Berlin Alexanderplatz ★★☆☆

Francis est originaire de Guinée-Bissao. Il est arrivé en Allemagne au péril de sa vie, perdant dans la traversée sa femme noyée. Sans papiers, malgré son aspiration à une vie honnête, il n’a d’autre solution que de travailler sous les ordres de Reinhold, un petit dealer, infirme et psychopathe, qui manque le tuer après un cambriolage. Devenu manchot, Francis est recueilli par Mieze, une prostituée. Il croit enfin accéder avec elle au bonheur qui le fuyait depuis si longtemps. Mais c’était sans compter avec le machiavélisme de Reinhold.

Berlin Alexanderplatz est un monument qui occupe dans la littérature allemande une place envahissante. Quelque part entre La Montagne magique et L’Homme sans qualités. Ce roman touffu, qui entrelace les points de vue et les styles, dont Alfred Döblin a reconnu la dette qu’il doit au Ulysse de James Joyce, a longtemps passé pour intransposable au cinéma, même si Piel Jutzi en signait dès 1931 une adaptation. Si Fassbinder s’y est frotté au début des années quatre-vingts, c’est pour en tirer une série TV de quatorze épisodes et de près de quinze heures.

Il fallait donc un sacré culot au réalisateur allemand d’origine afghane Burhan Qurbani pour s’attaquer à ce monstre sacré. Il assume crânement son audace, en transposant l’intrigue – qui se déroulait dans le Berlin de l’entre-deux-guerres – à l’époque contemporaine, en faisant du héros, un repris de justice dans le roman de Döblin, un Africain sans papiers et du racisme un de ses enjeux.

Pas évident pour moi de me faire une opinion éclairée du résultat, faute d’avoir lu le livre (j’ai passé la moitié de l’été à suer sang et eau sur les presque mille pages de La Montagne magique) ou vu la série de Fassbinder. J’ai compris de son résumé toutefois que Qurbani est resté fidèle au roman – jusqu’à son dénouement dont il s’en écarte en partie.
Je ne me suis pas ennuyé, même si le film dure plus de trois heures. Pour autant, je me demande, si l’œuvre n’aurait pas été plus efficace en série de trois ou quatre épisodes.

Je lui reconnais une qualité : m’avoir donné envie d’aller à la source du livre qui l’a inspiré.

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De bas étage ★☆☆☆

Mehdi (Soufiane Guerrab) est un perceur de coffres dont les cambriolages sont de plus en plus risqués et de moins en moins rentables. Sa compagne, Sarah (Souheila Yacoub), qui désapprouve son mode de vie l’a quitté et travaille dans un salon de coiffure. Le couple a eu un enfant que Sarah élève seule mais auquel Mehdi est très attaché.

Le premier film de Yassine Qnia, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes, est sorti au cœur de l’été, sans guère de publicité, coincé entre OSS 117  et Jungle Cruise. Cela ne lui a pas donné la meilleure visibilité.

Autre handicap : De bas étage brouille les pistes, laissant penser à un de ces polars poisseux qui prennent la banlieue pour théâtre là où il s’agit en fait plutôt d’un drame social pudique, sans effets de manches, mettant en scène l’échec d’un homme. Au surplus, son héros, possessif et violent, obsédé par le contrôle, n’en est pas un et ne suscite guère l’empathie du spectateur.

Difficile avec autant de handicaps assumés d’enthousiasmer la critique qui pourtant aurait aimé aimer ce premier film qui met au premier plan deux jeunes acteurs pleins d’avenir : Soufiane Guerrab, cantonné jusqu’à présent aux rôles plutôt comiques, et Souheila Yacoub qui mettait le feu à Climax de Gaspar Noé.

