Stavisky (1974) ★☆☆☆

« L’affaire Stavisky » défraya l’histoire de la IIIème République. Cet escroc au bras long avait réussi à éviter les poursuites grâce à ses relations dans la politique et la justice. La faillite du crédit municipal de Bayonne puis sa mort, dans des conditions obscures, à Chamonix, le 8 janvier 1934, entraînent une série de révélations qui provoquent la chute du Gouvernement et suscitent une flambée d’antiparlementarisme. Le 6 février 1934, une foule de manifestants manque d’envahir le palais-Bourbon et de renverser le régime.

En 1974, « Bébel » vient de fêter ses quarante ans. Il atteindra le sommet de sa gloire quelques années plus tard avec L’As des as et les films de Lautner qui lui confèrent une gloire qu’aucun acteur français ne connaîtra plus après lui. « Belmondo » deviendra une marque sur laquelle repose, à elle seule, la publicité des films dont il tient désormais la tête d’affiche. Mais, en 1974, Belmondo est déjà un acteur célèbre. Il tourne depuis presque vingt ans, d’abord avec les réalisateurs de la Nouvelle Vague (Jean-Luc Godard, François Truffaut), puis pour des réalisateurs plus grand public (Henri Verneuil, Philippe de Broca, Gérard Oury). Stavisky est le premier film – et le dernier – qu’il joue avec Alain Resnais. L’écrivain célèbre Jorge Semprun est au scénario et aux dialogues. Il est projeté à Cannes en compétition officielle mais n’y rencontre aucun succès. Belmondo dira qu’il fut l’une de ses plus grandes déceptions qui le décida à opter définitivement pour le cinéma de divertissement.

Il faut bien reconnaître que ce Stavisky est une cote mal taillée qui a mal résisté à l’épreuve du temps. Le choix revendiqué de Resnais, qui lui a été beaucoup reproché, est d’avoir négligé le contexte historique pour se focaliser sur le bel escroc et sa folie des grandeurs. Le problème est que le scénario, du coup, perd vite tout intérêt, dont on aura compris, puisqu’on connaît déjà la fin de l’histoire, qu’il nous racontera une chute inexorable.

L’autre problème est Belmondo lui-même qui écrase le film de son omniprésence. Bebel a dans Stavisky exactement le même bagout, le même sourire inoxydable, la même énergie inépuisable, la même gouaille sympathique que dans tous ses autres films. Si Photoshop avait existé à l’époque, on aurait pu utiliser tels quels des plans de Stavisky pour L’Homme de Rio ou Les Tribulations d’un Chinois en Chine. Le ban et l’arrière ban du cinéma français de l’époque l’entourent : Anny Duperey en vamp glamourissime, Charles Boyer vieillissant en baron d’un autre âge, Michael Lonsdale en médecin complaisant, François Périer en bras droit, Claude Rich en policier retors et même Gérard Depardieu dans un petit rôle et Niels Arestrup, mince et méconnaissable, dans un plus petit rôle encore.

À l’histoire de Stavisky a été bizarrement greffée celle de Trotski qui, à la même époque, bénéficie brièvement de l’asile politique en France, à Cassis où il débarque d’abord, à Saint-Palais près de Royan, à Barbizon et enfin à Domène près de Grenoble. Il faut sans doute y voir l’obsession de Semprun pour le fondateur de la Quatrième internationale qu’il évoque dans plusieurs de ses romans. Mais, sans lien avec celle de Stavisky, on voit mal ce qu’elle lui apporte.

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The Dig ★★☆☆

Edith Pretty (Carey Mulligan) est une jeune veuve qui élève seule son fils unique dans le vaste domaine que lui a légué son mari. Pour faire des fouilles sur son terrain, elle embauche Basil Brown (Ralph Fiennes), un vieil archéologue autodidacte qui y fait bientôt une découverte étonnante : un immense tumulus funéraire renfermant une tombe saxonne et son trésor. La découverte suscite l’intérêt immédiat des experts du British Museum qui entendent se l’approprier.

Le tout dernier film Netflix est arrivé sur les (petits) écrans hier et suscite des critiques mitigées. Certains y voient un mélo anglais ennuyeux. D’autres y voient au contraire une émouvante allégorie sur la mort qui vient et la vie qu’il faut croquer à pleines dents d’ici là.

