Les Âmes sœurs ★★☆☆

Jeanne (Noémie Merlant) habite les dépendances d’un manoir décrépi perdu dans les forêts ariégeoises, que lui a concédées un châtelain misanthrope et dépressif (André Marcon) . Elle apprend que le blindé de son frère, David (Benjamin Voisin), qui s’est engagé dans l’armée à la fin d’une adolescence tapageuse, a sauté sur une mine au Mali laissant le jeune soldat dans le coma. Il en sort miraculeusement mais a perdu la mémoire. Sa sœur va patiemment l’aider à la retrouver, quitte à faire ressurgir un passé refoulé.

André Téchiné a quatre-vingt ans passés. Il tourne des films depuis près de cinquante ans : Hôtel des Amériques (1981), Ma saison préférée (1993), Les Roseaux sauvages (1994) sont ses oeuvres les plus célèbres. Nommé six fois pour le César du meilleur réalisateur, il ne le remporta qu’une seule fois pour Les Roseaux sauvages. D’autres que lui se seraient à cet âge encroûtés en répétant ad nauseam les mêmes recettes éculées. Claude Lelouch en offre hélas le triste exemple. Mais le cinéma d’André Téchiné reste étonnamment neuf. La raison en vient peut-être des jeunes acteurs qu’il a toujours fait tourner et qui insufflent un vent d’air frais dans son cinéma : Gérard Depardieu et Isabelle Adjani en 1976 dans Barocco, Wadeck Stanczack et Manuel Blanc, tous deux couronnés du César du meilleur espoir masculin, le premier pour Rendez-vous en 1986, le second pour J’embrasse pas en 1992, Elodie Bouchez et Laurence Côte qui ont décroché la même récompense, la première pour Les Roseaux sauvages en 1994, la seconde pour Les Voleurs en 1996 ou, plus récemment, Kacey Mottet-Klein et Corentin Fila dans Quand on a 17 ans.

Ce vent d’air frais, ce sont Noémie Merlant et Benjamin Voisin qui l’insufflent à leur tour. J’ai déjà dit ici l’enthousiasme que la première provoque en moi. Son talent ne m’avait pas sauté aux yeux dans ses premiers rôles, qui furent en fait souvent des seconds, en demi-teinte. Il explose depuis qu’elle s’est faite une place en haut de l’affiche. Son interprétation, pleine d’humour, dans L’Innocent de Louis Garrel m’avait transporté (« Je veux draguer le chauffeur »).
Benjamin Voisin me convainc un chouïa moins. Le César du meilleur espoir masculin que lui a valu Illusions perdues – qui, à mes yeux, n’était pas, loin s’en faut, le meilleur film de 2021 – me semble un peu surcoté.

Ces jeunes pousses prometteuses, Téchiné les dirige de main de maître dans un scénario tiré au cordeau, qu’il a co-écrit avec Cédric Anger, un réalisateur de trente ans son cadet (on lui doit notamment La prochaine fois je viserai au cœur et L’amour est une fête). La première partie de ces Âmes sœurs est quasi-documentaire qui montre le lent rétablissement de David pris en charge par le service de santé des armées aux Invalides – et nous rappelle le récit autobiographique poignant de Philippe Lançon hospitalisé au même endroit. Puis l’intrigue se déplace dans les Pyrénées ariégeoises, filmées au gré des saisons, comme souvent dans les films de Téchiné qui aiment à alterner les paysages urbains et ruraux.

Si André Téchiné est un si grand réalisateur, si ses jeunes acteurs sont des talents si prometteurs, si ses scénarios sont si bien écrits, d’où viennent alors mes réticences ? D’une histoire dans laquelle je ne suis pas vraiment rentré pour deux raisons. La première est que son sujet – dont je ne peux rien dire même si d’autres critiques le font sans vergogne – m’a paru terriblement outré. La seconde est la façon dont les personnages le vivent : autant le personnage de Jeanne, écartelée entre les sentiments contradictoires que lui inspire son frère, m’a touché, autant celui amoral sinon immoral de David m’a déconcerté sinon franchement rebuté.

