La Justice est une institution. La justice est une valeur. En interrogeant une vingtaine de magistrats, Robert Salis a cherché à comprendre comment l’institution, malgré ses procédures et ses lenteurs, servie par les hommes et les femmes qui la composent, réussissait au jour le jour à ne pas trahir ces valeurs.
Le titre est splendide – et on regrette qu’il ne soit à aucun moment commenté. On rend la justice, on ne la décrète pas, on ne l’assène pas depuis une position surplombante et omnipotente, on ne la forge pas ex nihilo. On la rend comme on la restitue à ceux et celles à qui elle revient.
Même si le ton est souvent pédagogique, même si les magistrats interrogés représentent une palette significative des fonctions de la magistrature, il ne s’agit pas à proprement parler d’une présentation de la Justice en France. Il y manquerait d’ailleurs des pans importants, notamment le juge d’instruction dont il n’est rien dit ou le juge administratif, grand absent (mais je confesse sur ce dernier point un parti pris coupable). Le documentaire fait un détour par la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg – où le juge français André Potocki livre un témoignage très juste où il est d’ailleurs moins question de la CEDH que de la justice dans son ensemble ; mais il ne dit rien de la Cour de justice de l’Union européenne alors que le droit communautaire occupe dans notre ordonnancement juridique une part grandissante.
Son objet est ailleurs : nous montrer que la justice est rendue par des hommes et des femmes, avec leurs qualités et leurs défauts. Il y réussit parfaitement et on ressort de la salle touché par l’intelligence et l’humanité des témoignages recueillis. Car les magistrats interrogés ne se cachent pas derrière une quelconque langue de bois. Ils racontent l’immense défi de leur tâche et la difficulté qu’ils ont à l’assumer. Un défi bien résumé en une formule : « pour le plaignant, c’est l’affaire de sa vie, pour nous, c’est le dixième dossier de l’après-midi ».
Du coup, Rendre la justice se condamne à ne toucher qu’une cible très étroite. Il n’intéressera pas le grand public qui n’y apprendra pas grand chose. Mais il séduira les magistrats en formation – dont il y a fort à parier qu’il devienne un visionnage obligatoire lors de la formation (un peu comme Des dieux et des hommes au séminaire ou Au nom de la terre au Salon de l’agriculture).
N’est pas Depardon qui veut. Le plus grand documentariste français a consacré plusieurs documentaires à la justice : Délits flagrants en 1994, Muriel Leferle en 1999, 10ème chambre instants d’audience en 2004 et 12 jours en 2017. Il y montrait la justice en train de se faire. Robert Salis a choisi d’expliquer comment elle se faisait. Pas sûr que son choix soit le plus convaincant.
Ps : On notera à 1h47, au premier rang du public, dans la salle d’audience de la CEDH, la présence d’un conseiller d’État chauve et encravaté. Le début pour moi d’une grande carrière cinématographique ?!
PPS : Mon consentement n’ayant pas été recueilli pour apparaître dans ce documentaire, suis-je recevable à m’en plaindre ? Devant quelle juridiction ma requête peut-elle être déposée ? A-t-elle des chances de prospérer ? Vous avez deux heures…
À mon avis tu es en droit d’exiger un droit de réponse sous la forme d’un documentaire de même longueur qui te serait intégralement consacré.