Relaxe ★☆☆☆

En novembre 2008, neuf personnes étaient arrêtées à Tarnac sur le plateau des Millevaches. Suspectées de faire partie de l’ultra-gauche anarcho-libertaire, elles sont soupçonnées d’avoir voulu saboter des lignes de TGV. Une interminable instruction peine à démontrer la culpabilité des mis en examen. En 2015 la charge de terrorisme est abandonnée. Un procès finalement se tient en mars 2018.
Audrey Ginestet, qui se trouve être la belle-soeur d’une des mises en cause, en a filmé la fébrile préparation à Tarnac.

Le titre de son documentaire en divulgâche le dénouement : le tribunal correctionnel de Paris relaxera finalement l’ensemble des prévenus. Pour eux, c’est une longue épreuve de dix années qui s’achève enfin.

Que leur reprochait-on ? Des faits de « dégradations en réunion en relation avec une entreprise terroriste » selon l’expression juridique en vigueur, c’est-à-dire le sabotage de lignes TGV. Mais surtout des opinions : la DCRI était persuadée que ce groupuscule d’extrême-gauche, lié par les mêmes valeurs anarchistes, libertaires et anticapitalistes, était sur le point de basculer dans l’action violente sur le même modèle que les groupes terroristes des 70ies (Fraction Armée Rouge, Action directe).

Or, le soi-disant groupe de Tarnac – dont le procès en 2018 allait démontrer qu’il n’existait pas à proprement parler mais qu’il était simplement constitué d’amis plus ou moins proches partageant des idéaux communs – n’a jamais basculé dans l’action violente. Et même la dégradation des lignes TGV n’a pu leur être catégoriquement attribuée, faute d’aveux ou de preuves.

Relaxe filme la préparation du procès du point de vue de trois de ses accusés. Que sont devenus les cinq autres, à commencer par Julien Coupat (qui, à l’occasion de la crise du Covid-19, a versé dans le conspirationnisme) ? On comprend que le temps a fait son œuvre et que le « groupe » s’est déchiré. Yildune Lévy, l’épouse de Coupat, a divorcé. Idem pour Manon Gilbert, la belle-sœur de la documentariste, et son compagnon.
On comprend surtout que ce long procès a fait peser sur eux, pendant dix années interminables, une insupportable épée de Damoclès. Elle ne les a pas empêchés de vivre et de continuer, à Tarnac même, leur projet utopiste d’une autre vie possible, plus fraternelle, plus écologiste. Mais elle a mis leur vie en sursis.

Leur rage est toujours là, même si elle a été tamisée par les années qui passent. Peut-être aussi se sont-ils auto-censurés devant la caméra, n’osant pas se livrer tout de go, à force, comme le dit l’un des protagonistes, d’avoir pendant des années, pris l’habitude de vivre dans le secret et la dissimulation.

Relaxe – dont on peut se demander si le titre a un double sens alors même que le documentaire n’a rien de « relaxant » – raconte l’épilogue de cette longue épreuve et la reconnaissance de la non-culpabilité des prévenus.
Ils y entretiennent un rapport à la Justice paradoxal. Ils ont adopté une ligne de défense radicale : ayant déjà tout dit durant une instruction qu’ils estiment avoir été menée exclusivement à charge, ils refuseront de s’exprimer devant le tribunal et exerceront leur droit au silence. Leur dégoût de ce procès est palpable. Et nul doute que, s’ils avaient été condamnés, ils auraient crié à l’injustice et au scandale. Mais une fois le verdict rendu, leurs critiques de l’appareil judiciaire s’évanouissent.

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Coeur errant ★☆☆☆

Santiago, la quarantaine, est un homme qui vit au rythme de ses passions. Après avoir longtemps été en couple avec Luis, il a adopté un mode de vie chaotique, entre drogue et alcool, passant des bras d’un amant à un autre, au détriment de sa fille Laila, qui vient d’achever ses études secondaires et qui réclame de lui l’attention et l’amour qu’il ne lui donne guère.

