Lux Æterna ★☆☆☆

Béatrice Dalle joue son propre rôle : celui d’une actrice passablement barrée qui passe derrière la caméra pour diriger dans son premier film « L’Œuvre de Dieu », son amie Charlotte Gainsbourg.  L’ambiance sur le plateau n’est pas paisible et le comportement agressif de la réalisatrice n’arrange rien : son producteur ne lui fait plus confiance et veut l’évincer, ses actrices, en roue libre, sont abandonnées à elles mêmes, le personnel technique est au bord de la grève….

Lux Æterna est un objet filmique non identifié. Œuvre de commande de la maison Yves Saint Laurent, dans le cadre de « Self », un projet qui invite différents artistes à réinterpréter les collections et l’esprit de la maison de haute couture, il a été présenté en séance de minuit au Festival de Cannes 2019. Carte blanche était laissée à Gaspar Noé dont la seule contrainte était d’utiliser des costumes et des visages de la marque (on reconnaît les top models Abbey Lee et Mica Argañaraz).

Il a tourné un moyen métrage d’une durée bâtarde : cinquante et une minutes, trop long pour un simple clip publicitaire, trop court pour un vrai film qui nous aurait laissé le temps de nous familiariser avec ses personnages et de nous raconter une histoire.

On y retrouve la patte du réalisateur franco-argentin, notamment son goût pour les atmosphères confinées, pour les longs plans séquences qui suivent les acteurs dans leurs pérégrinations labyrinthiques dans des décors exigus. De ce double point de vue, Lux Æterna rappelle Climax, son dernier film. On y retrouve aussi ses obsessions pour des thèmes border line, ici la sorcellerie à laquelle, on le sent, il aurait aimé consacrer un film plus long.

La partie la plus réussie de ce moyen métrage est le dialogue qui l’ouvre d’une douzaine de minutes entre les deux actrices. Laissant la place à l’improvisation, elles y évoquent quelques souvenirs de tournage désopilants. On les découvre égales à elles-mêmes : Béatrice Dalle, complètement chtarbée, Charlotte Gainsbourg plus pudique. Et on regrette presque que ces échanges improvisés ne durent plus longtemps et cèdent la place aux délires stroboscopiques et bruyants de Gaspar Noé.

La bande-annonce

Sur la route de Compostelle ★☆☆☆

Chaque année plusieurs centaines de milliers de randonneurs du monde entier font le pèlerinage de Compostelle. Son succès n’a cessé de croitre, attirant des foules sans cesse plus nombreuses, en quête tout à la fois de grand air, de spiritualité et de dépassement. D’ailleurs, la soixantaine approchant à grands pas, je me dis qu’il serait temps que, moi aussi, je m’y prépare. Ce serait de mon âge…

Le pèlerinage de Compostelle est souvent évoqué dans les arts et la littérature. Il servait déjà de cadre à La Voie lactée du très anticlérical Luis Bunuel. Il constitue l’arrière-plan de Thérapie, un livre méconnu de David Lodge qui compte pourtant dans mes préférés. Jean-Christophe Rufin lui a consacré ses carnets de route dans un livre dont le succès ne se démentira pas de longtemps, chaque pèlerin français se le voyant probablement offrir par ses beaux-enfants lors du Noël précédant ou suivant la randonnée.

Sur la route de Compostelle est un documentaire qui suit six randonneurs australiens et néo-zélandais. La cinquantaine déjà bien entamée, ils ont chacun un bon motif pour avoir traversé la moitié du globe et se coltiner les presque mille kilomètres de sentiers boueux depuis la frontière française jusqu’à l’extrême pointe de la péninsule ibérique. Sue est septuagénaire et souffre d’arthrose dégénérative. Julie vient de perdre coup sur coup son mari après une longue maladie et son fils dans un accident de rafting. Mark fait avec son beau-père le deuil de sa fille Maddy morte à dix-sept ans de mucoviscidose.

En 2005, dans Saint-Jacques… La Mecque, Coline Serreau avait utilisé une trame similaire pour faire un tableau de groupe d’une famille contrainte, par les clauses d’un testament, à cheminer ensemble. Le propos était volontiers bien pensant : il s’agissait de montrer que les différences (de croyance, de classe) étaient solubles dans la randonnée pédestre. Le propos de ce documentaire néo-zélandais ne l’est pas moins qui souligne les effets cathartiques de ce pèlerinage censé venir à bout de tous les deuils.

