They Shot the Piano Player ★☆☆☆

Pianiste brésilien de bossa nova, Tenório Jr. joua dans les années 60 dans les clubs de Copacabana. Sa disparition mystérieuse à Buenos Aires en 1976 accrut son aura. Fernando Trueba a mené l’enquête à son sujet, interrogeant sa famille, ses proches, ses amis musiciens. Au lieu d’en faire un documentaire, il opta avec Javier Mariscal, avec lequel déjà il avait coréalisé sur le même modèle Chico & Rita en 2011, pour un film d’animation.

They Shot the Piano Player – un drôle de titre anglais pour une production franco-espagnole réalisée par deux Espagnols sur un pianiste brésilien mort en Argentine – a une immense qualité : il nous replonge dans le Brésil des années 60 où se crée une musique qui connut un succès mondial, la bossa nova, dont il nous fait entendre quelques-uns des titres les plus connus et rencontrer quelques-uns des musiciens vivants les plus célèbres: Gilberto Gil, Chico Buarque, Joao Donato, etc.

Mais, tout bien considéré, c’est sa seule qualité. Sa forme, une animation en 2D, qui utilise des bleus et des jaunes éclatants pour les années 2000 durant lesquelles un journaliste américain, à qui Jeff Goldblum prête sa voix, est censé rassembler la documentation pour un livre sur Tenório Jr., et des tonalités beaucoup plus sombres pour les flashbacks dans les années 70 de la dictature argentine, n’est guère originale. C’est la même qu’utilisaient Valse pour Bachir ou Josep. C’est surtout un pis-aller auquel les réalisateurs ont recours de plus en plus souvent faute de disposer du matériel pour tourner un documentaire en images réelles.

Quant à l’histoire proprement dite, elle est nimbée d’un voile de mystère bien vite dissipé. Comme des dizaines de milliers d’autres Argentins, Tenório Jr. a été raflé par la police militaire argentine, séquestré, torturé et éliminé parce que son apparence – il portait la barbe et les cheveux longs – et la carte du syndicat de musiciens qu’il avait dans la poche laissaient suspecter des sympathies communistes.

La bande-annonce

La Bête ☆☆☆☆

En 2044, dans un monde dominé par l’intelligence artificielle, Gabrielle (Léa Seydoux) doit, pour trouver un emploi, se purger des traumatismes qui ont marqué ses vies antérieures. En 1910, elle était une pianiste renommée, mariée à un industriel fabricant de poupées. En 2014, jeune modèle fraîchement débarquée à Los Angeles, elle avait la garde d’une immense villa hollywoodienne. À ces deux époques, sa route a croisé celle de Louis (George McKay) pour lequel elle a ressenti une grande attraction. Mais le pressentiment funèbre d’une catastrophe imminente – la crue de la Seine en 1910, le « Big One » en 2014 – a chaque fois hypothéqué leur relation.

C’est la seconde fois, à quelques mois de distance, que le court roman de Henry James, La Bête dans la jungle, est porté à l’écran. Bertrand Bonello n’a décidément pas de chance avec ses sujets : la même mésaventure lui était arrivée avec son Saint Laurent. Mais il faut reconnaître à sa Bête plus de souffle, plus d’ambition qu’à l’oubliable Bête dans la Jungle de Patric Chiha avec Anaïs Demoustier et Tom Mercier, tout comme son Saint Laurent dépassait de la tête et des épaules le plus plat Yves Saint Laurent avec Pierre Niney.

D’une durée écrasante de près de deux heures trente, La Bête est dominée par la star Léa Seydoux sur laquelle les avis s’opposent. Certains lui reprochent sa généalogie, comme si elle était coupable d’être la petite-fille de son grand-père et lui devait sa célébrité. Autre reproche, plus pertinent celui-ci : la platitude de son jeu. Ses admirateurs renversent ce reproche-là et soutiennent au contraire que c’est sa capacité à résister à la caméra, à ne rien lui donner qui fait sa grandeur, à l’instar d’une Deneuve.
À ses côtés, George MacKay (1917, Captain Fantastic) a la lourde tâche de remplacer Gaspard Ulliel au pied levé, acteur fétiche de Bonello, à la mémoire duquel le film est dédié, qui devait interpréter le rôle de Louis avant que sa mort subite, en janvier 2022, ne l’en empêche. Il doit être assez pénible pour l’acteur anglais qui, dit-on, a appris le français pour les besoins du rôle, d’être sans cesse renvoyé à ce statut de suppléant.

