Unbelievable ★★★☆

La jeune Marie Adler n’a pas eu une enfance facile. Maltraitée par ses parents, déplacée d’une famille d’accueil à une autre, elle est à dix-huit ans violée, chez elle, par un inconnu menaçant. Sa réaction déconcertante et les incohérences de son témoignage conduisent la police à mettre en doute sa parole. Sous la pression, Marie retire sa plainte. Elle est bientôt poursuivie pour faux témoignage et son nom est jeté en pâture à la presse.
Trois ans plus tard, dans un autre État américain, plusieurs viols sont commis selon le même modus operandi. Deux inspectrices tenaces n’ont de cesse d’en découvrir l’auteur. L’enquête permettra ainsi de rendre justice à la jeune Marie dont la parole n’avait pas été écoutée.

Les agressions sexuelles, les femmes qui en sont victimes, leurs difficultés à faire entendre leur témoignage : le sujet est d’une brûlante actualité. Unbelievable s’en empare à bras-le-corps, à commencer par son titre, d’une intelligente polysémie : impossible à croire, le témoignage de cette victime ? impossible à croire les épreuves qu’elle a dû traverser jusqu’à ce que la vérité éclate ?

Unbelievable a une immense qualité : le scénario, inspiré d’une histoire vraie qui s’est déroulée entre 2008 et 2011 et qui a fait l’objet d’une longue enquête journalistique couronnée par le Prix Pulitzer, ne sombre jamais dans le manichéisme. Si la violence systémique subie par Marie est clairement dénoncée, elle s’exprime à travers des personnages qui, tous, de sa mère adoptive qui comprend d’autant moins la réaction de la jeune fille qu’elle a elle-même été violée vingt ans plus tôt, aux deux inspecteurs qui remettent en cause son témoignage, se comportent avec elle avec une douceur melliflue.

Unbelievable a une autre qualité : sa durée. La mini-série de huit épisodes dure au total près de sept heures, ce qui laisse à la narration le temps de prendre son temps, le temps par exemple de nous entraîner sur une fausse piste là où un film de deux heures ne saurait se le permettre.

Mais Unbelievable a pour autant un défaut. Son titre, son pitch nous laissent augurer une histoire qui aurait pu se suffire à elle-même : celle d’une femme violée dont le témoignage n’est pas cru. Mieux, elle aurait pu laisser planer un suspense : Marie a-t-elle été vraiment victime du viol qu’elle déclare avoir subi ? Mais la série ne prend pas cette direction-là. Dès les premières images, aucun doute n’est permis : le viol a bien eu lieu.
La série prend une autre direction. Elle nous entraîne au Colorado, dans une enquête policière sur les traces du violeur en série dont on comprend bien vite qu’il a attaqué Marie trois ans plus tôt à près de deux milles kilomètres de là.

Certes, la traque par Toni Collette et Merritt Wever de ce violeur suffit à nous tenir en haleine pendant les sept derniers épisodes. Mais on y perd malheureusement de vue ce qui aurait dû rester au centre de la série. Si j’avais eu mon stylo rouge, j’aurais écrit : « très bien, mais attention au Hors sujet ».

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Deutschland 86 ★★★☆

1986. Gorbachev est arrivé au pouvoir en URSS et fait souffler un vent nouveau dans le Bloc de l’Est. La RDA prend l’eau. Acculée à la faillite, elle doit trouver à tout prix des capitaux, quitte à renier ses idéaux. La rentabilité financière des opérations qu’il mène est devenue le mètre-étalon du HVA, le service d’espionnage est-allemand où Annett Schneider (Sonja Gehrardt) travaille désormais avec l’enthousiasme des néophytes.
Après sa précédente mission, Martin Rauch (Jonas Nay) est parti se faire oublier en Angola où il enseigne l’allemand dans un orphelinat. Mais sa tante Lenora (Maria Schrader), que les services secrets ont dépêchée au Cap pour soutenir l’ANC face au régime raciste sud-africain, le convainc de reprendre du service.

Le succès de Deutschland 83 appelait une suite qui se déroule trois ans plus tard et met en scène les mêmes personnages. L’arrière plan historique y est utilisé avec autant d’intelligence que dans la précédente saison. Deutschland 83 se déroulait en pleine guerre froide ; Deutschland 86 a pour cadre son crépuscule.