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Rouge ★★☆☆

Après une expérience traumatisante aux urgences d’un grand hôpital, Nour Hamadi (Zita Hanrot) trouve un poste d’infirmière chez Arkalu, l’usine chimique où son père (Sami Bouajila) travaille depuis des dizaines d’années. Elle y fait des découvertes alarmantes sur la santé des ouvriers. Lorsqu’elle tire la sonnette d’alarme, elle se fait rabrouer par son père qui, sa vie durant, s’est battu pour protéger l’emploi de ses camarades et par le directeur de l’entreprise (Olivier Gourmet) qui craint que ces révélations ne remettent en cause les autorisations administratives dont elle bénéficie. Auprès de Emma (Céline Sallette), une journaliste militante engagée pour la défense de l’environnement, Nour trouvera peut-être le courage de rendre publiques les informations qu’elles possèdent au risque de trahir la confiance de son père.

« Un thriller écologique haletant » nous annonce l’affiche de Rouge, le deuxième long métrage de Farid Bentoumi, tourné, comme le premier, Good Luck Algeria, en Isère. C’est sans doute un peu excessif. Si Rouge marche sur les brisées de Dark Waters en racontant, comme lui, l’enquête menée sur les pratiques polluantes de l’industrie chimique (les faits sont inspirés de la pollution aux boues rouges de l’usine Alteo de Gardanne dans le parc national des Calanques), il n’en a ni l’âpreté ni la rigueur.

Rouge n’en constitue pas moins un film solide et convaincant qui tresse intelligemment deux trames narratives.
D’un côté le film politique qui fait fonds sur deux sujets à la mode : la défense de l’environnement – avec laquelle je suis évidemment d’accord – et la dénonciation de la corruption des grands groupes industriels – dont la démagogie et le simplisme m’inspirent quelques réserves. Ces deux sujets sont portés par la lanceuse d’alerte interprétée par Zita Hanrot (César du meilleur espoir féminin en 2016 pour son rôle dans Fatima), une figure éminemment dramaturgique dont le cinéma s’est logiquement emparé depuis quelques années : scandale du Mediator (La Fille de Brest) ou affaire Clearstream (L’Enquête).
De l’autre, Rouge est un drame familial dont les deux personnages principaux sont une fille et son père, dont l’amour réciproque sera douloureusement remis en cause par leurs loyautés et leurs éthiques respectives. Avoir placé son héroïne dans cette situation familiale là est une sacrée bonne idée du scénariste qui souligne le dilemme auquel les lanceurs d’alerte sont confrontés : révéler la vérité, oui, mais au risque de s’aliéner non seulement ses collègues de travail mais aussi ses proches.

On peut certes reprocher à Rouge son académisme, les lieux communs qu’il ne manque pas d’aligner. Mais c’est faire un procès bien sévère à ce film juste et efficace, interprété par un quatuor d’acteurs parmi les plus affûtés du cinéma français contemporain.

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Nadia, Butterfly ★☆☆☆

Nadia a vingt-trois ans et a décidé de prendre sa retraite. Pourquoi ? Parce qu’elle est nageuse professionnelle de papillon et qu’elle veut partir au sommet de sa gloire après les Jeux olympiques. Elle manque d’un cheveu une médaille dans l’épreuve individuelle ; mais, avec ses trois partenaires, elle décroche le bronze pour le Canada dans le relais. Les deux jours suivants, avant de quitter Tokyo, elle décompresse, entre soulagement et nostalgie.

Pascal Plante est un jeune réalisateur canadien, ancien nageur de compétition, qui faillit même être sélectionné pour les JO de Pékin en 2008. Nul n’était mieux placé que lui pour filmer de l’intérieur la compétition et les états d’âme de ces nageuses qui sont tout à la fois des athlètes d’exception soumises à une discipline de fer et des jeunes femmes ordinaires qui vivent une vie extraordinaire : elles ont certes sillonné le monde, mais pour n’en voir quasiment que les piscines et sans jamais réserver elles-mêmes leurs billets d’avion ou leurs chambres d’hôtel.
Il a confié le rôle de Nadia à Katerine Savard, une gloire nationale de la natation au Canada, qui avait précisément décroché le bronze au relais 4×200 de Rio en 2016 – mais qui, à vingt-sept ans passés, n’a pas abandonné la compétition.