Le scénario de La Bête est sacrément ambitieux. Le court roman de Henry James, comme son adaptation par Patric Chiha, racontait une seule histoire : celle d’un homme et d’une femme qui n’avaient pas vécu ensemble la grande histoire d’amour qui leur était promise par peur de l’imminence d’une catastrophe. Cette histoire-là, La Bête la décline au carré ou même au cube en trois histoires parallèles à trois époques différentes.

Comme toujours, Bonello crée une ambiance à la fois ouatée et élégante – on n’évoque pas assez son travail sur le son. Elle est la marque d’un grand réalisateur dont il serait malhonnête de nier l’immense talent. Pour autant, très subjectivement, je dois confesser, depuis L’Apollonide (2011) et même depuis Le Pornographe (2001), une grande résistance sinon une franche aversion à son cinéma. Je n’y comprends pas grand’chose, à supposer qu’il y ait quelques chose à y comprendre. Plus grave car Bonello je crois est moins un cinéaste de la réflexion que de la perception : il ne me touche pas.

À aucun moment, je n’ai ressenti d’empathie pour Gabrielle dans ce film, sinon peut-être dans les scènes de home invasion, excellement filmées, qui se plaisent à nous vriller les nerfs. À aucun moment, le couple qu’elle forme, ou essaie de former, avec Louis ne m’a semblé crédible. Pire, le film m’a été une épreuve qui m’a donné un seul plaisir : le soulagement de son terme après deux heures trente pénibles.

La bande-annonce

Daaaaaali ! ★★☆☆

Une jeune journaliste (Anaïs Demoustier), aidée par un producteur sans vergogne (Romain Duris), essaie par tous les moyens de réaliser une interview avec Salvador Dali. Mais l’artiste, fantasque et égocentrique, lui rend la tâche bien ardue.

Quentin Dupieux est de retour pour un nouveau film, aussi désopilant que les précédents, quoique tenu, la célébrité venant, à être de plus en plus mainstream. Il retrouve deux de ses actrices fétiches, Anais Demoustier et Agnès Hurstel, et rallie à lui des nouveaux venus qui forment la crème de la crème du cinéma français contemporain et dont la présence au générique témoigne de son aura grandissante.

En filmant Dali, Dupieux joue sur du velours sans vraiment se risquer hors de sa zone de confort. Ce réalisateur, dont le cinéma loufoque aime à jouer avec les frontières de l’absurde, se frotte à un artiste qui lui ressemble, surréaliste, excentrique et volontiers provocateur.

Le résultat est sans surprise, surtout si l’on a vu la bande-annonce diffusée ad nauseam durant tout le mois de janvier. Il ne décevra pas les thuriféraires de Dupieux. Il ménagera son lot de gags surréalistes, tel cet interminable couloir d’hôtel qu’emprunte Dali pour rejoindre son intervieweuse.

Pour des motifs obscurs, Dupieux a choisi de faire jouer Dali par six acteurs différents : Edouard Baer, Jonathan Cohen, Gilles Lellouche, Pio Marmaï, Boris Gillot ainsi que Didier Flamand qui joue Dali vieux, le bonnet de nuit rouge vissé sur la tête. Le rôle les a obligés à se grimer avec la célèbre moustache en croc de l’artiste, à rouler outrageusement les r et à aaaaaaaallonger les voyelles. Le problème est qu’à ce petit jeu-là, on en vient vite à faire des comparaisons. Elles ne sont guère flatteuses pour Gilles Lellouche, manifestement très mal à l’aise dans l’exercice et dont le rôle a quasiment été coupé au montage, et pour Pio Marmaï. Edouard Baer s’en sort beaucoup mieux. Mais c’est Jonathan Cohen qui l’emporte haut la main.