Plusieurs fils narratifs se tissent et s’entrecroisent : le retour de Martin en Europe à la recherche du fils qu’il a eu trois ans plus tôt avec Annette, les tests sous-traités à la RDA de nouveaux médicaments, parfois toxiques, contre le Sida dont la découverte pousse une médecin est-allemande à tenter de franchir le mur avec sa famille, l’installation à Berlin après son coming-out d’Alexandre Ebel, l’un des héros de la précédente saison, et son pacifisme sincère mais instrumentalisé par Tobias Tischbier, un parlementaire ouest-allemand infiltré par le HVA, « l’Opération Croisière » montée pour tourner l’embargo sud-africain sous couvert d’une croisière de luxe pour les prolétaires à bord d’un paquebot faisant route vers Le Cap, etc.

Les trois premiers épisodes de Deutschland 86 sont un peu déroutants qui s’égarent en Afrique australe dans une intrigue à laquelle on peine à s’intéresser. Mais, quand après un détour par la Libye de Kadhafi – dont la RDA soutenait les menées terroristes – l’action se recentre sur Berlin, on retrouve dans les derniers épisodes de la saison la même fièvre que dans Deutschland 83.

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Un crime parfait : L’assassinat de Detlev Rohwedder ★★☆☆

Qui a assassiné à Düsseldorf le 1er avril 1991 Detlev Rohwedder, le patron de la Treuhandanstalt, la structure de défaisance créée pour vendre les actifs industriels de l’Allemagne de l’est récemment réunifiée ? Des combattants de la troisième génération de la Fraction armée rouge (RAF) en croisade contre le capitalisme et ses patrons qui l’incarnent ? Des mercenaires de la Stasi en rupture de ban après leur brutale mise à pied ? Ou une organisation para-étatique secrète ? Le crime n’a jamais été élucidé. Une mini-série allemande distribuée par Netflix en septembre 2020 reprend en quatre épisodes l’enquête sur ce meurtre mystérieux.

Le true crime documentaire est décidément un genre à la mode. Avec l’esprit de méthode qui caractérise la plateforme californienne, Netflix a repéré le filon et a décidé d’en distribuer tous les avatars qu’il s’agisse de l’assassinat du petit Grégory (Grégory), de l’agression sexuelle de DSK sur Nafissatou Diallo (Chambre 2806) ou de la disparition de la jeune Maddie McCann au Portugal. À chaque fois, la recette est la même : un crime inexpliqué qui a défrayé la chronique, revisité avec les interviews des principaux protagonistes, des images d’archives et, le cas échéant, la fictionnalisation de quelques uns des moments-clés.

Un crime parfait : L’assassinat de Detlev Rohwedder ne déroge pas à cette règle éprouvée. Les réalisateurs ont beau faire : ils ne parviennent pas à lever l’épais voile de mystère qui entoure ce crime réalisé avec un professionnalisme qui nourrit tous les complotismes. Il fallait une sacrée organisation pour laisser aussi peu d’indices.

Que les réalisateurs l’aient sciemment voulu ou non, le principal intérêt de ce documentaire n’est pas dans son enquête policière sans coupable. Il se trouve dans la reconstitution d’une époque : celle qui a précédé et immédiatement suivi la réunification allemande. On en revoit avec émotion les images défraichies – et on se dit que, décidément, tout était hideux dans la mode et la coiffure de ces années-là. Et on en vient à regretter qu’au lieu de nous parler d’un crime définitivement obscur, ce documentaire n’ait pas pris le parti radical de se saisir à bras-le-corps de cette page passionnante de l’histoire allemande.

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La Foire aux vanités ★★☆☆

Rebecca Sharp (Olivia Cooke, brunette piquante qu’on avait remarquée dans Katie Says Goodbye avant qu’elle partage la tête d’affiche de Ready Player One) est orpheline. Élevée à l’institut de jeunes filles de Mme Pinkerton, elle cherche sa place dans l’Angleterre géorgienne. Elle peut compter sur sa meilleure amie Amelia Sedley (Claudia Jessie), promise au capitaine George Osborne, qui lui présente bientôt son frère Joseph, aussi gras que riche.

La Foire aux vanités est un roman immensément célèbre outre-Manche, que les adolescents britanniques lisent comme nous Les Misérables ou Sans famille mais qui, peut-être parce qu’il n’est guère enseigné dans nos écoles, n’est guère connu en France. Aussi le risque est-il grand que cette mini-série commandée par la chaîne de télévision britannique ITV en 2018 s’exporte mal.