On ne peut qu’être ému aux larmes par la souffrance de Sue, par le chagrin de Julie, par la colère de Mark.  L’émotion qu’ils suscitent est sincère ; mais elle n’en est pas moins teintée d’un voyeurisme qui met mal à l’aise.

La bande-annonce

Honeyland ★★☆☆

Hatidze est une vieille paysanne macédonienne qui vit seule avec sa mère impotente. Les deux femmes habitent un hameau en ruines, vidé de ses habitants dans un coin reculé de la Macédoine du nord, sans eau ni électricité. Hatidze y cultive le miel en suivant les méthodes séculaires que ses ancêtres lui ont transmises et va en faire le commerce dans la capitale.
Mais ce bel équilibre est rompu par l’arrivée d’une famille turque et de son troupeau, qui se lance dans l’apiculture mais sans en respecter les règles.

Honeyland parvient sur nos écrans après avoir récolté une moisson de récompenses dans les festivals internationaux et deux nominations aux Oscars. Il peut à bon droit revendiquer un certain exotisme : la figure de l’apicultrice macédonienne est certes assez peu exploitée du cinéma contemporain. Il essaie aussi de se parer d’un sous-texte écologiste dont on sait qu’il a le vent en poupe aujourd’hui dans l’opinion publique et dans le documentaire.

Mais ce sont bien là ses seules qualités.

Car Honeyland n’a pas grand-chose à dire une fois qu’il a filmé, caméra à l’épaule ou avec un drone, la silhouette dégingandée de Hatidze sur les chemins de Macédoine, nimbée dans un contre-jour poétique, et ses gestes patients pour récolter le miel. Pour épicer un peu un scénario menacé d’immobilisme, les deux réalisateurs se sont focalisés sur une querelle de voisinage.

Cette histoire quasiment sans paroles a la simplicité d’une tragédie grecque – Grèce limitrophe dont on sait qu’elle a mené la vie dure aux autorités macédoniennes dans le choix du nom de leur pays. Entre la vertueuse Hatidze, gardienne des pratiques ancestrales d’apiculture, qui voit d’un mauvais œil l’arrivée de ces voisins nombreux et bruyants, mais leur réserve néanmoins bon accueil, et Hussein, sa femme, ses sept (!) enfants, son troupeau beuglant et son avidité au gain qui le pousse à surexploiter la flore mellifère, le conflit est inévitable.

On aurait aimé mieux connaître Hatidze et ce qui se cache derrière son sourire triste, les renoncements dont a été faite sa vie. Mais en voulant raconter une histoire, les réalisateurs renoncent à dresser le portrait de cette héroïne attachante.

La bande-annonce

Citoyens du monde ★☆☆☆

Le Professeur et Giorgio sont deux septuagénaires romains qui tirent le diable par la queue avec une retraite de misère. Sans attaches, sans amis, sans guère d’argent, ils rêvent à un ailleurs où l’herbe serait plus verte – et la bière moins chère. Ils sont bientôt rejoints dans leur projet de départ par un troisième larron, Attilio, brocanteur du dimanche. Où partir ? Cuba ? Bali ? les Açores ?

Gianni Di Gregorio est venu sur le tard à la réalisation. Il tourne son premier film en 2009, à près de soixante ans. Le succès du Déjeuner du 15 août (prix du meilleur premier film en 2008 à la Mostra de Venise) le conduit à en réaliser des « suites » où il se met volontiers en scène : Gianni et les femmes en 2011, Bons à rien en 2014. À chaque fois, la recette est la même. Le réalisateur se met dans son propre rôle : celui d’un Romain vieillissant, philosophe et bon vivant, une sorte de Nanni Moretti du troisième âge (même si, vérification faite, je réalise avec effroi que Moretti a dépassé la soixantaine).

Cette recette éprouvée est une nouvelle fois utilisée dans ce quatrième opus. Qui aime Rome (qui n’aime pas Rome ?) prendra plaisir à retrouver, en compagnie de trois sympathiques retraités, sa dolce vita, ses placettes ensoleillées et ses petites rues aux pavés disjoints encombrées de voitures et de scooters.

Mais c’est bien là le seul plaisir, bien innocent, qu’on prendra à ce film qui nous conduit sans surprise vers une conclusion prévisible et bien-pensante.

La bande-annonce

Ondine ★☆☆☆

Le jour même d’une brutale rupture sentimentale, Ondine (Paula Beer) fait la connaissance de Christoph (Franz Rogowski). Entre l’historienne spécialiste de l’urbanisme de la capitale et le scaphandrier, c’est le coup de foudre immédiat. Mais la relation entre les deux êtres semble influencée par des forces qui les dépassent.