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Beau Is Afraid ★☆☆☆

Beau (Joaquin Phoenix), la quarantaine, vit seul dans un appartement miteux d’une ville en pleine déréliction. Gravement paranoïaque, il est suivi par un psy. Il a promis à sa mère de prendre l’avion pour se rendre à son anniversaire mais rate son vol après une nuit sans sommeil. Le temps de traverser la rue pour acheter une bouteille d’eau, son appartement est squatté par des vagabonds et Beau doit passer la nuit dehors. Au réveil il apprend le décès accidentel de sa mère.

Ari Aster est le wonderkid du cinéma americain. Deux films ont suffi pour asseoir sa réputation : Hérédité, que j’ai franchement détesté (zéro étoile et un coup de gueule), et Midsommar que j’ai absolument adoré (quatre étoiles et la première place de mon Top 10 2019). Aussi son troisième opus était-il attendu par tous avec une immense impatience. En juin 2020, Ari Aster annonçait qu’il s’agirait d’une « comédie cauchemardesque » de quatre heures avec Joaquin Phoenix. Son titre : Disappointment Blvd. Finalement le film dure une heure de moins et a changé de titre (je ne suis pas convaincu que Beau Is Afraid soit plus catchy). Mais la « comédie cauchemardesque » est bien là.

Qu’en penser ? J’avoue une extrême hésitation.

Son format en impose, autant que les cinq cents pages d’un énorme roman comme les Américains savent le faire quand ils lorgnent le Pulitzer (un lecteur miséricordieux pourrait-il m’expliquer en mp pourquoi les romans français sont si courts et les romans américains systématiquement si longs ?). Son sujet aussi : Beau Is Afraid est une plongée cauchemardesque dans la psyché d’un grand paranoïaque, castré par sa mère. Son interprétation enfin : s’il ne l’avait pas déjà remporté si récemment pour Joker, ce rôle-là aurait certainement valu à Joaquin Phoenix le prochain Oscar du meilleur acteur.

Mais une fois ces compliments révérencieusement égrenés, on peut s’autoriser quelques réserves. La première, précisément, est la durée hors normes de ce film obèse. Trois heures, c’est long. Très long. D’autant que ce road movie en quatre tableaux (la ville/ la maison de banlieue/ le théâtre perdu au fond des bois/ la maison de la mère) aurait fort bien pu durer une heure de plus… ou une heure de moins…

La seconde, la plus radicale, est son sujet. J’ai déjà dit ici combien la folie me semblait un thème cinématographique surcoté en mentionnant les réserves que m’inspiraient des chefs d’oeuvre unanimement reconnus comme Spider de Cronenberg, Répulsion de Polanski, π de Aronofsky… « Il est un peu fou, de plus en plus fou, vraiment très très fou » voilà comment, selon moi, se résument ces films-là sans enjeu sinon celui, joué d’avance et pas vraiment enthousiasmant, de s’enfoncer progressivement avec son héros dans une folie de plus en plus délirante.

Peut-être ne suis je pas assez fêlé pour m’identifier à ces personnages. On me répondra alors que je ne suis guère plus juif pour m’identifier à ceux des films sur l’Holocauste qui me touchent pourtant tellement. Et l’on me répondra aussi que, fêlés, nous le sommes tous un peu à un degré ou à un autre. L’argument est donc irrecevable.
Mais ces films sur la folie – et Beau Is Afraid vient s’ajouter à cette longue liste – ne me touchent pas. Si, à la limite, j’ai aimé le premier quart du film, qui se déroule dans l’appartement en état de siège de Beau, très vite, je me suis désintéressé de son sort. Le comble a été atteint dans le dernier quart du film, interminable épilogue d’un règlement de comptes freudien entre Beau et sa mère. Quant à la scène finale, je n’y ai rien compris et je n’ose plus poser la question qui me tenaille devant la quasi-totalité des films que je ne comprends pas ces temps-ci, la faute à mon âge sénescent ou à la complexité croissante de scénarios nébuleux : est-ce qu’il meurt à la fin ?!

