Les Repentis ★★☆☆

Le titre original de ce film est Maixabel, du prénom de son héroïne. Il est inspiré de son histoire. Maixabel Lasa est la veuve de Juan María Jáuregui, qui fut le gouverneur civil – l’équivalent d’un préfet en France – de la province basque de Guipúzcoa de 1994 à 1996 avant d’être assassiné par l’ETA le 29 juillet 2000 à Tolosa. Onze ans plus tard, après avoir rompu avec l’ETA, deux de ses assassins souhaitèrent rencontrer sa veuve.
La réalisatrice Icíar Bollaín (Yuli, L’Olivier) en a tiré un film qui a remporté un énorme succès en Espagne. Douze fois nommé aux Goyas – l’équivalent de nos Césars – il y a décroché trois statuettes dont celle de la meilleure actrice pour Blanca Portillo.

Les Repentis évoque l’une des pages les plus sensibles de l’histoire espagnole. Il n’est d’ailleurs pas toujours lisible à qui ne la connaît pas un peu. Auraient mérité quelques explications les allusions au procès de Burgos de 1971, intenté par le régime franquiste déliquescent contre seize membres de l’ETA qui a galvanisé le mouvement nationaliste, aux GAL, les milices paramilitaires qui, en dehors de tout cadre légal, ont combattu l’ETA dans les 80ies, à l’affaire Laza et Zabala du nom des deux premiers membres de l’ETA enlevés, torturés et assassinés par les GAL en 1983 et au général Galindo, un haut gradé de la Guardia Civil responsable de ces deux meurtres.

Mais Les Repentis a une portée universelle. Il traite de la culpabilité et du pardon, des conditions dans lesquelles les coupables la reconnaissent et le sollicitent de leurs victimes, des conditions aussi dans lesquelles celles-ci sont disposées à l’accorder.
Car il faut autant de courage à Maixabel qu’aux assassins de son mari pour accepter cette rencontre. Les assassins de l’ETA se voient reprocher par leurs camarades de détention de trahir leur lutte et leur idéal. Quant à Maixabel, elle doit elle aussi vaincre la réprobation de son entourage qui lui reproche de tendre la main aux assassins de son mari.

La rencontre tant attendue est peut-être moins intéressante que ce long processus qui y conduit. Mais elle ne constitue pas le point d’orgue du film. Les Repentis réussit à nous surprendre par un épilogue poignant, hymne à l’humanité, au pardon et à la réconciliation auquel seuls les plus acariâtres reprocheront sa bien-pensance.

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Armageddon Time ★★☆☆

Paul Graff a onze ans. Il grandit dans le Queens, un quartier de New York, au sein d’une famille juive ashkénaze (son arrière-grand-mère a fui les pogroms d’Ukraine) qui se réunit régulièrement autour de grandes tablées bruyantes. Paul est couvé par sa mère (Anne Hathaway) mais élevé à la dure par son père (Jeremy Strong). Il est profondément attaché à son grand-père (Anthony Hopkins). Ecolier rêveur, plus doué pour le dessin que pour les matières académiques, il fait son entrée au collège et s’y lie immédiatement d’amitié avec Johnny, un jeune redoublant noir élevé par sa grand-mère grabataire.

James Gray est sans doute un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération. Chacun de ses films depuis près de trente ans a fait l’événement : Little Odessa, The Yards, Two Lovers, La nuit nous appartient, The Lost City of Z

Armageddon Time est, à ce jour, son oeuvre la plus autobiographique. Il y raconte sa pré-adolescence, au début des années 80, juste avant l’élection de Ronald Reagan qui, pour ses parents, électeurs démocrates convaincus, sonnait le glas de l’apocalypse nucléaire (c’est ainsi que s’éclaire non sans mal le titre cryptique du film sur lequel a été mixé le titre paronyme de The Clash, face B du single London Calling, Armagideon Time, nourri d’une colère rentrée).