Les deux critiques, aussi contradictoires soient-elles, me semblent aussi pertinentes l’une que l’autre. La première partie du film, qui s’étire sur près de deux heures et aurait pu faire l’économie d’une bonne vingtaine de minutes, est en effet particulièrement ennuyeuse. On y plonge dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres, dans des paysages et des situations qui ne sont pas sans rappeler Downton Abbey. Cette partie se focalise sur Basil Brown. Le jeu, parfait comme toujours, de Ralph Fiennes, tout en retenue, tourne vite court : on comprend rapidement les ressorts qui animent ce personnage silencieux et dur à la tâche. On sent venir inexorablement l’idylle convenue qui rapprochera ces deux cœurs solitaires, unis dans la même entreprise.

Mais le film réussit dans sa seconde partie à se sortir de l’ornière dans laquelle il semblait devoir s’encalminer. Il y réussit grâce à l’arrivée de nouveaux personnages qui donnent un peu d’oxygène à un récit qui s’étouffe dans un duo asthénique : un cousin photographe beau comme le jour (Johnny Flynn) et la femme mal mariée d’un archéologue venu de Londres (Lily James qui ne cesse, depuis sa première apparition dans Downton Abbey d’illuminer tous les films où elle apparaît). Il y réussit car le vrai sujet du film, jusque là invisible, apparaît de mieux en mieux.

Il est terriblement métaphysique au risque d’écraser le film tout entier sous son poids – comme s’écrasent sur Basil Brown les mottes de terre mal étayées qui manquent l’ensevelir au début de ses travaux. Dans l’Angleterre de 1939 qui va basculer dans la guerre, on comprend qu’il s’agit, dans l’excavation de cette tombe saxonne vieille d’une douzaine de siècles, dans l’entêtement de cette riche propriétaire à mener à bien cette tâche avant une mort qu’elle sait imminente, de retrouver les traces vacillantes de quelques vies enfouies qu’on croyait définitivement enterrées mais qui conservent, aussi vaines fussent-elles, leur sens et leur dignité par delà les siècles.

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Guillermo Vilas : Un classement contesté ★☆☆☆

Dans la seconde moitié des années soixante-dix, Guillermo Vilas comptait parmi les meilleurs du tennis mondial avec Jimmy Connors et Björn Borg. Vainqueur de quatre tournois du Grand Chelem (Roland Garros et l’US Open en 1977, l’Open d’Australie en 1978 et en 1979), champion incontesté de la terre battue, il ne fut jamais consacré numéro un mondial par le classement de l’ATP. Quarante ans plus tard, un journaliste argentin décide de reprendre à zéro les calculs de l’ATP et de rendre à Vilas la reconnaissance dont il a été frustré.

Il y avait bien des façons de parler de Guillermo Vilas, le célèbre tennisman au physique de playboy argentin, séducteur impénitent, poète et guitariste à ses heures perdues. Son service-volée et son incroyable endurance galvanisaient les foules. Il a inventé le lift. Il livra face à Nastase en finale des Masters de 1974 un combat d’anthologie qu’il gagna en cinq sets. C’est grâce à lui notamment que le tennis, jusqu’alors un sport d’amateur et de gentleman, devint à cette époque un show médiatique.

Pourtant, c’est par un angle bien particulier que Mathias Gueilburt aborde pour Netflix la carrière de Vilas : celui de son classement ATP. À l’époque, avant l’informatique, ce classement, lancé depuis 1973 seulement, était encore artisanal et entaché d’erreurs. Eduardo Puppo, un journaliste sportif, tenta sans succès d’en reprendre les calculs. Débordé par l’ampleur de la tâche, il dut s’adjoindre le concours d’un mathématicien roumain, Marian Culpian. Leur travail herculéen démontre que Vilas aurait mérité la place de numéro 1 pendant cinq semaines en 1975 et pendant deux autres début 1976.
L’ATP fut saisie d’une demande de requalification. Elle la rejeta en 2015. le documentaire laisse entendre que ce rejet était arbitraire et n’était guère motivé que par la crainte de voir surgir d’autres contestations. La raison en est en fait plus simple – et moins flatteuse pour Vilas : si le classement des têtes de séries n’avait pas été le même à l’époque, répond l’ATP, les joueurs auraient affronté d’autres adversaires et eu d’autres résultats qu’on ne saurait rétrospectivement reconstituer. Pour le dire autrement : il est impossible de modifier rétroactivement le classement mondial car cette modification aurait empêché les matches qui ont eu lieu de se tenir.