Comme les précédents films de Dupieux, Daaaaaali ! n’a pas vraiment de scénario. Il ne faut pas escompter y apprendre quoi que ce soit sur la vie de Dali. Son pitch est le prétexte à une concaténation de gags, absurdes autant que drôles, qui s’organisent dans une narration qui, comme les films de Buñuel, fait la part belle aux rêves, aux assoupissements et aux brusques réveils.
Le comique de répétition est le principal ingrédient du film. Le problème de cette forme d’humour est son dosage. Dupieux a une fois encore l’élégance de faire tenir son film en moins de quatre-vingt minutes. Mais, comme la géniale petite phrase musicale signée de Thomas Bangalter (ex-duettiste de DaftPunk), utilisée jusqu’à l’overdose, il faut savoir ne pas abuser des bonnes choses…

[P.S. : Une amie me soutient mordicus qu’Isabelle Huppert est la marraine d’Anais Demoustier. Vrai ou faux ?]

La bande-annonce

L’Homme d’argile ★☆☆☆

Raphaël (Raphaël Thiéry) est le gardien d’un imposant manoir familial délaissé par ses propriétaires. Il habite avec sa vieille mère autoritaire un pavillon de chasse au fond du jardin et meuble ses journées d’une routine répétitive : la chasse aux taupes, la cornemuse qu’il pratique avec un groupe amateur et les escapades en Kangoo avec la postière saute-au-paf. Une nuit d’orage déboule Garance Chaptel (Emmanuelle Devos), la propriétaire du château. Plasticienne réputée, elle s’y claquemure et soigne son chagrin en s’abrutissant de travail. Elle a décidé de prendre Raphaël comme modèle et de sculpter son portrait.

L’Homme d’argile est un premier film dont l’économie repose largement sur un étrange atout : l’acteur Raphaël Thiéry, venu sur le tard au cinéma à cinquante ans passé, révélé en 2016 pour Rester vertical. Avant d’être acteur, Raphaël Thiéry était musicien. 1 mètre 78, 115 kilos, l’homme a une trogne incroyable, dont la monstruosité est accentuée par le bandeau qui cache son œil borgne. Le cyclope a des mains d’étrangleur. Il m’a rappelé Ron Perlman.

Comme dans le conte de Perrault, la Bête nourrit pour la Belle une passion dévorante. Passion d’autant plus déchirante que la Bête se sait laide et qu’elle présume que son amour ne sera jamais payé de retour. S’ajoute ici une différence de classe infranchissable entre l’homme à tout faire qui n’a jamais quitté sa province et la riche artiste cosmopolite, dont les oeuvres avant-gardistes s’arrachent dans les expositions.

Pourtant une relation se noue entre ces deux êtres si dissemblables. Est-elle amoureuse ? Elle est en tout cas artistique. Garance prend Raphaël pour modèle. Et – la figure prémonitoire du Golem praguois nous en avait averti dès la première séquence – elle va créer avec l’argile collectée par Raphaël une créature à part entière, mi-terre mi-chair.

L’Homme d’argile souffre d’un paradoxe. Il est dans sa forme très modeste, tourné à l’économie sur un lieu quasi-unique, alors que son propos, qui convoque des catégories aussi intimidantes que l’Art et l’Amour, est trop écrasant.

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Sous le vent des Marquises ★☆☆☆

Alain (François Damiens) est une star de cinéma qui a consacré sa vie à son métier. Dans son dernier film, il interprète le rôle de Jacque Brel au crépuscule de sa vie, lorsque le chanteur décide d’abandonner la scène pour faire le tour du monde en bateau. Alain apprend qu’il est, comme Jacques Brel, atteint d’un cancer et qu’il doit être opéré sans délai. Cette découverte le conduit à quitter rapidement le tournage. Alain part en France retrouver sa fille (Salomé Dewaels), qui vit avec sa mère sur une île du golfe du Morbihan, qu’il se reproche d’avoir délaissée pour son travail.

Sous le vent des Marquises nous trompe sur la marchandise. Son titre et son affiche nous laissent escompter un film qui nous ferait voyager à l’autre bout du monde. Hélas, en guise d’exotisme, il ne nous offre guère que le golfe du Morbihan. Son sujet faussement original n’utilise les dernières années de la vie de Brel que comme un point de départ. Beaucoup plus banalement, il s’agit de raconter une relation père-fille compliquée comme on en a déjà vu treize à la douzaine.

Le film a un atout, François Damiens. Cet acteur sait aussi bien faire rire – il a commencé dans la comédie – que pleurer. Mais le film a un handicap rédhibitoire, Salomé Dewaels, jeune espoir frelaté. L’équilibre du film reposait sur l’alchimie entre ses deux acteurs principaux – qui se partagent très démocratiquement l’affiche. Or, l’actrice belge, révélée par Illusions perdues n’arrive pas à la cheville de son père de cinéma. Et ce n’est pas qu’une question de centimètres. Tout sonne faux dans son rôle d’adolescente (de vingt-deux ans !) en mal de père.

