne supporte plus qu’on lui dicte sa conduite. Liberté du Juif qui en a assez d’être ramené à sa judéité. Liberté de l’artiste qui veut exercer son art sans censure. Le personnage d’Inès – qui est introduit très (trop  ?) tard dans le film au risque de le surcharger – est peut-être le plus intéressant car il ne s’inscrit pas dans cette grille simpliste : cette adolescente ne sait pas que faire de la liberté qui lui confère son statut social.

En creux de ces quatre histoires, c’est une fois encore un portrait sans concession que Nabil Ayouch brosse du Maroc. Un pays sous la double menace du nationalisme (les drapeaux sont omniprésents en arrière-plan) et de l’islamisation rampante des esprits. Un double mouvement corrosif qui réduit les libertés individuelles et entend dicter une norme de comportement. Le tout avec une hypocrisie que Much Loved avait soulignée et que le personnage d’Inès met en relief : tandis que les plus pauvres des Marocains vivent dans la misère et versent dans l’islamisme, les plus riches se livrent à la débauche derrière les murs surélevés de leurs riads.  Les plus fragiles en sont les premières victimes : les femmes, les Juifs, les homosexuels…

Le film est illuminé par la beauté de Maryam Touzani. Épouse de Nabil Ayouch, elle a co-signé le scénario de Razzia. Avec des faux airs de Jeannette Bougrab, elle y interprète le rôle de Salima. Les esprits mesquins trouveront que Nabil Ayouch la filme avec complaisance. Les autres s’en féliciteront.

La bande-annonce

2 commentaires sur “Razzia ★★★☆

  1. Curieusement, le Maroc n’a pas censuré le film Razzia comme il avait censuré Much Loved qui traitait de la prostitution et avait valu à son actrice principale (Loubna Abidar)de se faire agresser.C’est pourtant un film d’une violence extrême sur l’ensemble de la société marocaine. Où qu’elle se tourne il n’y a de solutions au bonheur et aux libertés individuelles ni dans l’arabisation à outrance, ni dans l’extrémisme religieux, ni dans le machisme, ni dans la soumission aux inégalités sociales, ni dans l’indifférence et le lâcher prise des classes riches, ni dans les manifestations politiques incendiaires, ni donc dans la Révolution. Ce film n’est pourtant pas un film à thèses. C’est un film humaniste qui autopsie les affects de chacun des protagonistes. C’est un film optimiste qui nous dit que l’avenir, c’est la femme !et on ne demande qu’à le croire, devant les images sensuelles et charnelles de la superbe Maryam Touzani. Il ne faudrait donc pas stigmatiser Nabil Ayouch en cinéaste politique. Pourquoi donc n’évoque-t-on jamais « Whatever Lola wants », cette merveilleuse fable tournée en 2008, entre New-York et Le Caire qui raconte la fabuleuse rencontre d’une jeune américaine et de la plus grande danseuse orientale : Ismahan. Ce film, optimiste, aussi, nous parlait de culture, de danse, de musique, d’amitié. Le monde arabe ne se réduit pas à cette image véhiculée par nos médias de guerre, de terrorisme, d’extrêmisme religieux, de machisme.

  2. Ping Le Bleu du caftan ★★★☆ | Un film, un jour

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *