Le Divan de Staline ☆☆☆☆

En 1950, un Staline vieillissant passe quelques jours dans une datcha isolée au milieu de la forêt, protégée du reste du monde par un impressionnant déploiement de force. Il règne en maître sur quelques militaires et sur une domesticité terrorisés. Il demande à sa maîtresse, Lidia Semionova, de pratiquer des séances de psychothérapie sur un divan qu’il a voulu identique à celui qu’utilisait Freud. Pendant ce temps, au fond du parc, un jeune artiste travaille au monument que Staline entend se faire construire sur la place Rouge.

Le Divan de Staline est un film faussement historique. L’action se déroule en 1950. Le héros est le célèbre Joseph Staline au faîte de son pouvoir. Mais le manque de moyens prive cette reconstitution de toute authenticité. Écrasée par une musique sursignifiante, l’action ne quitte jamais le château portugais où le tournage a été réalisé. Les uniformes des soldats du corps de garde sentent la naphtaline et les traits de leurs visages sont plus ibères que slaves.

Emmanuelle Seigner n’a rien perdu de la sensualité empoisonnée qu’elle distille à chacune de ses apparitions, depuis Frantic jusqu’à La Vénus à la fourrure. Mais le choix de Gérard Depardieu pour interpréter un Staline vieillissant et obèse est trop caricatural pour laisser apprécier le talent – immense – de notre Gégé national.

Quant au triangle amoureux qui se noue entre le tyran, sa maîtresse et le jeune artiste, il manque à la fois de crédibilité et de lyrisme. Filmé sans imagination en plan fixe à coups d’interminables dialogues prétentieux, Le Divan de Staline avait plus sa place sur une scène de théâtre que sur un plateau de cinéma.

La bande-annonce

Ouvert la nuit ★☆☆☆

Luigi a une nuit pour sauver de la faillite  le théâtre qu’il dirige, pour payer ses salariés qui menacent de se mettre en grève, pour trouver le chimpanzé qui jouera le lendemain lors de la première de la pièce qu’un dramaturge japonais monte avec un Michel Galabru vieillissant et pour se réconcilier avec sa plus proche collaboratrice que son dilettantisme maladif n’amuse plus.

Un film réalisé par Édouard Baer sur un scénario signé par Édouard Baer avec dans le rôle principal … devinez qui ?!
Ouvert la nuit est un one man show qu’on aimera ou détestera selon son degré d’indulgence au cabotinage d’Edouard Baer.

Edouard Baer, c’est Frédéric Beigbeder en moins trash. Son immaturité revendiquée, son narcissisme régressif sont-ils attendrissants ou horripilants ? Comme Beigbeder, Baer est suffisamment intelligent pour ne pas se prendre au sérieux, mais trop narcissique pour ne pas consacrer tout un film à son sujet préféré : lui. C’est dommage car il y a, dans cette peinture du théâtre et de ses coulisses, de beaux personnages trop vite entrevus. L’éternel on-ne-sait-jamais-comment-il-s’appelle Jean-Michel Lahmi en hilarant dompteur de chimpanzé. L’excellent Grégory Gadebois en syndicaliste dur au cœur tendre. Et surtout Audrey Tautou, dont j’avais tendance à trouver un peu répétitives les mimiques à la Amélie Poulain, mais qui, bien dirigée comme dans L’Odyssée, déploie son immense talent.

La bande-annonce

La Grande muraille ★☆☆☆

Deux mercenaires à la recherche du secret de la poudre noire arrivent sur la Grande muraille de Chine au moment où celle-ci reçoit l’assaut d’une horde de bêtes monstrueuses.

« La Grande muraille » est un drôle de mélange. Mélange de genres : comme si la bataille du gouffre de Helm du « Seigneur des Anneaux » se déroulait au pied du Mur du Nord de « Game of Thrones ». Mélange des cultures : si le rôle principal est tenu par la star hollywoodienne Matt Damon, si on aperçoit Pedro Pascal (pour séduire le public latino ?) et Willem Dafoe, les autres personnages sont tous chinois et le film reprend quelques uns des codes des wu xia pan, les films de sabre chinois.

« La Grande muraille » est particulièrement intéressant du point de vue géopolitique à l’heure où on s’interroge sur la capacité de la Chine, super-puissance en devenir, à se doter des atouts du « soft power ». Ce film constitue une tentative du cinéma chinois de partir à la conquête du box-office mondial. Pékin n’a pas lésiné sur les moyens en réalisant la superproduction la plus coûteuse jamais tournée sur le sol chinois.