Qu’un réalisateur raconte son enfance est décidément monnaie courante. Quentin Tarantino (Once Upon a Time… in Hollywood) et Paul Thomas Anderon (Licorice Pizza) viennent de le faire. Fellini (Amarcord) et Coppola (Peggy Sue s’est mariée) l’avaient fait avant eux.

Le problème est que le genre est désormais galvaudé et manque d’originalité. C’est bien là le principal défaut d’Armageddon Time.
Bien sûr, il est remarquablement scénarisé, remarquablement interprété (une mention spéciale au jeune Banks Repeta à l’aube, on l’espère, d’une longue carrière et à Anthony Hopkins au crépuscule de la sienne), remarquablement éclairé par le grand chef op’ Darius Khondji. On ne s’y ennuie pas une seconde, même s’il progresse à un rythme de sénateur et traverse à mi-parcours un ventre mou. Mais ses rebondissements, dont on ne peut rien dire, sont tellement prévisibles qu’ils perdent tout intérêt.

Armageddon Time ne se limite toutefois pas à une nostalgique chronique familiale et à un récit d’apprentissage comme on en a tant vus. Il se double en effet d’une analyse très intelligente et, elle, plus originale, du défi rencontré par les deux minorités, juive et noire, à trouver leur place dans l’Amérique de Ronald Reagan et de Donald Trump.

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Pacifiction : Tourment sur les îles ☆☆☆☆

Le haut-commissaire en Polynésie française, M. De Roller (Benoît Magimel) sillonne Tahiti et les îles avoisinantes à la rencontre de la population pour faire le clair sur une rumeur persistante : la reprise imminente des essais nucléaires.

Albert Serra est un réalisateur inclassable du cinéma européen. Ses précédents films, dont l’affèterie revendiquée m’avait rebuté (La Mort de Louis XIV, Liberté), ont emprunté leur sujet à l’histoire et se déroulaient en Europe. Changement radical avec ce tournage en Polynésie française et cette fiction censée se dérouler de nos jours.

Le cinéma n’a pas souvent filmé la Polynésie française, depuis Les Révoltés du Bounty qui a laissé sur place Marlon Brando qui y prit femme et y acheta un atoll. De mémoire, je ne pourrais guère citer que Gauguin, tourné aux Marquises sur les lieux mêmes des dernières années du peintre de Pont-Aven, dans un décor plus vénéneux que paradisiaque.
Pacifiction présente l’immense attrait de donner à voir des paysages magnifiques : l’île de Moorea telle qu’on la voit depuis les quais de Papeete, les rouleaux intimidants de Teahupoo qui attirent les surfeurs du monde entier (et où les épreuves de surf de Paris2024 seront curieusement délocalisées). Mais c’est bien là, de mon point de vue, le seul attrait d’un film qui m’a laissé sur le bord du chemin.

Pourtant, Jacques Mandelbaum du Monde le tient pour un chef d’oeuvre et déjà deux de mes amies de la blogosphère, qui comme moi s’y sont ruées dès sa sortie, ne tarissent pas d’éloges. Ils n’ont pas tort de vanter la composition de Benoît Magimel et de souligner combien l’atmosphère du film est envoutante.

Pour me laisser envouter, encore aurait-il fallu que je me laisse embarquer. Ce ne fut pas possible. La faute à mon rationalisme à deux sous et mon besoin d’un minimum de crédibilité.

Qu’Albert Serra ait voulu écrire une satire du pouvoir – à supposer que ce fut son objectif ce dont rien ne permet d’être certain – il en avait le droit. Qu’il ait voulu pour ce faire donner le rôle principal de Pacifiction au représentant de l’Etat en Polynésie française – qui, dans cette collectivité d’outre-mer, porte le titre de haut-commissaire alors qu’il porte celui de préfet dans les cent-un départements de métropole et d’outre-mer – pourquoi pas ? Mais cela suppose au minimum que le personnage interprété par Benoît Magimel de rentrer dans le costume sinon dans l’uniforme préfectoral.

