Un an, une nuit ★★☆☆

La petite trentaine, Ramón (Nahuel Perez Biscayart) et Céline (Noémie Merlant) s’aiment d’un amour pur et vivent ensemble depuis quelque temps. Le soir du 13 novembre 2015, ils étaient au Bataclan. leur vie en a été bouleversée à tout jamais.

Un an, une nuit a un défaut majeur qui le condamne à l’invisibilité. Ce film espagnol, adapté du roman autobiographique – et inédit en France – d’un survivant du Bataclan, Paz, amor y death metal de Ramón González vient après Amanda, Revoir Paris, Novembre et Vous n’aurez pas ma haine. Il nous fait craindre une overdose autour du V13.

Pour autant, ce seul motif ne suffit pas à le disqualifier.

J’en ai lu beaucoup de critiques sévères. je les trouve injustes.

Elles ne soulignent pas assez l’immense qualité du jeu de ces deux acteurs, qui comptent à bon droit parmi les meilleurs du moment. J’ai déjà dit l’état liquide dans lequel me mettait la voix de Noémie Merlant. je devrais aussi, pour faire bonne mesure et m’éviter tout procès en sexisme, confesser l’effet causé par les yeux bleus de Nahuel Perez Biscayart.
L’un et l’autre incarnent les deux façons de réagir à un choc traumatique : en le taisant ou en en parlant.

Elles n’évoquent pas l’intelligence d’un montage qui, au lieu de platement se borner à raconter par le menu la funeste nuit du 13 novembre avant, dans une seconde partie, d’en tirer les conséquences, prend le parti assez audacieux d’en mêler les films avec un montage presque stroboscopique. Brutalement, dans la vie de tous les jours de l’Après, une image, un son ramènent brutalement à la fusillade, comme un choc électrique.

Elles ne disent rien – et je prendrai garde de ne pas en dire trop non plus – sur le doute qui bientôt s’insinue dans le récit et qui nous fait sortir de la salle plein d’interrogations sur le sens à donner à ce récit. Question sans réponse et qui, à rebours du cartésianisme qui commande souvent le spectateur, gagne à rester irrésolue.

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Dirty, Difficult, Dangerous ★☆☆☆

Ahmed et Mehdia s’aiment d’un amour pur. Mais la vie n’est pas facile pour ces deux immigrés au Liban. Ahmed est syrien et rétameur. Victime d’un bombardement, il développe une curieuse pathologie ; son corps, rempli d’éclats métalliques, se rouille inexorablement. Mehdia elle est Ethiopienne. Elle travaille chez un vieillard sénile dont elle doit supporter les foucades imprévisibles.

Dirty, Difficult, Dangerous est un film faussement doux qui bat en brèche le racisme ordinaire qui sévit au Liban. Il ose même un pas de côté vers un cinéma fantastique qui m’a rappelé celui de Thomas Salvador dans Vincent n’a pas d’écailles ou La Montagne. Ses deux héros chaplinesques et mutiques rappellent quant à eux ceux des films de Kaurismäki et de Suleiman.

Son problème est son scénario qui fait du surplace – un peu d’ailleurs comme les films de Elia Suleiman (avec lequel j’ai eu la dent bien dure dans la critique de son dernier en date). Une fois qu’ont été campés ses deux personnages, Dirty, Difficult, Dangerous semble n’avoir plus rien à dire.

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Misanthrope ★★☆☆

La nuit du Nouvel An, à Baltimore, un tueur en série à la précision diabolique abat derrière son fusil à lunettes une vingtaine de fêtards. Geoffrey Lammark (Ben Mendelsohn) du FBI se voit confier l’enquête. Il s’adjoint les services d’une jeune policière, Eleanor Falco (Shailene Woodley) au profil psychologique atypique.

Misanthrope ressemble aux polars qui se multiplièrent dans les 90ies après le succès du Silence des agneaux et de Seven. il explore un genre – la traque d’un mystérieux tueur en série – selon une trame archiconnue – le tandem paradoxal (et hautement improbable) d’un vieux limier et d’une jeune recrue.

Mais il le fait avec talent.
Damian Szifron est derrière la caméra. Ce nom n’est pas connu. Mais il s’agit pourtant du réalisateur des Nouveaux Sauvages, ce film à sketches argentin que j’avais placé à la première place de mon Top10 en 2015, l’année de sa sortie en France. Depuis lors, il avait mystérieusement disparu de la circulation et revient dans cette superproduction hollywoodienne anonyme, coproduite par Shailene Woodley (Divergente, Nos étoiles contraires).