Christian Petzold est en passe de devenir le cinéaste allemand  le plus connu de ce côté-ci du Rhin où il accumule les succès : Transit, Phoenix, Barbara racontaient des relations amoureuses incandescentes ancrées dans l’histoire allemande contemporaine (l’exode à Marseille des opposants au nazisme avant la Seconde guerre mondiale, la reconstruction du pays après 1945, la dictature du prolétariat en RDA…).

Le lien d’Ondine, qui se déroule dans le Berlin contemporain, avec l’histoire allemande est moins immédiat et aura échappé à tous ceux qui, comme moi, n’auront découvert la vieille légende populaire qui l’inspire qu’après être allé farfouiller dans son dossier de presse. Créature des eaux vives d’une beauté extrême, l’ondine ne peut vivre parmi nous que par l’amour inconditionnel d’un humain. Si cet amour vient à disparaître, l’ondine tuera l’être aimé avant de retourner dans l’eau qui l’a vue naître.

C’est cette histoire que va revivre Ondine, interprétée par Paula Beer, découverte chez Ozon et déjà vue, en compagnie du même Franz Rogowski, dans le précédent film de Petzold. Ondine travaille dans un musée où elle présente aux touristes, en les guidant dans d’immenses maquettes, l’histoire de la ville de Berlin, construite au Moyen-Âge sur des marais asséchés.

On croit comprendre, sans en être tout à fait sûr, qu’Ondine est un film sur l’amnésie collective, celle qui ronge le peuple allemand et sur laquelle s’est (re)construit Berlin. Mais si cette interprétation inscrit le film dans la succession des précédentes réalisations de Christian Putzold, elle est peut-être trop tarabiscotée  et trop intellectuelle.

Le problème est que, réduite à ce qu’elle est – une histoire d’amour fusionnel nimbée de mystère – Ondine se réduit à presque rien et nous laisse, au sortir de la salle, dubitatif. Certes on aura entendu – pas moins de cinq fois – le si bel adagio du concerto en ré mineur de Bach. Il y a pire épreuve. Mais cette musique, si majestueuse soit-elle, ne suffit pas à faire aimer un film.

La bande-annonce

Blackbird ★★★☆

Atteinte dune maladie neurologique dégénérative, Lily (Susan Sarandon) a demandé à son mari Paul (Sam Neill) de l’aider à mourir avant la perte irréversible de son autonomie. Elle a réuni autour d’elle ceux qu’elle aime : Jennifer, sa fille aînée (Kate Winslet), son mari et son fils de quinze ans, Anna, sa cadette avec sa compagne Chris, et enfin Liz son amie de toujours.

Sortez vos mouchoirs ! Vous allez au cinéma pour vous distraire, pour rire en famille devant une comédie et oublier vos soucis quotidiens ? Ce film n’est pas pour vous.
Si l’automne qui commence, les jours qui raccourcissent, le thermomètre qui chute – sans oublier le virus qui circule – vous fichent le bourdon, réfléchissez-y à deux fois avant d’aller voir un film sur le suicide assisté et la mort inéluctable.

Réfléchissez-y à deux fois…. et allez le voir ! Car Blackbird est le film le plus émouvant du mois qui réussit, sur un sujet plombant, à nous faire pleurer des torrents de larmes bien sûr, mais aussi à nous faire rire , la dignité de Susan Sarandon face à la mort n’ayant d’égal que l’ironie sardonique qu’elle lui oppose.

Blackbird est le remake d’un film danois sorti en 2014 qui avait valu à son réalisateur Bille August (bi-palmé en 1989 et en 1992 avant de sombrer dans l’oubli) et à son actrice principale deux Bodil, les Césars danois. Il est signé par Roger Michell, un réalisateur touche-à-tout qui connut son heure de gloire avec Coup de foudre à Notting Hill. Il rassemble une belle affiche : Susan Sarandon, impériale dans le rôle de Lily, Kate Winslet, à contre-emploi dans celui de sa fille aînée, psycho-rigide à souhait, Mia Wasikoska (qui ressemble de plus en plus à Jodie Foster) dans celui de la cadette, instable et fragile.

La réalisation, la mise en scène, le montage, rien n’est très original dans Blackbird qui se déroule, l’espace de deux jours dans une immense maison ultra-moderne sur le littoral désert du Connecticut, symbole des contradictions d’une génération qui avait vécu Woodstock, au moins par procuration, avant de céder aux sirènes émollientes du conformisme bourgeois et du Bourgogne siroté dans d’immenses verres à pied.

