L’Effet aquatique ★★★☆

Samir est grutier à Montreuil. Il tombe sous le charme d’Agathe, maître-nageur à la piscine Maurice-Thorez. Pour l’approcher, il prétend vouloir apprendre à nager. La jeune femme n’est pas insensible au charme taciturne de son élève en maillot orange. Mais lorsqu’elle découvre la supercherie, elle fuit en Islande pour participer à un – improbable – congrès mondial des maîtres-nageurs. Son sigisbée transi ne s’avoue pas vaincu et l’y suivra pour lui prouver la sincérité de son amour.

L’Effet aquatique est un petit film terriblement attachant. Un conte de fée contemporain entre Montreuil et Reykjavík, les deux ports d’attache de la réalisatrice franco-islandaise décédée en 2015. Une histoire d’amour tendrement surréaliste.

Sans doute le film est-il divisé en deux parties un peu trop différentes pour former un tout cohérent. La première se déroule presque intégralement entre les murs de la piscine Maurice-Thorez dont Sólveig Anspach croque avec jubilation les employés : un directeur pas très malin, un caissier toujours de bonne humeur, un maître-nageur lubrique. C’est dans ce cadre improbable que Samir et Agathe se rapprochent. Rupture de lieu, mais pas de ton, lorsque le film se déporte vers l’Islande. Pour participer au Congrès mondial des maîtres-nageurs, Samir se fait passer pour le délégué israélien et improvise un discours aussi naïf qu’émouvant.

La modestie de ce film l’empêche de prétendre au statut de chef-d’œuvre. Mais, dans le registre qui est le sien, L’Effet aquatique est une réussite totale.

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Ce qu’il reste de la folie ★☆☆☆

La maladie psychiatrique est-elle la même sous toutes les latitudes ? Est-on fou de la même façon en France et au Sénégal ? Des milieux sociaux et familiaux différents provoquent des troubles mentaux différents qui appellent des traitements différents. Tel est le postulat de base de l’ethnopsychiatrie vulgarisée en France par Tobie Nathan.

Joris Lachaise est allé tester ces hypothèses à l’hôpital psychiatrique de Thiaroye près de Dakar. J’y ai passé trois années (à Dakar pas à l’hôpital) et j’ai retrouvé dans ce documentaire les lumières du Sénégal, les intonations du wolof.

Les milieux fermés (prisons, hôpitaux, asiles, bateaux…) sont du pain bénit pour le documentariste. Il lui offre une unité de lieu rassurante et lui garantit la collaboration, plus ou moins forcée, de ses occupants.

Raymond Depardon avait filmé un asile en Italie (San Clemente, 1982) ; Wang Bing en Chine (À la folie, 2013). Que cherchaient-ils à (dé)montrer ? Un tableau bouleversant de la souffrance humaine ? Une entreprise foucaldienne de domestication des corps ?

Le documentaire de Joris Lachaise n’a pas une telle ambition. D’ailleurs il n’en a guère et c’est son principal défaut. Il montre des scènes terribles et marquantes de maltraitance, de folie, d’exorcisme : on n’oubliera pas ce malade qui raconte comment il a égorgé sa mère, ou cet autre, d’une folle intelligence, qui disserte sur le conflit israélo-palestinien et la Françafrique. Mais ce documentaire ne démontre rien. On en sort sans réponses aux questions passionnantes que soulève l’ethnopsychiatrie.

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L’Outsider ★★☆☆

L’affaire Kerviel présentait tous les ingrédients pour faire un film. Christophe Barratier l’a réalisé ; mais on n’y trouvera pas grand-chose en commun avec Les Choristes qui lui avait valu un immense – et mérité – succès. Il s’inspire largement du livre écrit en 2010 par Jérôme Kerviel. Du coup, c’est un procès à charge que le film instruit contre la Société générale. Il est surprenant qu’elle n’ait pas essayé et, en tout état de cause, pas réussi à en interdire la diffusion tant la charge est rude contre ses pratiques et son encadrement.

L’Outsider raconte l’ascension fulgurante et la chute vertigineuse d’un homme. L’histoire est connue. Jérôme Kerviel était trader à la Société générale. Il lui a fait gagner des millions… et perdre des milliards. L’a-t-il fait en violant la réglementation prudentielle ? Oui. Avec l’aval de sa hiérarchie, aveugle tant que ces tricheries rapportaient, impitoyable dès lors qu’elles cessaient de le faire ? C’est la ligne de défense de Jérôme Kerviel que le film reprend (aveuglément ?) à son compte.

