La Voix d’Aïda ★★☆☆

En juillet 1995, les forces de la Republika Srpska, sous le commandement de Ratko Mladić, investissent la ville bosniaque de Srebrenica. La ville à majorité musulmane avait pourtant été déclarée « zone de sécurité » par l’Onu qui y maintenait un détachement de Casques bleus néerlandais. Mais cela n’a pas empêché les forces de Mladić de séparer les hommes des femmes, de massacrer les premiers et de condamner les secondes à une vie de deuil et de chagrin.

La cinéaste bosnienne Jasmila Žbanić décide d’utiliser la fiction pour raconter ces événements traumatisants, qui ont marqué l’histoire de son pays et, au-delà, celle de l’Europe. Elle invente le personnage d’Aida, magistralement interprété par la grande actrice de théâtre Jasna Đuričić, une ancienne professeure d’anglais embauchée par les Casques bleus pour leur servir d’interprète.

Par sa position, à l’intersection de deux mondes, les Néerlandais d’un côté, dépassés par un mandat qu’ils ne peuvent assumer et les Bosniaques de l’autre légitimement inquiets de l’avancée des troupes serbes et de leurs intentions, Aïda est la mieux placée pour comprendre le terrible engrenage qui se déroule sous ses yeux et sous les nôtres. Le film est terrible et oppressant, presqu’irrespirable ; car on en sait par avance l’issue fatale. Face à ces prisonniers qui attendent dans la chaleur de l’été et dans la promiscuité la mort qui vient, j’ai pensé à la rafle du Vel d’Hiv et au film qu’elle avait inspiré en 2010 à Roselyne Bosch.

Unité de temps, unité de lieu, unité d’action : le film, qui se déroule quasiment en temps réel n’a pas un seul temps mort, si ce n’est peut-être un flashback inutile sur « la vie d’avant », heureuse et insouciante comme de bien entendu. Sa conclusion, froide et tragique, ne saurait laisser insensible. Mais La Voix d’Aida se termine par un épilogue, quelques années plus tard que j’ai trouvé inutilement bien-pensant.

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Cette musique ne joue pour personne ★☆☆☆

Jeff (François Damiens) est un caïd entouré de fidèles lieutenants : Neptune (Ramzy Bedia), Jesus (JoeyStarr), Poussin (Bouli Lanners), Jacky (Gustave Kervern)… Mais, la cinquantaine approchant, Jeff et ses hommes semblent envahis par le vague à l’âme et pris d’un soudain besoin de poésie : Jeff est tombé amoureux d’une caissière (Constance Rousseau), Jacky se laisse attendrir par l’épouse déjantée d’un débiteur qui se pique de théâtre (Vanessa Paradis), Jesus et Poussin jouent au baby-sitter avec Jessica, la fille de Jeff…

Samuel Benchetrit tisse une œuvre originale, entre littérature, théâtre et cinéma. Cette musique… est son septième film après Chien en 2018 que j’avais beaucoup aimé où jouaient déjà Vanessa Paradis, son épouse à la ville, Bouli Lanners et Vincent Macaigne (qui fait ici une apparition dispensable dans une saynète onirique dont on peine à comprendre la raison d’être). Samuel Benchetrit fait aussi jouer son fils Jules – qu’il a eu avec Marie Trintignant. On l’aura compris : le cinéma est pour lui une affaire de famille.

Comme Kervern & Delépine, comme Quentin Dupieux, Benchetrit est volontiers un cinéaste de l’absurde. On aime… ou pas.

Un caïd sanguinaire qui se met à rédiger des alexandrins pour séduire une caissière, une bourgeoise bègue qui monte sur les planches pour camper Simone de Beauvoir dans une comédie musicale, une seconde frappe qui utilise la manière forte pour convaincre des lycéens d’aller à la boum de la fille de son patron…. Je ne suis pas cul-serré au point de ne pas en rire. Je ne reproche pas à cette accumulation de scènes désopilantes leur manque de drôlerie. Je leur reproche leur facilité voire leur paresse. Rien n’est plus facile, me semble-t-il, que d’inventer une situation absurde : un pneu tueur en série, une mouche gigantesque …. et puis quoi encore ? un taureau en string ? un Basque unijambiste ? un canari qui parle ?