Coeur errant est un film argentin dont le héros (Leonardo Sbaraglia découvert chez Almodovar) est un quadra immature, incapable de se fixer sentimentalement et d’assumer son rôle de père. Très vite Coeur errant brosse les contours de la psychologie de ce personnage dont on comprend la contradiction qui le caractérise : d’un côté ce déséquilibre sentimental qui le pousse à tous les excès, de l’autre cette enfant pour laquelle il aimerait être un meilleur père. Mais son scénario, trop statique, malgré une échappée belle au Brésil pendant les fêtes de Nouvel An, qu’on passe dans l’hémisphère Sud au bord de la mer pour fuir la canicule, ne fait pas bouger son héros d’un pouce.

Le film n’avance pas, ne va nulle part et tourne en rond. Seule timide consolation : les spectateurs – et les spectatrices – les plus avertis se réjouiront du spectacle de nombreux garçons dénudés qui s’embrassent à bouche que veux-tu en bande (si j’ose dire) organisée. Que les autres ne s’en offusquent pas : la commission de classification a jugé le tout suffisamment inoffensif pour l’autoriser à tous les publics sans restriction d’âge.

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La Colline ★☆☆☆

Près de Bichkek s’étend une immense déchetterie à ciel ouvert où des damnés de la terre en haillons viennent trier dans une odeur qu’on imagine pestilentielle quelques rogatons recyclables. Le vieux documentariste Denis Gheerbrandt, qui a derrière lui près d’un demi-siècle de carrière, et la jeune chercheuse russe Lina Tsrimova, qui a soutenu à l’EHESS en 2021 une thèse sur l’histoire de la construction du Caucase aux dix-huitième et dix-neuvième siècles, sont allés les filmer.

Les images qu’ils ont ramenées du Kirghizistan et les témoignages qu’ils ont recueillis sur cette colline de déchets sont impressionnants. En particulier, ils se sont concentrés sur deux figures. Celle d’Alexandre, un ancien soldat de l’Armée rouge, traumatisé par la guerre en Tchetchénie et par l’alcool. Et celle de Tadjikhan, une vieille Kirghize que tous les coups possibles du sort ont frappée, à commencer par la mort accidentelle de cinq de ses neuf enfants.

La Colline contient quelques plans d’anthologie, tels ceux filmés nuitamment des incendies des déchets  qui ne dissuadent pas les maraudeurs de continuer à y fouiller en quête d’on-ne-sait quel trésor. Mais si ces plans sont beaux, ils ne font pas toujours sens, dans un documentaire auquel on pourra reprocher sa brièveté (1h17 seulement) et qui nous frustre d’explications plus approfondies sur cette déchetterie, son environnement et ce pays du bout du monde, le Kirghizistan, coincé entre la Russie et la Chine, qui aurait mérité de plus amples développements pour satisfaire notre curiosité.

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L’Automne à Pyongyang, un portrait de Claude Lanzmann ☆☆☆☆

En 2015, Claude Lanzmann se rendait en Corée du nord avec son producteur François Margolin, sous le prétexte d’y tourner un documentaire sur le taekwondo mais en fait pour y retrouver la trace d’une infirmière qu’il y avait croisée en 1958 et dont il était tombé éperdument amoureux durant une brève séance de canotage sur le fleuve Taedong. Ce voyage surréaliste a inspiré un documentaire, Napalm, dont j’ai fait une longue critique à sa sortie en 2017.