Cette querelle de chiffres et d’historien n’est pas inintéressante. Elle révèle la frustration d’un tennisman qui, faute d’avoir jamais accédé à la première marche du podium, a nourri toute sa vie durant une rancœur poulidorienne. Elle a permis aussi que se noue entre le journaliste don quichottesque et le champion vieillissant (frappé d’une maladie dégénérative, Vilas s’est retiré à Monaco) une amitié attendrissante. Mais elle nous prive d’une enquête qui aurait été autrement plus stimulante sur le tennisman, son jeu, ses matches, sa vie, ses frasques, comme le documentaire L’Empire de la perfection nous en avait fournie sur McEnroe ou la fiction Borg/McEnroe injustement critiquée.

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Le Roi ★★☆☆

Le roi d’Angleterre Henry IV (Ben Mendelsohn) est mourant. Son fils aîné (Timothée Chalamet) n’a aucune aspiration à régner car il sait que le trône l’obligera à mener des guerres auxquelles il répugne et à être entouré de conseillers dont il ne peut se fier. Pourtant, quand la mort emporte enfin le vieux roi, Henry V assume bravement sa succession. Les humiliations répétées que le roi de France lui envoie le décident à lui déclarer la guerre et à franchir la Manche. Après le siège d’Harfleur, les deux armées se font face à Azincourt. Pour vaincre, Henry V peut compter sur son vieil ami, Sir John Falstaff (Joel Edgerton)

Fallait-il oser aller se frotter aux pièces les plus intimidantes du répertoire shakespearien ? Les épaules du jeune Timothée Chalamet, la coqueluche des jeunes filles en fleurs, n’étaient-elles pas trop frêles pour endosser l’armure jadis revêtue par Laurence Olivier (en 1944) et par Kenneth Branagh (en 1989) ? Jon Edgerton serait-il aussi truculent – et aussi obèse – qu’Orson Welles dans le rôle de Falstaff ?

Si l’on mesure la réussite du Roi à ces aunes-là, la comparaison, jouée d’avance, ne pourra que tourner à son désavantage. Mais si on ignore ces précédents écrasants, le réalisateur David Michôd, dont les précédents films ne laissaient pas augurer qu’il s’aventure dans ces eaux-là, s’en sort avec les honneurs.

Sans doute, Le Roi, qui s’étire pendant cent-quarante minutes, dure-t-il une demie heure de trop et comporte-t-il un ventre mou. Sans doute sa fin à rebondissement manque-t-elle de rythme – même si le rebondissement final est inattendu et donne tout son sens au film. Sans doute enfin peut-on critiquer la prestation de ces deux principaux acteurs – ce que les réseaux sociaux se sont empressés de faire avec une joie méchante : Timothée Chalamet qui ne quitte pas de tout le film le même rictus concentré et Robert Pattinson qui pousse la caricature trop loin, avec un accent outré, dans le rôle du Dauphin de France.

Mais Le Roi réussit superbement à faire ce que ses illustres prédécesseurs focalisés sur le texte de Shakespeare et le jeu des acteurs, négligeaient : restituer les sensations d’une époque. Quand on regarde Le Roi, on entend les bruits de ripaille et de bataille du XVème siècle, on respire ses odeurs de sueur et de merde, on sent presque la boue d’Azincourt nous coller sous les pieds et le poids de ses armures monstrueuses, censées transformer les cavaliers qui les portaient en tanks invincibles au risque de les réduire à des scarabées impotents, peser sur nos épaules.