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Le Sommet des dieux ★☆☆☆

En 1924, l’Anglais Georges Mallory s’est lancé à la conquête de l’Everest, jusqu’alors invaincu. Son corps fut retrouvé à quelques encablures du sommet sans parvenir à déterminer s’il l’avait ou non atteint. Le développement de son appareil photo aurait permis d’élucider ce mystère. C’est à la poursuite de cet appareil que Fukamachi, un photographe japonais de montagne se lance plus de soixante ans plus tard. Son enquête le met en contact avec Habu Jôji, un alpiniste d’exception qui, après avoir signé des ascensions vertigineuses, avait mystérieusement disparu.

Le Sommet des dieux est d’abord un roman de Baku Yumemakura adapté en manga quelques années plus tard par Jiro Taniguchi. Son édition au Japon puis sa traduction en France remporta un vif succès : prix du meilleur dessin à Angoulême en 2005 et 380.000 exemplaires vendus.

Près de vingt ans plus tard, après que bien des adaptations eurent été envisagées (dont un film d’animation en images de synthèses co-réalisé par Eric Valli, l’auteur de Himalaya, l’enfance d’un chef), c’est finalement à Patrick Imbert, un animateur passé par l’Ecole des Gobelins [merci pour cette page de publicité locale] qui avait jusque là surtout participé à des films pour enfants (Ernest et Célestine, Le Grand Méchant Renard….), que le projet est échu. Je lis ici ou là que le résultat constitue la synthèse réussie de la ligne « claire » franco-belge et du manga japonais. N’y connaissant quasiment rien en BD, qu’il s’agisse de ligne claire ou de manga, je serais bien présomptueux d’affirmer le contraire.

Si je n’y connais rien en BD, j’aime beaucoup la montagne. Dans ma jeunesse, j’ai poussé le goût du risque jusqu’à gravir quelques sommets. L’âge venant, j’ai lu et regardé avec une vertigineuse fascination tout ce qui touche de près ou de loin à l’alpinisme. La Neige en deuil fut longtemps mon film préféré. La Mort suspendue reste mon récit de montagne favori. Les Survivants me donne encore des sueurs froides. Et Free Solo, Oscar 2019 du meilleur documentaire, m’a littéralement cloué sur mon siège.

Aussi je ne pouvais pas rater ce Sommet des dieux. Force m’est d’avouer que j’en ai hélas été déçu. Certes, l’histoire a du souffle qui joue à saute-moutons avec les époques, l’enquête autour de la mort de Mallory tournant vite court et le récit se focalisant sur la vie de Habu. Mais pour le reste, j’ai trouvé que l’animation n’apportait rien. Pire, elle enlevait à la haute montagne une part de sa majesté. Elle rendait mal compte de la souffrance des alpinistes, de leur essoufflement, de leur épuisement. Et, pire que tout, Le Sommet des dieux se réduit, malgré sa musique inspirante, à une description bien trop convenue de la passion obsessionnelle que la conquête des cimes inspire.

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Stillwater ★★★☆

Bill Baker (Matt Damon) est Américain. Sa fille Allison (Abigail Breslin, ex-Little Miss Sunshine) a été condamnée pour avoir tué sa petite amie, alors qu’elle était étudiante à Marseille. Elle purge aux Baumettes sa peine en clamant son innocence. Son père, alcoolique repenti et born again, vient régulièrement lui rendre visite. Quand Allison le lance sur une nouvelle piste que son avocate refuse de creuser, c’est lui qui décide de mener l’enquête, en dépit du barrage de la langue et du fossé culturel. Virginie (Camille Cottin), une Française rencontrée par hasard, lui apporte son concours.

On pouvait redouter le pire en découvrant le pitch de Stillwater et sa bande-annonce : une énième resucée de Taken où Matt Damon endosserait le costume fripé de Liam Neeson pour aller sauver sa fille au pays des froggies. Mais c’était mal connaître Tom McCarthy, le réalisateur tout en finesse de Spotlight (Oscar 2016 du meilleur film et du meilleur scénario original) et Matt Damon qui est décidément l’un des plus grands acteurs américains de sa génération, aussi brillant sinon plus que Tom Hanks ou Leonardo DiCaprio qui injustement l’éclipsent.