Mais Blackbird réussit sans se forcer à toucher au cœur sur un sujet déchirant. Est-ce parce qu’il m’est de plus en plus personnel, les années passant ? Je me souviens combien Quelques heures de printemps où Vincent Lindon accompagnait sa mère, interprétée par Hélène Vincent, s’euthanasier en Suisse m’avait bouleversé. Immanquablement, Blackbird m’a fait le même effet. Les joues ravinées par les larmes, je lui ai pardonné ses faiblesses, ses tentatives pas toujours réussies de pimenter une histoire sans aspérité par des rebondissements artificiels.

Mais je ne veux pas en rajouter dans l’exposition impudique de mes tourments intérieurs et de ma dépression automnale. Je vous laisse, cher lecteur, découvrir Blackbird. Quant à moi, c’est l’heure de mon pentobarbital…

La bande-annonce

Éléonore ★☆☆☆

Éléonore (Nora Hamzawi) a trente-quatre ans et sa vie est dans une impasse : sans relation  amoureuse stable (elle enchaîne les rencontres d’un soir), sans emploi (elle vient de se faire virer du fast food où elle travaillait sans passion), sans avenir dans la littérature (son manuscrit, trop volumineux, trop plombant, est systématiquement refusé), elle sombre dans la dépression. Sa mère (Dominique Reymond) et sa sœur (Julia Faure) l’exhortent à se reprendre en main et lui trouvent un travail auprès d’un éditeur acariâtre (André Marcon).

La bande-annonce d’Éléonore m’avait donné envie de le voir. Elle est passée en boucle en pré-séance durant tout le mois de septembre et, à chaque fois, j’y riais à la même répartie (« Sophistiquée, audacieuse, féline » – « Féline ?! Ca veut rien dire ! c’est juste une façon polie de dire cochonne ! »). J’étais par avance séduit par le personnage joué par Nora Hamzawi, par son auto-dérision, par ses déboires amoureux et professionnels à la Bridget Jones.

Hélas, mes attentes ont été déçues. Et force m’est d’adresser à Éléonore les mêmes reproches qu’à Antoinette dans les Cévennes la semaine dernière.

Les deux films sont organisés autour d’une actrice dont on se doit, dans un cas comme dans un autre, de reconnaître les qualités. Comme Laure Calamy, Nora Hamzawi est immensément attachante, sait nous faire rire et nous toucher. Elle a le charme et la simplicité de la girl next door avec qui on adorerait prendre un verre et rigoler. Il suffit de jeter un œil à son studio orné d’un poster des Ramones pour trouver immédiatement sympathique cette « adulescente attachiante » (dixit Les Inrocks).

Le problème vient d’ailleurs. D’un scénario décidément faiblard qui, comme dans Antoinette, ne décolle jamais vraiment. Pire : à la différence d’Antoinette, il ne nous fait même pas franchir le périphérique, enfermant Éléonore dans un métro-boulot-dodo quotidien pas vraiment glamour. Elle s’y frotte à son éditeur, un père de substitution avec lequel on redoute que se noue une idylle ; elle y tombe mollement amoureuse du fiancé qu’on lui assigne et dont on sait par avance qu’il n’y a rien à attendre ; elle y solde des vieux comptes familiaux avec une mère trop exigeante et une sœur toxique.

Tout cela n’est ni très drôle ni très intéressant. Dommage…

La bande-annonce

Les Apparences ★☆☆☆

Eve Monlibert (Karin Viard), la quarantaine bien entamée, est une femme heureuse. Elle vit à Vienne, en Autriche, avec son mari, célèbre chef d’orchestre. Le couple a remédié à son manque d’enfant en adoptant un petit Guatémaltèque baptisé Malo. Entre réceptions, cocktails, dîners mondains, Eve et Henri mènent la vie luxueuse d’un couple d’expatriés.
Ce bel ordonnancement est malheureusement rompu par la découverte de la relation adultère qu’entretient Henri avec Tina, la maîtresse d’école du petit Malo.
Eve est prête à tout pour sauver son mariage.

Les Apparences va, à n’en pas douter, remporter un grand succès, public et critique, et ramener, espérons-le, sur le chemin des salles un public qui les boude. Il met en scène un duo d’acteurs populaires qui attirera les spectateurs. Il décrit un milieu original et rarement filmé : celui de la communauté des Français expatriés dans une capitale étrangère. Il raconte enfin une histoire à rebondissements qui tiendra en haleine le spectateur jusqu’à son dénouement final.