J’ose à peine imaginer l’effarement de l’actuel haut-commissaire à Papeete, ou de son prédécesseur que j’ai eu la chance de connaître, ainsi que de tous les sous-préfets qui l’entourent devant ce film ! Comment imaginer qu’un préfet traîne dans une Mercedes aux plaques rouges en costume blanc de souteneur marseillais dans des boites de nuit interlope au bras d’un Mahu ? L’agenda d’un préfet est surchargé. Il passe la plupart de ses journées en réunion à son bureau et se déplace dans son département selon un protocole millimétré, avec plusieurs collaborateurs et les autres services de l’Etat. Il n’a pas le temps ni la liberté de traîner dans les bars louches. Comment oser lui faire tenir devant des élus locaux sur le ministre et sur le Président les propos qu’on met dans sa bouche ? Comment penser un seul instant qu’il ne soit pas au courant d’un éventuel, et abracadabrantesque, projet de reprise des essais nucléaires qu’un amiral – qui porte la casquette et les galons d’un capitaine de vaisseau – lui cacherait à partir d’un sous-marin mystérieusement caché au large ?

On me dira que j’ergote. On aura peut-être raison. J’aurais dû lâcher prise, ne pas m’arrêter à ses détails administratifs pour me laisser envouter. Il l’aurait fallu pour supporter ce film obèse de près de trois heures qui aurait pu durer le double ou la moitié sans que rien ne change dans l’ersatz d’histoire qu’il esquisse.

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Jacky Caillou ★☆☆☆

Jacky Caillou vit dans les Alpes auprès de sa grand-mère, une magnétiseuse. Il apprend d’elle les secrets de ses pouvoirs. Une citadine et son père viennent la consulter pour une maladie de peau. Un loup hante les bois avoisinants et tue les brebis.

Jacky Caillou appartient à un courant original du cinéma français : le fantastique rural. Ce n’est pas le premier film du genre : Petit Paysan l’avait tangenté avec le succès que l’on sait (César du meilleur acteur et du meilleur premier film en 2018), puis La Nuée et Teddy avaient creusé ce sillon étonnant. Il s’agit, si l’on en suit le cahier des charges, de distiller une dose de fantastique dans un récit naturaliste qui se déroule dans un milieu retiré sinon hostile.

Il y a plusieurs degrés dans le cinéma fantastique. Le plus vulgaire joue sur nos peurs primales : peur du noir (les fantômes), peur de la mort (les zombies), peur de la sexualité (les loups-garous)…. Plus subtil celui qui ne va pas dans ce registre là et qui se borne à distiller un malaise, à faire douter du monde qui nous entoure, à lui ajouter une dimension qu’il n’a pas. C’est là que se situe Jacky Caillou.

Le problème de ce sous-genre là est son manque de crédibilité. Jacky Caillou voudrait nous faire croire qu’un rebouteux peut guérir une jeune femme lycanthrope. Il faut donc, à rebours de toute raison accepter qu’une jeune femme puisse se transformer en loup et qu’un magnétiseur puisse la guérir ce sort. C’est beaucoup. C’est trop. Le charme incandescent de Lou Lampros (remarquée dans Ma nuit) et le talent de la révélation Thomas Parigi (dont le physique d’un bloc rappelle celui de Anthony Bajon) ne suffisent pas à donner de la chair à cette histoire d’amour.

Tout se résume à l’affiche du film et aux sentiments qu’elle inspire : d’autres que moi lui trouveront peut-être une sauvage beauté, un charme mystérieux. J’avoue que je la trouve au contraire un peu ridicule.

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Couleurs de l’incendie ★★★☆

La mort de son père laisse Madeleine Pericourt (Léa Drucker) à la tête d’une fortune. Mais son manque d’expérience l’oblige à se reposer sur son entourage : son homme de confiance (Benoît Poelvoorde), son oncle (Olivier Gourmet), le précepteur de son fils (Jérémy Lopez), sa dame de compagnie (Alice Isaaz), son chauffeur (Clovis Cornillac)…
Bien vite, les masques tomberont et Madeleine se retrouvera ruinée et à la rue, avec un fils grabataire. Mais Madeleine est bien décidée à se venger.

