Il Buco ★★☆☆

En 1961, un groupe de spéléologistes du nord de l’Italie est venu en Calabre explorer le gouffre de Bifurto qui s’est révélé le plus profond de la péninsule et l’un des plus profonds au monde.

Michelangelo Frammartino est un réalisateur discret qui n’a réalisé que trois longs-métrages de toute sa carrière, tous tournés en Calabre, la région méridionale de l’Italie dont il est originaire, comme beaucoup d’Italiens qui ont émigré en Lombardie ou au Piémont durant les Trente Glorieuses.

Il aurait pu réaliser un documentaire sur l’expédition de 1961. Il préfère procéder à une patiente reconstitution, en équipant un groupe de spéléologistes avec du matériel d’époque et en les accompagnant jusqu’au fond du gouffre (le tournage du film a dû nécessiter un dispositif technique dont on devine la complexité).

Michelangelo Frammartino est surtout un cinéaste contemplatif. Il a opté dans Il Buco pour un parti radical : aucune parole, aucune bande-son, aucune explication (sinon un carton final). Les seules paroles qu’on entend au tout début du film sont issues d’un documentaire de l’époque qui semble sans lien avec le sujet du film : il est tourné par la RAI à la tour Pirelli à Milan qui se dresse fièrement au-dessus de la capitale lombarde. L’idée, on le comprendra vite, est d’opposer à l’un des points les plus hauts d’Italie, symbole d’une modernité prométhéenne triomphante, son point le plus bas, au cœur d’une nature sauvage et immobile.

Il Buco ne dure que quatre-vingt-dix minutes mais constitue pour le spectateur, même le plus patient, un spectacle exigeant. Pendant quatre-vingt-dix minutes, pas une parole ne sera échangée. On ne verra qu’une succession de longs plans fixes (ceux qui, à raison, critiquent la mode actuelle des films tournés à l’épaule avec une caméra épileptique y trouveront leur compte).

S’y ennuie-t-on pour autant ? Non. Car, Il Buco nous raconte sans parole une histoire parfaitement intelligible et captivante. On suit pas à pas la progression de la petite troupe, qui s’était arrêtée dans un village de montagne avant de s’installer à pied d’oeuvre sur l’alpage au-dessus du gouffre. Parallèlement, sans qu’on comprenne le lien entre les deux, on accompagne sur son lit de mort les derniers jours d’un berger au visage parcheminé, victime d’une attaque tandis qu’il faisait paître ses bêtes.

À condition d’accepter son cahier des charges exigeant, on se laisse prendre au faux rythme d’Il Buco et lentement apprivoiser par la sérénité panthéiste qui en émane.

La bande-annonce

Don Juan ★☆☆☆

Parce qu’elle l’a vu lancer à une inconnue un regard lourd de sens et qu’elle y voit le poison menaçant de l’infidélité conjugale, Julie (Virginie Efira) renonce devant l’autel à épouser Laurent (Tahar Rahim). Amoureux monomaniaque, il croît la reconnaître dans toutes les femmes qu’il croise et qu’il tente de séduire pendant la nuit et les jours qui suivront cette noce ratée.
Malgré le chagrin, Laurent doit partir en province jouer le rôle principal du Don Juan de Molière. Après la défection de l’actrice censée jouer Elvire, c’est Julie qui la remplace au pied levé. ce sera peut-être pour le couple brisé l’occasion de se reformer.

Je suis allé deux fois au cinéma voir Don Juan. La première, je m’y suis lourdement endormi, sans savoir avec certitude s’il fallait que j’en blâme le film et ses débuts poussifs ou l’heure tardive de la séance. Pris de scrupule à l’idée d’écrire une critique d’un film dont je n’avais pas vu grand-chose – et a fortiori pas compris beaucoup plus – je me suis résolu à aller le voir une seconde fois à un horaire plus comestible et avec une bonne dose de caféine dans les veines. Je ne m’y suis pas assoupi une seconde fois. Conséquence logique : je l’ai beaucoup mieux compris. Mais suspense torride : l’ai-je plus apprécié pour autant ?