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Hokusai ★☆☆☆

Katsushika Hokusai est un peintre japonais dont la vie enjambe les dix-huitième et dix-neuvième siècles. Il est devenu universellement célèbre avec La Grande vague de Kanagawa, la première estampe de la série Trente-six vues du mont Fuji, réalisée en 1830 ou 1831.

Sorti fin 2020 au Japon, Hokusai s’annonce comme un biopic très classique. D’ailleurs son classicisme est sa principale qualité autant que son premier défaut. On y suit de sa jeunesse jusqu’à sa mort le parcours du dessinateur japonais, son apprentissage auprès du grand éditeur Tsutaya qui se battit contre la censure, l’affirmation de son propre style, à rebours de celui qui était à l’époque de mode, la façon dont il peignit la Grande Vague et dont il la coloria avec du bleu de Prusse qui venait d’être introduit dans l’archipel et enfin sa vieillesse auprès de sa fille O-Ei. On y découvre un génie consacrant chaque instant de sa vie à son art (il réalisa plus de trois mille estampes) au point de se laisser dévorer par lui.

Hokusai présente une autre particularité qui s’apparenterait presque à un vice de fabrication. Il laisse beaucoup de place aux personnages secondaires. À Tsutaya, l’éditeur de Hokusai, dans la première partie du film. À Tanehiko, un samouraï qui, au mépris des règles qui régissent sa caste, se consacre à l’écriture et dont Hokusai illustre les publications, dans sa seconde partie.

Ces personnages trop développés ont le défaut de nous détourner du personnage principal, de sa vie et de son oeuvre. Ce serait tout à fait loisible, voire utile, dans une série longue de plusieurs heures – dont Hokusai donne l’impression d’être une version abrégée. Mais, dans un film de quatre-vingt-dix minutes à peine, ce défaut de construction déséquilibre l’ensemble au risque de lui faire perdre ses bases.
On ne s’ennuie pas devant ce spectacle riche en rebondissements ; mais on en sort avec le besoin pressant d’aller chercher sur Wikipedia les informations que ce film trop confus ne nous a pas fournies.

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Le Jeune Imam ★☆☆☆

À douze ans, après avoir commis un larcin qui risque de salir l’honneur de sa famille, le jeune Ali Diallo est renvoyé par sa mère au Mali chez son oncle suivre les cours d’une école religieuse. Il revient à Montfermeil dix ans plus tard avec pour seul bagage ses études théologiques. Bien vite, grâce à sa faconde, il devient l’imam de la mosquée du quartier. Profitant de sa popularité grandissante, Ali organise pour ses ouailles le pèlerinage à La Mecque sans se douter de l’arnaque dont il va être victime et qui va causer sa chute.

On connaît le réalisateur Kim Chapiron pour ses films nerveux qui peignent une jeunesse testostéronée habitée par la fureur de vivre : Sheitan (2005), Dog Pound (2009) et La Crème de la crème (2014). Entouré de ses amis de toujours, le réalisateur Ladj Ly (Les Misérables) et le scénariste Ramzi Ben Sliman, il s’empare d’un sujet culotté qui aurait pu, si la campagne de presse avait été plus agressive, faire polémique.

Comment devient-on imam dans le 9.3 ? Le sujet est passionnant et aurait pu, à lui seul, nourrir tout un film. D’ailleurs Le Jeune Imam l’évoque en son mitan quand il montre comment Ali utilise les réseaux sociaux pour asseoir son autorité. Il y aurait eu bien d’autres choses à dire sur la place de l’Islam dans les banlieues, le rôle qu’il exerce chez les immigrés arabes et subsahariens des deuxième et troisième générations, la communautarisation qu’il induit ou au contraire la pacification qu’il favorise. Mais hélas, Le Jeune Imam n’en dit mot.