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Le Diable, tout le temps ★★★☆

Aux confins de l’Ohio et de la Virginie occidentale, de la Seconde guerre mondiale aux années soixante, le destin de plusieurs personnages se croise. Parmi eux, Alvin Russell (Tom Holland). Sa mère (Haley Bennett) est morte d’un cancer pendant son enfance. Son père (Bill Skarsgård), déjà traumatisé par les atrocités qu’il a vécues dans le Pacifique sud pendant la Seconde guerre mondiale, ne s’est pas remis du décès de sa femme. Le jeune Alvin est élevé par sa grand-mère auprès d’une autre orpheline, Lenora (Eliza Scanlen), dont la mère (Mia Wasikowska) a été sauvagement assassinée. Lenora, profondément pieuse, tombe sous l’emprise d’un pasteur pervers (Robert Pattinson) dont Alvin jure de se venger. Mais il croise bientôt la route de deux amants meurtriers protégé par un shérif véreux.

Le résumé que je viens de faire du Diable, tout le temps – au risque d’en révéler quelques uns des ressorts – est passablement confus ? Oui, aussi grands furent les efforts que j’ai déployés pour le simplifier.
Cela signifie-t-il pour autant que le film soit incompréhensible ? Non. Il réussit le miracle de rendre très fluide une narration pourtant passablement emberlificotée.

Il est l’adaptation fidèle d’un roman à succès de Donald Ray Pollock sorti en 2012 et immédiatement salué par la critique. Le roman emprunte au style dit du « Country noir ». Il s’agit d’un sous-genre du roman noir dont l’action se déroule dans l’Amérique profonde, celle des rednecks, des white trash. Faulkner en fut l’inspirateur avant l’heure. Le style a traversé l’Atlantique et on en retrouve la trace dans les « polars ruraux » qui rencontrent depuis quelques années en France un grand succès, signés par Franck Bouysse (Né d’aucune femme, Buveurs de vent), Cécile Coulon (Une bête au paradis) ou Colin Niel (Seules les bêtes brillamment porté à l’écran l’été dernier).

Le Diable, tout le temps s’inscrit dans une riche généalogie cinématographique. Tourné dans les Appalaches, il utilise les mêmes décors que Délivrance. Le couple d’amants criminels interprété par Jason Clarke (abonné au rôle de méchant) et Riley Keough (la petit-fille de Elvis Presley révélée dans Mad Max: Fury Road) semble tout droit sorti d’un roman noir de James Ellroy ou des Tueurs de la lune de miel. Mais ce sont peut-être les références à la religion, à la bigoterie, au charlatanisme qui sont les plus frappantes et qui évoquent les rôles immenses tenus par Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur, Burt Lancaster dans Elmer Gantry ou, plus près de nous, Daniel Day-Lewis dans There Will Be Blood. Il n’y a pas un mais deux prédicateurs torturés dans Le Diable tout le temps : Harry Melling (le cousin d’Harry Potter) et Robert Pattinson qui ont le courage l’un et l’autre d’endosser des rôles terriblement antipathiques.

Mais il n’est nul besoin d’avoir vu tous ces films – ni d’en faire l’étalage – pour apprécier Le Diable, tout le temps. Il faut simplement avoir le cœur bien accroché et se laisser emporter dans cette histoire à la fois terriblement lyrique et atrocement cruelle.

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Eurovision Song Contest: The Story of Fire Saga ★★★☆

Lars Erickssong (Will Ferrell) est né et a grandi à Húsavík , un minuscule port de pêche perdu au nord de l’Islande. Depuis qu’il a vu à la télé Abba emporter le concours en 1974, il nourrit une obsession : remporter l’Eurovision. Il l’a fait partager à Sigrit Ericksdottír (Rachel McAdams) qui l’aime depuis toujours d’un amour sans réciprocité. Rien ne saurait le dissuader : ni l’hostilité de son père (Pierce Brosnan), ni ses médiocres talents.

Eurovision Song Contest est une immense bouffonnerie et se revendique comme telle. Le matériau est en or : ce concours de l’Eurovision qui, sans qu’il soit besoin d’en rajouter, est déjà à lui seul si hilarant avec ses groupes de hard rock biélorusses et ses drag queens autrichiennes [je tremble que la phrase qui précède me valle une accusation de transphobie].