Don Juan fait partie de ces films dont les critiques qu’on en lit inhibent les reproches qu’on était sur le point de lui adresser. Elles vantent toutes ses indéniables qualités.
Son thème d’abord, très malin : un Don Juan inversé à l’ère de #MeToo – dont on apprend, à la lecture du dossier de presse, que la co-scénariste, Axelle Roppert, en est une des figures de proue. Chez Serge Bozon, Don Juan n’est plus un Casanova briseur de cœurs, mais un homme au cœur brisé par l’amour de sa vie qui l’a quitté, qui l’obsède et qu’il s’emploie à reconquérir.
Son traitement ensuite d’une grande élégance qui flirte avec l’artificialité sans jamais s’y égarer. Une musique très travaillée qui s’autorise quelques échappées belles vers la comédie musicale. Des éclairages sophistiqués. Une ambiance décalée, au bord de l’Atlantique, dans la cité touristique et gentiment bourgeoise de Granville alors que le thème du film appelait un cadre plus intimidant façon Resnais à Marienbad ou Duras à Calcutta.
Le jeu des acteurs enfin. Parfait. Deux des tout meilleurs du cinéma français contemporain (qu’on me pardonne cette nationalisation de la Belge Virginie Efira) : Tahar Rahim qui réussit d’un film à l’autre à se renouveler radicalement et qui est aussi à l’aise dans les superproductions hollywoodiennes (Désigné Coupable) que dans les séries françaises (The Eddy) et Virginie Efira à laquelle des esprits ronchons pourraient reprocher son omniprésence alors que d’autres, sans doute aveuglés par son charme, s’en féliciteraient.

Toutes ces qualités auraient dû m’emporter.
Et pourtant, un je-ne-sais-quoi m’a retenu. Pendant toute la première heure du film, je me suis ennuyé – mais, je le répète, je n’ai pas fermé l’oeil pour autant – l’exercice de style me semblant un peu vain, la mise en abyme de ce Don Juan inversé un peu facile. J’ai aimé la façon dont le récit se dénouait et, plus j’y réfléchis, plus je la trouve audacieuse et intelligente. Mais cette conclusion arrive trop tard pour sauver un film prisonnier de ses outrances, empêtré dans un protocole guindé qui m’a plus asphyxié que séduit.

La bande-annonce

Top Gun: Maverick ★★☆☆

Le pilote d’essai Pete « Maverick » Mitchell (Tom Cruise) a refusé les promotions pendant toute sa carrière pour continuer à vivre sa passion : voler. A la demande de son ancien rival et ami Tom « Iceman » Kazansky (Val Kilmer), il se voit confiée la charge de préparer les jeunes diplômés de l’école Top Gun à une mission impossible en territoire ennemi.

On ne l’attendait plus. Trente six ans après Top Gun, sa suite est enfin tournée. Qu’il ait fallu attendre si longtemps cette sequel dans l’industrie hollywoodienne si bien huilée, la rendrait presque sympathique (les producteurs ne se sont pas précipités pour capitaliser sur le succès du premier opus)… ou au contraire antipathique (« Tu quoque… »).

Top Gun 2 ne s’intitule pas Top Gun 2. Au cas où on ne l’ait pas anticipé, il porte le nom de son héros : l’immarscecible Tom Cruise qui, comme James Bond, mourra un jour peut-être (l’éventualité de sa mort constitue d’ailleurs un ressort efficace du film) mais qui ne vieillira jamais. Contre toute logique, administrative autant que physique, il reprend du service à près de soixante ans, toujours aussi jeune, toujours aussi souriant, toujours aussi ingambe. Tom Cruise incarne jusqu’à la caricature une société Peter Pan qui refuse de vieillir et qui, grâce à un cocktail mystérieux de cocktails anabolisants et de coaching draconien, y parvient.

Dans Top Gun2, Tom Cruise retrouve quelques uns des personnages qui l’accompagnaient déjà dans le 1. Val Kilmer, qui se meurt d’un cancer du larynx, y fait une émouvante apparition. Trop vieille, trop grosse, trop moche, Kelly McGillis a dégagé de l’affiche sans provoquer le tollé qu’on aurait volontiers imaginé ; Jennifer Connelly la remplace avantageusement.

Top Gun2 est ultra-référentiel. Il fonctionne sur la nostalgie du premier volet dont il reprend la musique (pourtant horriblement démodée), les accessoires fétiches (la Kawasaki 900, le blouson en cuir, les Ray-Ban Aviator) et quelques scènes mythiques, au premier rang desquelles la fameuse séance de beach-volley – transformée en match de football américain – où chacun et chacune scrutent avec une admiration jalouse les abdos impeccables du presque sexagénaire Tom Cruise.

