Grand Paris ★☆☆☆

Leslie (Mahamadou Sangaré) et Renard (Martin Jauvat) ont grandi à l’ombre de la tour TDF de Romainville dans le 9-3. Le premier est missionné par un dealer de banlieue pour aller récupérer à Saint-Rémy-lès-Chevreuse un colis de beuh. Pour vingt euros, il convainc son ami de l’y accompagner. Sur place, ils font chou blanc mais découvrent, sur le chantier du Grand Paris Express, un curieux artefact. Persuadés d’avoir déniché une relique égyptienne voire un message extra-terrestre, les deux compères cherchent à en éclairer l’origine.

Grand Paris est un film qui hésite entre deux formats : il dure une heure douze à peine mais a été acheté par Arte sous la forme d’un court métrage de trente minutes intitulé Grand Paris Express. On peut se demander si le format court ne lui aurait pas mieux convenu ; car le long, malgré sa brièveté, tourne un peu en rond, comme ses deux héros dans leur déambulation zigzagante dans la grande couronne francilienne.

Tourné avec trois francs six sous par un jeune réalisateur recalé à la Femis, Grand Paris a été très mal diffusé. A sa sortie le 29 mars, une seule salle parisienne le programmait au fin fond du dix-neuvième arrondissement. Pourtant, le film a bénéficié d’un accueil critique enthousiaste. Télérama, Le Monde, Libération, Les Inrockuptibles ont chanté ses louanges avec un lyrisme suspect comme si ces titres cherchaient à se racheter de l’intellectualisme germanopratin qui leur est parfois reproché. On partagerait volontiers cette euphorie pour ce petit film sympathique aux deux héros amènes (Martin Jauvat est particulièrement irrésistible avec ses claquettes, son survêt rose et ses cheveux peroxydés), qui rompt avec les codes en usage des « films de banlieue ».

Mais le propos de Grand Paris reste trop ténu pour susciter l’enthousiasme. Et l’apparition à son mitan de William Lebligh en livreur souriant de burgers et autres substances illicites ne suffit pas à en relancer l’intérêt. Quant à l’épilogue du film, qui part dans un grand n’importe-quoi, on pourra selon son humeur le trouver complètement déjanté ou totalement raté.

La bande-annonce

Saules aveugles, femme endormie ★★☆☆

Saules aveugles, femme endormie est un recueil, sorti d’abord en anglais en 2006 puis en japonais en 2009, de vingt-trois nouvelles que l’écrivain japonais Haruki Murakami avait initialement publiées dans diverses revues et magazines.
L’artiste franco-hongrois Pierre Földes a choisi d’en adapter six d’entre elles. Compositeur depuis plus de trente ans, il en signe aussi la musique.

Les fans de Murakami – La Ballade de l’impossible, Kafka sur le rivage, 1Q84 – y retrouveront le réalisme magique de ses romans, ses personnages flottant entre rêve et réalité. Le récit se focalise sur trois personnages : Komura, un jeune employé de banque, sa femme Kyoko, sidérée par le tsunami qui vient de frapper le Japon, et Katagiri, son collègue plus âgé. Kyoko quitte Kimura et le laisse sombrer dans la solitude. Il accepte de se rendre à Hokkaido pour y remettre un colis mystérieux à la sœur d’un collègue. Dans un love hotel, il passe une nuit d’amour. De retour à Tokyo, il cherche son chat Watanabe qui ne donne plus signe de vie depuis le départ de Kyoko et fait, durant sa quête, la rencontre d’une jeune voisine. Pendant ce temps, Katagiri croit rencontrer une grenouille parlante qui, tout en citant Nietzsche ou Conrad, lui demande de l’aider à combattre un ver géant pour éviter à Tokyo un tremblement de terre.

Comme souvent dans les recueils de nouvelles, l’ensemble est inégal. On s’attache à certaines histoires – le souvenir raconté par Kyoko de sa rencontre, le jour de ses vingt ans, avec le mystérieux propriétaire du restaurant où elle travaillait alors – on s’intéresse moins à d’autres. On se laisse porter par le trait aérien du dessin et, comme les personnages de l’histoire, on flotte bientôt dans un entredeux (ou un entre-trois ?) étonnant, entre rêve, cauchemar et réalité.