Elle est pourtant l’occasion de réviser ses classiques et de (re)découvrir une œuvre qui n’a pas pris une ride. Le roman-feuilleton de William Makepeace (ah ! ces seconds prénoms ! Robinette, Milhous, etc…) Thackeray est d’abord, comme les œuvres de Dickens dont il est l’exact contemporain, une rebondissante cavalcade à travers l’Angleterre du début du XIXème siècle, avant et après la bataille de Waterloo qui constitue son point d’orgue. Comme chez Dickens, c’est un roman d’apprentissage qui suit, de leur sortie du pensionnat jusqu’à leur vieillesse, deux héroïnes aussi proches que dissemblables. Comme chez Jane Austen, c’est l’occasion d’une peinture toute en nuances d’une société corsetée dans ses règles.

Mais, ce qui fait le sel de La Foire aux vanités est son profond immoralisme. Becky Sharp est un personnage sans foi ni loi dont l’appétit de vie est la seule boussole. Elle a toujours un « plan » dans sa poche pour tromper les aléas du sort, quitte à trahir sa parole, tromper ses amis et… vendre ses charmes. Avec la même ambiguïté que le Choderlos de Laclos des Liaisons dangereuses, Thackeray se pose en moraliste, critiquant le comportement de Becky, sans parvenir tout à fait à cacher la sympathie que l’immoralisme du personnage lui inspire – et inspirera à ses lecteurs.

La mini-série écrite par Gwyneth Hughes et réalisée par James Strong ne brille pas par sa modernité. Tout y est très classique, des costumes aux décors (largement reconstitués en Hongrie, économies budgétaires obligent). Le film de Mira Nair sorti en 2004, avec Reese Whitherspoon dans le rôle de Becky Sharp, souffrait des mêmes défauts. Mais l’un comme l’autre ont eu la bonne idée de se mettre au service d’une œuvre exceptionnelle dont l’intérêt suffit, à lui seul, à aller en voir toutes les adaptations aussi quelconques soient-elles.

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13 novembre : Fluctuat nec mergitur ★★★☆

Dans la nuit du 13 novembre 2015, trois commandos terroristes sèment la terreur à Paris : le premier aux abords du Stade de France où trois assaillants essaient de pénétrer pendant le match France-Allemagne, le deuxième dans les rues de l’Est parisien en rafalant les badauds en terrasse de plusieurs établissements, le troisième à l’intérieur du Bataclan.
Jules et Gédéon Naudet ont interviewé les survivants.

Dans un format hors normes de près de trois heures, découpé par Netflix en trois épisodes d’une mini-série, si captivants qu’on ne peut se retenir de les regarder à la file, 13 novembre présente deux qualités.

La première est de nous faire revivre minute après minute, presqu’en temps réel, le macabre enchaînement de cette funeste soirée. On le fait grâce aux témoignages informés de François Hollande, de Bernard Cazeneuve ou d’Anne Hidalgo. On le fait aussi grâce à un montage très pédagogique enchaînant interviews, vidéos d’archives, plan des lieux….

Mais cette reconstitution documentaire n’est pas la principale qualité de ce documentaire. On pourrait d’ailleurs lui reprocher de rester muette sur les terroristes, leurs motivations et leur sort (la plupart mourront le soir même, les deux derniers se donnant la mort cinq jours plus tard à Saint-Denis avant leur interpellation).

13 novembre bouleverse avant tout par l’incroyable humanité des témoins des attentats. Ils se partagent en deux catégories. D’un côté, les pompiers qui ont porté secours aux victimes et les policiers qui ont traqué les assaillants. Confrontés à une situation extraordinaire qu’ils n’avaient jamais vécue, ils ont tous, depuis le général commandant les sapeurs pompiers de Paris jusqu’au chef de la BRI qui a mené l’assaut à l’intérieur du Bataclan, fait preuve d’un professionnalisme qui force l’admiration. Leurs témoignages n’occultent pas leur émotion mais glorifient leur héroïsme – au risque de faire naître le soupçon que les réalisateurs aient sciemment gommé tous leurs défauts.