La façon dont Ali devient imam n’est qu’un épisode du film coincé entre deux autres qui l’étouffent. Le premier est un prologue trop long qui décrit l’enfance d’Ali au Mali et la façon dont le prend sous son aile son oncle, dans une scène où l’on croirait revoir Jean Valjean et Mgr Myriel (clin d’oeil aux… Misérables ?). Le second est le simulacre de thriller, inspiré nous annonce-t-on d’une histoire vraie et, en fait, en mélangeant plusieurs, organisé autour d’une arnaque au pèlerinage, la pénurie de visas pour le haj conduisant nombre de croyants crédules à confier leurs économies à des agences de voyage peu scrupuleuses.

On comprend à la fin du film que son sujet est la relation d’Ali avec sa mère qui l’a abandonné au Mali, le sevrant d’amour maternel, et dont il essaie désespérément de reconquérir l’affection. Ce sujet-là a, selon moi, beaucoup moins d’intérêt que celui que nous promettait le film et dont j’ai été frustré.

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La Dernière Reine ★★☆☆

Pour sauver son royaume des Espagnols qui l’assiègent, l’émir d’Alger, Salim at-Toumi, n’a d’autre alternative que de demander l’aide des corsaires. Arudj remporte la victoire mais manifeste bientôt le désir, avec ses frères, de s’installer à Alger et de supplanter l’émir. La femme de celui-ci, la princesse Zaphira, au nom des intérêts de son fils, le jeune Yahia, va se dresser contre l’usurpateur.

La Dernière Reine est un film étonnant comme on n’en voit guère. C’est un film algérien, un pays qui hélas, par manque de moyens, peine à trouver sa place sur la scène mondiale. Les moyens justement, Adila Bendimerad, qui co-réalise le film et en interprète le rôle principal, est allée les chercher en France, à Taïwan, au Qatar et en Arabie saoudite, un curieux amalgame de pays aux cultures et aux traditions cinématographiques très disparates. On pouvait redouter que le résultat ressemble à ces immondes vinasses, mélange de cépages de la CEE, dont les poivrots de mon enfance s’enivraient faute de mieux.

Mais il n’en est rien. La Dernière Reine frappe au contraire par sa cohérence, son ambition, sa débauche de moyens, le soin apporté à ses décors luxueux, à ses costumes somptueux.
De quoi s’agit-il ? D’un drame shakespearien à la sauce orientale façon Game of Thrones, les scènes olé-olé en moins pour ne pas offusquer les investisseurs du Golfe. D’un film de cape et d’épée qui rivaliserait presque avec Les Trois Mousquetaires. D’un drame féministe… mais où, là encore, pour satisfaire aux canons de ses investisseurs sourcilleux, les femmes restent très sages.

Nadine Tereszkiewicz, qu’on connaît bien, joue un personnage secondaire, celui d’Astrid, la femme scandinave du corsaire Arudj. Son visage familier est le seul élément qui nous rattache à cet ovni exotique.

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Dirty, Difficult, Dangerous ★☆☆☆

Ahmed et Mehdia s’aiment d’un amour pur. Mais la vie n’est pas facile pour ces deux immigrés au Liban. Ahmed est syrien et rétameur. Victime d’un bombardement, il développe une curieuse pathologie ; son corps, rempli d’éclats métalliques, se rouille inexorablement. Mehdia elle est Ethiopienne. Elle travaille chez un vieillard sénile dont elle doit supporter les foucades imprévisibles.

Dirty, Difficult, Dangerous est un film faussement doux qui bat en brèche le racisme ordinaire qui sévit au Liban. Il ose même un pas de côté vers un cinéma fantastique qui m’a rappelé celui de Thomas Salvador dans Vincent n’a pas d’écailles ou La Montagne. Ses deux héros chaplinesques et mutiques rappellent quant à eux ceux des films de Kaurismäki et de Suleiman.