Son arrière-plan idéologique est double. Premièrement la mythification de la Grande muraille, une attraction touristique dont la renommée repose sur un double mensonge : elle n’a jamais protégée la Chine des invasions barbares … et elle n’est pas visible de l’espace. Mais le mythe de la Grande Muraille permet d’exalter l’esprit de sacrifice des guerriers chinois prêts à donner leur vie pour défendre la mère patrie – tandis que les mercenaires occidentaux vendraient leur mère pour un sac d’or. Deuxièmement, une main tendue vers les Etats-Unis, conforme à l’idéologie de l’émergence pacifique (Zhonghuo heping jueqi) prônée par Hu Jintao et par son successeur. L’histoire de « La Grande muraille » est celle de la rencontre d’un mercenaire anglais (sic !) et d’une guerrière chinoise que tout semble a priori opposer mais qui, face à un ennemi commun, uniront leur force – à défaut de faire sauvagement l’amour car le film est évidemment classé G.

Et le cinéma dans tout ça ? « La Grande muraille » est un blockbuster insipide, anormalement court (1h44 seulement), sans l’humour irrévérencieux, qui émaille désormais les productions américaines mais auquel le public chinois semble encore trop allergique, et avec une tonne de lézards baveux grossièrement dessinés à la palette graphique. Si Matt Damon a l’air de s’ennuyer ferme, la révélation Jing Tian en revanche crève l’écran.

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Un sac de billes ★★☆☆

Publiée en 1973, l’autobiographie de Joseph Joffo met en scène deux enfants juifs jetés sur les routes de France entre 1942 et 1944. Jacques Doillon, qui n’était alors qu’un tout jeune réalisateur, en a tourné une première adaptation dès 1975. Que Christian Duguay en tourne une seconde n’est pas surprenant.

Ses producteurs ont l’espoir légitime d’attirer les lecteurs de ce roman qui a rencontré dès sa sortie un immense succès malgré sa médiocrité littéraire et que toute une génération, dont je fais partie, a lu en versant des larmes sur les bancs de l’école ou sous la pression de ses parents.

Deuxième ressort : la Seconde guerre mondiale et la traque des Juifs. Un événement toujours marquant de notre histoire auquel le cinéma continue soixante dix ans après les faits à se mesurer. Il y aurait beaucoup à  dire sur la façon dont les années 2010 l’ont filmé de « La Rafle » à la série « Un village français » en passant par « Suite française » la – dispensable – adaptation du roman posthume d’Irène Nemirowsky ou « Elle s’appelait Sarah ».

La Seconde guerre mondiale est filmée à travers les yeux d’un enfant. Son innocence brisée dans le chaos de la guerre renforce l’effet pathétique. Mais la candeur de son regard est la porte ouverte à toutes les simplifications et à tous les manichéismes.

Mais ce qui est le plus dérangeant est que cet arrière plan historique se réduit à un décor de carton pâte. La traque des Juifs est un ressort dramatique efficace pour donner du nerf à des histoires d’enfant dans une France éternelle. « Un sac de billes », « Belle et Sébastien », « Les Choristes » : tous ces films se ressemblent, tous ces films racontent au fond la même histoire.

Alors pourquoi deux étoiles malgré cette critique assassine ? Parce que « Un sac de billes » reste néanmoins une réalisation bien filmée et bien jouée qui se regarde volontiers le dimanche soir sur TF1 en versant sa larme.

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Lumière ! L’Aventure commence ★☆☆☆

Les frères Lumière, on le sait, ont inventé le cinéma. Entre 1895 et 1905, ils ont tourné mille quatre cent vingt-deux films de cinquante secondes chacun. Thierry Frémaux, le directeur de l’Institut Lumière de Lyon, en a choisi cent-huit qu’il présente en onze chapitres et commente un après l’autre.

Écrire une critique mitigée de ce documentaire, c’est à la fois remettre en cause le génie des inventeurs du cinéma et s’attaquer à l’un de leurs avocats les plus respectés.

Le génie des premiers n’est guère contestable. A partir de rien, ils ont inventé un art. On aurait aimé connaître comment ils en ont fait une industrie ; mais tel n’est pas l’objet de ce documentaire qui s’attache uniquement à leur démarche artistique. À regarder les films des frères Lumière, on a l’impression qu’ils ont inventé tous les genres : le documentaire (« L’Arrivée du train en gare de La Ciotat »), la comédie (« L’Arroseur arrosé » initialement intitulé « Le Jardinier et le petit espiègle ») et même l’autobiographie (« Le Repas de bébé »). Tout en restant enfermé dans un format ultra court, le cinéma des frères Lumière s’enrichit très vite d’une grammaire : le travelling, le gros plan, la profondeur de champ que permet la diagonale (dans « L’Arrivée du train… » ou « Bataille de boules de neige »).