Pour autant, malgré ses qualités incontestables, Les Apparences m’a déplu. Pour quatre raisons.

Premièrement, son actrice principale. Karin Viard, ma presque contemporaine, joue au cinéma depuis trente ans. Il ne se passe guère d’années sans que je la voie dans un de ses films. je l’ai toujours appréciée pour l’étendue de son jeu, pour sa capacité à passer de la comédie au drame. Mais depuis quelques années, je commence à m’en lasser, à la trouver un peu répétitive, dans des rôles interchangeables de grandes bourgeoises au bord de la crise de nerfs qu’elle interprète le regard durci dans une mimique de froide colère. Est-elle en voie d’Isabelle-huppertisation ? ou est-ce moi qui, vieillissant, ai décidément vu trop de films pour avoir conservé la capacité de me laisser étonner ?

Deuxièmement, son cadre. Abandonnant la bourgeoisie provinciale dans laquelle tant de drames ont été filmés, Marc Fitoussi s’expatrie. Il part en Autriche filmer une société qu’il caricature. Les premières scènes sont calamiteuses qui sont censées planter le décor dans lequel Eve et son mari évoluent. Pascale Arbillot y est horripilante. On y voit quelques expatriés dîner ensemble. Leurs seuls sujets de discussion sont les difficultés à se ravitailler en fromage français, le niveau de leur indemnité d’éloignement et l’incompétence de leurs employées de maison polonaises. Que les expatriés puissent avoir, hélas, de telles discussions n’est pas faux, mais que leurs vies s’y réduisent est en revanche loin de la réalité.

Troisièmement, son histoire. Le scénario des Apparences suit sans temps mort une mécanique rigoureuse. J’avoue une certaine mauvaise foi à trouver à y redire. Néanmoins, comme chez Chabrol du côté duquel Fitoussi louche ostensiblement, il y a dans les rebondissements successifs de cette histoire, un certain dilettantisme. Le mot peut sembler inapproprié. Je m’explique : il y a dans les rebondissements du film, dans les bifurcations qu’il prend, une telle place laissée au hasard qu’on aurait très bien pu imaginer qu’il s’achève différemment. D’ailleurs le roman suédois dont il est librement adapté prend des chemins totalement différents.

Quatrièmement enfin, son « climat ». Comme dans les films de Chabrol, que je ne porte pas dans mon cœur, tout est vieux dans Les Apparences. Même Lætitia Dosch dont Marc Fitoussi réussit le triste exploit de la vider de la folle vitalité qu’elle apportait à Jeune femme. Cette Vienne lugubre, ces dîners crépusculaires, ces personnages mesquins rongés par la jalousie, tout y respire la dépression.

Les Apparences carbure au Xanax. Désolé, ce n’est pas (pas encore ?) ma came.

La bande-annonce

Antoinette dans les Cévennes ★☆☆☆

La trentaine gentiment barrée, Antoinette (Laure Calamy) est professeure des écoles à Paris. Elle est la maîtresse d’Alice, une ravissante gamine de CM2. Elle est aussi la maîtresse de Vladimir (Benjamin Lavernhe), le papa d’Alice qui lui avait promis une semaine en amoureux, loin de sa femme, mais s’en décommande au dernier moment pour partir randonner en famille dans les Cévennes. Sous le coup de la déception, Antoinette prend une décisions irraisonnée : elle partira elle aussi sur les traces de Vladimir et sur celles de Louis Robert Stevenson, sans autre compagnie que celle de l’âne Patrick.

Caroline Vignal a peut-être longuement hésité dans le titre du choix de son film. « Maîtresse » aurait été assez drôle, insistant sur le double statut d’Antoinette – professeure d’école est décidément une profession incline à l’adultère puisque Laetitia Dosch incarne un rôle similaire dans Les Apparences qui sortira demain. Autres options qui auraient mis en avant l’élément asin, en référence et en hommage au célèbre Au hasard Balthazar de Bresson :  « Hystérique avec Patrick » ou bien « Pas de panique avec Patrick » selon qu’on aurait voulu souligner le caractère passionné de l’héroïne ou au contraire l’apaisement qu’elle trouvera en compagnie de son âne.

Finalement la réalisatrice a opté pour « Antoinette dans les Cévennes », affublant son héroïne d’un prénom aimablement désuet, plus versaillais que cévenol – là où la tentation aurait pourtant été grande de l’appeler Solène, Mylène ou Madeleine.

