Noémie dit oui ★★★☆

Noémie est une jeune adolescente québécoise. Élevée en foyer, elle brûle de retourner vivre chez sa mère. Frustrée de se le voir une fois encore interdire, elle fugue et rejoint Léa, une ancienne pensionnaire de son foyer, qui vit désormais à Montréal. Le copain de Lea la force à se prostituer. Sous l’emprise de Zach, le nouveau copain qu’elle se fait dans les jours qui suivent son installation à Montréal, Noémie va bientôt devoir suivre le même chemin.

La prostitution, la violence physique et psychologique qu’elle provoque, les dilemmes qu’elle suscite, sont décidément des sujets qui nourrissent beaucoup de films. Sans remonter à Buñuel (Belle de jour), Godard (Deux ou trois choses que je sais d’elle, Vivre sa vie) ou Bonello (L’Apollonide), on pourrait citer Party Girl, Filles de joie et surtout Une femme du monde avec l’épatante Laure Calamy. L’automne dernier, on a vu l’adaptation à l’écran du livre choc d’Emma Becker, La Maison, qui, à rebours du discours abolitionniste dominant, essaie de réhabiliter la maison close décrite comme un chaleureux cocon sororal et la prostitution dès lors qu’elle reposerait sur un choix consenti. Pas plus tard que le mois dernier, À mon seul désir avait pour cadre un club de striptease et pour personnages les danseuses qui s’y produisaient.

Noémie dit oui confronte une adolescente en perdition au traumatisme de la prostitution. Elle n’y tombe pas par hasard mais au terme d’un implacable cheminement qui l’amène du centre de jeunesse à la rue. Ce film québécois réussit à éviter les deux écueils qui le menaçaient : la glamorisation porno et le naturalisme misérabiliste.

Noémie dit oui n’est pas un film glamour. Au contraire. Les dizaines de passes successives que doit subir l’adolescente n’ont rien d’affriolant. Les hommes laids et veules qui se succèdent dans la chambre d’hôtel que son proxénète a louée pendant les trois journées que dure le Grand Prix de Formule 1 de Montréal (dont on apprend qu’il est le lieu de tous les excès) ne sont ni des Adonis ni des gentlemen. Toute femme tentée de se prostituer en imaginant que c’est de l’argent facilement gagné, tout homme fantasmant sur le recours à une prostituée pour passer un « bon moment » en compagnie d’une nymphomane décoincée devraient être invités d’urgence à voir ce film avant de passer à l’acte.

Pour autant, Noémie dit oui ne sombre pas dans un misérabilisme glauque ou moralisateur. Le mérite en revient en grande partie à l’héroïne, la jeune Kelly Depeault, de tous les plans. Tout le film repose sur ses -frêles – épaules, dans sa seconde partie, la plus éprouvante, dans le huis clos de cette chambre d’hôtel anonyme, mais aussi dans la première, portrait d’une adolescente ivre de colère et privée d’amour maternel.

La bande-annonce

Mad God ★☆☆☆

Un soldat caparaçonné dans un uniforme qui semble tout droit sorti de la Première Guerre mondiale plonge dans les entrailles de la Terre où il croise une série de monstres terrifiants.

Mad God est un film d’animation tourné en stop motion, une technique qui requiert une patience et une méticulosité incroyables. Chaque image est enregistrée l’une après l’autre, les éléments étant légèrement déplacés d’une prise de vue à l’autre pour créer l’illusion du mouvement.
On apprend, en lisant le dossier de presse, que Mad God a mis trente ans à voir le jour. C’est l’œuvre de Phil Tippett, le célèbre directeur d’effets spéciaux qui a participé notamment à la création de Star Wars, Jurassic Park, Robocop ou Starship Troopers.

Mad God est un spectacle hors normes. Bien vite, on oublie son scénario qui n’est qu’un prétexte à des visions hallucinées de créatures cauchemardesques. La beauté et la laideur deviennent des catégories bien fragiles pour les caractériser. Tout comme l’effroi ou la fascination.