N’est pas Martin Scorsese qui veut. L’Outsider souffre de la comparaison avec Le Loup de Wall Street. Il n’en a pas l’ambition, le souffle, la folie. Et Arthur Dupont, aussi excellent soit-il, n’est pas Leonardo DiCaprio. L’Outsider n’est pas non plus The Big Short ou Margin Call, deux excellents films américains qui présentaient l’avantage de nous faire comprendre les arcanes de la finance. L’Outsider ne parie pas sur l’intelligence du spectateur et ne s’aventure pas à lui expliquer les mécanismes d’une salle de marché. Dommage.

L’Outsider n’en demeure pas moins un film efficace, bien joué, bien réalisé. Le parti pris, annoncé par le titre, est de décrire Jérôme Kerviel comme un outsider. Il n’est pas parisien, pas diplômé des grandes écoles, pas issu d’un milieu privilégié. Sa réussite a des airs de revanche sociale, avant que sa chute ne soit filmée comme la remise au pas d’un trublion qui a osé jouer dans la cour des grands.

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La Tortue rouge ★★☆☆

Un naufragé s’échoue sur une île déserte. Il tente de s’en échapper en construisant un radeau de fortune, mais une opiniâtre tortue rouge déjoue tous ses plans.

Vous aimez les dessins animés du studio Ghibli : Le Conte de la princesse Kaguya, Ponyo sur la falaise, Princesse Mononoké ? Vous adorerez La Tortue rouge, fruit d’une coproduction entre le célèbre studio japonais et l’équipe néerlandaise de Michael Dudok de Wit. Mêmes aplats de couleurs pastel ; même dépouillement du trait ; mêmes thématiques écologistes et panthéistes.

La Tortue rouge sort deux semaines après Dans les forêts de Sibérie. Les deux films racontent la même histoire : celle d’un homme, seul au milieu d’une nature tout à la fois hostile et amie. Sans doute Sylvain Tesson est-il un exilé volontaire qui se cloître dans une cabane sibérienne pour fuir le monde tandis que le Robinson anonyme de Michael Dudok de Wit n’est pas maître de son sort. Les deux films ne pourraient pas être plus dissemblables. Le premier est un dessin animé, stylisé ; le second un film quasi documentaire. Le premier est muet mais parvient, grâce au dessin et à la musique, à rendre palpable toute une gamme d’émotions subtiles ; alors que le second recourt à la voix off. Seul point de convergence – et seule faiblesse commune aux deux œuvres : la solitude du héros ne dure pas. Sylvain Tesson rencontre un braconnier qui fuit la police ; Robinson rencontre son Vendredi qui est rousse et maternelle (ce n’est pas un spoiler car l’affiche la montre) et lui fait un enfant.

Avec l’apparition de cette femme et bientôt de cet enfant, la seconde moitié de La Tortue rouge bascule dans une autre histoire. Le film se replie sur la famille. Il y est moins question de l’Homme et de la Nature, de leur relation au départ conflictuelle et bientôt symbiotique, que de l’Homme et de l’Homme : avoir un enfant, le protéger, lui transmettre des valeurs et, l’âge venu, s’en séparer… Une bien belle histoire, mais peut-être trop conventionnelle pour emporter l’adhésion.

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Tout de suite maintenant ★☆☆☆

Tout de suite maintenant annonce dès son titre un film sur l’arrivisme. Nora Sator (quel nom merveilleux !) nous est présentée comme une Rastignac en tailleur-pantalon recrutée par un prestigieux cabinet, spécialisé dans les fusions-acquisitions, dont elle grimpera tous les échelons en écrasant les obstacles qui se dresseront sur sa route. Pourtant le dernier film de Pascal Bonitzer ne nous mène pas là où on l’attendait. Est-ce à mettre à son actif ? Hélas non, pour trois raisons.