Stillwater réussit en effet à surprendre par son intelligence. Il ne se réduit pas au thriller qu’on avait imaginé. Son intrigue prend le temps (le film dure deux heures vingt sans qu’on regarde une seule fois sa montre) d’un détour par le drame familial. Son vrai sujet se dessine lentement : il s’agit moins d’élucider les circonstances du crime dont Allison est accusée que de réconcilier un père et sa fille. Le plus intéressant est le cadre dans lequel il est filmé : Marseille qui décidément, après Bac Nord et Bonne mère, est à la mode cette année.

Tom McCarthy aurait pu se contenter d’en faire un décor de carton pâte vaguement exotique. Mais, ce lecteur de la trilogie marseillaise de Jean-Claude Izzo a eu l’intelligence de s’entourer de Thomas Bidegain et Noé Debré, les scénaristes de Jacques Audiard. À contrepied des films américains dans lesquels tout le monde parle anglais, le personnage joué par Matt Damon se heurte frontalement à la barrière de la langue. Il découvre un Marseille bigarré : celui des banlieues Nord et celui du septième arrondissement. Subtilité supplémentaire : Virginie n’est pas une marseillaise de souche mais une parisienne qui est venue s’y installer comme beaucoup aujourd’hui.

Dans ce biotope là, Matt Damon réussit de bout en bout à coller à son rôle : celui d’un redneck bourru, la casquette vissée sur le crâne. Sa composition restera l’une des meilleures surprises de l’année et lui vaudra peut-être en mars prochain l’Oscar qu’il n’a jamais eu.

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Dune ★★☆☆

Dans un avenir lointain, l’humanité est organisée selon un modèle médiéval : autour d’un empereur qui répartit à sa guise des fiefs à ses vassaux. La planète Arrakis, un immense désert de sable seulement peuplé de terribles vers géants et de rares autochtones, les Fremen, est convoitée pour ses richesses naturelles. Son exploitation, jusqu’alors assurée d’une main de fer par la maison Harkkonen, est confiée par l’Empereur à la maison Atréides. Son chef, le duc Leto Atréides (Oscar Isaac), sa compagne, Lady Jessica (Rebecca Ferguson), disciple du Bene Gesserit, une puissante congrégation exclusivement féminine qui use de pouvoirs supranaturels pour influencer l’ordre du monde, et leur fils Paul (Timothée Chalamet) qu’une rumeur insistante présente comme un futur Messie, viennent prendre possession d’Artakis. Leurs fidèles lieutenants les accompagnent : Duncan Idaho (Jason Momoa), Gurney Halleck (Josh Brolin). Mais le danger rode….

Dune est sans doute l’un des événements cinématographiques les plus attendus de l’année. Sa sortie, initialement prévue en octobre 2020 a dû être repoussée une première fois à cause du Covid en novembre 2020 puis à l’automne 2021. Présenté en avant-première mondiale à la Mostra, il sort en France le 15 septembre mais devra attendre le 22 octobre aux Etats-Unis. Warner a annoncé une sortie simultanée en salles et sur la plateforme HBO au grand dam de son réalisateur, Denis Villeneuve.

Dune est de ces films qu’il faut impérativement voir en salles sur un écran immense tant le spectacle est majestueux. Chaque plan ou presque est un tableau de maître qui joue sur les couleurs et les compositions. On y voit souvent des humains minuscules dans des décors immenses. La musique de Hans Zimmer (qui décidément, depuis près de quarante ans, a participé à plus de films qu’aucun réalisateur ou aucun acteur) souligne emphatiquement cette majesté. On lui fait souvent le reproche d’être tonitruante. J’ai la faiblesse depuis Crimson Tide – que Edouard Balladur avait repris pour ses meetings de campagne en 1995 – de le porter dans mon cœur. [Citer Edouard Balladur dans une de mes critiques ! Done]