Autant dire que Mad God s’adresse à un public averti – comme la dizaine de jeunes gothiques tatoués et piercés, tout de noir vêtus, auprès desquels je me suis timidement glissé dans l’une des rares salles parisiennes qui le diffuse encore cinq semaines après sa sortie – qui y retrouvera peut-être l’énergie punk de Eraserhead, de Shrivers ou de Tetsuo. Quant aux autres, oscillant entre sidération et dégoût, ils se réjouiront que ce délire horrifique dure quatre-vingt-quatre minutes à peine.

La bande-annonce

L’Amitié ★★☆☆

À quatre-vingt-dix ans passés, Alain Cavalier a toujours bon pied bon œil. Il nous livre, selon la méthode qui est devenue la sienne depuis déjà quarante ans, filmant lui-même derrière son Caméscope, des « personnes » plutôt que des « personnages », le portrait de trois de ses amis : Boris Bergman, le parolier d’Alain Bashung avec lequel Cavalier a failli réaliser un film en 1987 qui ne s’est jamais tourné, Maurice Bernart, le producteur de Thérèse, le film à succès d’Alain Cavalier en 1986, et Thierry Labelle, coursier qui embrassa brièvement le métier d’acteur pour tourner dans Libera me en 1993.

Le sujet du film, l’amitié, n’est jamais explicitement évoqué ; mais il transpire à chaque image, à chaque geste, à chaque réaction des amis auxquels Cavalier rend visite et qui manifestent avec une spontanéité profondément touchante l’émotion qu’ils ressentent et le plaisir qu’ils prennent à accueillir leur hôte. Celui-ci est d’une politesse exquise et en même temps sacrément intrusif avec sa caméra qui filme leur intimité au risque de révéler leurs travers.

Avait-il une idée en tête en effectuant ces visites ? On peut le croire ; car il reproduit à chaque fois le même protocole – au risque de créer à la longue un effet lassant de répétition. Il s’attache à filmer ses trois amis dans leur environnement quotidien, en visitant chaque pièce de leur logis, en les regardant cuisiner, en leur demandant de faire quelques pas hors de chez eux (pour donner une idée des lieux qui entourent leur habitation ?). Il filme également leurs compagnes – même si celle de Thierry, lourdement handicapée (?) refuse d’apparaître à l’écran.

Ce qui m’a frappé, c’est la différence de milieu des trois hommes. Bergman est un saltimbanque qui, s’il avait continué à boire et à se droguer aurait connu la même fin prématurée que Bashung mort en 2009. Bernart est un grand bourgeois, qui habite un appartement cossu à l’angle de la rue Soufflot et du boulevard Saint-Michel et possède une gentilhommière en Normandie. Labelle enfin est un prolo tendance alcoolique qui est devenu propriétaire d’un modeste pavillon de banlieue en s’endettant sur vingt ans.

Si l’on était mauvaise langue, on dirait que ce troisième portrait a été ajouté aux deux autres pour en corriger l’effet trop élitiste. À la gauche bobo, du XXième arrondissement, à la gauche caviar du Vème, il fallait rajouter la gauche prolo du 9.3. Mais, chacun sait que je ne suis pas mauvaise langue. L’humanisme débordant qui transpire de chaque plan de ce film suffit à désamorcer cette accusation vipérine.

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Avant l’effondrement ★☆☆☆

Tristan (Niels Schneider), directeur de campagne d’une candidate de gauche aux élections législatives, reçoit un courrier anonyme contenant un test de grossesse positif. Alors que son père se meurt dans un EHPAD, Tristan va chercher à identifier l’auteur de ce courrier, aidé de Fanny (Ariane Labed), sa colocatrice. Elle va les mener sur les traces de Pablo (Souheila Yacoub), une amie perdue de vue qui vit désormais dans une communauté écologiste en Bretagne.

Alice Zeniter est une enfant terrible de la littérature française. Elle publie son premier roman à seize ans et atteint la notoriété avec L’Art de perdre en 2017 qui rata le Goncourt de peu. Elle avait déjà écrit le scénario d’un film en 2014 mais n’était jamais passée derrière la caméra, qu’elle partage ici avec Benoît Volnais qui signe, comme elle, son premier film.