La jeune femme, qui s’enlise dans le rôle déjà mille fois vu d’une policière schizoïde, se fait voler la vedette par Ben Mendelsohn, qui interprète un agent fédéral ayant fort à faire avec sa hiérarchie pour mener à bien l’enquête qui lui a été confiée. C’est d’ailleurs ce point qui confère à Misanthrope une originalité qu’il n’a guère par ailleurs : la féroce lutte interservices qui fait rage durant une enquête de cette amplitude et les incessantes et perturbantes interférences des autorités politiques.

Misanthrope dure trente minutes de trop et est lesté d’un préchi-précha politique qui pèse une tonne et qui n’apporte pas grand-chose. Pour autant, aussi oubliable soit-il, il n’en reste pas moins un excellent divertissement.

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Disco Boy ★★☆☆

Aleksei (Franz Rogowski) est un jeune Biélorusse qui quitte son pays au péril de sa vie, arrive à Paris et rejoint la Légion étrangère. Après sa formation, il sera déployé dans le delta du fleuve Niger dans une opération spéciale visant à secourir des otages retenus par des guérilleros. Leur chef aux yeux vairons, Jomo, a une sœur, Udoka, dont Aleksei, de retour à Paris, croisera le chemin dans d’étranges circonstances.

Disco Boy est un curieux film qui ne tient pas en place. Il commence à la frontière polonaise de la Biélorussie, continue dans un camp d’entraînement de la Légion (qui ressemble plus à l’Ile de France qu’à Castelnaudary) avant de faire un détour par la jungle africaine (filmée, pour les besoins du genre, à La Réunion).
Son sujet est la rencontre improbable entre deux hommes que tout sépare sinon l’engagement militaire : un réfugié biélorusse en mal d’intégration et le chef d’un obscur mouvement d’indépendance nigérian (et non pas nigérien comme l’indiquent à tort les sous-titres).

Mais on va dire que, mal réveillé, bougon, je pinaille ce matin… et on aura raison.

Disco Boy est le premier film d’un plus si jeune réalisateur d’origine italienne et formé en France, Giacomo Abbruzzese, qui a eu toutes les difficultés du monde à en boucler le financement. Sa patte est étonnante qui rappelle tout à la fois Bertrand Bonello (on pense à l’ambiance noctambule de Nocturama mais aussi au vaudou de Zombie Child), Clément Cogitore et ses soldats français dépêchés en Afghanistan filmés en caméra infrarouge de Ni le ciel ni la terre et, bien sûr, Claire Denis et le fascinant ballet homo-érotique des légionnaires de Beau Travail.

Comme souvent dans les premiers films, Disco Boy brasse beaucoup de sujets, dont on sent que le réalisateur, trop gourmand, a voulu parler. C’est à première vue un film de guerre qui réussit à s’affranchir des canons ultra-balisés du genre dans la scène centrale du film qu’on n’oubliera pas de sitôt. C’est ensuite une oeuvre qui flirte avec le fantastique, peuplée de fantômes, dont le sujet, tout bien réfléchi, et une fois éclaircies les questions légitimes qu’on pouvait se poser à la sortie de la salle, se réduit à un argument très simple : une réincarnation. C’est aussi un film musical habité par la musique techno de Vitalic. C’est enfin et peut-être surtout une réflexion sur l’immigration et l’intégration.
On ferait fausse route en espérant un film sur la Légion étrangère, ses us et ses coutumes. Ce registre là était autrement mieux traité dans Mon légionnaire, un film beaucoup plus académique dont l’action se déroulait près de Calvi.

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À l’Ouest rien de nouveau ★★★☆

À peine sorti de l’adolescence, Paul Bäumer décide, contre la volonté de ses parents, de s’engager avec plusieurs camarades d’école dans les rangs de l’armée allemande en 1917. Envoyé en France, au Chemin des Dames, il plonge dans l’horreur de la guerre de tranchées. La fin des combats approche. Les plénipotentiaires allemands, dirigés par le social-démocrate Matthias Erzberger (Daniel Brühl), négocient à Rethondes. Mais pendant ce temps les deux états-majors continuent à se livrer une guerre sans répit. Paul survivra-t-il jusqu’à la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l’année 1918 ?