C’est peut-être l’académisme plat avec lequel Thierry Frémaux présente leurs œuvres qui suscite quelques réserves. Bertrand Tavernier s’est tout récemment livré au même exercice avec plus de succès. Thierry Frémaux se laisse emprisonner dans une exercice qui devient vite répétitif : nous montrer, l’un après l’autre, cent-huit courts métrages. Sans dout organise-t-il sa présentation autour d’une dizaine de thèmes, insistant par exemples sur les témoignages que les frères Lumières nous livrent de la France et du monde de la toute fin du dix-neuvième siècle. Mais cette structuration n’épargne pas au documentaire un rythme qui devient vite lassant.

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Les Confessions ☆☆☆☆

Les ministres de l’Économie du G8 se réunissent en Allemagne pour y adopter un plan secret. Trois personnalités extérieures ont été également conviées : une auteure à succès, un une rock star… et un prêtre.

« Les Confessions » est un film cosmopolite qui, par le fait même de son sujet, réunit un casting hétéroclite d’acteurs de toutes les origines qui singent les traits de caractère censés être associés à leur pays : quelques Italiens (Tonio Servillio dans le rôle d’un prêtre bien bavard pour être tenu par le voeu de silence, Pierfrancesco Favino dans celui du ministre italien de l’Économie ), quelques Français (Daniel Auteuil dans le rôle du directeur du FMI, Stéphane Freiss dans celui du ministre français), quelques Allemands (Moritz Bleibtreu dans le rôle du chef de la sécurité, Richard Sammel dans celui du ministre allemand), une Canadienne (Marie-Josée Croze trop émotive pour interpréter une ministre crédible)…

Le ton pourrait être burlesque comme la comédie italienne et le cinéma de Roberto Andò nous y ont habitués. Le réalisateur avait signé début 2014 « Viva la Libertà », une comédie racontant le remplacement d’un homme politique, frappé de burn out, par son frère jumeau.

Il ne l’est pas. « Les Confessions » est une tragédie qui pèse des tonnes. Un film policier qui n’en est pas un. Car il y a bien un mort et une énigme. Mais Roberto Andò s’en désintéresse bien vite.

Son seul souci est de dénoncer l’égoïsme et la duplicité des puissants qui, coupés du reste du monde, prennent des décisions sans légitimité démocratique. Il oublie en chemin l’histoire qu’il raconte, laissant les questions que pose l’intrigue sans réponse.

Pour le dire brutalement : je n’y ai pas compris grand-chose…. mais ne suis pas certain qu’il y avait grand-chose à comprendre.

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Compte tes blessures ★★☆☆

Vincent, 24 ans, a perdu sa mère. La cohabitation avec Hervé, son père, cloîtré dans le chagrin, n’est pas facile. Vincent exprime sa rage en chantant dans un groupe de post-hardcore et en se tatouant. Jusqu’à l’arrivée de Julia dans la vie de son père.

Jeune diplômé de la FEMIS, Morgan Simon veut traiter beaucoup de sujets dans son premier film : le deuil d’une mère, les familles monoparentales, l’incommunicabilité père-fils, la révolte par les mots (le post-hardcore) et par les gestes (les tatouages)… C’est beaucoup. Et c’est parfois trop.

Mais Morgan Simon a la bonne idée d’élargir le face-à-face à une tierce personne : c’est l’arrivée de Julia qui cristallise la relation père-fils, la fait évoluer, la fait finalement éclater. La présence de Julia électrise l’ambiance. Elle redonne vie à Hervé qui sourit pour la première fois. Elle trouble Vincent dont l’attirance pour elle se nourrit d’un complexe d’Œdipe mal résolu. Les scènes entre Vincent et Julia, lourdes d’un érotisme coupable, sont les plus réussies du film.

La réussite de « Compte tes blessures » tient beaucoup au choix des acteurs. César du meilleur espoir 2015 pour son rôle au côté d’Adèle Haenel dans « Les combattants », Kevin Azaïs occupe seul desormais le premier rang. Autant je l’avais trouvé mal employé dans « Souvenir » aux côtés de Isabelle Huppert, autant il est convaincant ici. Monia Chokri jouait à la perfection un petit rôle de « Réparer les vivants » (un de mes films préférés en 2016) ; elle incarne ici Julia, attendri par le charme bourru de Hervé mais attiré par la grâce rebelle de Vincent.