La bande-annonce

L’Éden ★☆☆☆

Eliú et Mono sont deux gamins des rues colombiens qui ont commis un crime de sang. Arrêtés, condamnés, ils purgent ensemble leur peine dans un curieux centre de rééducation où des détenus réhabilitent une propriété privée délabrée sous la garde d’hommes en armes et y participent, sous l’autorité d’un ancien alcoolique en rémission, à des ateliers de thérapie collective.

LÉden n’a pas été interdit aux moins de douze ans ni même accompagné d’un avertissement. Pourtant LÉden est un film éprouvant qui met en scène des adolescents entre quatorze et seize ans et qui serait de nature à impressionner un jeune public, à supposer qu’il y comprenne quelque chose.

Car LÉden ne prend pas le parti naturaliste de décrire la violence des rues et de la prison telle qu’elle est. Le parti retenu est poétique sinon hermétique. Du meurtre, commis semble-t-il sous l’emprise narcotique, on ne voit et on ne comprend pas grand-chose, comme d’ailleurs ses deux auteurs eux-mêmes qui se sont trompés de victime. Et leur emprisonnement dans un no man’s land au parfum d’absurdie laisse la même impression cotonneuse.

Le contrecoup en est que la violence abjecte imposée à ces gosses réduits en esclavage, enchaînés jour et nuit, est euphémisée. Elle en paraît presque plus douce. Mais la fin du récit prend soin sinon de nous ramener à la réalité du moins de nous rappeler la dureté du sort de ces orphelins sans feu ni lieu, acculés à ne pouvoir compter que sur eux-mêmes et à vivre tant bien que mal avec leurs cauchemars.

La bande-annonce

Los reyes del mundo ★☆☆☆

Cinq enfants des rues de Medellin entreprennent un long voyage à travers la Colombie pour aller prendre possession de la terre qui vient d’être restituée à la grand-mère de l’un d’entre eux.

Le cinéma colombien se porte décidément très bien. Après Un Varón et L’Eden, voici un troisième film qui nous vient de ce lointain pays. Son défaut est d’avoir comme les deux précédents, les mêmes héros : une bande d’enfants des rues abandonnés à eux-mêmes comme si le cinéma colombien n’avait que ces seuls héros-là à filmer.

Los reyes del mundo emprunte au genre du road movie. Entre Medellin et Nachi, aux confins de l’Antioquia, tout en bas de la cordillère des Andes, les gamins font de nombreuses rencontres plus ou moins hospitalières : des prostituées bienveillantes leur font un temps office de mères de substitution avant que des rancheros surarmés ne les agressent. Au bout du chemin, on pressent que l’eden escompté ne sera pas au rendez-vous et que les jeunes verront une fois encore se fracasser leurs rêves d’une vie meilleure.

Le traitement de Los reyes est moins naturaliste que l’était celui de Un Varón. Au contraire, le parti retenu est celui de la poésie sinon de l’onirisme au détriment de la lisibilité du récit pas toujours facile à suivre. Ainsi quand les cinq gamins sont kidnappés par des hommes en armes, on ne comprend pas grand-chose à ce qui leur advient : sont-ils enfermés dans une cave, dépouillés de leurs effets, battus voire violés ? réussissent-ils à s’échapper ? qu’advient-il de Nano ? On n’en saura rien….

La bande-annonce

Italia, Le Feu, La Cendre ★☆☆☆

Plus de dix mille films muets furent tournés en Italie entre 1896 et 1930. Les négatifs, conservés à l’Institut cinématographique italien, furent emportés à Berlin en 1943 et détruits pendant la libération de l’Allemagne. C’est au prix d’un patient travail d’investigation, dans les cinémathèques du monde entier et dans les collections privées, que deux documentaristes français, Céline Gailleurd et Olivier Bohler – elle a consacré sa thèse aux survivances de la peinture du XIXe siècle dans le cinéma italien des années 1910 et vient de diriger en 2022 un ouvrage collectif sur le cinéma muet italien et il enseigne le cinéma à l’Université d’Aix-Marseille – ont rassemblé ce corpus unique.