On avait tous adoré en 2013 Au revoir là-haut, le roman haut en couleurs de Pierre Lemaître, auquel les jurys du Goncourt avaient eu le nez creux de décerner leur prix prestigieux, n’en déplaise aux grincheux qui leur reprochent leur élitisme ou leur compromission avec Galligrasseuil. On avait tous aimé en 2017 la flamboyante adaptation qu’en avait tirée Albert Dupontel, elle aussi couverte de prix (cinq Césars en 2018). Ce double succès critique et public ne pouvait avoir qu’une seule issue : l’écriture d’une suite… et son adaptation au cinéma.

Albert Dupontel ne s’y est pas collé cette fois-ci, laissant la place à Clovis Cornillac, un solide acteur qui a parfois gâché son talent dans des films niaiseux, mais qui est aussi un solide réalisateur. Il s’est entouré de la fine fleur du cinéma français. Il n’a pas lésiné sur les moyens : le budget du film, produit par Gaumont, s’élève à seize millions. La reconstitution des années Trente est impeccable : il ne manque aucune traction avant dans les rues de Paris (on reconnaît la rue Le Goff dans le cinquième, la place saint Georges dans le neuvième, la Cour de cassation dans le premier et bien sûr le Grand Escalier de l’Opéra Garnier) et aucun bouton de manchette aux riches toilettes des personnages.

La trame du roman est scrupuleusement respectée. Son histoire est abracadabrantesque, renouant avec les grands romans populaires à feuilleton d’Eugène Sue ou d’Alexandre Dumas. Je reproche souvent aux scénarios leur manque de crédibilité et le manichéisme de leurs personnages. Pourquoi ne le fais-je pas ici ? Parce que ce manque de crédibilité et le manichéisme des personnages font partie en quelque sorte de ce genre et on les y accepte plus aisément.
On se laisse happer par ce récit enthousiasmant et profondément moral où les Gentils finissent toujours par l’emporter sur les Méchants. On n’a qu’un seul regret : que le film, qui dure pourtant deux heures et quart bien sonnées, ne soit pas plus long. Couleurs de l’incendie aurait fait une parfaite série de six fois une heure, dont on aurait dévoré les premiers épisodes en attendant impatiemment les suivants.

Vivement l’adaptation du troisième tome de ce cycle romanesque : Miroir de nos peines !

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Amsterdam ★★☆☆

Dans l’Amérique des années trente, trois vétérans de la Première Guerre mondiale, un médecin en rupture de ban (Christian Bale), un avocat noir (John David Washington) et la sœur d’un milliardaire (Margot Robbie) enquêtent sur un double meurtre.

Amsterdam est un film déroutant.
C’est une superproduction hollywoodienne de plus de deux heures qui ne mégote pas sur son budget. Sa reconstitution des années trente est luxueuse ; ses décors et ses costumes sont une merveille pour l’œil. Sa distribution rassemble le Gotha du cinéma américain dans des seconds rôles : Robert De Niro, Rami Malek, Michael Shannon, Anna Taylor-Joy, Zoe Saldana, Matthias Schoenaerts, etc.

Mais c’est surtout un scénario foutraque qui part dans tous les sens, sans rime ni raison. On dirait une adaptation d’un roman foisonnant de cinq cents pages dont les scénaristes se seraient refusés à sacrifier tel ou tel passage. Mais il n’en est rien : il s’agit bien d’un scénario original du réalisateur David O. Russell, coutumier du genre, qui avait signé Fighter (l’histoire de deux frères boxeurs) (2010), Happiness Therapy (avec le couple mythique Bradley Cooper – Jennifer Lawrence) (2012) ou American Bluff (2013) qui versait déjà dans le grand n’importe quoi.

Dans ce grand-huit sans queue ni tête, les acteurs s’en donnent à cœur joie, à commencer par Christian Bale, excellent comme toujours, grimé en médecin sous acide. Margot Robbie est elle aussi, comme d’habitude, renversante de beauté. S’il existait un prix de l’actrice la plus belle du monde, elle l’emporterait haut la main.