On disait le roman de Franck Herbert publié en 1965 intransposable. David Lynch s’y était cassé les dents au début des années 80. Son Dune est l’un des films les plus calamiteux jamais tournés. Jodorowsky s’y est essayé. Son projet était pantagruélique : Mick Jagger, Orson Welles et Salvador Dali étaient évoqués pour les rôles principaux avec Moebius aux décors et les Pink Floyd à la musique. Finalement c’est Denis Villeneuve qui a relevé le défi, un réalisateur canadien qui, comme tous les réalisateurs d’exception de tous les pays du monde, est venu aux Etats-Unis poursuivre la carrière prometteuse entamée au Québec avec Incendies. À Hollywood, Villeneuve a tourné Prisoners avec Hugh Jackman, Enemy avec Jake Gyllenhaal (que j’ai félicité pour ce rôle lorsque je l’ai croisé au musé Picasso en 2015 [Name-dropping take 2]), Sicario avec Benicio del Toro, Premier contact, peut-être l’un de mes films préférés de la décennie, aussi beau que profond, et Blade Runner 2049. Bref une série exceptionnelle de films qui furent autant de succès critiques que commerciaux. Difficile de trouver à Hollywood réalisateur aussi consacré sinon peut-être Alfonso Cuarón ou Alejandro Iñárritu.

On ne peut pas regarder Dune sans penser à La Guerre des étoiles qui en a repris beaucoup des éléments au point que Herbert faillit l’attaquer pour plagiat à sa sortie en 1977. Un empire intergalactique, une planète désertique, un jeune héros appelé à un destin hors du commun, des batailles au sabre : tout y était, tout y est, l’humour en moins.

Dune aura coûté dit-on 165 millions de dollars, soit un peu plus d’un million de dollars par minute – ou encore quelques 175.000 dollars par seconde. Cet argent faramineux n’a pas été dépensé en vain. Il se voit. Il en jette plein les yeux et plein les oreilles.

On peut se laisser emporter par ce spectacle grandiose et immersif. On peut aussi y rester totalement étranger, ne lui trouver aucune humanité, n’éprouver aucune émotion. Après 2h35 et y avoir beaucoup réfléchi, je ne sais toujours pas quel parti embrasser. Une amie cinéphile, plus lapidaire que moi a écrit : « Je n’ai RIEN à dire sur Dune. Ce bel objet sans humanité, noyé dans une musique tonitruante, parle un langage qui m’est totalement étranger. » L’excessive longueur de ma critique, que je n’arrive pas à conclure par une opinion tranchée, démontre à la fois mon manque de conviction et de talent.

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Blindspotting ★☆☆☆

Collin est Noir. Il est, pour trois jours encore, en liberté conditionnelle et doit se soumettre à une stricte discipline pour espérer retrouver une vie normale. Son meilleur ami, Miles, un Blanc d’origine hispanique, qui n’a pas les mêmes raisons que Collin de craindre les foudres de la justice, l’entraîne sur la mauvaise pente. Alors qu’il enfreint le couvre-feu auquel il est assujetti après une nuit de beuverie, Collin est le témoin involontaire de violences policières : les dénoncer mettrait en péril sa conditionnelle mais ne rien dire serait une insulte à l’exigence de justice.

Le résumé que je viens de faire de Blindspotting pourrait laisser penser qu’il s’agit d’un thriller autour d’une bavure policière et du dilemme dans laquelle elle place son héros. Or Blindspotting n’est pas cela, ou plutôt n’est pas que cela. Les deux co-scénaristes, Daveed Diggs et Rafael Casal, qui en interprètent les deux rôles principaux, avaient l’histoire en tête depuis une dizaine d’années et ont chargé la barque au risque de la faire sombrer : Blindspotting évoque donc non seulement les violences policières mais aussi la gentryfication d’Oakland et les discriminations dont sont victimes ses minorités visibles. Le tout sur le mode mineur d’une chronique urbaine façon Spike Lee.

On pourra certes se laisser prendre au charme et à la coolitude de ces deux héros. Mais on pourra tout autant considérer que leurs mésaventures manquent de relief et se laissent oublier sitôt vues.