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Fleur de tonnerre ★☆☆☆

Au début du XIXème siècle, en Bretagne, Hélène Jégado a empoisonné à l’arsenic pendant des années des dizaines de personnes dans les maisons où elle cuisinait. Arrêtée, jugée, elle est guillotinée en décembre 1851 à Rennes. Mais l’affaire ne frappe guère l’opinion publique toute entière focalisée sur le coup d’État de Napoléon III, comme l’avait frappée deux cent ans plus tôt les crimes de la Brinvilliers et cent ans plus tard ceux de Marie Besnard, l’empoisonneuse de Loudun.
Elle a inspiré à Jean Teulé en 2013 un livre que Stéphanie Pillonca porte aujourd’hui à l’écran.

Le parcours de « l’empoisonneuse bretonne » présentait tous les ingrédients d’un biopic réussi. Il offre à Déborah François, découverte par les frères Dardenne en 2004, César du meilleur espoir féminin en 2008, un grand premier rôle. L’actrice belge y incarne à la perfection la folie et la détresse de son personnage, intoxiquée par l’absence d’amour de ses parents et par les légendes bretonnes fantastiques.

C’est le scénario, trop lisse, trop appliqué, qui pêche. Il égrène paresseusement les crimes de la cuisinière. Depuis le premier qu’elle commet par inadvertance sur sa marraine. Jusqu’au dernier qu’elle tente de perpétrer sur un professeur de droit pénal plus retors qu’elle. Cette succession devient vite monotone. Et la construction en flash back ne donne pas au récit le rythme qui lui fait cruellement défaut.

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Belle dormant ★★☆☆

Il était une fois … une belle princesse frappée par le sort d’une méchante sorcière que seul le baiser d’un beau prince pourrait réveiller d’un sommeil de cent années.

Ado Arietta marche sur les brisées de Cocteau et de Demy, sinon de Disney, en s’inspirant du conte de Perrault. Comme dans « Peau d’âne » – ou comme plus récemment Valérie Donzelli dans « Marguerite & Julien » – il le fait en introduisant malicieusement des éléments de modernité dans le conte intemporel.

La belle princesse (Tatian Verstraeten), que la vigilance de ses parents n’a pas su protéger, s’est endormie le jour de ses quinze ans, en 1900, dans un château proustien à souhait. En 2000, le jeune prince héritier du royaume voisin de Letonia (Niels Schneider) est bien décidé à tout faire pour la réveiller avec la complicité de son précepteur (Mathie Amalric) et d’une fée immortelle (Agathe Bonitzer).

Le film d’Ado Arietta est d’une poésie déconcertante. C’est une plaisanterie raffinée. Sa légèreté fait son charme mais le condamne dans le même temps à la frivolité. C’est un film délicieux car oubliable, oubliable car délicieux.

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L’Ascension ★★★☆

En 2008, Nadir Dendoune, un enfant du 9-3, a escaladé l’Everest sans aucune expérience de la haute montagne. Cette histoire vraie a inspiré un livre, joliment tiré « Un tocard sur le toit du monde », puis un film qui sort aujourd’hui dans les salles.

« L’Ascension » – un titre bien plus plat que celui du livre – prend deux libertés avec les faits réels dont il est inspiré. La première est d’inventer une histoire d’amour. C’est pour conquérir le cœur de Nadia que Samy se lance à la conquête du géant himalayen. L’alibi est charmant. Il l’est d’autant plus qu’il est joué avec grâce par Alice Belaïdi, une jeune actrice déjà entr’aperçue dans « La Taularde » et « Radiostars ».

La seconde différence est plus polémique. Le jeune alpiniste en herbe n’est pas interprété par un Franco-Algérien mais par Ahmed Sylla. Sans doute la jeune coqueluche de la stand up comedy fait-elle honnêtement le job. Mais pourquoi avoir confié le rôle à un Renoi et pas à un Beur ? N’y en a-t-il aucun qui en aurait été capable ?

Revenons au film et à ce qui en constitue le principal, sinon le seul, intérêt. La haute montagne. J’ai déjà dit ici mon goût pour les cimes enneigées. J’ai déjà évoqué prétentieusement mes ascensions du Kilimanjaro et du Mont Blanc. J’ai beaucoup aimé la description, plutôt réaliste, du périple de Samy : la longue marche d’approche, l’oxygène raréfié du camp de base, le martyre de la dernière ascension, la joie immense, comme on en connaît peu dans sa vie, de la victoire finale. Pour m’avoir fait (re)vivre ces émotions inoubliables, je fais preuve d’une indulgence coupable pour ce gentil divertissement du dimanche soir.

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