Plus émouvants encore sont les témoignages des rescapés, notamment de ceux du Bataclan. Je ne me souvenais pas que la fusillade – qui causa pas moins de quatre-vingt dix victimes – s’était conclue par une prise d’otages. Les frères Naudet ont recueilli le témoignage de six des otages, tout à la fois glaçants par la mort qu’ils ont frôlée et qui aurait dû les faucher, galvanisants par l’énergie qu’ils ont manifestée pour survivre et absurdement drôles par les détails triviaux qui émaillent leurs récits. Le phénomène d’identification fonctionne à plein, face à ces Français ordinaires qui nous ressemblent, plongés dans une situation extraordinaire que nous aurions pu comme eux vivre. Dans quel état en serions-nous sortis ?

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Captive ★★★☆

Au milieu du dix-neuvième siècle, au Canada, dans la province de l’Ontario, Grace Marks et James McDermott furent accusés du double meurtre de leur employeur, Thomas Kinnear, et de sa gouvernante, Nancy Montgomery. Si McDermott fut pendu, la peine de Grace Marks fut commuée en prison à vie. Quelques années après son procès, un jeune psychiatre obtient le droit de l’interroger. Captive raconte leur face-à-face.

Diffusé sur Netflix en 2017, Captive est une mini-série en six épisodes adaptée du roman Alias Grace de Margaret Atwood publié en 1996, Sans doute ce livre n’a-t-il pas la même renommée que La Servante écarlate, qui valut à la romancière canadienne une célébrité mondiale. Sans doute cette série n’a-t-elle pas le même prestige que celle qui vient d’être tirée de sa glaçante dystopie. Sans doute enfin la jeune Sarah Gadon – qui a pourtant joué dans plusieurs films de David Cronenberg – n’est elle pas aussi connue qu’Elisabeth Moss.

Pour autant, Captive est une œuvre exceptionnelle qui séduira non seulement les inconditionnels, déjà nombreux, de La Servante écarlate, mais aussi tous ceux, s’il en existe encore, qui n’ont jamais rien lu ni vu de Margaret Atwood. La soigneuse adaptation qu’en signe Mary Harron lui rend honneur

Alias Grace n’a, à première vue, rien de commun avec The Handmaid’s Tale. Il ne s’agit pas d’une dystopie mais d’un roman historique dont l’action se déroule dans le Canada du milieu du dix-neuvième siècle. Mais les deux romans sont traversés par le même féminisme brûlant qui caractérise toute l’œuvre de Margaret Atwood. Si The Handmaid’s Tale évoque, dans un futur cauchemardesque mais hélas crédible, la possibilité de l’asservissement de la femme, Alias Grace documente l’asservissement bien réel qui caractérisa sa condition il y a moins de deux siècles.

Grace est la victime des hommes. Elle est la victime de son père alcoolique, joueur, voire incestueux, qui lui fait traverser l’Atlantique, avec sa mère, ses frères et ses sœurs, avant de la placer comme domestique dans une maison. Elle est la victime de George Parkinson, le fils de ses premiers employeurs, qui cause la mort de Mary Whitney, sa meilleure amie, avant de provoquer son renvoi. Elle est enfin la victime de James McDermott, le garçon de ferme de Thomas Kinnear, qui l’entraîne dans ses délires criminels.

Sera-t-elle sauvée par le docteur Jordan qui veut tester sur elle les premières ébauches d’une psychiatrie freudienne avant l’heure ? Tel est l’enjeu du roman qui alterne les rencontres entre les deux protagonistes et les longs flashbacks. La série suit la même structure avec la même efficacité.

Captive est construit autour d’un mystère : Grace est-elle une innocente jeune femme qui, traumatisée par tous les drames qu’elle a vécus depuis son enfance, ne saurait être tenue pour responsable des crimes qu’elle a commis ? Ou est-elle au contraire, une dangereuse criminelle qui a tué de sang froid ? L’immense qualité du livre – et de la série – est de laisser planer le doute jusqu’au bout, laissant en suspens la question de la duplicité et donc de l’identité profonde de Grace. Le paradoxe de sa construction est d’entourer Grace de personnes bienveillantes : son psychiatre, le Dr Jordan, dont l’attirance pour la jeune femme le prive de sa lucidité, le pasteur de la société de tempérance qui œuvre pour son amnistie (interprété par David Cronenberg himself). Paradoxalement, c’est Grace elle-même qui semble la moins désireuse d’être blanchie. Et c’est avec un plaisir sournois qu’elle humilie le Dr Jordan et discrédite son protocole – faisant écho à la défiance de certaines branches du féminisme contemporain pour la méthode freudienne.