Pascal Plante relève particulièrement bien le premier défi : celui de la caméra immersive au cœur de l’événement sportif. Il filme « comme si on y était » la course, ses coulisses, sa tension, ses bruits… La scène est très réaliste – disent les nageurs aguerris alors que moi qui m’aventure rarement au delà du petit bassin à la piscine serais bien en peine d’émettre un jugement averti – sans pour autant égarer le néophyte.

C’est peut-être hélas dans sa seconde partie que Nadia, Butterfly est moins convaincant, quand il suit la nageuse dans sa « descente ». Pourtant, là encore, il se montre d’une fidélité scrupuleuse avec la réalité des faits, suivant pas à pas l’héroïne en interview, à sa séance de massage, à une soirée au Village olympique où elle s’autorise les transgressions qui lui étaient interdites avant la course… Ce refus de toute dramatisation inutile se retourne contre le film, le privant de toute tension. Sans doute est-il au plus près des émotions contradictoires que traverse la future ex-nageuse professionnelle. Mais ces émotions sont trop confuses, trop alambiquées pour nourrir la substance d’un film.

Paradoxalement, le refus de tout psychologisme de 5ème set d’Axel Lutz, qui racontait une histoire similaire – l’entêtement d’un joueur de tennis professionnel de trente-huit ans – était plus convaincant.

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Pour l’éternité ★☆☆☆

Pour l’éternité est le dernier film du réalisateur suédois Roy Andersson. Projeté à la Mostra de Venise à l’automne 2019, sa sortie en France a été plusieurs fois repoussée à cause de la pandémie. Il emprunte la même forme radicale que les précédents films de ce réalisateur rare (il a réalisé six longs-métrages seulement en cinquante ans de carrière) : une succession kaléidoscopique de vignettes filmées en longs plans fixes dans des décors froids sinon lugubres où évoluent des personnages d’âge mûr écrasés par la fatigue de vivre.

Présentée ainsi, l’oeuvre de Roy Andersson n’attirera que quelques cinéphiles pointus et passablement masochistes. J’en fais partie, qui ne rate aucun de ses films depuis l’étonnant Chansons du deuxième étage qui le fit découvrir hors de son pays natal en 2000.

Pour autant, j’ai beau être masochiste, j’avoue avoir approché mes limites avec ce film-là, qui pourrait être son dernier (Roy Andersson a 78 ans). Chacun de ses plans, à l’exception peut-être du treizième, repris par l’affiche, qui montre deux amoureux à la Chagall survoler une ville en ruines, charrie une telle tristesse qu’on se sent vite écrasé. Que dire par exemple du quatrième : « A woman, described by the narrator as “incapable of feeling shame,” turns and looks back at the camera with an annoyed expression » ou du tout dernier : « A man’s car breaks down on a country road, and he attempts to fix it himself with little success. » ?

On a la furieuse impression que le réalisateur a monté à la va-comme-je-te-pousse une succession de saynètes dont l’idée lui serait progressivement venue et dont on peine à comprendre la cohérence. Sans doute chacun de ces plans, au cadrage millimétré, dont le sujet sinon les couleurs rappellent le désespoir qui sourd dans les tableaux de Edward Hopper, constituent-ils autant d’oeuvres d’art. Mais elles seraient peut-être plus à leur place dans une installation muséographique que dans une salle de cinéma.

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Petites danseuses ★★☆☆

La caméra empathique d’Anne-Claire Dolivet filme pendant une année une troupe de fillettes qui suivent les cours d’un atelier de danse dans le dix-huitième arrondissement parisien. Elle s’attache à quatre d’entre elles, Jeanne, la plus jeune, six ans à peine, Olympe, la plus espiègle, Ida, la plus douée et Marie, la plus hésitante.

Le sujet de ce documentaire peut inspirer quelques préventions. On pourrait craindre qu’il ait été paresseusement choisi pour attirer le public captif de toutes ces petites filles qui rêvent de devenir étoiles de l’Opéra et de leurs mères qui projettent sur elles leurs rêves inaboutis.