Avant l’effondrement est un film déconcertant, pour ne pas dire raté, qui s’éparpille en poursuivant plusieurs objectifs à la fois sous une musique tonitruante. Son titre, un brin grandiloquent, renvoie à deux niveaux de lectures. Le premier, macro, est évoqué dans le préambule du film : la planète est au bord d’un effondrement écologique systémique – qui sera vite concrétisé par la canicule qui s’abat sur Paris et qui a obligé tous les personnages du film à copieusement mouiller leurs T-shirt avant chaque prise pour feindre une sudation abondante. Le second, micro, renvoie au vécu de Tristan, qui craint d’avoir hérité de sa mère une maladie génétique mortelle qui risque de le tuer à quarante ans.

Réflexion politique sur le monde tel qu’il va, drame intime sur un (jeune) homme confronté à l’hypothèse de sa mort, Avant l’effondrement accumule les clichés : Tristan est un bobo trentenaire, la candidate aux législatives pour laquelle il travaille est une infirmière éborgnée par les violences policières, Fanny est une traître à sa classe qui s’enivre de ses idéaux révolutionnaires, Pablo une écolo radicale partie cultiver son jardin….

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Enquête sur la sexualité (1964) ★★★☆

Pendant l’été 1963, alors qu’il travaille aux repérages de L’Évangile selon Saint-Matthieu, Pier Paolo Pasolini tourne, avec une équipe technique réduite, un documentaire, Comizi d’Amore. Le titre original n’a pas la même signification que sa traduction française. Il s’agit moins, dans l’esprit du réalisateur engagé, d’une enquête à proprement parler que d’un échange, d’un meeting autour de la question sexuelle.

Dans l’esprit de Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin, Pasolini tend son micro aux Italiens et aux Italiennes, jeunes et vieux, femmes et hommes, et leur pose des questions souvent très directes sur la sexualité.
Le protocole de cette enquête n’est pas très scientifique. En particulier, les interviews sont organisées dans un joyeux chahut, au vu et au su de tous, si bien que la sincérité des répondants, influencés par leurs pairs, peut être mise en doute.

Mais le résultat est doublement étonnant. D’une part, il montre l’archaïsme, le sexisme d’une large majorité des sondés qui ont encore du couple, de l’égalité des genres, du mariage (et de son opposé, le divorce qui ne sera légalisé en Italie qu’en 1970) et de la sexualité une vision très conservatrice. Certains propos, ouvertement assumés à l’époque choquent aujourd’hui voire, pour les plus homophobes, tomberaient sous le coup de la loi.
Mais d’autre part, certaines voix minoritaires s’expriment, notamment chez les jeunes et chez les femmes, qui revendiquent crânement, avec une étonnante modernité, l’égalité des sexes et le droit au plaisir.

Pasolini mène son enquête – car, de fait, il s’agit plus d’une enquête que d’une réunion – tambour battant. On le voit à l’image le micro tendu. Ses questions prennent autant de place sinon plus que les réponses des interviewés. Enquête sur la sexualité est presqu’autant l’étalage de ses idées, voire de ses préjugés, qu’un micro objectivement tendu à ses compatriotes.
En bon marxiste, Pasolini est particulièrement sensible aux différences de classe. Il a beau jeu de railler les travers et le conservatisme de la petite bourgeoisie, par exemple son attachement au modèle familial patriarcal et hétérosexuel. Mais s’agissant de la sexualité, Pasolini se heurte à un paradoxe qui le met en porte-à-faux : la grande bourgeoisie est plus libérale que les classes laborieuses, les ouvriers et plus encore les paysans qui sont prisonniers de leurs traditions et n’osent pas s’en affranchir.
Autre dichotomie que Pasolini souligne et à laquelle le spectateur français est moins préparé : la division entre le Nord de l’Italie, plus riche et plus évolué, et le Sud, notamment la Sicile, où les mentalités peinent à changer.

