Close ★★★☆

Léo et Rémi sont amis depuis l’enfance. Ils partagent tout : les mêmes jeux, les mêmes rires, les mêmes repas, une fois chez l’un, une fois chez l’autre, jusqu’aux nuits qu’ils passent ensemble dans le même lit… Mais avec l’entrée au collège et l’adolescence, le regard qui pèse sur eux corrompt leur relation.

Pendant plusieurs semaines, la bande-annonce de Close a précédé, jusqu’à l’indigestion, chaque film distribué dans le circuit UGC ou MK2. Elle révèle sans en rien cacher tous les pans de la première partie du film et fait naître une interrogation : quelle histoire nous racontera Close ? celle de deux adolescents homosexuels en butte à l’hostilité de leurs camarades de classe et qui auront le courage de s’aimer malgré tous les obstacles ? ou au contraire, dans une version moins heureuse, celle de l’implacable corrosion d’une amitié amoureuse qui ne résistera pas à la pression du groupe ?

Ni l’une ni l’autre. Close s’engage de façon surprenante dans une tout autre direction. On n’en dira pas plus pour ménager le choc que cette bifurcation sidérante provoque.

Close est le deuxième film de Lukas Dhont, un jeune réalisateur belge âgé de trente ans à peine et beau comme un Dieu. Son premier film, Girl, avait obtenu la Caméra d’or à Cannes en 2018. Il aura laissé à tous ceux qui l’ont vu une marque profonde. Il est probable que ce soit le cas aussi de Close, Grand Prix du jury qui, dit-on, a manqué de peu la Palme d’Or – attribuée cette année à Sans filtre.

On peut certes lui reprocher un certain maniérisme. Sa caméra est collée aux acteurs et refuse tout plan large, accroissant le sentiment d’étouffement. Elle filme avec complaisance ces deux charmants bambins qui courent dans les champs sous une douce lumière crépusculaire ou pédalent sur leurs vélos. Voulant filmer des émotions tues, Lukas Dhont se condamne à accumuler les métaphores sursignifiantes : un hockeyeur qui chute jusqu’à l’épuisement, un poignet brisé qui cicatrise…

Pour autant, Close est poignant. Cette réussite est due à ses deux jeunes héros qui, comme celui de Girl, impressionnent la pellicule de leur ambiguïté pré-adolescente. Mais il la doit au moins autant aux deux actrices qui interprètent les rôles des deux mères. Sans maquillage, assumant leur quarantaine bien frappée, elles sont l’une et l’autre impressionnantes de maîtrise. Depuis Rosetta, Emilie Dequenne m’émeut dans chacun de ses films (même si ses choix n’ont pas toujours été avisés) : La Fille du RER, À perdre la raison, Les Hommes du feu, Chez nous, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait…. Je lui trouve une sincérité poignante – et la voix de Virginie Efira ce qui ne gâche rien. Son rôle n’est pourtant pas simple ; mais elle réussit à en interpréter les douloureuses contradictions avec une pudeur bouleversante.

La bande-annonce

Mascarade ★★★★

« La Côte d’Azur est une région très triste. Les très riches s’y ennuient ; les riches font semblant d’être très riches ; et tous les autres crèvent de jalousie »
Adrien (Pierre Niney) est un ancien danseur professionnel devenu gigolo après un accident de moto. Il vit dans une luxueuse villa près de Nice aux crochets de Martha (Isabelle Adjani), une immense actrice de cinéma et de théâtre sur le retour.
Margot (Marine Vacth) est une entraîneuse qui cherche désespérément à sortir de son état grâce aux hommes qu’elle séduit et qu’elle arnaque. Dans son collimateur : Simon (François Cluzet), un riche promoteur immobilier.

Le cinéma de Nicolas Bedos est décidément toujours aussi réjouissant. Après Monsieur et Madame Adelman, après La Belle Époque et sans parler du troisième OSS117, un impersonnel film de commande, le voici au sommet de son talent avec un film d’un romantisme échevelé, d’une drôlerie acide, d’un machiavélisme diabolique et d’une folle énergie.

Il est servi par un quatuor d’acteurs magistral. Pierre Niney est un elfe toujours aussi séduisant ; François Cluzet n’a jamais été aussi solide ; mais ce sont les deux héroïnes qui surprennent et enthousiasment. Isabelle Adjani a le culot de s’auto-parodier en diva hystérique et cougar, rongée par la peur de vieillir. On tremble à l’idée que le rôle aurait pu être confié à Isabelle Huppert, qu’on voit beaucoup trop, et on se réjouit qu’Isabelle Adjani qu’on voit trop peu, l’ait accepté.
Mais celle qui emporte les suffrages, c’est Marine Vacth, dans un rôle qui rappelle ceux que Dora Tillier interpréta dans les précédents films de son ex-compagnon. La jeune actrice, révélée depuis plus de dix ans par Cédric Klapisch et François Ozon (son interprétation dans Jeune et Jolie lui valut le César du meilleur espoir féminin en 2014), mais encalminée dans des seconds rôles, trouve ici peut-être le rôle qui fera rebondir sa carrière. Elle y est tour à tour sublime, indomptable, fragile et bouleversante.

Le génie de Nicolas Bedos tient à une construction très savante mais parfaitement lisible d’un film qui s’organise autour du procès de Simon pour un crime dont on découvrira progressivement les circonstances dans une série de flashbacks.
Il tient aussi à la complexité de l’intrigue – qui s’enrichit pour notre plus grand délice d’un ultime rebondissement – et à l’épaisseur des personnages, jusqu’aux plus secondaires (ainsi de Laura Morante dans le rôle d’une ancienne maîtresse d’Adrien, séduite quand elle était la propriétaire établie d’un palace puis quittée une fois ruinée ou d’Emmanuelle Devos dans celui de l’épouse vieillissante et trompée de Simon). Comme dans La Règle du jeu de Jean Renoir – si on m’autorise cette comparaison flatteuse – tout le monde a ses raisons dans Mascarade. Aucun personnage n’est tout blanc ni tout noir. Longtemps après la séance, leurs attitudes continuent à nous interroger et suscitent le débat. C’est la marque des meilleurs films.

La bande-annonce