Cet humour volontiers outrancier n’est pas sans rappeler celui des frères Farrelly dont Will Ferrell fut longtemps l’homme lige. C’est d’ailleurs le principal reproche qu’on pourrait adresser à ce film : il aurait pu être tourné dix ans plus tôt et a d’ailleurs pour têtes d’affiche deux acteurs qui étaient au summum de leur popularité dans les années 2000. Will Ferrell a d’ailleurs dépassé sa date de péremption dans un rôle pour lequel il accuse une bonne vingtaine d’années en trop. Rachel McAdams en revanche n’a rien perdu de son charme ni de son humour. Sa performance crève l’écran.

Après une première partie en Islande qui raconte la qualification rocambolesque du duo, la seconde se transpose à Édimbourg où est censée se dérouler la finale de l’Eurovision. Les deux chanteurs y retrouvent leurs concurrents lors d’une soirée endiablée qui se transforme en vidéo clip façon Bollywood. On reconnaît au passage quelques uns des chanteurs de l’Eurovision tels Conchita Wurst, Netta ou Bilal Hassani. Les chansons de la BOF, très riche, sont au diapason de celles qu’on entend chaque année à l’Eurovision : gentiment ridicules mais en même temps terriblement galvanisantes.

Eurovision Song Contest ne se moque pas seulement du concours européen et de son décorum si caricatural. Il se moque aussi des Islandais, décrits comme un peuple innocemment consanguin, uniformément vêtu de pulls de Noël kitschs et discutant à ses heures perdues avec les elfes. Le film a été tourné sur place et son moindre atout n’est pas de nous montrer les incroyables paysages de ce sympathique pays.

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Forte ☆☆☆☆

Nour (Mehla Bedia) a une vingtaine de kilos en trop, un CDI dans une salle de fitness où elle assure l’accueil en en tenant la compta, une mère très collante et deux meilleurs-amis-pour-la-vie. Nour est une footballeuse talentueuse ; mais son surpoids la complexe. Avec Sissi (Valérie Lemercier), la coach farfelue de son club, elle veut s’initier à un sport plus féminin : la Pole dance.

Grossophobie. Forte fait partie de ces comédies françaises qui tiennent tout entier dans leur pitch. Avant même son commencement, on sait déjà à quoi on aura droit : une fille en surpoids qui, après quelques épisodes drôles sinon embarrassants, apprendra à s’accepter telle qu’elle est. En mineur lui fait écho le personnage de Steph (Bastien Ughetto), dont la sexualité est encore hésitante et qui trouvera à ses questionnements une réponse étonnante.
Sauf que le scénario de Forte, si l’acceptation de soi constitue son sujet, part dans une mauvaise direction : en quoi réussir à se contorsionner sensuellement autour d’une barre métallique constituera-t-il pour Nour la meilleure façon de s’accepter ? Le football où elle excelle (Mehla Bedia avait commencé, dans la vraie vie, une carrière professionnelle au PSG) n’aurait-il pas été un meilleur terrain d’accomplissement ?

Dans le meilleur des cas, on peut escompter passer un bon moment, entre éclats de rire et émouvante empathie. Dans le pire, on ne décrochera pas un sourire et les passages plus graves ne provoqueront qu’un silence consterné. Hélas, Forte – un titre qui, on l’aura compris, renvoie aussi bien au surpoids de l’héroïne qu’à sa force de caractère – relève plutôt de la seconde catégorie.

Pourtant Melha Bedia, l’actrice principale, aussi co-scénariste et co-dialoguiste, s’était bien entourée : son grand frère Ramzy Bedia, Valérie Lemercier, Jonathan Cohen et Alison Wheeler font les utilités. Le problème est que, sauf à être d’une coupable indulgence, elle n’est jamais ni drôle ni émouvante. Son bagout ne fait pas rire ; ses complexes ne font pas réfléchir.

Forte devait sortir le 18 mars 2020. Son affiche avait commencé à décorer les métros et les bus. Las ! le confinement lui barrait l’accès en salles – mais permettait à ses affiches de rester en place pendant plus de deux mois (à côtés de celles de Pinocchio et de Sans un bruit 2). Finalement, Forte est sorti directement sur Amazon Prime – alors que la plupart des films programmés en mars-avril-mai allait trouver finalement, durant l’été ou le début de l’automne, un chemin en salles. Pas sûr que le cinéma y ait perdu au change.