Et sa première moitié corrobore ces craintes. Sans grande originalité, on assiste à quelques leçons où l’on voit évoluer ces enfants minuscules qui essaient de se plier à l’implacable discipline de la barre sous la férule d’une professeure exigeante mais juste ; on suit ces jeunes filles, chez elles, où on imagine volontiers que la réalisatrice a eu l’autorisation de tourner en obtenant l’accord de parents d’abord réticents à dévoiler leur intimité.

Mais lentement, le documentaire prend de l’intérêt. Derrière des images gentillettes de fillettes en tutu qui s’essaient aux entrechats, on découvre une étonnante palette de sentiments : leur passion pour la danse, leur rêve à la fois inaccessible et admirablement ambitieux d’en faire leur métier, leur concentration, la peur qui les prend aux tripes – et qu’elle nous communique – à l’approche des concours, leur douleur physique quand elles se blessent, leur joie ineffable quand elles décrochent enfin une médaille.

Je me suis surpris à m’émouvoir alors que rien a priori, dans cette palette de sentiments-là n’aurait dû me toucher : je n’ai pas fait des pointes enfant et n’ai pas de petite fille hélas à accompagner à son cours de danse. Et j’imagine alors l’émotion que doit ressentir la petite spectatrice de six ans assise au bout de ma rangée et sa maman qui la couve.

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Fragile ★★★☆

Az (Yasin Houicha) est né et a grandi à Sète. Il est depuis longtemps en couple avec Jessica (Tiphaine Daviot) qui rompt avec lui le jour où il lui demande sa main et le laisse éploré. Mais Az peut compter sur ses amis pour le réconforter et sur Lila (Oulaya Amamra), une jeune chorégraphe qui est allée se brûler les ailes à Paris, pour lui apprendre à danser et reconquérir son aimée.

Emma Benestan fut l’assistante réalisatrice d’Abdellatif Kechiche. Elle réalise son premier film à Sète, sur les lieux même où furent tournés La Graine et le Mulet et Mektoub, my love. Elle filme les mêmes jeunes et leurs marivaudages amoureux. Certes sa caméra n’a pas la même intensité que celle de son impressionnant mentor. Elle ne suscite pas non plus le même malaise que le male gaze reproché à Abdellatif Kechiche.

Fragile est autrement plus léger, qui louche volontiers du côté de la comédie romantique (la réalisatrice parle dans son dossier de presse mi-ironique d’un Dirty Dancing sétois). Trois étoiles pourrait sembler bien généreux pour un film si frivole et l’est probablement. Mais Fragile est parfaitement réussi, drôle, touchant, crédible, enthousiasmant. Son scénario ménage quelques efficaces rebondissements jusqu’à sa conclusion prévisible mais enthousiasmante. Sa direction d’acteurs est aux petits oignons, qu’il s’agisse des seconds rôles particulièrement réussis interprétés par Guillermo Guiz et Raphaël Quenard, ou de Oulaya Amamra, César du meilleur espoir féminin pour Divines en 2017, qui confirme si besoin en était, que le cinéma français compte une nouvelle star.

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Drive My Car ★☆☆☆

Yūsuke Kafuku, un acteur de théâtre renommé, est invité à Hiroshima en résidence pour y monter une adaptation d’Oncle Vania avec une troupe cosmopolite et polyglotte. Il est veuf depuis deux ans. Sa femme, scénariste pour la télévision, est morte brutalement après que Yūsuke a découvert son infidélité, le frustrant d’une explication qu’il n’a jamais pu avoir avec elle. Pour le rôle d’Oncle Vania, Yūsuke recrute Kôji Takatsuki, un jeune acteur qu’il suspecte d’avoir eu une liaison avec sa femme. La production lui impose un chauffeur, une jeune femme mutique, Misaki Watari, dont Yūsuke accepte mal la présence mais avec laquelle va bientôt se nouer un lien puissant.

Drive My Car arrive sur nos écrans auréolé de son prix du scénario à Cannes où, disent les mauvaises langues, la Palme d’or ne lui aurait échappé qu’au seul motif de l’obligation dans laquelle s’était cru le jury de la décerner à une réalisatrice. Il est l’oeuvre de Ryūsuke Hamaguchi, un jeune réalisateur japonais, dont les précédents films – Senses et Asako I & II – avaient favorablement impressionné la critique – à défaut de me convaincre tout à fait.