Enquête sur la sexualité est un miroir tendu à l’Italie des années soixante écartelée entre un conservatisme centenaire et une évolution sociologique accélérée qui allait l’emporter. Mais c’est autant sinon surtout une œuvre emblématique de Pasolini dont elle reflète les opinions parfois contradictoires, sur le divorce par exemple.

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Le Principal ★★☆☆

Sabri Lahlali (Roschdy Zem) est le principal adjoint d’un collège d’une grande ville de province. Issu de l’immigration, ce passionné de lettres dur à la tâche a réussi à s’intégrer à force de persévérance, à la différence de son frère (Hedi Bouchenafa) qui a sombré dans la dépendance. Sabri soumet Naël, son fils unique, dont la musique est la seule passion, à une discipline de fer contre l’avis de sa mère (Marina Hands), qui enseigne dans le même collège et dont Sabri est séparé depuis peu. Il nourrit pour Naël de grandes espérances au point de franchir la ligne rouge le jour des épreuves du brevet que l’adolescent passe et que Sabri a la responsabilité de superviser.

Roschdy Zem a réussi à atteindre une célébrité telle que désormais un film peut se faire sur son seul nom. Ce Principal en est la preuve, dont l’acteur mange en majesté toute l’affiche et dont son seul nom occupe le sommet – sacrifiant au passage ceux de Yolande Moreau, qui interprète sa supérieure directe, et de Marina Hands. Mais le procédé est efficace, qui m’aura appâté et aura sans doute appâté aussi tous les spectateurs – et ils sont nombreux – qui apprécient cet acteur.

Le personnage qu’il interprète ici est ambigu. Il est spontanément antipathique. Les premières images du film le montrent engoncé dans son costume cravate impeccable, le bureau rangé au cordeau dans un ordre maniaque, aussi exigeant avec lui-même qu’avec les collégiens dont il a la charge et même avec son propre fils. Mais cette froideur apparente cache des failles internes qui le rendent plus sympathique : on imagine que ce proviseur-adjoint a dû se battre pour en arriver là où il est et que la moindre erreur pourrait lui faire dégringoler l’échelle sociale qu’il a péniblement gravie.
Je ne connais pas assez bien le fonctionnement de l’Education nationale pour savoir si le scénario est crédible. Il me semble l’être.

Le film est sec comme une trique. S’il compte quelques personnages secondaires – ce frère paumé envers qui Sabri fait preuve d’une humanité dont il est par ailleurs bien avare, cette principale jouée par la gouailleuse Yolande Moreau qui nourrit pour son adjoint des sentiments maternels voire plus – il se concentre en 1h22 montre en main sur son intrigue.

Pourquoi n’est-il pas aussi réussi qu’on aurait pu l’espérer ? Peut-être parce que son scénario, même s’il reste ouvert, demeure somme toute assez prévisible : on se doute bien, rien qu’en voyant la bande-annonce, qu’à un moment ou un autre, la tricherie de Sabri sera découverte et que son fils et lui devront en supporter les conséquences. Peut-être aussi parce que ses personnages manquent d’épaisseur et de mystère : celui interprété par Marina Hands manque par exemple de profondeur, celui interprété par Hedi Bouchenafa, aussi réussi soit-il, n’apporte rien au récit.

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Trenque Lauquen ★☆☆☆

Laura a disparu. Cette botaniste solitaire s’était récemment installée dans la petite ville de Trenque Lauquen, perdue dans la pampa, à plusieurs centaines de kilomètres à l’ouest de Buenos Aires. Elle y avait même une émission à la radio locale consacrée aux femmes célèbres. Pour la préparer, elle était devenue une habituée de la bibliothèque municipale. C’est là qu’elle découvrit, dans les plis d’un vieil ouvrage, une missive oubliée qui la mit sur la piste d’une relation secrète entretenue près de cinquante plus tôt entre une institutrice de la ville et un bel Italien.
Lorsque Laura disparaît, deux hommes partent à sa recherche. Le premier est son compagnon, le second un employé municipal qu’elle avait associé à sa quête et qui était lentement tombé amoureux d’elle.