On y voit des images qu’on n’avait jamais vues – car il faut ici confesser notre médiocre niveau de connaissance du cinéma muet italien. En particulier des scènes de Cabiria, le fantastique péplum de Giovanni Pastrone, sorti en 1914, inspiré de Salammbô – que j’aimerais tant avoir l’occasion de découvrir en salle avec, pourquoi pas, un orchestre. On y découvre des divas dont la célébrité à l’époque n’était pas moindre que celle de leurs lointaines héritières mais dont le nom a été oublié : Lyda Borelli (la légende raconte que le comte Cini qui l’épousa en 1918 racheta tous les négatifs de ses films et les jeta à la mer), Pina Menichelli, Francesca Bertini (la plus belle femme au monde disait-on – déjà – à l’époque)…

Un défaut du film est son manque de clarté et de pédagogie. C’est le comble pour deux réalisateurs qui enseignent l’un et l’autre le cinéma à l’Université. On y voit, dans l’ordre chronologique de leur sortie, des scènes de films qui ne sont pas titrés – le petit jeu étant, devant le générique de fin, d’essayer vainement de les identifier. On ne nous explique guère ce que l’on voit, qui en est le réalisateur, de quel moment du cinéma ces images sont emblématiques…. Peut-être les spécialistes – mais il n’y en a guère – se pâmeront-ils ; quant aux ignorants – et ils sont, comme moi, nombreux, je le crains – n’y comprendront pas grand-chose.

Mais il y a pire : la voix off de Fanny Ardant (c’est Isabella Rossellini qui joue dans la version italienne du documentaire). Outre que ses roucoulades aristocratiques m’ont toujours exaspéré – sentiment dont je reconnais volontiers la part de subjectivité – les textes qu’elle lit sont difficiles à identifier. On comprend, mais pas toujours, qu’il s’agit d’écrits critiques sur le cinéma – par exemple de Pirandello – ou de témoignages de contemporains – Pastrone racontant la réalisation de Cabiria ou Fellini découvrant, dans les bras de son père, à six ans, dans une salle de Rimini, Maciste.

La bande-annonce

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé ★☆☆☆

Agent du NKVD, la police politique stalinienne, qui pratique couramment la torture sur les opposants du régime, le capitaine Volkonogov (Yuriy Borrsov déjà vu dans La Fièvre de Petrov et Compartiment n° 6) sent le vent tourner lorsque son collègue, le major Gvozdev, se suicide devant lui. Il a l’intuition d’être la prochaine victime des purges qui font rage à Leningrad depuis quelques mois en 1938. Son ami Veretennikov n’a pas sa prescience et se fait tuer immédiatement. Le spectre de Veretennikov apparaît à Volkonogov et lui lance un avertissement : s’il ne veut pas aller en enfer, il doit retrouver les familles de ses victimes et obtenir leur pardon.

Son affiche et sa bande-annonce le laissaient augurer : Le Capitaine Volkonogov… emprunte à une esthétique surprenante, rétro-futuriste, pour décrire la Leningrad des années Trente filmée comme on filmerait Saint-Petersbourg aujourd’hui. Aucun objet n’y est anachronique ; mais les personnages, leurs attitudes, leur langage y sont étonnamment contemporains.

Ce parti pris est à la fois déroutant et excitant. Mais il fait long feu.
Et le problème de ce Capitaine est que le scénario qu’il déroule, une fois ses enjeux posés, ne présente pas grand intérêt : on sait par avance qu’on va assister à une longue course poursuite entre un fugitif aussi résistant que futé et des poursuivants coriaces. On sait par avance que ce jeu de cache-cache sera ponctué par les rencontres que Volkonogov fera avec les proches des victimes qu’il a torturées et qui lui refuseront les uns après les autres le pardon qu’il leur demande – si l’une d’entre eux le lui accordait, le film se terminerait illico. Quand approche la fin du film, on devine que la prochaine rencontre sera différente. Et après l’avoir découverte sans surprise, on se dit qu’il est temps que le film se conclue comme on savait depuis le début qu’il se conclurait.