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Mouchette (1967) ★☆☆☆

La petite Mouchette n’a pas une vie facile. Son père est alcoolique ; sa mère se meurt de la tuberculose ; sa maîtresse la rabroue parce qu’elle chante faux et elle est la risée de ses camarades de classe. Une nuit, elle se perd en forêt. Son chemin croise celui d’Arsène, un braconnier.

Le seul nom de Robert Bresson suffit à susciter une admiration révérencieuse, même de la part de ceux qui n’ont pas vu ses films. Tel fut longtemps mon cas qui ai découvert sur le tard le cinéma exigeant du réalisateur des Dames du bois de Boulogne, de Pickpocket ou de L’Argent. C’est à cinquante ans passés que je vois enfin, sur les conseils insistants de quelques amis cinéphiles, Mouchette, opportunément projeté dans une petite salle du 5ème.

Les conditions dans lesquelles je reçois aujourd’hui ce film sont biaisées. Les éloges qui l’entourent sont si nombreux, leur contenu même est si admiratif que je suis quasiment condamné à communier dans cette vénération unanime.

Alors, bien sûr, force m’est de reconnaître et de saluer ce qui fait la force du cinéma de Robert Bresson. Les thèmes, si âpres, qu’ils filment : ici, la misère humaine d’une gamine privée d’amour. Son style qui tourne le dos à tout artifice pour toucher à la vérité des êtres et des choses.

Mais force m’est aussi d’avouer que ce cinéma-là ne me touche pas. Pire : il me glace, il me sidère. Les tourments de la petite Mouchette qui la mèneront jusqu’au suicide (je sais : c’est un spoiler…. mais Bresson n’est pas non plus le maître du suspense) sont joués sur un ton si monotone, avec un refus si catégorique de tout psychologisme, que je ne les ai pas ressentis.

J’ajoute à ma honte avec une seconde confession. Au-delà du cinéma de Bresson, c’est peut-être la littérature de Bernanos qui me glace et me sidère. À la lecture du Journal d’un curé de campagne ou de Sous le soleil de Satan, devant les films de Bernanos et de Pialat que ces deux livres ont inspirés, j’ai ressenti la même et douloureuse frustration : celle de passer à côté de chefs d’oeuvre aux qualités reconnues par le plus grand nombre mais  qui me resteront hélas incompréhensibles.

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La Nuit des rois ★☆☆☆

La MACA (Maison d’arrêt et de correction de Côte d’Ivoire) est la prison d’Abidjan. Barbe noire en est le Dangoro, le caïd tout puissant ; il possède un droit de vie et de mort sur tous les prisonniers. Mais son règne touche à sa fin et sa succession déjà se prépare. Vieillissant et malade, Barbe noire décide d’organiser un rituel ancien : une nuit des rois. Un prisonnier devra, toute la nuit durant, raconter des histoires. S’il perd l’attention de ses spectateurs, il sera tué.
Le sort en échoit à Roman, un détenu tout récemment incarcéré. Il se lance dans la narration de la vie fantasmée de Zama King, un chef de gang qui profita des désordres de la guerre civile pour faire régner la terreur à Abidjan.

La Nuit des rois est un film étonnant qui emprunte à plusieurs sources. Ses premières images nous plongent dans une ambiance déjà souvent visitée d’enfer carcéral, débordant de violence, de sueur et de testostérone : Prison Break, Un prophète, Midnight Express, La Ligne verte…. Mais la suite du film nous emmène sur d’étonnants chemins de traverses. On pense bien sûr aux Mille et une nuits et au défi relevé par Shéhérazade. On pense aussi aux incantations des griots africains.

L’ensemble est baroque, échevelé, plein de bruit et de fureur. Pourtant, la mayonnaise ne prend pas. On ressort de la salle en se disant que le sujet de La Nuit des rois aurait fait un formidable spectacle de danse contemporaine mais pas un bon film.