Cinq ans après la mort de Claude Lanzmann, en juillet 2018, à quatre-vingt-douze ans, François Margolin revient sur cet ultime voyage. On comprend mal l’utilité de ce post-scriptum, qui utilise les rushes que Napalm n’avait pas jugé bon de retenir. On y retrouve le vieil intellectuel qui disserte sur quelques épisodes marquants de sa vie : son compagnonnage avec le Parti communiste, sa liaison avec Simone de Beauvoir, le suicide de sa soeur, le tournage de Shoah

En 2017, ma critique mi-figue mi-raisin lui trouvait quelques circonstances atténuantes. Mon admiration pour le grand intellectuel m’empêchait de tirer à boulets rouges sur le vieillard sénile et libidineux. Mais en 2023, face à cet Automne à Pyongyang redondant, je n’aurai plus la même indulgence. Si la vieillesse est un naufrage, Claude Lanzmann en fournit hélas une vivante, quoique moribonde, illustration. L’homme, sourd comme un pot, quasiment grabataire, est à bout de force et à bout de souffle. En soi, cela n’est en rien blâmable. Mais il affiche cette impatience, cette morgue, qui caractérisent souvent les vieillards égocentriques. Il ne cesse de rembarrer son producteur qui l’interroge en le renvoyant à ses livres et en l’accusant de ne pas les avoir lus. C’est à se demander quel masochisme anime François Margolin pour avoir montré ces scènes où il se laisse humilier.

Outre l’hubris de son personnage, deux choses m’ont particulièrement dérangé dans ce dernier voyage et dans ce qu’il nous montre de Lanzmann. La première est son manque de recul vis-à-vis du régime communiste nord-coréen. Sans doute se moque-t-il de la laisse courte que ses cornacs nord-coréens lui imposent et qu’il essaie par tous les moyens de desserrer. Mais il n’exprime aucune critique sur la chape de plomb qui s’est abattue depuis plus de soixante ans sur ce pays.
La seconde est l’expression de moins en moins décomplexée de sa libido. Le documentaire n’en dit mot ; mais Claude Lanzmann dans les dix dernières années de sa vie a été plusieurs fois accusé d’agressions sexuelles. Sans doute faut-il être indulgent avec nos aînés et prendre en compte l’affaiblissement de leurs forces ; mais la sénilité n’excuse pas tout.

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Une histoire d’amour ★★★☆

Katia et Justine tombent amoureuses. Elles décident d’avoir un enfant ensemble. Mais le couple se sépare avant l’accouchement de Katia. Douze ans passent. L’enfant de Katia, Jeanne, est devenue une jeune fille passionnée de lecture. Katia, qui n’a jamais oublié Justine, apprend qu’un cancer généralisé ne lui laisse plus que quelques semaines à vivre et demande à son frère William de prendre soin de sa fille.

Alexis Michalik a révolutionné le théâtre français en l’espace de quelques années. Sa méthode : des scénarios follement romanesques, riches en rebondissements et en personnages hauts en couleurs, menés tambour battant. Après Le Porteur d’histoires et Le Cercle des illusionnistes, le succès arrive en 2016 avec Edmond, couvert de prix et transposé à l’écran début 2019. Il monte Une histoire d’amour début 2020 à La Scala où j’ai eu la chance d’aller le voir avant que le Covid-19 ne coupe les ailes aux tournées prévues. Mais dès 2021, il s’attèle à son adaptation à l’écran..

Les critiques ont eu la dent dure avec ce film qui a connu un cinglant échec. « Personnages réduits à des archétypes, rebondissements téléphonés, chantages à l’émotion… » écrit Thierry Chèze dans Première. « Empêtré dans ses grosses ficelles, ce mélodrame sonne faux du début à la fin » surenchérit Julie Loncin dans Les Cahiers du cinéma.

J’aimerais pouvoir dire que ces critiques sont injustes. Mais elles ne le sont pas. Une histoire d’amour est un film raté, un mauvais film, un film qui croûle sous les bons sentiments en convoquant au risque de la surenchère autant de situations écrasantes : le traumatisme enfoui d’un père alcoolique et violent et d’une mère trop tôt décédée d’une maladie incurable, le coup de foudre amoureux de Katia qui se termine par une séparation jamais cicatrisée, la vie brisée de William et désormais hantée par ses fantômes…