Tout de suite maintenant manque de cohérence. Il essaie de raconter deux histoires en une. La première, on l’a dit, est celle de l’ascension d’une jeune femme dans le monde, ô combien hostile, de la haute finance. Elle aurait pu à elle seule constituer la matière d’un film. Mais Pascal Bonitzer et sa co-scénariste Agnès de Sacy ont cru bon de lui en adjoindre une autre : celle de la vieille hostilité qui oppose le père de Nora (Jean-Pierre Bacri comme d’habitude génial) au patron de celle-ci (Lambert Wilson).

Deuxième défaut : l’héroïne. C’est Agathe Bonitzer qui tient le rôle de Nora. Certes, l’actrice, qu’on a déjà vue chez Sébastien Betbeder ou Frédéric Videau, n’en est pas à son coup d’essai. Toutefois, on ne peut s’empêcher de se demander si elle doit ce premier rôle à son talent ou à son patronyme. D’autant que sa moue boudeuse et son phlegme d’endive ne collent pas au rôle.

Dernier défaut, le plus grave : l’incapacité à filmer le monde de l’entreprise. Qu’il s’agisse de la haute administration ou de la haute finance, le cinéma français est comme paralysé par une déférence pataude. Lui qui sait si bien décrire le monde ouvrier (Élise ou la vraie vie) ou le petit commerce (L’horloger de Saint-Paul) filme des pantins sans crédibilité qui évoluent dans des bureaux immaculés, qui passent leur temps à manger et à boire, qu’on ne voit jamais réfléchir, chercher, écrire, bref « travailler ».

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Love & Friendship ★☆☆☆

Jane Austen a décrit mieux que quiconque l’Angleterre géorgienne au tournant du (XIXe) siècle, sa petite noblesse campagnarde, ses codes et la façon de les contourner. Whit Stillman s’est fait, lui, le portraitiste des bobos new-yorkais au tournant du (XXIe) siècle, de leurs égocentrismes, de leurs frustrations et de leurs aspirations. La rencontre de ces deux grands artistes était inéluctable. Ou pas.

On pourra se régaler de cette adaptation de Lady Susan, une nouvelle méconnue de Jane Austen (il fallut attendre 2000 pour qu’elle soit traduite en français) dont on vantera à l’envi les dialogues ciselés, les personnages hauts en couleur, la mise en scène rebondissante, les décors et les costumes impeccables. Ou pas.

Car je dois avouer, le rouge au front, avoir décroché au bout d’une demi-heure de cette histoire qui ne me parlait pas. Cette veuve sans scrupule qui cherche un époux pour sa fille et pour elle-même, au risque de troubler la quiétude des familles qui les hébergent, est trop manipulatrice pour être sympathique mais pas assez machiavélique pour être haïssable. Le rythme, sans être lent, est d’une uniformité qui produit l’ennui. Les dialogues, millimétriques, s’enchaînent à vive allure sur le même ton ironique. Une aussi courte nouvelle et un film aussi bref réussissent à mobiliser un si grand nombre de personnages qu’on finit par confondre Reginald, Sir James et Charles et à se désintéresser du sort de Lady Susan et de sa fille.

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Le Secret des Banquises ★★☆☆

Voilà un pitch qui sort des sentiers battus : Christophine (sic), thésarde folle d’amour pour le professeur Quignard, va s’inoculer de l’ADN de pingouin pour l’aider à décrocher le prix Nobel et pour conquérir son cœur. Depuis Monkey Business et Docteur Jekyll et Mister Love – qui m’avait fait pleurer de rire quand j’avais dix ans – le monde de la recherche n’a guère inspiré le cinéma. C’est souvent le point de départ – ou le passage obligé – des films de super héros avec transmutation anabolisante à la clé : Hulk, Spiderman, Les Quatre Fantastiques… Mais son univers aseptisé, ses luttes de pouvoirs, sa quête frénétique et souvent frustrante d’une percée scientifique n’ont jamais été filmés.

Ce Secret des banquises onirique aux décors trop clairs, trop propres ne constitue pas une illustration réaliste du monde de la recherche et n’en a d’ailleurs pas l’ambition. Ce laboratoire dont la caméra ne s’échappe guère – sinon pour un épilogue maladroit à l’autre bout de la planète – n’est au fond qu’un écrin pour une histoire d’amour. Certes, il ne s’agit pas d’une histoire d’amour banale, cucul  la praline comme le cinéma nous en a tant servi. Christophine (Charlotte Le Bon, toujours aussi jolie, mais dont la maigreur devient dérangeante) se languit d’amour pour son beau professeur (Guillaume Canet calamiteux à force de jouer l’impassibilité et pas crédible pour un sou dans le rôle d’un prix Nobel) qui, lui, la considère uniquement comme un objet d’étude scientifique. D’un côté la passion ; de l’autre la raison. Et la science pour les réconcilier à travers la recherche du « stimulus » qui active cette mystérieuse hormone capable d’immuniser les pingouins des agressions extérieures.