Mais une distribution aussi brillante soit-elle ne suffit pas à faire un bon film. Amsterdam voudrait nous faire croire que des groupuscules nazis ont essayé de prendre le pouvoir aux États-Unis dans les années Trente – ce qui n’est pas absolument faux sans être tout à fait vrai. Sur cet arrière-plan historique, Amsterdam raconte une banale histoire d’amitié qui louche du côté de Jules et Jim.

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Vous n’aurez pas ma haine ★☆☆☆

On se souvient tous que trois jours après l’attentat du Bataclan, Antoine Leiris avait posté sur Facebook un texte poignant. Sa compagne, la mère de son petit garçon, âgé d’un an à peine, venait de décéder. Aux auteurs de l’attentat, il écrivait : « Vendredi soir vous avez volé la vie d’un être d’exception, l’amour de ma vie, la mère de mon fils mais vous n’aurez pas ma haine. (…) Alors non je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr. Vous l’avez bien cherché pourtant mais répondre à la haine par la colère ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. Vous voulez que j’aie peur, que je regarde mes concitoyens avec un oeil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. Perdu »
Quatre mois plus tard, il publie chez Fayard un court essai dans lequel il raconte les douze premiers jours « d’une vie à trois qu’il faut poursuivre à deux ». Succès de librairie immédiat.

Son adaptation au cinéma est une fausse bonne idée. Bien sûr, elle parie sur la notoriété de son auteur et de son texte, espérant attirer une audience captive de lecteurs curieux. Le pari ne va pas de soi : tous les lecteurs d’Antoine Leiris iront-ils voir ce film ? Leur émotion n’aura-t-elle pas déjà été entamée par les autres films consacrés aux attentats du 13 novembre 2015 dont les hasards de la programmation provoquent la sortie en masse ces dernières semaines : Revoir Paris avec Virginie Efira, Novembre avec Jean Dujardin ?

Fidèle au livre, Vous n’aurez pas ma haine suit pas à pas Antoine depuis le matin de ce funeste vendredi 13 dont on sait par avance que ce sera le dernier qu’il partagera avec sa femme. On le scrute, avec un voyeurisme malaisant, tandis qu’il apprend les fusillades au Stade de France puis au Bataclan, comme nous l’avons tous fait ce soir-là et comme nous en avons tous gardé le souvenir si précis. Mais on sait que l’inquiétude vite levée que nous avons tous plus ou moins vécue aura pour lui des suites autrement dramatiques. On le suit ensuite durant les jours qui suivent les attentats entamer avec résilience un long deuil, entouré de la sollicitude de ses proches, avec son fils désormais orphelin.

L’écriture de ce texte soulevait deux questions intéressantes : pourquoi Antoine Leiris l’a-t-il écrit ? quelles conséquences a-t-il eues sur sa vie ?
Hélas le film ne répond ni à l’une ni à l’autre. Ou bien il y répond mal. Ou bien encore les réponses qu’il y donne sont d’une telle banalité qu’elles n’ont aucun intérêt.

On ne saura rien du passé d’Antoine Leiris sinon qu’il était encalminé dans l’écriture d’un roman qui n’avançait pas. On ne saura pas ce qui l’a incité à écrire ce texte sur Facebook. Il dira plus tard l’avoir écrit d’un trait durant la sieste de son fils. On ne saura pas surtout ce qui l’a incité à y faire preuve d’une si grande magnanimité à l’égard des assassins de sa femme. Car c’est bien là le point le plus intéressant de ce texte, sur lequel le film ne nous dit rien : qu’y avait-il, dans la vie d’Antoine, dans ses engagements politiques, dans sa philosophie de vie, qui l’a incité à faire preuve d’une telle lucidité et d’une telle intelligence ?