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Blue Bayou ★☆☆☆

Antonio LeBlanc (Justin Chon) a été abandonné à sa naissance en Corée. Il a été adopté et a grandi en Louisiane. Il a épousé Kathy (Alicia Vikander), une infirmière dont il attend un enfant et prend soin de Jessie, l’enfant que Kathy a eu avec Ace, un policier, dont elle s’est brutalement séparée. Antonio a eu une enfance difficile, s’est laissé embringuer par quelques amis dans des vols à la tire et a eu maille à partir avec la justice. Tout est rentré dans l’ordre depuis son mariage avec Kathy grâce à son travail de tatoueur. Mais, après une altercation avec les forces de l’ordre, provoquée par Ace, Antonio apprend que ses papiers ne sont pas en règle et qu’il est sous la menace d’une expulsion vers la Corée.

Il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas être ému par Antonio LeBlanc, son patronyme en pied-de-nez et sa tragique histoire. Blue Bayou brasse des thèmes intimidants : la perte de ses racines, l’abandon, la filiation et la paternité, le couple, l’iniquité des lois d’immigration aux Etats-Unis, la bêtise et le racisme des forces de l’ordre… Il en rajoute une couche avec le personnage de Parker Nguyen, une immigrée vietnamienne qui se meurt d’un cancer.

C’est beaucoup. C’est sans doute trop. Et la coupe, déjà bien pleine, déborde dans son dernier quart, interminable (le film dure près de deux heures), qui réussit à nous montrer successivement les cinq fins alternatives que Blue Bayou aurait pu avoir.

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L’Affaire collective ★★★☆

Un incendie dans une discothèque de Bucarest, le club Colectiv, a tué vingt-six personnes en octobre 2015. Plus grave encore : dans les jours et les semaines qui suivirent, pas moins de trente-huit personnes moururent des suites de cet incendie par la faute, pour beaucoup, de la mauvaise qualité des soins qui leur furent prodigués à l’hôpital.

L’Affaire collective a deux héros – et deux sujets – au risque de l’éparpillement.

Dans la première partie du film, la caméra suit les pas de Catalin Tolontan et de ses collègues de Gazeta Spoturilor (un journal sportif !) qui mènent l’enquête non tant autour de l’incendie proprement dit que sur les conditions détestables d’hospitalisation des victimes et partant, l’état de déréliction du système de santé roumain. Grâce à quelques lanceurs d’alerte – une docteure, deux comptables courageuses d’un hôpital – ils mettent à jour un système de corruption généralisée : une entreprise pharmaceutique véreuse surfacturait des biocides hyper-dilués et inefficaces à des directeurs d’hôpitaux qu’elle corrompait par des pots-de-vin. Grâce aux révélations de Tolontan, le directeur de cet entreprise va être mis en examen avant de décéder dans des circonstances obscures.

L’Affaire collective abandonne hélas ce fil pour s’intéresser à un autre qui se révèle vite autant sinon plus fascinant. Elle filme le nouveau ministre de la santé qui prend ses fonctions en mai 2016 après la démission fracassante du cabinet Ponta. Ses premiers pas n’augurent rien de bon. Âgé de trente-deux ans à peine, le jeune Vlad Voiculescu semble bien inexpérimenté pour faire face au défi qu’il doit relever : assainir un système de santé corrompu jusqu’à la moëlle. L’ancien activiste doit concilier éthique de responsabilité (il est le ministre d’un gouvernement qui doit des comptes aux Roumains) et éthique de conviction (il ne peut qu’être révulsé par l’ampleur de la corruption que le scandale Colectiv a révélé et qu’il répugne à couvrir). On le voit, entouré de ses plus proches conseillers, dans la préparation fiévreuse d’une conférence de presse où il lui faudra tenir une ligne de crête impossible.

Le documentaire immergé d’Alexander Nanau, le réalisateur inspiré de Toto et ses sœurs et le directeur de la photographie de Nothingwood, se regarde comme un thriller passionnant. Les scènes qu’il a réussi à filmer sont si haletantes qu’on s’y prend à deux fois pour vérifier dans le dossier de presse qu’il ne s’agit pas d’une fiction reconstituée ni d’un faux vrai documentaire mais bien d’images tournées sur le vif.

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