Dans ma critique de Asako I & II, je regrettais d’être déjà passé à côté de Senses et de passer à côté de ce film-là. Je pourrai hélas rajouter aujourd’hui, à mon grand regret, n’avoir pas adhéré à Drive My Car.

Mon regret est d’autant plus grand qu’autour de moi, je n’en lis que du bien – à l’exception d’une ou deux passionarias anti-conformistes. Partout, tous et toutes s’enthousiasment et s’enflamment : « La beauté de Drive My Car réside dans sa manière de donner chair à une série d’abstractions et de dispositifs purement théoriques, d’employer toutes sortes d’éléments du médium cinéma pour leur faire dégorger leur sensualité autonome et en faire les instruments d’une vérité singulière » écrit un Jacques Mandelbaum sous ecsta dans Le Monde. « Un film qui résonne indirectement avec le vécu intime de chacun·e et qui risque de briller longtemps dans la nuit noire de notre inconscient chaviré » renchérit un Thierry Josse inclusif dans Les Inrocks.

J’avais lu ces critiques avant d’aller voir le film. [Beaucoup de mes amis me disent qu’ils s’interdisent de lire les critiques avant de voir un film afin de ne pas être « influencés ». Je suis d’une opinion radicalement différente, estimant au contraire utile d’aborder une oeuvre avec toutes les clés en main pour la comprendre et l’apprécier]. Je m’étais préparé à voir une oeuvre marquante, par sa durée (près de trois heures), par son ambition. Je n’ai certes pas été déçu : le film est long et ambitieux, qui traite de questions essentielles : la vie, la mort, l’amour. Mais – et c’est une grande frustration car je peine à y mettre des mots – je n’ai pas été embarqué. Ce road movie, dont le personnage principal est peut-être la SAAB rouge de son héros, m’a laissé sur le bord du chemin.

La faute selon moi à une succession de situations que j’ai trouvées trop improbables, à commencer par cette scénariste qui invente ses histoires dans un demi-sommeil, après l’amour, et qui les reconstitue le lendemain matin avec l’aide de son mari. Le personnage de Takatsuki, jeune premier ombrageux, auquel le metteur en scène confie contre toute raison le premier rôle de sa pièce et qui se révèlera sans que rien ne le laissât présager ultra-violent, m’a semblé un ton en-dessous du reste de la distribution. Enfin, j’ai trouvé trop facile le personnage de Misaki, la chauffeure qu’il faut lester d’un lourd passé familial pour lui donner l’intensité dramatique qu’elle n’a pas.

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Passion simple ★★★☆

Hélène (Laetitia Dosch), professeure de lettres à la Sorbonne, mère de famille divorcée, raconte la passion exclusive et dévorante qu’elle a connue un hiver durant pour Alexandre (Sergei Polunin), un jeune diplomate russe en poste à Paris. Pendant plusieurs mois, elle a vécu  dans la petite maison qu’elle occupe en banlieue ouest avec son fils unique, l’attente fébrile de ses visites, la fièvre de leurs peaux réunies, l’orgasme de leurs étreintes, la douleur de le voir se rhabiller et la quitter si vite pour rejoindre sa femme. Entre ses rencontres épisodiques, Hélène continue à vivre : elle s’occupe de son fils, donne ses cours, va au cinéma avec une amie, fait ses courses au supermarché. Mais sa vie toute entière est suspendue aux appels de cet amant fuyant et à l’annonce tant attendue de leurs prochains rendez-vous amoureux.

Passion simple est un roman d’Annie Ernaux, écrit à la première personne du singulier, sorti en 1992. L’auteure, déjà célèbre de La Place, avait déjà atteint la cinquantaine et décrivait l’état de subjugation dans laquelle l’avait plongée la passion amoureuse éprouvée pour un amant russe avec lequel pourtant elle n’avait rien en commun.