Le titre n’est pas si mauvais ; car c’est bien d’Antoinette dont le film parle, ne la quittant pas d’une semelle alors qu’elle la bat dans les chemins rupestres de Lozère. Antoinette dans les Cévennes n’est pas un énième vaudeville de l’infidélité conjugale, comme le titre « Maîtresse » l’aurait à tort sous-entendu. Cette histoire là, qui constitue le moteur dramatique et comique du film, est pliée en une seule scène, laissant le scénario orphelin à son mitan. Antoinette dans les Cévennes est plutôt le portrait d’une trentenaire hospitalière, qui ouvre généreusement son cœur et son lit, qui réussira à soigner un chagrin d’amour sur les pans du mont Lozère, comme Robert Louis Stevenson un siècle et demi plus tôt.

La critique a accueilli avec enthousiasme la prestation de Laure Calamy. Et elle a eu raison. Elle obtient enfin le grand rôle qu’elle méritait après avoir tenu tant de fois les seconds rôles (Roulez jeunesse, Mademoiselle de Joncquières, La Dernière Folie de Claire Darling, Nos batailles, Seules les bêtes, Une belle équipe…). Excellant dans tous les registres, elle réussit à nous faire rire et à nous faire pleurer.

À nous faire rire et à nous faire pleurer ? C’est vite dit. Conquis par le charme de l’actrice – sans oser évoquer ses mini-shorts de peur de passer pour un goujat – j’en perds mon objectivité. Car les passages les plus drôles d’Antoinette… ont été largement éventés par la bande-annonce. Quant aux passages les plus touchants, il faut vraiment être fleur bleue pour se laisser émouvoir par les bobos, vite consolés, d’une bobo parisienne.

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J’irai mourir dans les Carpates ★★☆☆

Antoine de Maximy part filmer un nouvel épisode de J’irai dormir chez vous dans les Carpates. Il y fait, comme lors de ses autres voyages, toutes sortes de rencontres. Mais, en s’enfonçant dans le nord du pays, il pénètre dans un territoire hostile. Il a un accident de voiture. Son corps n’est pas retrouvé ; mais la police le tient pour mort. Avec l’aide d’un policier pataud (Maxime Boublil), sa monteuse (Alice Pol) décide depuis Paris d’élucider les causes de cette mystérieuse disparition et peut-être de retrouver Antoine.

Comme un Philippe de Dieleveult qui prendrait son temps (seuls les plus de cinquante ans comprendront la référence), comme un Tintin sans Milou, Antoine de Maximy sillonne le monde avec pour seul bagage ses trois caméras et sa curiosité. Son seul objectif : rencontrer des autochtones, se lier avec eux et, si possible, comme l’annonce le titre de son 52 minutes, se faire inviter à dormir chez eux. En général, il reçoit un bon accueil qui leste ses reportages d’un optimisme bon enfant et en fait une ode à l’hospitalité humaine. Mais parfois, les choses se passent moins bien. De ces déboires est née l’idée d’un film.

J’irai mourir dans les Carpates est un « documenteur », un documentaire qui ne raconte pas tout à fait la vérité. Il se présente comme une fausse enquête policière. Le personnage qui en a la charge est Agnès, la monteuse d’Antoine, le policier assigné à l’enquête étant trop maladroit et trop amoureux d’Agnès pour avoir la moindre utilité. On aurait pu craindre que la romance qui se noue timidement entre les deux personnages interprétés par Alice Pol et Max Boublil ne parasite l’histoire ; mais ils sont l’un et l’autre si attendrissants dans leur rôle qu’on leur pardonne volontiers de nous éloigner du principal sujet du film.

Qu’est-il advenu d’Antoine dans les Carpates ? On l’apprendra en visionnant les minicassettes qu’il a filmées et en prêtant, comme dans Blow Up d’Antonioni, un soin attentif aux détails les plus insignifiants de ces enregistrements. On y découvrira au passage le beau métier du montage et les qualités qu’il nécessite.

J’irai mourir dans les Carpates se conclut comme il a commencé : dans la bonne humeur. Ce faux documentaire n’aura révolutionné ni l’histoire du cinéma ni celle du documentaire ; mais il aura fait passer un moment sympathique avec un animateur débordant de gentillesse et avec deux acteurs pleins de talent. Seul bémol peut-être : l’image caricaturale à souhait qu’il renvoie de la Roumanie, loin de la réalité d’un État membre de l’Union européenne qui a bien changé depuis le temps de Dracula.

La bande-annonce