La bande-annonce

Sept hivers à Téhéran ★★☆☆

Reyhaneh Jabbari, âgée de dix-neuf ans, a poignardé en 2007 Mortez Sarbandi qui s’apprêtait à la violer après l’avoir attirée dans un appartement sous le prétexte de lui demander d’en refaire la décoration intérieure. Immédiatement arrêtée par la police, contrainte sous la torture à de fausses confessions, elle est condamnée à mort deux ans plus tard. Elle sera finalement exécutée le 25 octobre 2014.

La documentaliste Steffi Niederzoll a découvert cette tragédie en voyant la video de la mère de Reyhaneh, écrasée d’angoisse, devant la prison où la sentence va être exécutée, au moment précis où on lui apprend la mort de sa fille. Elle a longuement interviewé la mère et les deux sœurs de Reyhaneh, toutes trois réfugiées en Allemagne, ainsi que son père, qui, lui, n’a pas obtenu le droit de quitter l’Iran. Elle a rassemblé les vidéos, les enregistrements téléphoniques, les courriers échangés entre la prisonnière et ses proches pendant les sept longues années de sa captivité, ainsi que les images tournées au Camescope de la joyeuse jeunesse de Reyaneh avant son incarcération.

Le résultat est poignant. On y découvre une jeune femme riante, débordante d’énergie, qui continue envers et contre tout à clamer son innocence et qui, pendant sa captivité, prend sous son aile des prisonnières plus jeunes pour les défendre. On y découvre aussi la mère de Reyhaneh, incarnation moderne de Clytemnestre, prête à tout pour sauver sa fille de la mort qui lui est promise.

On y découvre surtout le fonctionnement scandaleusement vicié de la justice islamique iranienne. Loin d’être considérée comme la victime d’une tentative de viol agissant en légitime défense, Reyhaneh est accusée de « relation illicite hors mariage » et de « meurtre avec préméditation ». La façon dont l’instruction, à charge, est menée, est choquante. La dureté de la sentence l’est tout autant : la mort en vertu de la loi du talion. Mais la façon dont la sentence est appliquée l’est encore plus : la famille de la victime a le droit de pardonner à l’accusée et de lui éviter la mort.
Ainsi s’ouvre pour la famille de Reyhaneh un espoir et se rassemblent toutes les conditions de la plus perverse des tortures : l’espoir d’obtenir la grâce de Reyhaneh et la torture infligée par la famille de Sarbandi qui lui refuse ce pardon tant que l’accusée n’aura pas retiré son accusation de tentative de viol.

La mécanique est dramatique, qu’on en connaisse par avance l’issue ou qu’on en ignore tout et qu’on espère jusqu’à la fin que Reyhaneh sera libérée. On sort de la salle tétanisé et en colère. Seule note d’espoir : le portrait admirable de cette mère et de ces deux sœurs, exilées loin de leur pays, mais bien déterminées à tout faire pour que d’autres Reyhaneh n’y soient pas à nouveau victimes de la violence des hommes.

La bande-annonce

Toute la beauté et le sang versé ★★☆☆

Laure Poitras, documentariste engagée, qui décrivit les conditions de vie en Irak sous occupation américaine (My Country, my country), enquêta à Guantanamo (The Oath) et défendit Snowden (Citizenfour) consacre son dernier documentaire à la grande photographe Nan Goldin.

Toute la beauté et le sang versé a un titre poétique en diable (j’ai cherché sans succès son origine chez les grands poètes du XIXème siècle). Il emprunte à une ligne du journal de Barbara, la sœur lesbienne de Nan, dont le suicide à dix-huit ans a durablement traumatisé sa cadette.