On ne saura guère plus des conséquences de la publication de ce texte et de la soudaine notoriété qu’elle a conférée à Antoine Leiris. On le voit faire la tournée des plateaux. Il est désormais reconnu dans la rue par des inconnus. Et après ?

Faute de creuser ces sujets-là, Vous n’aurez pas ma haine s’enlise dans un pathos sirupeux, certes efficace (il faut avoir un cœur de pierre pour ne pas verser sa larme) mais sans grand intérêt.

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Seule la joie ☆☆☆☆

Sascha, la quarantaine bien entamée, a fui la vie convenue d’une petite ville du Brandebourg, son mari et son fils, pour s’installer à Berlin. Elle travaille dans une maison close. Elle y accueille une nouvelle venue, Maria, plus jeune qu’elle d’une quinzaine d’années, le corps couvert de tatouages, les aisselles velues en diable. Entre les deux femmes, l’attraction est immédiate.

Lors du débat qui a suivi la projection du film au Saint-André des Arts vendredi soir, la réalisatrice allemande Henrika Kull a évoqué son long travail d’enquête dans les bordels en Allemagne – où les maisons closes, fermées en France depuis 1946, sont autorisées. Comme Emma Becker, dans son livre La Maison (dont l’adaptation au cinéma sortira le 16 novembre), Henrika Kull est réglementariste. Elle considère que la prostitution n’a pas à être prohibée, qu’elle peut être autorisée, qu’il s’agit d’un métier comme un autre à condition de respecter certaines règles et que la stigmatisation qui l’entoure n’a pas lieu d’être.

Cette position est parfaitement respectable, même si on ne la partage pas. Elle aurait pu fort bien constituer l’axe central d’un documentaire consacré à ces maisons, aux femmes qui y travaillent et aux clients qui les fréquentent.
Mais Henrika Kull a choisi la voie de la fiction. Et c’est là que le bât blesse. Car cette fiction n’a pas pour sujet principal la prostitution légalisée. Elle traite d’une histoire d’amour qui se déroule dans un bordel. Le message est celui-ci : deux travailleuses du sexe, dont le métier doit être considéré comme banal, ont le droit de s’aimer de la même façon que, disons, deux caissières de supermarché ou deux inspectrices des finances.

Le problème est que la fiction part d’un postulat qu’elle ne prend pas la peine de démontrer. Elle postule que travailler dans une maison close est un métier comme un autre, avec son lot de déconvenues (des clients parfois border line) et de gratifications (la chaleureuse sororité entre les « filles »). Je ne dis pas que ce postulat soit faux – même si j’ai mon opinion sur le sujet. Mais je dis qu’il mérite d’être démontré.

Le second problème, et non des moindres, est l’histoire d’amour que Seule la joie raconte. Elle réunit deux femmes que tout oppose, une Allemande et une Italienne, une blonde et une brune, une quadragénaire et une jeune trentenaire. Cette histoire est convenue. Peut-être l’intention de la réalisatrice est-elle de montrer que les histoires d’amour dans les maisons closes sont en tous points identiques à celles qui naissent en dehors. Mais elle parvient si bien à dérouler le cycle ennuyeux du coup de foudre, des querelles amoureuses, de la séparation et des réconciliations que son objectif paradoxal est atteint : vider de tout intérêt l’histoire qui nous est racontée.

Sur ce sujet tabou, sans remonter à Buñuel (Belle de jour), Godard (Deux ou trois choses que je sais d’elle, Vivre sa vie) ou Bonello (L’Appolonide), on préfèrera dans les sorties récentes Party Girl, Filles de joie et surtout Une femme du monde.

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Harka ★☆☆☆

Ali est un jeune Tunisien qui ne se voit pas d’avenir, sinon celui de traverser la Méditerranée à la recherche d’une vie meilleure. En rupture de ban, il a abandonné le foyer familial pour squatter une maison en construction. Il gagne sa vie chichement en vendant de l’essence de contrebande. La mort de son père et la défection de son frère aîné l’obligent à revenir vivre avec ses deux sœurs cadettes et à renoncer à ses projets d’émigration. Pour leur éviter la saisie de leur maison et réunir la somme nécessaire au remboursement des dettes de son père, Ali doit franchir les limites de la légalité.