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La Poursuite impitoyable (1966) ★★★☆

La petite ville de Tarl au Texas apprend avec stupéfaction l’évasion de Bubber Reeves (Robert Redford) du pénitencier où il purge la peine qui lui a été infligée pour divers larcins commis dans sa jeunesse.
Son épouse, Anna (Jane Fonda), entretient une liaison avec Jason Rodgers dont le père, enrichi dans l’industrie du pétrole, tient la ville en coupe réglée. C’est lui qui a nommé shérif Barrett Clader (Marlon Brando), un fermier sans terre.
L’évasion de Bubber Reeves dont il y a lieu de craindre que la découverte de l’adultère de sa femme n’excite sa violence, échauffe les esprits de la petite communauté où se déroulent ce jour-là deux soirées bien arrosées : la première pour l’anniversaire de Val Rodgers, la seconde moins huppée, à l’autre bout de la ville, qui réunit des employés travaillant sous ses ordres.

La Poursuite impitoyable fait partie de ces films iconiques qui valent au moins autant pour leurs qualités cinématographiques que pour le miroir qu’ils tendent à l’époque qu’ils filment.

Ils rassemblent une pléiade de stars autour de Marlon Brando pourtant dans le creux de la vague après les éclatants succès des années cinquante (Un tramway nommé désir, Viva Zapata !, Jules César, Sur les quais) et avant son retour en majesté dans les années soixante-dix avec Le Parrain. Trois jeunes acteurs, de dix ans son cadet, gravitent autour de lui : Jane Fonda, Robert Redford et, dans un rôle plus modeste, Robert Duvall. L’extraordinaire beauté, la rayonnante jeunesse des deux premiers crèvent l’écran. La puissance féline de Marlon Brando n’est pas de reste dont une scène est entrée dans la légende : celle de son tabassage en règle par trois vigilantes ivres de haine qui veulent mettre la main sur le prisonnier en fuite.

La Poursuite impitoyable dresse un portrait effroyable de l’Amérique profonde, du racisme et des préjugés de classe qui la gangrènent. Il décrit une petite communauté qu’une nuit d’ivresse suffit pour y faire ressurgir une violence atavique.

Toute l’action du film se déroule en l’espace d’une journée jusqu’à son dénouement fatal, donnant à ce western contemporain des allures de tragédie grecque.

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Le Tigre blanc ★★☆☆

Balram est un enfant particulièrement doué dont le seul défaut est d’être né dans l’Inde rurale. La mort de son père, la tutelle écrasante de sa grand-mère lui ferment les portes de l’école. Sa seule possibilité d’ascension sociale passe par un emploi dans la famille du potentat local, un homme violent et corrompu. Balram devient le chauffeur de son fils et de sa belle-fille qui reviennent tous les deux des Etats-Unis et affichent plus de respect pour leurs domestiques que leurs aînés. Mais ce discours moderniste ne résiste pas au drame qui survient un soir…

Le Tigre blanc est d’abord un livre écrit en 2008 par Aravind Adiga. Il a sa place au panthéon des grands romans indiens avec les œuvres de Salman Rushdie, de Vikram Seth, de Rohinton Mistry, de Vikram Chandra, d’Amitav Gosh ou de Kiran Desai. Tous ces livres ont en commun leur souffle et leur ambition : à travers le destin individuel de quelques personnages pleins d’énergie, piégés dans un système étouffant et injuste, il y est question de modernité et de tradition, de relations de classes, d’ascension sociale, de liberté individuelle.

Ces œuvres là ont pour certaines été portées à l’écran. Attention à l’amalgame ! Il ne s’agit pas ici du cinéma de Bollywood, de ses comédies musicales un peu mièvres, souvent trop longues et toujours trop sucrées. Il s’agit d’un cinéma qui, comme ce Tigre blanc, se concocte à cheval sur plusieurs continents : si son action se déroule en Inde, la production en est souvent américaine ou européenne.
Slumdog Millionaire en est l’exemple le plus fameux. Sorti en 2008, adapté d’un roman de Vikas Swarup, réalisé par le Britannique Danny Doyle, ce film a connu un succès mondial mérité : huit Oscars (dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur), sept Bafta, quatre Golden Globes – et le César du meilleur film étranger.