La nouvelle adaptation du célèbre roman d’Erich Maria Remarque, après celle de 1930 par Lewis Milestone, fut l’un des produits d’appel de Netflix l’an passé, avec Blonde de Andrew Dominik, après The Power of the Dog de Jane Campion et Don’t Look Up l’année précédente. Nommé neuf fois aux Oscars, À l’Ouest rien de nouveau empocha quatre statuettes : meilleur film international, meilleure musique, meilleure photographie, meilleurs décors.

J’ai eu la chance de le voir sur grand écran dans la seule salle parisienne à le projeter, à l’occasion d’une unique séance dont je me demande par quel tour de passe-passe juridique elle a pu avoir lieu. Je n’imaginais pas qu’il puisse en être autrement : par son sujet, par son traitement, par l’ampleur et l’ambition de ses prises de vue, À l’Ouest rien de nouveau doit être vu en salle. Le regarder sur sa TV ou, pire, sur son ordinateur est un sacrilège.

Son sujet est bien connu et a déjà souvent été traité. Difficile de se confronter à 1917, le chef d’oeuvre (indépassable ?) de Sam Mendes. À l’Ouest… raconte l’horreur de la Première Guerre mondiale vue à travers les yeux d’une jeune recrue allemande.
Le film s’éloigne du livre pour mettre en scène dans sa seconde moitié un compte à rebours, dans les derniers jours de la guerre. Un montage alterné montre d’une part la vie sur le front de Paul et ses camarades et d’autre part, dans le confort douillet d’un wagon ferroviaire, les efforts désespérés du plénipotentiaire allemand pour signer le plus vite possible un armistice qui épargnera des vies humaines inutilement sacrifiées.

Ce montage nerveux crée un suspens et une tension savamment orchestrés. Outre la violence des scènes de guerre, le film, qui a la majestueuse durée des films les plus prestigieux, nous tient en haleine jusqu’à la dernière minute.

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En plein jour ★☆☆☆

La jeune réalisatrice Lysa Heurtier Manzanares filme, dans un parc parisien, neuf hommes et femmes évoquant très librement leur sexualité. Julien, encore vierge, partage sa frustration. Cordula raconte l’emprise qu’elle a subie alors qu’elle était adolescente. Mélusine parle de BDSM. Judith, une femme transgenre, évoque son pénis et la façon dont il a réussi à l’accepter.

Le titre de ce documentaire sonne comme une revendication. Il s’agit de parler en plein jour, dans le cadre ouvert d’un espace public, de ce qui relève du plus intime. Si les interviews réalisées par Lysa Heurtier Manzanares avaient été tournées dans un espace clos, elles auraient eu un effet tout autre. Dans ce parc, paisible et aéré, elles se nimbent de douceur et de romantisme même si les sujets abordés ne sont pas toujours tendres.

On imagine les trésors de patience déployés par la réalisatrice pour trouver des témoins, discuter avec eux, gagner leur confiance. On est curieux de savoir combien lui ont fait faux bond, sont revenus sur leurs témoignages ou lui ont demandé de les couper au montage.
Car il faut un sacré courage pour accepter de témoigner, face caméra, avec son nom au générique, sur des sujets aussi intimes.

Qui trop embrasse mal étreint. S’il faut saluer son audace, En plein jour a aussi ses limites. La première est sa durée : une heure à peine, scandée par la succession assez morne et vite répétitive de neuf interviews au format par trop semblables avec, entre elles, des plans séquences bucoliques et anonymes.
La seconde est son sujet : la sexualité est un continent immense et En plein jour aurait peut-être dû se focaliser sur un de ses aspects.

Sur le même sujet et dans un format similaire, sans qu’il soit besoin d’invoquer les mânes de Pasolini (Enquête sur la sexualité), j’ai préféré Préliminaires, le documentaire très juste d’Arte sur la sexualité des adolescents.

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Saules aveugles, femme endormie ★★☆☆

Saules aveugles, femme endormie est un recueil, sorti d’abord en anglais en 2006 puis en japonais en 2009, de vingt-trois nouvelles que l’écrivain japonais Haruki Murakami avait initialement publiées dans diverses revues et magazines.
L’artiste franco-hongrois Pierre Földes a choisi d’en adapter six d’entre elles. Compositeur depuis plus de trente ans, il en signe aussi la musique.