Dans le dossier de presse, le réalisateur Lotfy Nathan explique le double sens du titre. « Harka » dit-il désigne d’une part l’immolation par le feu, comme celle de Mohamed Bouazizi en décembre 2010, à Sidi Bouzid où Harka a été tourné. Ce suicide, on s’en souvient, fut l’étincelle qui provoqua le Printemps arabe en Tunisie, la fuite de Ben Ali et l’instauration d’une fragile démocratie qui vient de connaître à l’été 2021 un virage autoritaire à l’instigation du Président de la République Kaïs Saïed. « Harka » désigne d’autre part un migrant qui traverse illégalement la Méditerranée.

Ces deux destins aussi désespérés l’un que l’autre semblent être les seuls offerts au jeune Ali, que le réalisateur a chargé de symboliser à lui seul l’impasse la jeunesse tunisienne. Dans le rôle, la révélation Adam Bessa, de tous les plans, porte le film avec une incandescence fiévreuse.

Un moment, on pressent que la chronique sociale va verser dans le polar lorsqu’Adam prend le chemin de la frontière libyenne pour en ramener de l’essence de contrebande. Mais dans son dernier tiers, le film retrouve son lit. Il se hâte lentement vers un dénouement qui nous surprend d’autant moins qu’on l’avait fatalement pressenti.

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Le Serment de Pamfir ★★☆☆

Pamfir est un colosse qui a quitté son village en Ukraine, dans les Carpates, à la frontière de la Roumanie, pour aller s’employer en Pologne. La région vit de la contrebande ; mais, après un événement dramatique qui l’a brouillé avec son père, Pamfir a fait le serment de tourner le dos à cette vie-là.
Pamfir fait la surprise à sa femme, Olena, et à son fils, Nazar, de revenir au village au moment du carnaval qui s’y déroule chaque année. Mais par la faute de Nazar, qui cherchant par tous les moyens à retenir ce père absent, met le feu à l’église de la paroisse, Pamfir se voit obligé de prolonger son séjour et, pour racheter la dette qu’il a contractée auprès de M. Oreste, le parrain du village, de renouer avec un commerce qu’il réprouve.

Deux semaines après R.M.N. sort en salles un film qui semble avoir été tourné sur l’autre versant de la même montagne qui sépare la Roumanie de l’Ukraine. De part et d’autre de ces monts froids et embrumés vivent les mêmes communautés attachées à leurs traditions, dures à la tâche, impitoyables avec qui veut dévier de l’ordre établi. Il en a déjà cuit aux Roumains modernistes et libéraux, héros de R.M.N. qui ont essayé d’accueillir des travailleurs immigrés sri lankais. Le même sort attend Pamfir, dans un récit qui convoque la tragédie grecque et les contes folkloriques de la Bucovine.

Comme avec R.M.N., on est happé par un récit haletant, mené sabre au clair, dont on pressent par avance l’issue tragique. On est fasciné par l’extraordinaire virtuosité de chaque plan, au point parfois de friser l’overdose et de souhaiter secrètement que le réalisateur et son cadreur s’abstiennent de vouloir à tout prix nous démontrer leur talent.

Manque peut-être à ce Serment, si on continue de le comparer à R.M.N., une scène maîtresse comme celle qui réunissait tous les habitants du village de R.M.N. pour décider du sort de ces émigrés. Dans Le Serment, il s’agira peut-être de celle où Pamfir combat à mains nues la douzaine de sicaires aux ordres de M. Oreste dans un combat perdu d’avance ou bien de celle où, avec trois acolytes, il traverse les bois en petites foulées pour tromper la surveillance des gardes-frontières.

Mais les deux films ont le même défaut. Leur scénario se termine sans qu’on en comprenne clairement l’issue, comme si quelques plans avaient été coupés qui en auraient rendu le dénouement plus intelligible. Dommage…

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