Sans doute le scénario de cette suite n’est-il pas d’une folle originalité. Il louche du côté du tout premier Star Wars : il s’agit, ici comme là, comme dans un jeu vidéo, de conduire une flottille d’appareils de combat à travers une série d’épreuves pour détruire une base ennemie invincible protégée par un intimidant système de défenses. Ses rebondissements ne sont guère crédibles.

Mais l’essentiel n’est pas là. Il est, pour les spectateurs les plus âgés, dans le plaisir régressif de retrouver l’univers inchangé d’un de leurs premiers émois cinématographiques. J’avais quinze ans quand j’ai vu Top Gun au cinéma, dans une petite salle de province, après avoir acheté une glace à l’eau Popsicle à l’ouvreuse qui les vendait à l’entracte dans un panier en osier. J’en avais offert une à ma voisine que j’essayai maladroitement d’embrasser pendant le film. Tom Cruise avait mon âge – ou presque. Et maintenant, j’ai l’air d’avoir le double de lui !

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Les Crimes du futur ★★☆☆

Dans un avenir proche indatable et dans un lieu inconnu, semble-t-il marqué par un déclin industriel et un détraquement climatique, Saul Tenser (Viggo Mortensen) est un artiste qui utilise son corps et les excroissances cancéreuses qui s’y développent mystérieusement. Avec l’aide de Caprice (Léa Seydoux), il en met en scène leur exérèse.
Leur chemin va croiser celui de deux fonctionnaires tatillons, d’un détective undercover et d’un groupe d’anarchistes post-humanistes qui cherchent à les associer à leur cause.

Après quelques films dont il faut bien dire qu’ils ne valaient pas tripette (Maps to the Stars, Cosmopolis, A Dangerous Method) et l’annonce d’arrêter le cinéma, David Cronenberg, 79 ans au compteur, renoue avec ses vieilles obsessions : des corps mutants, malades et lubriques, une science-fiction spectrale…

Le résultat est moins gore que la bande-annonce et le parfum de soufre qui précédait la sortie du film pouvaient le laisser escompter. D’ailleurs le film en France est autorisé à tous les publics – des esprits chagrins et/ou des parents poules pourraient toutefois légitimement estimer qu’il ne convient pas aux jeunes enfants.

Mais il n’en est pas moins diablement séduisant. David Cronenberg y retrouve pour la cinquième fois Viggo Mortensen. Léa Seydoux passe haut la main l’examen d’entrée : sa perfection plastique et l’élégance de son accent anglais font d’elle une parfaite héroïne cronenbergienne. Kristen Stewart – méconnaissable sur l’affiche à force d’être photoshoppée – interprète avec beaucoup de second degré un second rôle qui n’est pas à la hauteur de son talent.

Les Crimes du futur pêche par son scénario paresseux qui peine à retenir l’attention sur la durée. C’est d’ailleurs le reproche qu’on pourrait faire à beaucoup de films de Cronenberg : ce réalisateur de génie préfère décrire des états que raconter une histoire. Mais on aurait scrupule à lui reprocher d’enchaîner quelques scènes d’anthologie, aussi belles qu’horrifiques, quand bien même elles ne mènent nulle part.

La bande-annonce

Limbo ★☆☆☆

Omar vient de Syrie. Il a demandé l’asile au Royaume-Uni. Dans l’attente de la réponse de l’administration, il a été assigné à résidence sur une île isolée des Hébrides écossaises, avec l’interdiction de travailler. Quelques immigrés partagent son infortune : Fahrad, un Afghan zoroastrien fan de Freddie Mercury, Wasef, un Nigérian qui rêve de jouer pour Arsenal…

Il y a quelques mois, Any Day Now racontait l’interminable attente d’une famille de réfugiés iraniens venus chercher asile en Finlande. Sous les cieux ventés de l’Ecosse (qu’on vient de voir dans L’Ombre d’un mensonge), Limbo traite du même sujet. Si Any Day Now avait choisi de raconter par les yeux d’un enfant cet état limbesque, intermédiaire, entre le monde ancien qu’on a quitté et le monde nouveau qu’on espère intégrer,  Limbo prend un parti différent : celui du cinéma absurde sinon loufoque dans la veine de Kaurismäki, Suleiman, Abel et Gordon.