Le Tigre blanc marche sur ses traces. Son histoire lui ressemble, qui met en avant un jeune Indien pauvre mais plein de ressources. Mais son traitement est plus grave.

Le Tigre blanc explore le thème de la domesticité. Un thème universel qui avait déjà été traité en Inde avec l’excellent Monsieur, en Asie avec The Housemaid ou Parasite, en Amérique latine avec La Nana, Une seconde mère, Roma ou Trois étés, au Royaume-Uni dans The Servant de Losey et dans la série à succès Downton Abbey, en France avec La Cérémonie de Chabrol, sans parler du Journal d’une femme de chambre. Le thème est d’une grande richesse qui peut se prêter à toutes sortes de traitements, romantique, comique ou tragique. Entre les maîtres et leurs domestiques se tisse en effet un lien structurellement inégalitaire et paradoxalement très intime.

C’est sur cette matière très fertile que se construit Le Tigre blanc. Son seul défaut est de le faire sans surprise. On sait, dès le commencement, que si Balram ne veut pas être écrasé par ses maîtres, il devra utiliser les mêmes armes qu’eux. Du coup, son cynisme revendiqué vide de l’émotion qu’elles auraient dû susciter les épreuves qu’il traverse. Reste néanmoins l’exotisme d’un film qui, deux heures durant, nous fait voyager dans un pays si dépaysant. Un luxe précieux en ces temps de confinement…

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Move ★★☆☆

Move est une mini-série documentaire Netflix en cinq épisodes. Elle nous propose un tour de monde de la danse contemporaine à travers les portraits qu’elle dessine de cinq des plus grands chorégraphes au monde : Jon Boogz et Lil Buck aux Etats-Unis, Ohad Naharin en Israël, Israel Galvan en Espagne, Kimiko Versatile à la Jamaïque, Akram Khan au Royaume-Uni. Chacun a inventé un langage chorégraphique bien à lui tel la méthode Gaga ou exploré, développé, modernisé révolutionné, un style déjà ancien tel le flamenco ou le kathak.

Thierry Demaizière et Alban Teurlai forment depuis plus de quinze ans un duo inséparable. Pour la télévision d’abord, pour le cinéma ensuite, ils ont signé ensemble plusieurs documentaires. Les trois derniers, sortis en salles, entretenaient avec leurs sujets une distance toujours juste : Relève  sur Benjamin Millepied à l’Opéra de Paris, Rocco sur le célèbre acteur porno et Lourdes sur les pèlerins affluant au sanctuaire de Bernadette Soubirous. Leur talent ne pouvait pas passer inaperçu de Netflix qui, en 2019, leur a commandé une série ambitieuse.

Chaque épisode de quarante-cinq minutes environ est construit selon le même schéma et emprunte les mêmes ressorts, au risque parfois de la répétition. Systématiquement, les parents du chorégraphe sont interviewés, qui ne cachent pas bien sûr leur admiration pour leurs brillants rejetons mais aussi les conflits que leurs choix parfois radicaux ont pu entraîner : le père d’Akram Khan voulait qu’il reprenne le restaurant familial, celui d’Israel Galvan a longtemps refusé qu’il s’écarte de la tradition flamenco.

On voit ensuite les chorégraphes avec leurs compagnies. C’est la partie la plus intéressante du documentaire, celle où on les voit travailler ensemble, le front plissé par la concentration, les muscles tendus par l’effort. Il s’agit pour eux de préparer un spectacle dont on voit quelques images, trop courtes, à la toute fin du documentaire. C’est le cas notamment de la chorégraphie, toute en puissance, que monte Akram Khan au Bengladesh, en mars 2020, pour le centième anniversaire de la naissance du fondateur de ce pays. Ultime regret : ne pas prendre plus de temps devant ces spectacles dont on est frustré de n’en apercevoir que quelques passages et qu’on aurait aimé regarder plus longtemps.

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