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La Tresse ★★☆☆

Laetitia Colombani, qui avait déjà signé plusieurs films, avant de prendre la plume, a elle-même adapté son premier roman. Publié en 2017, La Tresse a remporté un immense succès. Son adaptation, retardée par le Covid, lui est très fidèle. Elle se déroule sur trois continents et entrelace, comme le faisait déjà le roman, l’histoire de trois femmes.

Smita est une Intouchable. Elle vit dans le nord de l’Inde, avec son mari et sa fille. Elle n’a d’autre solution, pour que sa fille échappe à sa condition misérable, que de l’entraîner avec elle dans un long voyage vers une vie plus heureuse.

Giulia est une jeune fille rêveuse, passionnée de littérature. Son père dirige la dernière perruquerie de Sicile. Mais lorsqu’un accident de la route la plonge dans le coma, c’est à Giulia, qui vient de rencontrer Kamal, de prendre en main la destinée de l’entreprise familiale menacée de faillite.

Sarah est une brillante avocate canadienne qui a tout sacrifié à sa carrière. Elle élève seule les trois enfants qu’elle a eus de deux lits différents. Quand un cancer du sein l’oblige à abandonner son poste, son monde s’écroule.

J’avais lu avec beaucoup de retard La Tresse, à la fois appâté par et méfiant de son immense popularité. J’en avais trouvé les effets faciles ; mais je mentirais en n’avouant pas avoir versé ma petite larme. J’ai eu exactement la même réaction devant le film. Je ne l’ai pas vu à sa sortie fin novembre, dissuadé par des critiques abominables et l’avis de quelques amis de confiance. Mais, le voyant encore caracoler en haut du hit-parade et n’ayant plus guère de films serbo-moldaves en noir et blanc à me mettre sous la dent, je me suis trouvé bien snob de l’ignorer. Je suis allé hier soir dans une petite salle de la rue Mouffetard pleine à craquer de spectateurs et de spectatrices de tous âges dûment équipés en Kleenex qui en sont sortis ravis.

J’en ai eu moi aussi pour mon argent et j’ai versé ma larme, avec plus de discrétion j’espère que mes bruyants voisins. Pas une seule surprise néanmoins devant un film qui adapte fidèlement le livre, sa construction alternée – qui a l’avantage de soutenir l’attention et l’inconvénient de devenir un peu mécanique, comme le tempo métronomique d’une valse – ses personnages charismatiques, ses rebondissements jusqu’à son dénouement qu’on avait déjà deviné, avant même de lire le livre, à la seule lecture de son titre.

La Tresse est un hymne à la résilience. C’est aussi un hymne aux femmes. C’est enfin un tour du monde. Le film souligne chacun de ces éléments. Les personnages et les situations frisent la caricature. Les trois héroïnes réussissent vaillamment à se relever des pires échecs. La beauté des paysages filmés grand angle est amplifiée par la musique envahissante de Ludovico Einaudi.

La Tresse ne fait pas dans la nuance. Est-ce pour autant un mauvais film ? Je suis partagé. Tout dépend de la définition qu’on donne d’un « bon » film. Une question qu’il serait grand temps que je me pose alors que je suis sur le point de signer la 2867ème critique de ce blog. Un film qui tient le spectateur en haleine avec un scénario palpitant comme La Mort aux trousses ? Un film qui innove par sa façon de raconter une histoire ou de filmer ses acteurs comme Citizen Kane ? Un film qui exalte la beauté de ses stars comme Gilda ? Un film qui interroge la condition humaine comme 2001 ou La Liste Schindler ? Un film qui nous fait rire ? qui nous fait pleurer ?
« La principale règle est de plaire et de toucher. Toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première » disait Racine, qui doit se retourner dans sa tombe alors que j’utilise ses mots pour défendre La Tresse aujourd’hui et, qui sait, Les Tuche 5 demain.