C’est ainsi que Limbo débute par une longue saynète où deux formateurs (il faudra attendre le générique de fin pour identifier Sidse Babett Knudsen, l’héroïne de Borgen) essaient d’expliquer à des immigrés perplexes que le sourire d’une femme ne vaut pas consentement. Puis les longs plans fixes s’enchaînent où l’on voit Omar téléphoner à ses parents depuis une cabine téléphonique, au milieu de la lande déserte. On le voit aussi souvent marcher seul sur une route rectiligne battue par le vent. Il porte un instrument de musique traditionnel, un oud, dont il jouait avec virtuosité en Syrie. On comprend que l’enjeu du film sera de savoir s’il acceptera d’en jouer à nouveau. Enjeu bien mince d’une intrigue étique qui s’étire longuement, sans guère de rebondissements.

Interrogeant le fossé culturel que rencontrent les demandeurs d’asile, Limbo avait tout pour séduire ; mais, en se détournant du groupe pour se focaliser sur le seul Omar, il perd en intérêt et en décrivant sa longue attente, c’est le spectateur qu’il finit par écraser d’ennui.

La bande-annonce

Tom ★★☆☆

Jocelyne (Nadia Tereszkiewicz aussi incandescente ici que dans Babysitter) vit dans un mobil home au milieu des bois avec son fils Tom. Elle travaille dans une exploitation agricole en attendant de passer le concours qui lui permettra peut-être de trouver un emploi plus stable. Elle passe ses soirées dans le rade minable de sa copine Lola (Florence Thomassin).
Son quotidien est basculé par le retour de Samuel (Félix Maritaud) dont Tom va bien vite percer le mystère.

Tom est le cinquième film de Fabienne Berthaud, une réalisatrice française trop rare. J’avais beaucoup aimé Pieds nus sur les limaces en 2010 et j’ai retrouvé dans Tom ce qui m’y avait plu : le respect qu’elle porte à ses personnages, le soin qu’elle met à en décrire les contradictions, l’omniprésence de la nature autour d’eux…. Diane Kruger jouait dans les trois premiers. Nadia Tereszkiewicz lui ressemble. Elle est l’héroïne de son cinquième.

Tom est l’adaptation d’un livre de Barbara Constantine. Comme le livre, le film raconte l’histoire à hauteur d’enfant, du point de vue de ce jeune garçon, éveillé et sensible. Le procédé n’est pas inédit qui était utilisé par exemple dans Le Milieu de l’horizon (qui était lui aussi l’adaptation à l’écran d’un roman).

Tom aurait pu se concentrer sur la relation mère-fils. Mais ce tête-à-tête est perturbé par l’apparition de deux autres personnages : un mystérieux inconnu – qui ne restera pas mystérieux longtemps – et la vielle propriétaire solitaire d’un château environnant. On pourrait reprocher au scénario ces béquilles inutiles et ces personnages secondaires qui nous détournent de l’essentiel. On pourrait aussi lui reprocher un certain irénisme qui fait verser le drame social façon Rosetta dans un mélo plus mièvre.
Mais ne soyons pas bégueule et ne boudons pas le plaisir qu’on a pris en compagnie de Tom et de sa mère.

La bande-annonce

Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis ★☆☆☆

Tsuji est, comme beaucoup de jeunes cadres japonais, au début de sa vie professionnelle. Il loge dans un appartement minuscule dont la seule originalité est son bruyant aquarium. Il travaille dans une PME qui vend des jouets et des feux d’artifice. Il y entretient, en violation du règlement intérieur qui les interdit, deux relations amoureuses parallèles avec deux collègues : Minako, une jeune employée frivole, et Hosokawa, la contremaitre, plus âgée et plus mature. Mais c’est de Ukiyo qu’il tombera amoureux après l’avoir rencontrée un soir dans des circonstances exceptionnelles : il lui sauve la vie en dépannant sa voiture bloquée sur un passage à niveau.
Ukiyo se révèle vite une femme profondément instable, vivant dans la précarité, couverte de dettes et cachant un lourd passé. Pour la conquérir, Tsuji doit avaler bien des couleuvres jusqu’à la racheter à des yakuzas qui allaient la mettre sur le trottoir.

Suis-moi je te fuis et Fuis-moi je te suis est l’adaptation d’une série télévisée en dix épisodes. Elle est diffusée en salles sous la forme de deux films de près de deux heures chacun (sortis à une semaine d’intervalle alors que leur visionnage d’une seule traite est conseillé). Leur titre chiasmatique [le mot pédant du jour !] laisse augurer une structure en miroir : on imagine volontiers qu’après avoir vu Tsuji courir après Ukiyo, les rôles se renverseront dans la seconde partie. Ce n’est qu’en partie vrai. Une autre fausse piste : on avait imaginé que les mêmes événements, vus par les yeux de Tsuji prennent, à travers les yeux de Ukiyo, une toute autre signification dans la seconde partie. Cette piste là n’est pas utilisée : la structure du récit est globalement linéaire, qui révèle peu à peu les pans du mystérieux passé de son héroïne.

