Traces ★★★☆

Laureano n’était encore qu’un adolescent lorsqu’il a été battu par ses camarades, le jour de la fête de son village, et laissé pour mort gravement diminué.
Vingt-cinq années ont passé et tous les protagonistes de l’histoire sont restés dans le même village qu’ils n’ont jamais quitté : Laureano, vivant dans la seule compagnie d’une horde de chiens sauvages, Samuel, qui a prospéré et eu un fils, Paulo, devenu gendarme, Vitor, impliqué dans une sombre escroquerie, Judite qui a eu avec Vitor une fille, Salomé, avant de refaire sa vie avec Paulo…
Leur passé va refluer lorsque le corps du fils de Samuel est retrouvé mort, déchiqueté par les chiens de Laureano.

Traces est un film portugais diffusé en sélection officielle à Cannes en 2022 (c’était une première depuis 2006) mais sorti en catimini dans les salles en février dernier.
C’est un film sobre et âpre dont les critiques évoquent souvent, à bon droit, la ressemblance avec As Bestas : mêmes décors ruraux (Traces a été tourné dans le nord du Portugal et As Bestas de l’autre côté de la frontière en Galice), mêmes haines recuites, même destins tragiques…

Traces est un polar dont la durée de plus de deux heures pourrait sembler rebutante. Pourtant, happé par le suspense, on n’y regarde jamais sa montre. On apprend bien vite le nom du meurtrier. Et on redoute que la fin du film y perde de son intérêt. Mais, contre toute attente, la conclusion de Traces, la mécanique implacable et tragique qu’elle déploie nous foudroie.

Traces ne passe plus en salles. Mais si par hasard, vous croisiez son chemin en DVD ou VOD, ne le ratez pas !

La bande-annonce

Lucie perd son cheval ☆☆☆☆

Lucie passe des vacances ensoleillées chez sa grand-mère avec sa fille. Elle est actrice et prépare son prochain rôle.
Elle se réveille dans les Cévennes, sur son cheval, dans l’armure qu’elle est censée porter. Son errance la met au contact de deux autres actrices, harnachées comme elle et aussi perdues qu’elle.
Troisième temps : on est dans une salle de théâtre fermée avec un régisseur et son stagiaire qui veille sur le sommeil des trois belles endormies dont on comprend qu’elles ont été recrutées pour une représentation du Roi Lear.

Claude Schmitz est un réalisateur étonnant. Braquer Poitiers lui avait valu en 2019 le prix Jean Vigo et, de ma part, à l’époque, une critique bluffée : « C’aurait pu être du grand n’importe quoi. C’est étonnamment réussi » en disais-je. De Lucie perd son cheval, je dirai : « Ce grand n’importe quoi aurait pu être réussi ; mais il ne l’est pas ».

Car cet enchâssement de plusieurs rêves éveillés ne suffit pas à créer un souffle poétique. Au contraire, il ressemble plutôt à une paresse de scénariste qui ne sait pas comment se débrouiller de morceaux d’histoires sans rime ni raison. On peut, si on est très indulgent, y voir une belle réflexion sur le métier d’acteur et ses apories. On peut aussi, si on a comme moi la dent dure, s’y ennuyer ferme et crier au foutage de gueule.

La bande-annonce

Domingo et la brume ☆☆☆☆

Domingo est veuf. Il croit entendre la voix de sa femme dans la brume qui noie la colline où il habite. Sa maison est menacée d’expropriation pour construire une autoroute. Avec quelques propriétaires irréductibles, Domingo s’entête à tenir tête aux investisseurs véreux qui le menacent physiquement. Sa fille essaie en vain de le convaincre de déménager.

Domingo et la brume nous vient du Costa Rica. Je ne suis pas certain d’avoir jamais vu de film de ce petit pays d’Amérique centrale. Mais ma soif d’exotisme a été bien déçue devant ce film qui refuse toute imagerie de carte postale et ne nous montre quasiment rien du Costa Rica sinon quelques collines tropicales et anonymes noyées dans la brume.

L’autre défaut du film – et c’est le principal – est sa pauvreté. Une fois l’intrigue posée, quasiment rien ne s’y passe. Si bien que lentement, le spectateur sombre avec Domingo et les personnages du film dans la brume et dans l’ennui.

La bande-annonce

Tel Aviv – Beyrouth ★☆☆☆

C’est l’histoire éclatée sur trois moments (1984, 2000 et 2006) de deux femmes libanaise et israélienne qui partagent des racines françaises. La première, Tanya, a un père officier dans l’Armée du Sud Liban qui a collaboré en 1984 avec l’envahisseur israélien et qui n’a eu d’autre issue en 2000, lorsque Tsahal s’est retiré, que de quitter le Liban. La seconde, Myriam, de quelques années plus âgée, est mariée à un officier du renseignement israélien qui combat au Liban et qui y a connu le père de Tanya. Elle a eu un fils qui part faire son service militaire en 2006 et qui est fait prisonnier au front.