Les fans de Murakami – La Ballade de l’impossible, Kafka sur le rivage, 1Q84 – y retrouveront le réalisme magique de ses romans, ses personnages flottant entre rêve et réalité. Le récit se focalise sur trois personnages : Komura, un jeune employé de banque, sa femme Kyoko, sidérée par le tsunami qui vient de frapper le Japon, et Katagiri, son collègue plus âgé. Kyoko quitte Kimura et le laisse sombrer dans la solitude. Il accepte de se rendre à Hokkaido pour y remettre un colis mystérieux à la sœur d’un collègue. Dans un love hotel, il passe une nuit d’amour. De retour à Tokyo, il cherche son chat Watanabe qui ne donne plus signe de vie depuis le départ de Kyoko et fait, durant sa quête, la rencontre d’une jeune voisine. Pendant ce temps, Katagiri croit rencontrer une grenouille parlante qui, tout en citant Nietzsche ou Conrad, lui demande de l’aider à combattre un ver géant pour éviter à Tokyo un tremblement de terre.

Comme souvent dans les recueils de nouvelles, l’ensemble est inégal. On s’attache à certaines histoires – le souvenir raconté par Kyoko de sa rencontre, le jour de ses vingt ans, avec le mystérieux propriétaire du restaurant où elle travaillait alors – on s’intéresse moins à d’autres. On se laisse porter par le trait aérien du dessin et, comme les personnages de l’histoire, on flotte bientôt dans un entredeux (ou un entre-trois ?) étonnant, entre rêve, cauchemar et réalité.

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Le Monde d’après 1 et 2 ☆☆☆☆

Le Monde d’après et sa suite, Le Monde d’après 2, sont deux films à sketches tournés sans un cent de subvention publique et distribués en catimini sans aucune publicité ni couverture de presse. Le premier, qui compte neuf saynètes et dure une heure à peine est sorti le 26 octobre. Le second en compte quinze et atteint la durée canonique de 1h30. Il est sorti le 15 mars dernier dans une seule salle parisienne et n’y est diffusé que trois fois par semaine à des séances qui, paradoxalement, affichent quasiment complet.

Dans un immeuble haussmannien, de nos jours, après l’épidémie de Covid et le confinement, plusieurs histoires se nouent. Un couple, obsédé par les risques d’infection, en convie un autre à dîner. Une féministe retorse fait chanter son plombier. Deux amis transgenres discutent maternité et filiation en fumant un joint. Une célibataire patriote reçoit un policier qu’elle vient de rencontrer sur Meetic. Trois enseignantes discutent des protocoles sanitaires mis en place par leur établissement et de la meilleure façon de les faire respecter par leurs élèves. Deux militantes LGBT vegan et écolo recrutent une étonnante colocatrice. Un mari annonce à sa femme éberluée sa conversion à l’Islam. Deux comédiens sans cachet acceptent de jouer le rôle de deux malades du Covid en fin de vie dans un clip faisant l’éloge de la vaccination. Une propriétaire sur le point de vendre son appartement reconnaît l’infirmière qui lui a interdit pendant le Covid de venir au chevet de sa mère mourante. Deux militantes écolo préparent une manifestation non violente. Un hétérosexuel souhaite participer à une manifestation LGBT et se demande dans quelle section du cortège il pourra se glisser. Une femme transgenre donne une leçon de yoga. Une rencontre amoureuse est brutalement interrompue lorsque l’un des deux partenaires apprend qu’il est cas contact. Par solidarité avec sa femme enceinte, son conjoint essaie de reproduire toutes les contraintes qu’elle doit subir pendant sa maternité. Un fils présente à ses parents sa nouvelle fiancée, voilée et intégriste, qu’il a rencontrée en fac de socio où elle écrit une thèse sur les Juifs et le réchauffement climatique..

Ces deux films provoquent le malaise. Sous couvert de susciter le rire – et reconnaissons leur qu’ils y arrivent souvent, tant les situations qu’ils brossent sont outrancières – ils révèlent vite leur projet : faire le procès des dérives de notre époque. Chaque sketch tourne en dérision l’un de ses travers réels ou fantasmés : l’obession hygiéniste et vaccinaliste créée par le Covid, le transgenrisme, le radicalisme féministe, l’islamophilie….

Bien sûr, l’art peut se moquer de tout. On n’est pas descendu dans la rue en défendant Charlie Hebdo, le droit au blasphème et à la dérision pour venir s’insurger de films qui utiliseraient les mêmes armes au service d’autres causes. Le paysage cinématographique penche à gauche, sinon à l’extrême gauche. Pour prendre par exemple le sujet de l’immigration, on ne compte plus les films, d’ailleurs généreusement subventionnés par le CNC, qui battent en brèche la politique gouvernementale, lui reprochant sa frilosité, sinon son racisme : Welcome, Le Silence de Lorna, Le Havre, Les Engagés, Ils sont vivants… Au contraire, on ne voit pas un seul film qui soutienne le point de vue radicalement inverse et qui reprocherait au Gouvernement d’être trop laxiste ou d’échouer à renvoyer les étrangers en situation irrégulière.