Son problème est son scénario qui fait du surplace – un peu d’ailleurs comme les films de Elia Suleiman (avec lequel j’ai eu la dent bien dure dans la critique de son dernier en date). Une fois qu’ont été campés ses deux personnages, Dirty, Difficult, Dangerous semble n’avoir plus rien à dire.

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Misanthrope ★★☆☆

La nuit du Nouvel An, à Baltimore, un tueur en série à la précision diabolique abat derrière son fusil à lunettes une vingtaine de fêtards. Geoffrey Lammark (Ben Mendelsohn) du FBI se voit confier l’enquête. Il s’adjoint les services d’une jeune policière, Eleanor Falco (Shailene Woodley) au profil psychologique atypique.

Misanthrope ressemble aux polars qui se multiplièrent dans les 90ies après le succès du Silence des agneaux et de Seven. il explore un genre – la traque d’un mystérieux tueur en série – selon une trame archiconnue – le tandem paradoxal (et hautement improbable) d’un vieux limier et d’une jeune recrue.

Mais il le fait avec talent.
Damian Szifron est derrière la caméra. Ce nom n’est pas connu. Mais il s’agit pourtant du réalisateur des Nouveaux Sauvages, ce film à sketches argentin que j’avais placé à la première place de mon Top10 en 2015, l’année de sa sortie en France. Depuis lors, il avait mystérieusement disparu de la circulation et revient dans cette superproduction hollywoodienne anonyme, coproduite par Shailene Woodley (Divergente, Nos étoiles contraires).

La jeune femme, qui s’enlise dans le rôle déjà mille fois vu d’une policière schizoïde, se fait voler la vedette par Ben Mendelsohn, qui interprète un agent fédéral ayant fort à faire avec sa hiérarchie pour mener à bien l’enquête qui lui a été confiée. C’est d’ailleurs ce point qui confère à Misanthrope une originalité qu’il n’a guère par ailleurs : la féroce lutte interservices qui fait rage durant une enquête de cette amplitude et les incessantes et perturbantes interférences des autorités politiques.

Misanthrope dure trente minutes de trop et est lesté d’un préchi-précha politique qui pèse une tonne et qui n’apporte pas grand-chose. Pour autant, aussi oubliable soit-il, il n’en reste pas moins un excellent divertissement.

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Brighton 4th ★★☆☆

Kakhi est un vieux Géorgien qui fut, dans sa jeunesse champion de lutte. Son frère est un joueur compulsif qui dépense au jeu l’argent que sa femme, qui a émigré à Brooklyn, lui envoie chaque mois pour rénover leur appartement. Son fils, Soso, qui a lui aussi émigré aux Etats-Unis pour y faire des études de médecine, suit le même chemin. Aussi Kakhi décide-t-il de se rendre à New York. Il y retrouve sa belle-soeur qui gère la pension de famille où son fils végète. Soso doit une importante somme d’argent à un caïd russe de la pègre. Son père est prêt à tout pour sortir son fils de la mauvaise passe dans laquelle il s’est enfermé.

Brighton Beach est ce quartier de Brooklyn en bord de mer où la diaspora soviétique a convergé avant d’essaimer vers le reste des Etats-Unis. James Gray en avait fait en 1994 le cadre de son premier film, Little Odessa, dont l’ombre intimidante plane au-dessus de Brighton 4th. On y retrouve le même souci quasiment anthropologique, de radioscoper un quartier où, dans un joyeux Babel linguistique, se croisent toutes les populations de l’ex-URSS.

À cette radioscopie quasi-documentaire s’ajoute une tragédie grecque qui raconte la décision héroïque d’un père de sauver son fils, au péril de sa vie. Le rôle de Kakhi est interprété par un ancien lutteur professionnel, double champion olympique et quintuple champion du monde dans les 70ies. Il a encore, à soixante-dix ans passés, la stature du rôle ; mais le manque d’expérience de cet acteur amateur se ressent dès qu’il a quelques lignes de texte à dire.