Ce documentaire tisse deux histoires. La première est celle de la vie et de l’oeuvre de l’artiste, née dans une famille dysfonctionnelle du Massachusetts dont elle réussit à s’enfuir à quatorze ans à peine pour plonger dans l’Underground new-yorkais. Les photos violentes et crues qu’elle y prend la rendent vite célèbre au point d’être exposée aujourd’hui dans les musées et les galeries les plus prestigieuses au monde.

La seconde est la croisade dont Nan Goldin a pris la tête contre la famille Sackler et la compagnie pharmaceutique Purdue qui a fabriqué et commercialisé dans les 90ies l’OxyContin, un opioïde qui, sous couvert de soigner la douleur, a provoqué chez ses consommateurs des addictions parfois létales. En particulier, Nan Goldin et l’association PAIN (Prescription Addiction Intervention Now) qu’elle a fondée ont milité pour que les grands musées tels que le Guggenheim, le Met, la National Gallery de Londres ou le Louvre, refusent les dons de la famille Sackler et débaptisent les salles auxquelles ils avaient donné son nom.

Nan Goldin avoue ressentir de la « haine » pour la famille Sackler. Un tel sentiment a-t-il sa place dans l’action politique ? N’est-il pas de nature à altérer l’objectivité qu’elle devrait toujours conserver ? Pour autant, la saine colère qui l’anime et qui l’animait déjà dans les 80ies lors de son engagement auprès de ActUp dont PAIN reproduit les modalités d’action non violentes – notamment les die-ins – force l’admiration.
Une réserve toutefois : pourquoi se focaliser sur les musées qui avaient accepté les dons de la famille Sackler ? Une fois que ces dons auront été refusés, qu’adviendra-t-il de l’argent des Sackler ? Ou, pour le dire autrement, pourquoi ne pas se focaliser sur le déréférencement de l’OxyContin, l’indemnisation des usagers de cette molécule, les poursuites pénales diligentées contre la famille Sackler plutôt que sur l’usage philanthropique qu’elle a fait des bénéfices tirés de la commercialisation de cet opioïde ?

La bande-annonce

Voyages en Italie ★☆☆☆

Jean-Philippe (Philippe Katerine) et Sophie (Sophie Letourneur), la quarantaine, sont englués à Paris dans un train-train qu’ils décident de rompre en partant en vacances. Pour « rendre l’ordinaire extraordinaire », ils optent non sans hésitation pour l’Italie où Jean-Philippe s’est pourtant souvent rendu.

Sophie Letourneur s’est imposée dans le jeune cinéma français avec des films à la bonne franquette, naturalistes et autofictionnels : La Vie au ranch (2009), Le Marin masqué (2011), Les Coquillettes (2012). Après une tentative, plutôt réussie, de comédie grand public, Enorme (2019) avec Marina Foïs et Jonathan Cohen, elle revient à sa veine originale en se mettant elle-même en scène dans la reconstitution plus ou moins fidèle des vacances qu’elle a passées avec son compagnon Jean-Christophe Hym, en Sicile en 2016.

Le sujet se prêtait à deux types de traitements radicaux. La version comique et franchouillarde façon Camping ou Les Premières Vacances. La version sérieuse et rossellinienne à laquelle Sophie Letourneur fait de l’oeil : Voyages en Italie est le premier volet d’une trilogie dont les prochains volets s’intituleront Vacances romaines et Divorce à l’italienne.

La bande-annonce m’avait mis l’eau à la bouche. Quelques saynètes laissaient escompter un film désopilant. Las ! La sauce ne prend pas.

On sent bien le sous-texte du film : une réflexion sur le sens du couple et le désir qui s’étiole. Mais la façon de le traiter reste si prosaïque et si monotone que l’ennui s’installe vite. Quelques scènes font sourire – la plupart figuraient déjà dans la bande-annonce – aucune ne fait vraiment rire. Tel n’est d’ailleurs pas le but avoué du film.