Avez-vous vu La Flor, cet objet cinématographique non identifié long de 814 minutes et diffusé en salles début 2019 en quatre épisodes, nonobstant le sage adage de Hitchcock : « La durée d’un film devrait être directement liée à la capacité de la vessie humaine » ? L’avez-vous aimé – ce qui, si vous vous souvenez de la critique décoiffante que j’en avais faite, n’était pas mon cas ?

Si – pour ma plus grande admiration s’agissant de la question 1 et pour ma plus grande surprise s’agissant de la question 2 – vous répondez positivement à ces deux questions, courez voir Trenque Lauquen qui reproduit les mêmes schémas labyrinthiques et volontairement incompréhensibles que La Flor, dans un format plus humain (quatre heures seulement ce qui, à l’aune des treize heures passées de La Flor, lui donne des airs de court métrage).
Si non, ce qui, au doigt mouillé, doit représenter environ 99.99 % de la population, n’allez pas y perdre votre temps sauf si vous avez, comme moi, une tendance coupable au masochisme.

Pourquoi, me direz-vous lui mets-je alors une étoile et pas zéro ? La première raison en est, je l’ai dit, cette durée plus supportable : La Flor était un supplice narcoleptique qui s’est étalé sur deux jours alors que Trenque Lauquen n’a hypothéqué qu’une seule soirée. La seconde, ironie mise à part, est le respect dû au cinéma inventé par ce drôle de collectif de cinéastes argentins, El Pampero Cine, dont j’ai le droit de dire que je ne l’aime pas, mais pas celui d’affirmer qu’il ne vaut rien.

La bande-annonce

Ramona fait son cinéma ★☆☆☆

Tout commence mal entre Ramona et Bruno… ou tout commence trop bien entre ces deux trentenaires madrilènes qui se rencontrent par hasard et tombent amoureux l’un de l’autre sans savoir que le lendemain Ramona participera au casting du film que Bruno est sur le point de réaliser. La jeune femme, en couple avec Nico, se cabre : elle ne veut pas être engagée sur de mauvaises bases et surtout a peur de tromper son copain. Bruno au contraire s’enflamme.

Ramona fait son cinéma a tout pour séduire. À commencer par sa bande-annonce qui m’avait fait de l’oeil. Un pressentiment accentué par la critique de Berthe Edelstein (uniquement accessible hélas sur Facebook, mais à mon grand dam largement meilleure aux miennes) qui en disait le plus grand bien.
On me promettait « un croisement ibérique entre Woody Allen, Hong Sang Soo et la Nouvelle Vague française ». J’ai beaucoup pensé au Frances Ha de Noah Baumbach : dans le même noir et blanc trendy, une héroïne trentenaire (ici, la sylphide Greta Gerwig, là la brune Lourdes Hernandez) se cherche. On pourrait aussi citer – car Ramona lui ressemble – l’héroïne de Eva en août, un film que je n’avais pas aimé mais que tous mes amis encensent.

N’en rajoutons pas de peur de faire crouler ce petit film sous trop de références écrasantes. Car hélas, Ramona croule vite. Si sa première scène est délicieuse, celle de la rencontre, dans un café où les deux héros marivaudent, puis dans ses alentours, les autres, organisées dans une succession de saynètes séparées par des intertitres, sont plus laborieuses. Le scénario devient inutilement bavard provoquant vite un ennui croissant. D’autant que l’enjeu est faible – Ramona quittera-t-elle Nico pour Bruno ? – et le suspense ténu.

Loin de la légèreté attendue et malgré sa louable concision (1h20 au compteur et au comptoir) et le charme indéniable de sa ravissante héroïne, Ramona fait son cinéma m’a donné l’impression d’un produit stéréotypé, voué à une péremption fatale (dans dix ans, je fais le pari que ce film sera effroyablement daté et démodé) sans profondeur et sans intérêt.