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Folles de joie ★☆☆☆

En 1999, Winona Ryder était plus connue que Angelina Jolie. Celle-ci n’avait que le deuxième rôle de Girl, interrupted dont le premier revenait à celle-là.  Pourquoi cette introduction ? Parce que Girl, interrupted racontait l’amitié de deux jeunes femmes internées dans un asile psychiatrique.

Folles de joie (quel excellent titre !) raconte la même histoire. Beatrice (Valeria Bruni Tedeschi plus exubérante que jamais) est une grande bourgeoise solaire, blonde, extravagante, égocentrique et bavarde. Donatella (Micaela Ramazzotti) est une ancienne stripteaseuse brune, tatouée, mutique, anorexique. Aussi différentes soient-elles en apparence, elles sont rongées par le même mal : la solitude. Elles se font la malle ensemble pour retrouver qui l’homme qu’elle aime, qui l’enfant enlevé à sa garde.

Le film de Paolo Virzí baigne dans les chaudes lumières de l’été italien. Valeria Bruni Tedeschi joue la folie avec une conviction qui force l’admiration au risque d’écraser sa partenaire. Et l’histoire de leur cavale est attachante. Pour autant Folles de joie raconte une histoire trop conventionnelle, aux rebondissements trop convenus, à la conclusion trop formatée, pour offrir mieux qu’un oubliable divertissement.

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Tous les chats sont gris ★☆☆☆

Paul est détective privé. Il ne se console pas d’être séparé de Dorothy, sa fille biologique. La mère de l’adolescente a refait sa vie et fondé un foyer. Jusqu’au jour où Dorothy recrute Paul pour… retrouver son père !

Le premier film de Savina Dellicour aurait pu prendre le chemin de la comédie. C’est avec une immense délicatesse qu’il préfère questionner le lien père-fille dans ce double portrait d’une ado à la recherche de ses origines et d’un père à celle de sa fille qu’il n’a pas vu grandir.

Bouli Lanners, trop souvent cantonné au répertoire comique, y démontre la richesse de son jeu. Dans le rôle ingrat de la mère, arc-boutée sur le refus d’un passé refoulé, Anne Coesens manifeste un talent injustement ignoré. Quant à la jeune Manon Capelle, elle joue sans cabotiner.

Pour autant, aussi grandes que soient les qualités de ce film bien écrit et bien joué, il traite d’un sujet trop rebattu, sur un mode trop conventionnel, pour laisser une marque durable.

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Un homme d’État ☆☆☆☆

Longtemps le cinéma français s’est tenu éloigné du monde politique. Longtemps il fut de bon ton de s’en étonner, le comparant au cinéma américain qui, depuis toujours, n’a pas hésité à mettre en scène les sommets de l’État. La situation est en train de – lentement – évoluer : l’excellent La Conquête, le drolatique Quai d’Orsay, le surcoté L’Exercice de l’État, la série Les Hommes de l’ombre décrivent avec plus ou moins de succès les arcanes du pouvoir et les moyens de le conquérir.

Un homme d’État s’inscrit dans cette veine de plus en plus abondante. Librement inspiré de la campagne présidentielle de 2012, il raconte comment un président de droite sans scrupules, candidat à sa réélection, courtise un vieux leader de gauche dont le ralliement lui permettrait d’être réélu.

Hélas, comme souvent au cinéma, la reconstitution des cercles du pouvoir manque cruellement de crédibilité. Des acteurs, trop vieux ou trop jeunes, récitent sans naturel des dialogues trop écrits. Les rebondissements de l’intrigue sont trop grossiers. Les caractères sont trop machiavéliques ou trop naïfs et vivent dans un luxe indécent de limousines, d’hélicoptères, d’hôtels cinq étoiles, révélateur de l’image faussée qu’on se fait des élites politiques et des hauts fonctionnaires.

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