La bande-annonce

Le bonheur est pour demain ★★☆☆

Sophie (Laetitia Casta) est en couple avec José, un toxico. Elle a eu un enfant avec lui. Mais quand elle croise Claude (Damien Bonnard), c’est le coup de foudre. Claude est un malfrat qui tombe bientôt pour homicide, après un braquage qui a mal tourné. En prison il attend son jugement et redoute une lourde peine. Mais ces obstacles pourtant dissuasifs n’empêchent pas Sophie de tout abandonner pour Claude.

Brigitte Sy a eu une vie étonnante. Actrice d’abord avant de passer derrière la caméra, elle a animé des cours de théâtre en prison, y a rencontré un détenu, en est tombée amoureuse et l’a épousé. Le fils qu’elle avait eu d’un premier lit avec le réalisateur Philippe Garrel, Louis Garrel, s’est d’ailleurs inspiré de cette histoire pas ordinaire dans son dernier film, L’Innocent – où une Anouk Grinberg irrésistible jouait le rôle de sa mère.

L’empressement d’insérer la mention légale « toute ressemblance avec des personnages existants serait purement fortuite » dès le début du générique atteste a contrario que son film puise dans une matière bien réelle, l’expérience de Brigitte Sy dans le milieu carcéral, sinon sa vie elle-même.

Laetitia Casta y est éblouissante. Voilà vingt-cinq ans qu’elle tourne au cinéma. C’est l’exemple, plutôt rare, du top model qui aura réussi à la perfection sa reconversion. Elle parvient, ce qui n’est pas une tâche facile, à faire oublier la beauté de ses traits et de ses formes. Même en jogging noir et hauts talons rouges (sic), elle est majestueuse.

Le film était menacé par un écueil : tomber en panne sèche, après l’emprisonnement de Claude. Une dose de thriller y instille à mi-parcours un rebondissement bienvenu. Autre atout du film, qui n’était pas strictement nécessaire à son économie mais qui n’en reste pas moins bienvenu : le personnage de la mère de Claude, une toxico séropo, interprété par Béatrice Dalle qui décidément, avec sa gouaille et son diastème (le mot du jour !), aura elle aussi marqué le cinéma français.

La bande-annonce

La Ferme des Bertrand ★★☆☆

Le dernier documentaire de Gilles Perret  (La Sociale) se déroule dans un lieu unique, la ferme des Bertrand, à Quincy, en Haute-Savoie, dans la vallée du Giffre. Mais il entrelace trois périodes. 1972 : trois frères, Jacques, André et Jean, filmés en tricot de peau, racontent sur FR3 les travaux qu’ils entreprennent pour moderniser l’exploitation laitière familiale. 1997 : Gilles Perret, dans son tout premier documentaire, Trois frères pour une vie, les retrouve vingt-cinq ans plus tard au moment de partir à la retraite et de céder la direction de l’exploitation à leur neveu Patrick, et à sa femme Hélène. 2022 : vingt-cinq ans ont à nouveau passé. Patrick est décédé. Hélène va à son tour partir à la retraite. Son fils, Marc, et son gendre, Alex, lui succèdent.

On pourrait dire que la sortie de ce film, alors que la colère des agriculteurs, sur leur juste rémunération et la mondialisation, gronde jusqu’aux portes de Paris, résonne avec l’actualité. Mais ce serait une facilité d’écriture. Car il n’y a aucune colère dans ce documentaire. Ni aucune revendication. C’est une surprise quand on sait l’engagement à l’extrême-gauche de son réalisateur, compagnon de route de Jean-Luc Mélenchon dont il a fait le portrait élogieux dans L’Insoumis et de François Ruffin (J’veux du soleil !, Debout les femmes !)

La Ferme des Bertrand ne nous montre pas, comme les fictions (Petit Paysan, Au nom de la terre…) ou les documentaires (Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettesSans adieu, Profils paysans, Bovines…) ont coutume de le faire, des paysans surendettés, exténués, au bord du suicide ou du dépôt du bilan. Il filme, en espérant que l’expression ne soit pas prise en mauvaise part, des agriculteurs heureux sinon prospères dont le lait est consacré à la fabrication de Reblochons [avec ou sans majuscule ?] et de Tomes de Savoie AOP.