La bande-annonce

Les Âmes sœurs ★★☆☆

Jeanne (Noémie Merlant) habite les dépendances d’un manoir décrépi perdu dans les forêts ariégeoises, que lui a concédées un châtelain misanthrope et dépressif (André Marcon) . Elle apprend que le blindé de son frère, David (Benjamin Voisin), qui s’est engagé dans l’armée à la fin d’une adolescence tapageuse, a sauté sur une mine au Mali laissant le jeune soldat dans le coma. Il en sort miraculeusement mais a perdu la mémoire. Sa sœur va patiemment l’aider à la retrouver, quitte à faire ressurgir un passé refoulé.

André Téchiné a quatre-vingt ans passés. Il tourne des films depuis près de cinquante ans : Hôtel des Amériques (1981), Ma saison préférée (1993), Les Roseaux sauvages (1994) sont ses oeuvres les plus célèbres. Nommé six fois pour le César du meilleur réalisateur, il ne le remporta qu’une seule fois pour Les Roseaux sauvages. D’autres que lui se seraient à cet âge encroûtés en répétant ad nauseam les mêmes recettes éculées. Claude Lelouch en offre hélas le triste exemple. Mais le cinéma d’André Téchiné reste étonnamment neuf. La raison en vient peut-être des jeunes acteurs qu’il a toujours fait tourner et qui insufflent un vent d’air frais dans son cinéma : Gérard Depardieu et Isabelle Adjani en 1976 dans Barocco, Wadeck Stanczack et Manuel Blanc, tous deux couronnés du César du meilleur espoir masculin, le premier pour Rendez-vous en 1986, le second pour J’embrasse pas en 1992, Elodie Bouchez et Laurence Côte qui ont décroché la même récompense, la première pour Les Roseaux sauvages en 1994, la seconde pour Les Voleurs en 1996 ou, plus récemment, Kacey Mottet-Klein et Corentin Fila dans Quand on a 17 ans.

Ce vent d’air frais, ce sont Noémie Merlant et Benjamin Voisin qui l’insufflent à leur tour. J’ai déjà dit ici l’enthousiasme que la première provoque en moi. Son talent ne m’avait pas sauté aux yeux dans ses premiers rôles, qui furent en fait souvent des seconds, en demi-teinte. Il explose depuis qu’elle s’est faite une place en haut de l’affiche. Son interprétation, pleine d’humour, dans L’Innocent de Louis Garrel m’avait transporté (« Je veux draguer le chauffeur »).
Benjamin Voisin me convainc un chouïa moins. Le César du meilleur espoir masculin que lui a valu Illusions perdues – qui, à mes yeux, n’était pas, loin s’en faut, le meilleur film de 2021 – me semble un peu surcoté.

Ces jeunes pousses prometteuses, Téchiné les dirige de main de maître dans un scénario tiré au cordeau, qu’il a co-écrit avec Cédric Anger, un réalisateur de trente ans son cadet (on lui doit notamment La prochaine fois je viserai au cœur et L’amour est une fête). La première partie de ces Âmes sœurs est quasi-documentaire qui montre le lent rétablissement de David pris en charge par le service de santé des armées aux Invalides – et nous rappelle le récit autobiographique poignant de Philippe Lançon hospitalisé au même endroit. Puis l’intrigue se déplace dans les Pyrénées ariégeoises, filmées au gré des saisons, comme souvent dans les films de Téchiné qui aiment à alterner les paysages urbains et ruraux.

Si André Téchiné est un si grand réalisateur, si ses jeunes acteurs sont des talents si prometteurs, si ses scénarios sont si bien écrits, d’où viennent alors mes réticences ? D’une histoire dans laquelle je ne suis pas vraiment rentré pour deux raisons. La première est que son sujet – dont je ne peux rien dire même si d’autres critiques le font sans vergogne – m’a paru terriblement outré. La seconde est la façon dont les personnages le vivent : autant le personnage de Jeanne, écartelée entre les sentiments contradictoires que lui inspire son frère, m’a touché, autant celui amoral sinon immoral de David m’a déconcerté sinon franchement rebuté.