Ce témoignage d’une grande brièveté – le livre fait quatre-vingts pages à peine – avait été fraichement accueilli par la critique féministe. Elle reprochait à Annie Ernaux de décrire une femme soumise, dominée, esclave de ses sens, réduite à attendre passivement les visites de son amant. En un mot, une femme passionnée d’un homme qui se joue d’elle. Que l’auteure dresse au final un bilan positif de cette liaison, qu’elle estime qu’elle en était sortie grandie et meilleure semblait une preuve supplémentaire de son aveuglement.

Le livre faisait l’impasse sur les rencontres de l’auteure avec A., laissant au lecteur les imaginer sinon les fantasmer. Danielle Arbid filme sans fard leurs corps amoureux : le corps tatoué et musculeux d’Alexandre dont on comprend volontiers l’attraction qu’il exerce sur son amante, celui d’Hélène, blond, rond, lisse et nu (il serait de mauvaise grâce de lui reprocher d’être trop beau par rapport à celui dix ou vingt ans plus âgé, qu’on imaginait être celui de Annie Ernaux). Sa caméra, tout en douceur, baigne dans une lumière hivernale et évite les pièges du male gaze.

Passion simple réussit à la fois à être profondément sensuel et extrêmement cérébral. Profondément sensuel, il l’est grâce à ces scènes d’amour torrides sans jamais être graveleuses. Mais Passion simple ne se réduit pas à cette simple dimension. Comme son titre l’annonce, il s’agit de la description chimiquement pure d’une passion exclusive et oblative, de celles que Éluard décrivait : « j’entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde » et de la sublimation de l’être aimé décrite par Stendhal et son analyse de la cristallisation amoureuse. Qu’elle soit vécue par une femme importe finalement peu – dévoilant l’inanité de la critique ultra-féministe : un homme l’éprouverait tout identiquement. L’histoire de cette passion-là reste à écrire… et à filmer.

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Tom Medina ★☆☆☆

Tom Medina est un jeune homme à l’énergie débordante. Il débarque en Camargue chez Ulysse pour y apprendre le métier de gardian. Au contact de la nature, malgré les visions qui le hantent, Tom cherche la paix qu’il n’avait jamais connue.

Tony Gatlif a soixante-dix ans bien sonnés. Il tourne des films depuis quarante ans, reconnaissables au premier coup d’oeil qui ont pour héros des parias au grand cœur. Fils de gitan, Gatlif a filmé les Roms, en France et dans le monde, au point de s’en faire le chantre voire l’ambassadeur. Romain Duris fut son acteur fétiche, qui tourna dans trois de ses films : Gadjo Dilo (son plus grand succès), Je suis né d’une cigogne et Exils. David Murgia, un jeune acteur belge venu du cirque, lui ressemble de façon étonnante.

Tony Gatlif vécut une enfance chaotique et connut les maisons de correction. Il fut sauvé par un éducateur qui lui transmit la passion des chevaux. Tom Medina porte cette trace autobiographique.

La Camargue dispute à son acteur principal la tête d’affiche. Tom Medina y est tourné de bout en bout, au bord du Vaccarès, sur les rives de la Méditerranée, dans les rues de Saintes-Maries-de-la-mer. Mais il refuse l’imagerie de carte postale couramment utilisée pour le peindre.

Comme beaucoup de films de Tony Gatlif, Tom Medina bouillonne de vie. Ses personnages débordent d’une énergie communicative et inspirent une empathie immédiate, son héros en premier lieu, mais aussi Ulysse, son père de substitution, que campe Slimane Gazi, un habitué des rôles de gangsters dans un rôle à contre-emploi, et Stella, la fille de celui-ci, interprétée par la chanteuse de brutal pop Karoline Rose Sun.

Pour autant, comme beaucoup de films de Tony Gatlif, Tom Medina pèche par son scénario brouillon. Une fois son héros installé dans le mas d’Ulysse, entre taureaux et moustiques, l’action fait du surplace, les caractères n’évoluent pas, l’ennui s’installe jusqu’au dénouement prévisible.

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