La vie de Grace est un patchwork (Marie Delord, “A Textual Quilt: Margaret Atwood’s Alias Grace” in Études Canadiennes / Canadian Studies, n° 46, 1999, pp. 111-121). Chacun des quinze chapitres qui compose le livre a pour titre un motif de courtepointe. La série ne pousse pas la fidélité jusqu’à leur emprunter les titres de ses épisodes. Mais elle prend soin de commencer par des images de ces superbes broderies et s’achève avec celle que Grace réalise au crépuscule de sa vie, enfin réconciliée avec elle-même.

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Move ★★☆☆

Move est une mini-série documentaire Netflix en cinq épisodes. Elle nous propose un tour de monde de la danse contemporaine à travers les portraits qu’elle dessine de cinq des plus grands chorégraphes au monde : Jon Boogz et Lil Buck aux Etats-Unis, Ohad Naharin en Israël, Israel Galvan en Espagne, Kimiko Versatile à la Jamaïque, Akram Khan au Royaume-Uni. Chacun a inventé un langage chorégraphique bien à lui tel la méthode Gaga ou exploré, développé, modernisé révolutionné, un style déjà ancien tel le flamenco ou le kathak.

Thierry Demaizière et Alban Teurlai forment depuis plus de quinze ans un duo inséparable. Pour la télévision d’abord, pour le cinéma ensuite, ils ont signé ensemble plusieurs documentaires. Les trois derniers, sortis en salles, entretenaient avec leurs sujets une distance toujours juste : Relève  sur Benjamin Millepied à l’Opéra de Paris, Rocco sur le célèbre acteur porno et Lourdes sur les pèlerins affluant au sanctuaire de Bernadette Soubirous. Leur talent ne pouvait pas passer inaperçu de Netflix qui, en 2019, leur a commandé une série ambitieuse.

Chaque épisode de quarante-cinq minutes environ est construit selon le même schéma et emprunte les mêmes ressorts, au risque parfois de la répétition. Systématiquement, les parents du chorégraphe sont interviewés, qui ne cachent pas bien sûr leur admiration pour leurs brillants rejetons mais aussi les conflits que leurs choix parfois radicaux ont pu entraîner : le père d’Akram Khan voulait qu’il reprenne le restaurant familial, celui d’Israel Galvan a longtemps refusé qu’il s’écarte de la tradition flamenco.

On voit ensuite les chorégraphes avec leurs compagnies. C’est la partie la plus intéressante du documentaire, celle où on les voit travailler ensemble, le front plissé par la concentration, les muscles tendus par l’effort. Il s’agit pour eux de préparer un spectacle dont on voit quelques images, trop courtes, à la toute fin du documentaire. C’est le cas notamment de la chorégraphie, toute en puissance, que monte Akram Khan au Bengladesh, en mars 2020, pour le centième anniversaire de la naissance du fondateur de ce pays. Ultime regret : ne pas prendre plus de temps devant ces spectacles dont on est frustré de n’en apercevoir que quelques passages et qu’on aurait aimé regarder plus longtemps.

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Cap sur le Congrès ★★☆☆

Cap sur le Congrès (Knock Down the House) suit la campagne électorale de quatre femmes dans le Nevada, le Missouri, la Virginie-Occidentale et l’Etat de New York. Repérées et soutenues par les associations Brand New Congress et Justice Congress,  Alexandria Ocasio-Cortez, Amy Vilela, Cori Bush and Paula Jean Swearengin participent aux élections primaires qui doivent désigner le candidat démocrate aux élections de mi-mandat 2018 à la Chambre des Représentants et au Sénat. Chacune affronte des hommes politiques élus de longue date, solidement installés et soutenus par l’Establishment.

Cap sur le Congrès est un documentaire politique qui n’évite pas le piège du manichéisme. Il suscite une empathie immédiate pour ces quatre jeunes femmes enthousiastes qu’on voit mener, sans grands moyens, une campagne électorale courageuse. Elles font partie de l’aile gauche du Parti démocrate qui ont soutenu en 2016 Bernie Sanders contre Hillary Clinton. Elles représentent chacune une minorité : AOC a des origines porto-ricaines, Amy Vilela mexicaines, Cori Bush est afro-américaine et Paula Jean Swearengin représente ces White Trash, ces redneck, ces culs-terreux des Appalaches appauvris par la crise de l’industrie minière.