Mais ce cinéma-là, aussi mauvais soit-il, qui raconte une histoire et qui charrie des sentiments à la pelle en nous tirant des larmes, est précisément celui qui me touche. Parce qu’il me tient en haleine du début à la fin du film. Parce qu’il évoque des situations que j’ai vécues ou que je serais susceptible de vivre. Parce qu’il le fait d’une façon terriblement contemporaine, mélange paradoxal d’ironie permanente et de dramatisation hystérique. Comme les Sundae Caramel de mon adolescence tellement sucrés qu’ils en devenaient écœurants, comme les Prosecco que plus personne ne boira dans cinq ans, je sais pertinemment que c’est mauvais et pourtant, malgré mon goût revendiqué pour la haute gastronomie, je prends un plaisir régressif à m’en goinfrer.
Alexis Michalik, c’est mon Sundae caramel de cinéma. C’est mauvais… mais j’aime ça !

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Désordres ★★☆☆

Désordres a pour cadre une usine d’horlogerie de la vallée de Saint-Imier, dans le Jura bernois, dans les années 1870. On en découvre le directeur, les ingénieurs qui y chronomètrent le temps de travail des ouvrières pour en rationaliser les tâches. Le jeune Piotr Kropotkine, qui était géographe de formation, avant de devenir l’un des leaders du mouvement anarchiste, visite la région.

Désordres est un film étonnant. Étonnant par son sujet : j’ignorais que le mouvement anarchiste avait trouvé dans les vallées suisses juste après la Commune un terreau si favorable. Étonnant par son traitement : Désordres a été tourné en lumière naturelle avec des acteurs non-professionnels. Son traitement du son est très particulier, avec à la fois des voix très proches, presque murmurantes et l’omniprésence d’un bruit de fond parasite. Son traitement de l’image l’est tout autant, avec des plans très rapprochés et des cadrages décentrés, comme des peintures flamandes dont le sujet principal se situe à la périphérie.
Avec une grande ascèse, Désordres essaie de mettre en images une idée : la mesure du temps.

Le résultat est déconcertant. On a envie de crier au génie devant autant d’originalités. Mais très vite l’ennui s’installe. La faute au jeu des acteurs décidément très mauvais : c’est une chose de choisir des non-professionnels, c’en est une autre de les diriger. La faute aussi à un scénario qui à force de refuser tout effet spectaculaire finit par s’enliser : on ne s’attache pas aux personnages auxquels le scénario refuse obstinément de donner le moindre relief et la moindre personnalité, on ne s’intéresse à aucune des histoires que, là encore, le scénario refuse de développer (le licenciement d’une ouvrière, une votation, l’ébauche d’une idylle). Dommage…

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Noémie dit oui ★★★☆

Noémie est une jeune adolescente québécoise. Élevée en foyer, elle brûle de retourner vivre chez sa mère. Frustrée de se le voir une fois encore interdire, elle fugue et rejoint Léa, une ancienne pensionnaire de son foyer, qui vit désormais à Montréal. Le copain de Lea la force à se prostituer. Sous l’emprise de Zach, le nouveau copain qu’elle se fait dans les jours qui suivent son installation à Montréal, Noémie va bientôt devoir suivre le même chemin.

La prostitution, la violence physique et psychologique qu’elle provoque, les dilemmes qu’elle suscite, sont décidément des sujets qui nourrissent beaucoup de films. Sans remonter à Buñuel (Belle de jour), Godard (Deux ou trois choses que je sais d’elle, Vivre sa vie) ou Bonello (L’Apollonide), on pourrait citer Party Girl, Filles de joie et surtout Une femme du monde avec l’épatante Laure Calamy. L’automne dernier, on a vu l’adaptation à l’écran du livre choc d’Emma Becker, La Maison, qui, à rebours du discours abolitionniste dominant, essaie de réhabiliter la maison close décrite comme un chaleureux cocon sororal et la prostitution dès lors qu’elle reposerait sur un choix consenti. Pas plus tard que le mois dernier, À mon seul désir avait pour cadre un club de striptease et pour personnages les danseuses qui s’y produisaient.