Après quatre heures de films, on sort frustré et déçu. On n’a pas vu l’ombre de la « fresque romanesque » promise par la publicité. Au contraire, on a dû ingurgiter une longue romance sirupeuse qui, lorsque la panne sèche menace, introduit un nouveau personnage : un yakuza philosophe, un mari trompé, un ancien amant désespéré….

Le cinéma japonais est peut-être l’un des plus riches au monde. L’an dernier encore, Drive my car recevait un accueil critique et public enthousiaste, ratait de peu la Palme d’Or et emportait l’Oscar du meilleur film international. Pour autant, ce qu’on en voit aujourd’hui en France (The Housewife, Contes du hasard et autres fantaisies, Aristocrats….) est au mieux très répétitif, au pire de plus en plus décevant.

La bande-annonce

Nitram ★★☆☆

Martin (Caleb Landry Jones) est toqué. Une scolarité chaotique, vite interrompue, lui a valu un surnom en forme de palindrome : Nitram. À vingt ans passés, il vit encore chez ses parents qui semblent être les seuls capables de supporter ses sautes d’humeur. Contre toute attente, Nitram fera une étonnante rencontre qui lui permettra de quitter le cocon familial. Helen, une excentrique sexagénaire, riche à millions, l’accueille dans sa vaste demeure à l’abandon. Sa disparition brutale laissera Nitram orphelin.

Nitram repose sur un malentendu. Même si sa bande-annonce n’en dit rien, son affiche annonce la couleur : une date, le 28 avril 1996, un événement, dont on imagine qu’il ne fut pas joyeux. Toutes les critiques dévoilent le pot aux roses : Martin Bryant, un homme de vingt-huit ans, mentalement attardé, a assassiné le 28 avril 1996 à Port-Arthur en Tasmanie, trente-cinq personnes de sang froid.

Il y a deux façons de voir le film.
La première aurait été de ne rien savoir de son dénouement. Aurait-on deviné son terme ? Aurait-on senti l’imminence de son issue fatale ? Comment aurait-on perçu la trajectoire de ce grand gamin un peu foutraque mais au fond si attachant ? Sa passion pour les armes à feu nous aurait-elle semblé une lubie anecdotique ou inquiétante ?
Hélas, nous sommes condamnés à voir ce film de la seconde façon : en en connaissant l’issue. Tout devient plus lourd, plus inéluctable. On sait qu’Helen va mourir. On sait que Martin/Nitram va exploser comme son surnom le laissait hélas augurer.

Certains de mes amis me disent qu’ils refusent de lire quoi que ce soit afin de découvrir un film libre de tout préjugé. Je ne suis en général pas d’accord avec eux : je lis tout ce que je trouve d’un film pour me préparer à sa rencontre, pour savoir ce à quoi je dois m’attendre, ce sur quoi je devrai réagir… Mais pour une fois, je leur donnerai raison : Nitram est un film qu’il faut aller découvrir vierge. Désolé de ne plus l’être après m’avoir lu 😉

La bande-annonce

Frère et Sœur ★☆☆☆

Louis (Melvil Poupaud) et Alice (Marion Cotillard) sont frère et sœur et se haïssent. Ils ont grandi à Roubaix auprès d’un père autodidacte et d’une mère autoritaire. Ils ont chacun fait leur vie : Louis est devenu un écrivain à succès, Alice une grande actrice de théâtre. Mais tous deux cachent une immense fêlure intérieure qu’ils soignent à coup d’alcool, de drogue et de médicaments. Si Louis a rencontré l’amour avec Faunia (Golshifteh Farahani), la mort de son fils Jacob à six ans à peine l’a détruit. Quant à Alice, quoique mariée au grand dramaturge Borkman, et mère d’un ravissant Joseph, elle n’est guère plus vaillante.
Louis et Alice se haïssent à tel point qu’ils ne se voient plus depuis des années. Mais le grave accident dont sont victimes leurs parents les oblige à se croiser à leurs chevets.