Il ne verse pas pour autant dans l’angélisme ou dans le maurrassisme. Les difficultés du métier ne sont pas occultées : André, Jacques et Jean se sont condamnés au célibat pour travailler ensemble. Le sacrifice fut cruel. Ils en ont conscience, eux qui s’imaginaient une vie plus « normale » et n’avaient ni l’envie ni la vocation de rester à la ferme. Ils disent n’avoir pas eu le « choix ». Mais, au crépuscule de leur vie, ils ne sont pas amers. Au contraire, la fierté du travail bien fait affleure, ainsi que celle de la transmission à la génération suivante..

La génération suivante est reconnaissante du legs qu’elle a reçue de ses aînés. Elle ne leur ressemble pas  pour autant. La modernisation et la mécanisation ont eu du bon – et le documentaire ne se prive pas de décocher quelques piques aux « écolos » qui prêchent le contraire. Le travail reste dur et astreignant. Mais les cadences ont diminué. Et une vie de famille normale est désormais possible, qui se paie le luxe d’une semaine de vacances, interdite aux anciens.

La Ferme des Bertrand est un documentaire sur le passé tourné vers le futur. André, une vraie trogne de cinéma, la moustache de Jean Rochefort et la bouille de Jean Lefebvre, traverse les trois périodes. Il est dans la force de l’âge en 1972, pré-retraité en 1997, vieillard courbé par les ans en 2022, endeuillé par la mort brutale de ses deux frères. Mais il garde toujours une foi indéfectible dans le progrès. C’est la clé, selon lui, de la réussite, autant que de la réduction de la pénibilité du labeur agricole. Gilles Perret fait sien ce point de vue pas vraiment ecofriendly. Son film commence par la présentation d’un curieux robot qui remplacera Hélène dans sa tâche quotidienne : la traite des vaches.

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Captives ★★☆☆

Fanni (Mélanie Thierry) feint la folie pour entrer au pavillon des aliénés de La Salpêtrière en 1894 afin d’y retrouver sa mère qui y aurait été enfermée trente ans plus tôt. Mais elle va bientôt se retrouver prisonnière d’un système carcéral inhumain qui cherche moins à soigner les malades qu’à les opprimer.

Il faut reconnaître à Arnaud des Pallières, dont la dernière réalisation, Journal d’Amérique, m’avait pour le moins dérouté, un certain talent pour planter un décor et raconter une histoire. Le décor, c’est l’asile de fous de La Salpêtrière à la toute fin du dix-neuvième siècle. Charcot vient de mourir. Ses travaux sur l’hystérie sont en train de révolutionner la médecine. Mais on y perpétue encore des pratiques barbares. Parmi celles-ci, le « bal des folles » organisé chaque année pour satisfaire la curiosité malsaine du tout-Paris et lever des fonds pour l’hôpital.
L’histoire, c’est celle, pour le moins rocambolesque, d’une femme qui, à l’insu des siens, se laisse enfermer, au risque d’y demeurer recluse à jamais, dans l’asile où elle suspecte sa mère disparue d’avoir été cloîtrée. Sans doute un esprit rationnel aurait-il eu recours à une autre stratégie : solliciter la police ? mobiliser la presse ? recruter un détective privé ? Mais, si tel avait été le cas, le film aurait perdu de son piquant.

Toujours est-il que cette idée de départ nous permet de pénétrer à l’intérieur de La Salpêtrière, en suivant notre héroïne dans un long plan-séquence filmé en très gros plan, qui souligne l’horreur des lieux. Elle y fera vite la rencontre de personnages hauts en couleur : des gardiennes sadiques et des malades avec lesquelles se créera une réconfortante sororité. Pour les interpréter, Arnaud des Pallières a convoqué le gratin du cinéma français : Carole Bouquet – qu’on n’avait plus vue depuis longtemps aussi majestueuse -, Josiane Balasko, Marina Foïs dans un rôle qui rappelle celui qui valut l’Oscar de la meilleure actrice à Louis Fletcher dans Vol au-dessus d’un nid de coucou, Yolande Moreau, Elina Löwensohn, l’égérie de Bertrand Mandico, Lucie Zhang, la révélation des Olympiades, etc.

Captives a un défaut. Il marche sur les traces de deux films qui racontaient exactement la même histoire : Augustine, dont l’héroïne était une aliénée (Sonko) traitée par le professeur Charcot (Vincent Lindon) et Le Bal des folles de et avec Mélanie Laurent, adapté de l’excellent premier roman de Victoria Mas, sur lequel le scénario de Captives semble avoir été copié au risque du plagiat.

La bande-annonce