Sans grande surprise, le documentaire filme alternativement chacune de ces quatre candidates. C’est à la fois sa principale force et sa plus grande faiblesse.
L’entrelacement de ces quatre histoires donne en effet du rythme au récit et permet de toucher du doigt la diversité de la situation politique de l’Amérique au milieu du mandat Trump (dont il est étonnamment peu fait mention).
Mais ces quatre histoires nous empêchent de nous focaliser sur celle qui nous intéresse vraiment : Alexandria Ocasio-Cortez. Avec beaucoup de flair en effet, la réalisatrice Rachel Lears avait dès 2016 identifié parmi les candidates cette jeune femme charismatique. Son sourire séduisant, son infatigable enthousiasme, sa force de persuasion ont séduit les électeurs du Bronx et lui ont ouvert les portes de la Chambre des Représentants dont elle devint en 2018, avant son trentième anniversaire, la plus jeune membre. Elle a tout l’avenir devant elle.

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Lupin ★☆☆☆

Assane Diop (Omar Sy) est orphelin. Vingt ans plus tôt, son père est mort en prison, dans d’obscures circonstances, après avoir été injustement soupçonné du vol du Collier de la reine, propriété de ses patrons, M. et Mme Pellegrini. Assane a grandi solitairement. Fan d’Arsène Lupin dont il a lu toutes les Aventures, il utilise ses dons pour la cambriole pour commettre, toujours avec élégance, mille larcins. Quand on annonce que le Collier de la reine a été retrouvé et qu’il sera bientôt mis en vente, Assane n’a plus qu’une idée en tête : le dérober afin de laver l’honneur de son père.

Les cinq premières épisodes de la série Lupin arrivent sur Netflix avec tambours et trompettes. Rassemblant quelques unes des plus grandes stars du moment, soigneusement choisies pour séduire toutes les tranches d’âge (Omar Sy, l’acteur préféré des Français, Clotilde Hesme pour les trentenaires, Ludivine Sagnier pour les quadragénaires, Nicole Garcia pour les plus vieux, Shirine Boutella et Soufiane Guerrab pour les plus jeunes), tournée dans les décors les plus touristiques qui soient (le Louvre, le jardin du Luxembourg, la falaise d’Étretat), la mini-série affiche sans détour ses intentions : séduire le plus large public, en France et au-delà.

Y est-elle parvenue ? Les avis se déchirent depuis deux jours, prenant parfois une dimension polémique lorsque les récentes positions défendues par Omar Sy dans le débat public sont évoquées. D’un côté, les plus enthousiastes se réjouissent de retrouver le plaisir régressif qu’ils avaient pris, enfant, à la lecture des romans de Maurice Leblanc et/ou à la vision de la série avec Georges Descrières (dont les plus âgés se souviennent tous du générique chanté par Jacques Dutronc). De l’autre, les plus chagrins reprochent à Lupin sa vulgarité, l’accumulation des clichés, la pauvreté des dialogues téléphonés et son rythme poussif.

Je me classe hélas dans cette seconde catégorie.
Bien sûr, j’ai ressenti ce petit frisson régressif à retrouver le « gentleman cambrioleur » – dont le machisme revendiqué de mâle blanc cisgenre pourrait légitimement encourir les foudres de la génération #MeToo. Je me suis aussi laissé bluffer à la distribution brillante, au sourire séducteur d’Omar Sy et à l’argent dépensé sans compter dans une réalisation qui n’a pas mégoté son budget. Mais le plaisir fut de courte durée.

Lupin reprend les codes des romans-feuilletons et des vieilles séries. Ses personnages sont archétypiques : le gentleman cambrioleur, l’ignoble milliardaire, la jolie jeune femme, l’ami fidèle…. Hélas, le temps a passé et les modes ont changé. L’œil du spectateur, qui en a beaucoup vu, a évolué. Depuis le début du vingt-et-unième siècle et la multiplication des séries américaines, les personnages ont gagné en profondeur, les intrigues sont sans cesse plus complexes. Le temps n’est plus des personnages tout d’une pièce. Les intrigues tracées d’avance ne séduisent plus.

Le casse du Louvre par lequel commence la série s’annonçait spectaculaire. Hélas, tout le déroulement nous en est révélé par avance. Et le tour de passe-passe par lequel il se termine est tellement prévisible qu’il ne nous surprend pas.