Certes, Voyages en Italie nous rappellera à tous inévitablement des scènes vécues, plus ou moins dérisoires : des nuits hachées dans des chambres bruyantes, des bagages perdus, des retards imprévus, des visites décevantes par la faute de la masse de touristes ou d’une météo défaillante…
Mais, Dieu merci, nos vacances, si elles connaissent ces épisodes-là, en connaissent aussi quasiment toujours d’autres miraculeux : un coucher de soleil à couper le souffle, une petite église pleine de charme et déserte au bord du chemin, une discussion inopinée autour d’une table d’hôtes…

Tout se passe dans Voyages en Italie comme si des vacances étaient uniquement constituées de désagréments irritants. Il n’y a aucun rayon de soleil, aucune bonne surprise dans ce voyage-là. On en finirait presque, avec les deux vacanciers, si l’extraordinaire est décidément si ordinaire, par anticiper son retour à Paris.

La bande-annonce

Ailleurs si j’y suis ★★☆☆

Mathieu (Jérémie Rénier) n’en peut plus. Il ne supporte plus son boulot ni son patron (Jean-Luc Bideau) qui exige de lui l’impossible. Il ne supporte plus sa femme (Suzanne Clément), qui le lui rend bien et le menace de divorcer. Il ne supporte plus son père (Jackie Berroyer) dépressif qui, depuis la mort de sa femme, s’est persuadé d’être victime d’une récidive de cancer pour se donner une raison de se faire plaindre. Même le voisin de Mathieu, Stéphane (Samir Guesmi), qui est pourtant la gentillesse faite homme, finit par lui taper sur le système.
Aussi, un beau dimanche, Mathieu décide-t-il sans l’avoir vraiment décidé de tout plaquer. Il suit un cerf dans la forêt, campe au bord d’un lac, débranche son téléphone et refuse d’en bouger. Ses proches, abasourdis par sa décision, réagissent tous à leur façon.

Ailleurs si j’y suis est une comédie belge du burn-out. Le mot est à la mode. Il est devenu furieusement tendance d’avoir fait, de faire ou d’être sur le point de faire un burn-out. Les causes en sont variées. Un travail harassant, dont on interroge l’utilité sociale, inutilement stressant, exercé sous l’autorité d’une hiérarchie déshumanisée, en est bien sûr la raison première. Mais le dégoût de la routine, l’envie d’un Ailleurs fantasmé et la midlife crisis y jouent aussi leur part.
On rêve tous de tout plaquer et de devenir moniteur de surf aux Îles Tonga. Même le très austère Alain Juppé avait, dans un livre autobiographique, confessé être parfois victime de la « tentation de Venise », l’envie de tout abandonner pour trouver refuge dans la Cité des Doges.

Ailleurs si j’y suis a une façon très drôle et très juste d’aborder le sujet. Le scénario, passé le premier tiers du film, abandonne Mathieu dans son jardin d’Eden à ses fantasmes sylvestres. Le film examine les répercussions en domino de la décision de Mathieu dans la vie de ses proches : sa femme, fermement décidée à accompagner son professeur de tai-chi au cœur de l’Amazonie, son père, qui broie des idées noires en dépit de ses bulletins de santé au beau fixe, son patron, qui venait de décider de passer la main à Mathieu et se retrouve brutalement désavoué, son pote Stéphane qui réalise brutalement que son je-m’en-foutisme n’était que le paravent de sa lâcheté et de son refus d’assumer la paternité

Ailleurs si j’y suis devient, contre toute attente, un film choral, servi par l’interprétation aux petits oignons de chacun des acteurs secondaires, avec une mention spéciale au lunaire Samir Guesmi.

Ailleurs si j’y suis fait toutefois l’impasse sur une question essentielle : le jour d’après. Que se passe-t-il après le burn-out, après qu’on a pris la décision de tout plaquer et après même qu’on l’a mise en oeuvre ? Combien de temps peut-on décider de mettre sa vie entre parenthèses ? Et qu’y a-t-il après la parenthèse : une autre vie qui commence, guéri, sur des bases renouvelées ? ou la vie d’avant qui revient inéluctablement avec ses règles imprescriptibles sans que rien au fond n’y soit changé ?

La bande-annonce