Noémie dit oui confronte une adolescente en perdition au traumatisme de la prostitution. Elle n’y tombe pas par hasard mais au terme d’un implacable cheminement qui l’amène du centre de jeunesse à la rue. Ce film québécois réussit à éviter les deux écueils qui le menaçaient : la glamorisation porno et le naturalisme misérabiliste.

Noémie dit oui n’est pas un film glamour. Au contraire. Les dizaines de passes successives que doit subir l’adolescente n’ont rien d’affriolant. Les hommes laids et veules qui se succèdent dans la chambre d’hôtel que son proxénète a louée pendant les trois journées que dure le Grand Prix de Formule 1 de Montréal (dont on apprend qu’il est le lieu de tous les excès) ne sont ni des Adonis ni des gentlemen. Toute femme tentée de se prostituer en imaginant que c’est de l’argent facilement gagné, tout homme fantasmant sur le recours à une prostituée pour passer un « bon moment » en compagnie d’une nymphomane décoincée devraient être invités d’urgence à voir ce film avant de passer à l’acte.

Pour autant, Noémie dit oui ne sombre pas dans un misérabilisme glauque ou moralisateur. Le mérite en revient en grande partie à l’héroïne, la jeune Kelly Depeault, de tous les plans. Tout le film repose sur ses -frêles – épaules, dans sa seconde partie, la plus éprouvante, dans le huis clos de cette chambre d’hôtel anonyme, mais aussi dans la première, portrait d’une adolescente ivre de colère et privée d’amour maternel.

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Mad God ★☆☆☆

Un soldat caparaçonné dans un uniforme qui semble tout droit sorti de la Première Guerre mondiale plonge dans les entrailles de la Terre où il croise une série de monstres terrifiants.

Mad God est un film d’animation tourné en stop motion, une technique qui requiert une patience et une méticulosité incroyables. Chaque image est enregistrée l’une après l’autre, les éléments étant légèrement déplacés d’une prise de vue à l’autre pour créer l’illusion du mouvement.
On apprend, en lisant le dossier de presse, que Mad God a mis trente ans à voir le jour. C’est l’œuvre de Phil Tippett, le célèbre directeur d’effets spéciaux qui a participé notamment à la création de Star Wars, Jurassic Park, Robocop ou Starship Troopers.

Mad God est un spectacle hors normes. Bien vite, on oublie son scénario qui n’est qu’un prétexte à des visions hallucinées de créatures cauchemardesques. La beauté et la laideur deviennent des catégories bien fragiles pour les caractériser. Tout comme l’effroi ou la fascination.

Autant dire que Mad God s’adresse à un public averti – comme la dizaine de jeunes gothiques tatoués et piercés, tout de noir vêtus, auprès desquels je me suis timidement glissé dans l’une des rares salles parisiennes qui le diffuse encore cinq semaines après sa sortie – qui y retrouvera peut-être l’énergie punk de Eraserhead, de Shrivers ou de Tetsuo. Quant aux autres, oscillant entre sidération et dégoût, ils se réjouiront que ce délire horrifique dure quatre-vingt-quatre minutes à peine.

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L’Amitié ★★☆☆

À quatre-vingt-dix ans passés, Alain Cavalier a toujours bon pied bon œil. Il nous livre, selon la méthode qui est devenue la sienne depuis déjà quarante ans, filmant lui-même derrière son Caméscope, des « personnes » plutôt que des « personnages », le portrait de trois de ses amis : Boris Bergman, le parolier d’Alain Bashung avec lequel Cavalier a failli réaliser un film en 1987 qui ne s’est jamais tourné, Maurice Bernart, le producteur de Thérèse, le film à succès d’Alain Cavalier en 1986, et Thierry Labelle, coursier qui embrassa brièvement le métier d’acteur pour tourner dans Libera me en 1993.