Pour autant, sans appeler à la censure, on a le droit de ne pas rire à des films qui, si on prend la peine de gratter, si on va lire les interviews données par son réalisateur ou la critique évidemment élogieuse, forcément élogieuse, qu’en fait Causeur (« Le cinéma français, « soutenu » par un CNC complaisant et politique, est globalement nullissime. Raison de plus pour aller voir un film qui n’a reçu ni subventions ni critiques élogieuses de la presse progressiste et qui se moque avec intelligence et drôlerie, en une heure chrono, de notre époque hygiéniste, néo-féministe, transgenriste et wokiste ») donnent froid dans le dos.

La bande-annonce du Monde d’après
La bande-annonce du Monde d’après 2

Brighton 4th ★★☆☆

Kakhi est un vieux Géorgien qui fut, dans sa jeunesse champion de lutte. Son frère est un joueur compulsif qui dépense au jeu l’argent que sa femme, qui a émigré à Brooklyn, lui envoie chaque mois pour rénover leur appartement. Son fils, Soso, qui a lui aussi émigré aux Etats-Unis pour y faire des études de médecine, suit le même chemin. Aussi Kakhi décide-t-il de se rendre à New York. Il y retrouve sa belle-soeur qui gère la pension de famille où son fils végète. Soso doit une importante somme d’argent à un caïd russe de la pègre. Son père est prêt à tout pour sortir son fils de la mauvaise passe dans laquelle il s’est enfermé.

Brighton Beach est ce quartier de Brooklyn en bord de mer où la diaspora soviétique a convergé avant d’essaimer vers le reste des Etats-Unis. James Gray en avait fait en 1994 le cadre de son premier film, Little Odessa, dont l’ombre intimidante plane au-dessus de Brighton 4th. On y retrouve le même souci quasiment anthropologique, de radioscoper un quartier où, dans un joyeux Babel linguistique, se croisent toutes les populations de l’ex-URSS.

À cette radioscopie quasi-documentaire s’ajoute une tragédie grecque qui raconte la décision héroïque d’un père de sauver son fils, au péril de sa vie. Le rôle de Kakhi est interprété par un ancien lutteur professionnel, double champion olympique et quintuple champion du monde dans les 70ies. Il a encore, à soixante-dix ans passés, la stature du rôle ; mais le manque d’expérience de cet acteur amateur se ressent dès qu’il a quelques lignes de texte à dire.

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L’Éden ★☆☆☆

Eliú et Mono sont deux gamins des rues colombiens qui ont commis un crime de sang. Arrêtés, condamnés, ils purgent ensemble leur peine dans un curieux centre de rééducation où des détenus réhabilitent une propriété privée délabrée sous la garde d’hommes en armes et y participent, sous l’autorité d’un ancien alcoolique en rémission, à des ateliers de thérapie collective.

LÉden n’a pas été interdit aux moins de douze ans ni même accompagné d’un avertissement. Pourtant LÉden est un film éprouvant qui met en scène des adolescents entre quatorze et seize ans et qui serait de nature à impressionner un jeune public, à supposer qu’il y comprenne quelque chose.

Car LÉden ne prend pas le parti naturaliste de décrire la violence des rues et de la prison telle qu’elle est. Le parti retenu est poétique sinon hermétique. Du meurtre, commis semble-t-il sous l’emprise narcotique, on ne voit et on ne comprend pas grand-chose, comme d’ailleurs ses deux auteurs eux-mêmes qui se sont trompés de victime. Et leur emprisonnement dans un no man’s land au parfum d’absurdie laisse la même impression cotonneuse.

Le contrecoup en est que la violence abjecte imposée à ces gosses réduits en esclavage, enchaînés jour et nuit, est euphémisée. Elle en paraît presque plus douce. Mais la fin du récit prend soin sinon de nous ramener à la réalité du moins de nous rappeler la dureté du sort de ces orphelins sans feu ni lieu, acculés à ne pouvoir compter que sur eux-mêmes et à vivre tant bien que mal avec leurs cauchemars.

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