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Blue Jean ★☆☆☆

Nous sommes en 1988, en plein thatchérisme, alors que la Section 28, qui interdit de « promouvoir l’enseignement dans aucune école publique de l’acceptabilité de l’homosexualité » vient d’être promulguée. Jean (Rosy McEwen), la petite trentaine, est prof de sport dans un lycée du nord de l’Angleterre. Jean est lesbienne, vit une relation amoureuse avec Viv, mais le cache à ses proches et à son employeur de peur de perdre son poste.

Blue Jean est un film qui malheureusement se laisse écraser par son sujet : l’impossibilité de vivre à visage découvert son homosexualité dans l’Angleterre conservatrice de Thatcher. Tourné à l’époque des faits, il aurait eu la rage rebelle des premiers Stephen Frears, de Prick up your Ears ou My Beautiful Launderette. Mais, trente-cinq ans plus tard, il a un goût de réchauffé.

La faute n’en incombe pas à son actrice principale qui joue à merveille un rôle ambigu, celui d’une femme qui, après un mariage malheureux (dont on ne saura ni comment il s’est noué ni comment il s’est brisé), est tombée amoureuse d’une femme et s’est reconstruite dans la douce sororité d’amies lesbiennes mais n’est pas encore parvenue à assumer socialement son homosexualité.

L’enjeu du film, on le sait par avance, est de deviner quand et comment « Jean la mélancolique » (c’est je crois le sens du titre) fera son coming out. Elle y sera obligée par une de ses élèves, Lois qui, comme Jean quelques années plus tôt, essaie dans l’hostilité générale, d’affirmer son identité sexuelle. Jean est tiraillée entre la crainte que Lois ne la trahisse et le souhait de l’aider. Elle est peut-être aussi animée de pensées plus troubles pour l’adolescente.

Blue Jean est construit au point de rencontre de deux univers dont la description n’évite pas hélas les clichés : d’un côté un lycée anglais engoncé dans son conservatisme hors d’âge avec ses collégiennes en uniforme, de l’autre un club de lesbiennes sans soutien-gorge, l’aisselle buissonnante, tatouées et piercées. Ce qui réunit ces deux univers, outre l’héroïne : la musique new wave aux parfums de madeleine proustienne qui rappellera à tous ceux qui ont mon âge le parfum de leur adolescence plus ou moins rebelle.

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Alma Viva ★☆☆☆

Salomé est une enfant de neuf ans élevée en France. Elle passe tous les étés auprès de sa grand-mère adorée qui l’initie aux rites et coutumes de son petit village du nord du Portugal avant de mourir brutalement. Son décès sème le chaos dans sa famille tandis que les feux de forêt qui cet été-là ravagent tout le pays se rapprochent dangereusement du village.

Alma Viva est, de l’aveu même de sa réalisatrice, la Franco-portugaise Cristèle Alves Meira, en partie autobiographique. Comme son héroïne, elle a passé tous ses étés chez ses grands-parents au Portugal. On retrouve d’ailleurs la même veine autobiographique, chez des enfants d’émigrés portugais de la deuxième génération dans Tous les rêves du monde, un film passé inaperçu de Laurence Ferreira Barbosa, qui racontait les vacances pendulaires d’une jeune Franco-portugaise.

Alma Viva a reçu un succès mérité à la Semaine Internationale de la Critique au Festival de Cannes 2022. Il joue sur plusieurs registres. C’est un roman initiatique qui raconte la sortie de l’enfance d’une petite fille. C’est une tragicomédie familiale qui met en scène des personnages felliniens hauts en couleur (la naine cocue et revancharde, le frère aveugle et philosophe…). C’est un film qui convoque les plantes et les esprits pour flirter avec le fantastique. C’est presque un documentaire anthropologique.
J’ai vu récemment Traces un autre film portugais, lui aussi passé inaperçu, qui utilisait ces éléments là en les lestant d’une gravité que ce film n’a pas et ne cherche pas à avoir. Je l’avais préféré à cet Alma Viva que j’ai parfois trouvé un peu mièvre.

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