Le sujet du film, l’amitié, n’est jamais explicitement évoqué ; mais il transpire à chaque image, à chaque geste, à chaque réaction des amis auxquels Cavalier rend visite et qui manifestent avec une spontanéité profondément touchante l’émotion qu’ils ressentent et le plaisir qu’ils prennent à accueillir leur hôte. Celui-ci est d’une politesse exquise et en même temps sacrément intrusif avec sa caméra qui filme leur intimité au risque de révéler leurs travers.

Avait-il une idée en tête en effectuant ces visites ? On peut le croire ; car il reproduit à chaque fois le même protocole – au risque de créer à la longue un effet lassant de répétition. Il s’attache à filmer ses trois amis dans leur environnement quotidien, en visitant chaque pièce de leur logis, en les regardant cuisiner, en leur demandant de faire quelques pas hors de chez eux (pour donner une idée des lieux qui entourent leur habitation ?). Il filme également leurs compagnes – même si celle de Thierry, lourdement handicapée (?) refuse d’apparaître à l’écran.

Ce qui m’a frappé, c’est la différence de milieu des trois hommes. Bergman est un saltimbanque qui, s’il avait continué à boire et à se droguer aurait connu la même fin prématurée que Bashung mort en 2009. Bernart est un grand bourgeois, qui habite un appartement cossu à l’angle de la rue Soufflot et du boulevard Saint-Michel et possède une gentilhommière en Normandie. Labelle enfin est un prolo tendance alcoolique qui est devenu propriétaire d’un modeste pavillon de banlieue en s’endettant sur vingt ans.

Si l’on était mauvaise langue, on dirait que ce troisième portrait a été ajouté aux deux autres pour en corriger l’effet trop élitiste. À la gauche bobo, du XXième arrondissement, à la gauche caviar du Vème, il fallait rajouter la gauche prolo du 9.3. Mais, chacun sait que je ne suis pas mauvaise langue. L’humanisme débordant qui transpire de chaque plan de ce film suffit à désamorcer cette accusation vipérine.

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Avant l’effondrement ★☆☆☆

Tristan (Niels Schneider), directeur de campagne d’une candidate de gauche aux élections législatives, reçoit un courrier anonyme contenant un test de grossesse positif. Alors que son père se meurt dans un EHPAD, Tristan va chercher à identifier l’auteur de ce courrier, aidé de Fanny (Ariane Labed), sa colocatrice. Elle va les mener sur les traces de Pablo (Souheila Yacoub), une amie perdue de vue qui vit désormais dans une communauté écologiste en Bretagne.

Alice Zeniter est une enfant terrible de la littérature française. Elle publie son premier roman à seize ans et atteint la notoriété avec L’Art de perdre en 2017 qui rata le Goncourt de peu. Elle avait déjà écrit le scénario d’un film en 2014 mais n’était jamais passée derrière la caméra, qu’elle partage ici avec Benoît Volnais qui signe, comme elle, son premier film.

Avant l’effondrement est un film déconcertant, pour ne pas dire raté, qui s’éparpille en poursuivant plusieurs objectifs à la fois sous une musique tonitruante. Son titre, un brin grandiloquent, renvoie à deux niveaux de lectures. Le premier, macro, est évoqué dans le préambule du film : la planète est au bord d’un effondrement écologique systémique – qui sera vite concrétisé par la canicule qui s’abat sur Paris et qui a obligé tous les personnages du film à copieusement mouiller leurs T-shirt avant chaque prise pour feindre une sudation abondante. Le second, micro, renvoie au vécu de Tristan, qui craint d’avoir hérité de sa mère une maladie génétique mortelle qui risque de le tuer à quarante ans.

Réflexion politique sur le monde tel qu’il va, drame intime sur un (jeune) homme confronté à l’hypothèse de sa mort, Avant l’effondrement accumule les clichés : Tristan est un bobo trentenaire, la candidate aux législatives pour laquelle il travaille est une infirmière éborgnée par les violences policières, Fanny est une traître à sa classe qui s’enivre de ses idéaux révolutionnaires, Pablo une écolo radicale partie cultiver son jardin….

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