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Beau Is Afraid ★☆☆☆

Beau (Joaquin Phoenix), la quarantaine, vit seul dans un appartement miteux d’une ville en pleine déréliction. Gravement paranoïaque, il est suivi par un psy. Il a promis à sa mère de prendre l’avion pour se rendre à son anniversaire mais rate son vol après une nuit sans sommeil. Le temps de traverser la rue pour acheter une bouteille d’eau, son appartement est squatté par des vagabonds et Beau doit passer la nuit dehors. Au réveil il apprend le décès accidentel de sa mère.

Ari Aster est le wonderkid du cinéma americain. Deux films ont suffi pour asseoir sa réputation : Hérédité, que j’ai franchement détesté (zéro étoile et un coup de gueule), et Midsommar que j’ai absolument adoré (quatre étoiles et la première place de mon Top 10 2019). Aussi son troisième opus était-il attendu par tous avec une immense impatience. En juin 2020, Ari Aster annonçait qu’il s’agirait d’une « comédie cauchemardesque » de quatre heures avec Joaquin Phoenix. Son titre : Disappointment Blvd. Finalement le film dure une heure de moins et a changé de titre (je ne suis pas convaincu que Beau Is Afraid soit plus catchy). Mais la « comédie cauchemardesque » est bien là.

Qu’en penser ? J’avoue une extrême hésitation.

Son format en impose, autant que les cinq cents pages d’un énorme roman comme les Américains savent le faire quand ils lorgnent le Pulitzer (un lecteur miséricordieux pourrait-il m’expliquer en mp pourquoi les romans français sont si courts et les romans américains systématiquement si longs ?). Son sujet aussi : Beau Is Afraid est une plongée cauchemardesque dans la psyché d’un grand paranoïaque, castré par sa mère. Son interprétation enfin : s’il ne l’avait pas déjà remporté si récemment pour Joker, ce rôle-là aurait certainement valu à Joaquin Phoenix le prochain Oscar du meilleur acteur.

Mais une fois ces compliments révérencieusement égrenés, on peut s’autoriser quelques réserves. La première, précisément, est la durée hors normes de ce film obèse. Trois heures, c’est long. Très long. D’autant que ce road movie en quatre tableaux (la ville/ la maison de banlieue/ le théâtre perdu au fond des bois/ la maison de la mère) aurait fort bien pu durer une heure de plus… ou une heure de moins…

La seconde, la plus radicale, est son sujet. J’ai déjà dit ici combien la folie me semblait un thème cinématographique surcoté en mentionnant les réserves que m’inspiraient des chefs d’oeuvre unanimement reconnus comme Spider de Cronenberg, Répulsion de Polanski, π de Aronofsky… « Il est un peu fou, de plus en plus fou, vraiment très très fou » voilà comment, selon moi, se résument ces films-là sans enjeu sinon celui, joué d’avance et pas vraiment enthousiasmant, de s’enfoncer progressivement avec son héros dans une folie de plus en plus délirante.

Peut-être ne suis je pas assez fêlé pour m’identifier à ces personnages. On me répondra alors que je ne suis guère plus juif pour m’identifier à ceux des films sur l’Holocauste qui me touchent pourtant tellement. Et l’on me répondra aussi que, fêlés, nous le sommes tous un peu à un degré ou à un autre. L’argument est donc irrecevable.
Mais ces films sur la folie – et Beau Is Afraid vient s’ajouter à cette longue liste – ne me touchent pas. Si, à la limite, j’ai aimé le premier quart du film, qui se déroule dans l’appartement en état de siège de Beau, très vite, je me suis désintéressé de son sort. Le comble a été atteint dans le dernier quart du film, interminable épilogue d’un règlement de comptes freudien entre Beau et sa mère. Quant à la scène finale, je n’y ai rien compris et je n’ose plus poser la question qui me tenaille devant la quasi-totalité des films que je ne comprends pas ces temps-ci, la faute à mon âge sénescent ou à la complexité croissante de scénarios nébuleux : est-ce qu’il meurt à la fin ?!

La bande-annonce