Autre exemple dans le deuxième épisode : Quand Assane Diop recueille les dernières volontés d’un mourant qui lui demande de faire sourire sa femme, la scène suivante, où notre héros, fidèle à sa parole, laisse à la veuve un diamant, est insupportable. Elle l’est encore plus quand, en voix off, résonnent une seconde fois les paroles du mourant – au cas où on n’ait pas compris qu’il s’agisse de sa veuve.

Dernier élément à charge : avoir flanqué notre héros d’un gamin, avec lequel il essaie tant bien que mal de renouer une relation que sa séparation avec sa mère a mis en péril, pèse une tonne et mérite incontestablement la palme de la plus éculée idée de scénario.

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The Crown – saison 4 ★★★★

The Crown est de retour. Un an après sa troisième saison, voici la quatrième dont la sortie en France a fort opportunément coïncidé avec le deuxième confinement.

On y retrouve tous les personnages qu’on connaissait déjà : la reine bien sûr, impeccablement interprétée par Olivia Colman, son mari, le duc d’Édinbourg, que les réalisateurs n’ont pas voulu dépeindre aussi réac qu’on le dit être, sa sœur Margaret, de plus en plus alcoolique, ses enfants, Anne, la préférée de son père, Charles, le mal aimé, etc.

La saison 4 raconte les années 80, dont les vieux quinquagénaires de mon espèce ont gardé un souvenir vibrant. Elles voient apparaître autour de la reine – comme l’illustre l’affiche de la saison 4 – deux personnalités importantes. D’un côté Margaret Thatcher, Premier ministre de 1979 à 1990, qui engagea le pays dans une révolution libérale qui le guérit de la récession dans laquelle il était englué mais qui en aggrava ses inégalités sociales. L’actrice américaine Gillian Anderson prend un plaisir communicatif à caricaturer la Dame de fer dont l’image sort sérieusement écornée de cet étrillage en règle. Un épisode est consacré au conflit frontal qui l’oppose à la Reine au sujet des sanctions décidées par le Commonwealth contre le régime sud-africain d’apartheid.

L’autre personnalité dont on attendait impatiemment l’arrivée est bien entendu Lady Di. Le parti a été pris de pousser la ressemblance à son paroxysme – comme d’ailleurs pour quasiment tous les personnages de la série. La jeune Emma Corrin s’en sort avec les honneurs, qui réussit à dresser le portrait d’une jeune fille névrosée, projetée trop jeune dans un milieu hostile qui réussit fort bien ses débuts à Balmoral où Philippe l’adoube. Mais elle souffrit bien vite de la froideur de son époux qui ne l’aimait pas et ne l’aimera jamais – même si une visite officielle en Australie laisse apercevoir l’espoir d’une trop courte réconciliation. On assiste à son éclosion et à son accession inattendue – et fort peu méritée – au statut de star planétaire.

Le Prince Charles est sans doute le personnage qui s’en sort le plus mal. D’ailleurs son personnage est devenu un sujet politique outre-Manche. Il faut saluer la prestation de Josh O’Connor dans ce rôle ingrat qui réussit à rendre le prince de Galles à la fois attachant et horripilant. Déjà dans la saison 3, on avait touché du doigt le besoin éperdu d’amour et de reconnaissance dont l’héritier du trône était sevré. Dans la saison 4, on le retrouve indéfectiblement lié à Camilla Parker-Bowles qui fut tour à tour sa première amante puis sa maîtresse – et qui deviendra, on le sait, son épouse après la mort de Lady Di. Marié trop hâtivement à la jeune Diana, de treize ans sa cadette, pour le seule motif qu’il devait à tout prix, à trente ans bien sonnés, convoler en justes noces et donner à la Couronne un héritier, Charles ne connut aucune félicité avec son épouse. Pire, il revécut auprès de Lady Di ce qu’il vivait depuis sa naissance dans l’ombre de sa mère : le douloureux sentiment d’être éclipsé par plus brillant que lui.

Deux saisons restent à tourner dont la diffusion pourrait avoir lieu dès 2021. Le casting en sera entièrement renouvelé. On annonce Imelda Staunton dans le rôle d’une Elizabeth II vieillissante, Dominic West (The Wire, The Affair) dans celui du Prince Charles et la vertigineuse Elizabeth Debicki dans celui de Diana. On en salive d’avance…

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