Arnaud Desplechin est de retour sur la Croisette. La quasi-totalité de ses films y a été présentée – sans jamais y décrocher la moindre récompense. Arnaud Desplechin incarne jusqu’à la caricature un certain cinéma d’auteur français : sombre et grave dans les thèmes qu’il traite (la famille et ses déchirures), théâtral dans sa mise en scène, alignant toujours une palette de stars suffisamment bankables pour faire la une des gazettes (Marion Cotillard, candidate à la Palme de la meilleure actrice, et Melvil Poupaud ici, Léa Seydoux, Denis Podalydès, Emmanuelle Devos, Roschdy Zem, Mathieu Amalric, Sara Forestier, Charlotte Gainsbourg, Catherine Deneuve avant eux).

La haine qui déchire un frère et une sœur ferait sans nulle doute un excellent thème de tragédie. Le problème de Frère et Sœur est de le traiter avec un sérieux plombant et un manque criant de crédibilité.
D’où vient la haine qui sépare Louis et Alice ? Parce qu’on a l’esprit mal placé et parce qu’une lecture entendue à la synagogue (où Louis accompagne son ami Zvi, interprété par un Patrick Timsit à contre-emploi étonnamment touchant dans un rôle grave) le laisse augurer, on imagine le pire. Mais on n’en saura rien. Ellipse du scénario ? ou paresse des scénaristes ?
Pourquoi ne se réconcilient-ils pas ? Leur haine serait d’autant plus crédible que leurs personnages seraient haïssables. Or, ni Louis ni Alice n’inspire un tel sentiment. Au contraire, leurs souffrances font peine à voir et on n’aspire qu’à une chose : leur inéluctable réconciliation.

Sauf à prendre un plaisir malsain à regarder des suicidaires qui menacent de se jeter du toit, des comateux qu’on ampute d’une jambe gangrenée, des héros alcooliques déchirés de chagrin et des enterrements à la pelle, on préfèrera à ce morbide Frère et Sœur, l’autrement plus réjouissant Coupez ! et ses joyeuses giclées de faux sang.

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Coupez ! ★★★☆

Rémi (Romain Duris) accepte de tourner en direct un plan-séquence de trente minutes, remake d’un film japonais à succès : le tournage d’un film de série B de zombies interrompu par l’arrivée de vrais zombies.

Pourquoi diable Michel Hazanavicius, qui a reçu l’Oscar du meilleur film, le César du meilleur réalisateur (The Artist) et signé la parodie la plus drôle du film d’espionnage (OSS 117), s’est-il embarqué dans le remake d’une obscure série Z japonaise (Ne coupez pas ! sorti en catimini en France en 2019) ? Pour en faire un des films les plus drôles et les plus malins de l’année.

Tout tient à une idée géniale de scénario : plier en trois l’histoire que j’ai résumée en début de critique. On verra d’abord le fameux plan-séquence de trente minutes du point de vue du spectateur, combinaison plus ou moins consternante de plans flous ou ratés, de répliques improvisées sur un scénario indigent. On reviendra ensuite en arrière sur la genèse de ce film et les raisons qui ont conduit Rémi à l’accepter et la bande d’acteurs et de techniciens qui l’entourent à y participer. On assistera enfin, dans une séquence d’une demi-heure parmi les plus hilarantes jamais vues, à la somme d’imprévus que cette joyeuse bande a rencontrés pour filmer cette histoire.

On rit devant Coupez ! On rit beaucoup. Et ce rire fait du bien. Coupez ! redonne ces lettres de noblesse à un genre en faillite : la comédie. Le genre attire les foules – même si les foules sont de moins en moins nombreuses à aller au cinéma. Mais le genre ne se renouvelle guère avec quelques stars en voie de momification : Danny Boon, Christian Clavier, Gérard Jugnot….

Coupez ! nous fait rire intelligemment en mettant en abyme le tournage d’un film : c’est l’histoire d’un réalisateur qui tourne un film sur un réalisateur en train de tourner un film. Et c’est, comme dans le jeu des sept erreurs, l’intelligence du spectateur qui est sollicitée en lui montrant les coulisses du film qu’il vient de voir. Ces coulisses sont désopilantes (on n’oubliera pas de sitôt Grégory Gadebois en acteur alcoolique et dégobillant) et elles transpirent d’amour pour le cinéma, un art fait de mille débrouillardises. Hazanavicius a mis dans ce film des tonnes d’anecdotes vécues, drôles et attachantes, qui reflètent l’imagination que nécessite un miracle toujours renouvelé et invisible : réussir à mettre une scène dans une boite. Seul un réalisateur avec une telle expérience était capable de le faire. Merci à lui ! Merci au Festival de Cannes d’avoir eu le culot d’en faire son film d’ouverture cette année !

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