La réalisatrice Michale Boganim a grandi en Israël avant l’installation de ses parents en France. Son précédent film était un documentaire consacré aux Mizrahim, ces Juifs orientaux, originaires du Maroc, d’Algérie, de Syrie, du Yemen, attirés en Terre promise par la promesse d’une vie meilleure, mais souvent relégués dans des cités pionnières, en lisière du désert, et cantonnés à des tâches subalternes. Tel Aviv – Beyrouth prend la forme de la fiction mais aurait pu tout aussi bien nourrir un documentaire, voire une série tant son sujet est riche.

Son titre est trompeur : de Tel Aviv ou de Beyrouth on ne verra pas une seule image. Mais son titre n’est pas idiot : il s’agit d’étudier la relation complexe entre deux pays voisins sinon frères, déchirés par une guerre permanente dont on ne voit pas l’issue. Il aurait pu tout aussi bien s’intituler La Frontière ; car c’est à ce point précis que tout se joue et c’est là que le destin toujours ramène Tanya et Myriam.

Le problème de ce film est sa densité et sa complexité. Le résumé que j’en ai fait, qui ne brille pas par sa lisibilité, simplifie pourtant largement une intrigue qu’il faut patiemment reconstituer à la sortie de la salle si on veut la comprendre. Il y a trop de personnages, trop de faits dans ce film surchargé où l’on saute, sans qu’on le comprenne toujours, d’un lieu à l’autre, d’une période à l’autre. Dommage….

La bande-annonce

L’Homme le plus heureux du monde ★☆☆☆

Asja, la quarantaine, s’est inscrite à une journée de speed dating. Elle y retrouve Zoran, un homme de son âge, avec qui elle avait déjà échangé quelques messages électroniques. Mais rien ne se passera comme prévu.

Du lard ou du cochon ? Le titre du film, son affiche, le résumé qu’on en lit sèment la confusion. L’Homme le plus heureux du monde s’annonce comme une joyeuse comédie de mœurs. On attend quelques scènes cocasses et drôles sur le speed dating, les rencontres improbables qu’il provoque, les alchimies étonnantes qu’il suscite parfois…

Rien de tel en fait. Ou plutôt, pas vraiment ça ; car L’Homme le plus heureux…. ne peut pas s’empêcher d’utiliser cette toile de fond très fertile pour caractériser la situation et développer quelques intrigues secondaires.

Mais son sujet n’est pas là. On le découvre très vite. Le film se déroule en Bosnie et cette localisation n’est pas anodine. Il s’agit d’y cicatriser les plaies encore ouvertes d’un passé douloureux. Une trentaine d’années plus tôt, lors du siège de Sarajevo, Zoran, enrôlé de force par les milices serbes avait pris dans sa ligne de mire Asja et lui avait décoché entre les omoplates une balle qui l’avait durablement plongée dans le coma.
C’est cette confession un peu folle que Zoran fait à Asja en implorant son pardon.

Cette information nous parvient dès le premier tiers du film. Et elle en épuise l’intérêt. Car les deux tiers restants se retrouvent privés de carburant, à n’avoir rien à dire.
C’est d’autant plus dommage que ce second film d’une réalisatrice nord-macédonienne, dont on avait vu avec intérêt le premier (Dieu existe, son nom est Petrunya), avait attisé notre curiosité.

La bande-annonce

La Romancière, le Film et le Heureux Hasard ★★☆☆

Une célèbre romancière retrouve dans un quartier excentré de Séoul une ancienne amie qui tient une librairie. Elle croise ensuite un réalisateur et sa femme, une jeune actrice de cinéma qui vient de décider de faire une pause dans sa carrière et, de retour dans la librairie de son amie, un vieux poète qu’elle avait connu de nombreuses années plus tôt.
Après cette journée riche en rencontres, elle décide avec la jeune actrice de réaliser un court métrage.

Six mois après son dernier film en date, Juste sous vos yeux, six mois avant la sortie de son prochain, Walk up, déjà diffusé en festival, le prolixe réalisateur coréen Hong Sangsoo est de retour sur les écrans avec sa vingt-neuvième réalisation.

Avec le masochisme qui me caractérise, j’en ai vu une bonne vingtaine depuis que ma belle-soeur me raconta avec hilarité l’état d’hébètement dans lequel l’avait laissée son tout premier, Le jour où le cochon est tombé dans le puits (ex aequo à l’Index familial avec Khroustaliov, ma voiture !).

Le cinéma de Hong Sangsoo m’a fait passer par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. J’ai d’abord salué la fraîcheur de ce « Rohmer coréen » – l’expression a tellement été utilisée que je ne devrais la mentionner qu’en rougissant. Puis, très vite, je me suis lassé de ses dispositifs répétitifs : des rencontres hasardeuses  dans les rues de Séoul et de longs dialogues vite brouillés par les vapeurs de l’alcool avec de brusques ellipses qui en rendaient la compréhension malaisée. Cette lassitude a ensuite laissé la place à l’irritation : j’ai même reproché à Hong Sang soo de se ficher de nous avec son stakhanovisme, ses scénarios indigents, ses zooms épileptiques (Introduction). Et finalement, je suis revenu à un jugement plus mesuré.

À quoi est due cette évolution vers plus d’aménité ? Le cinéma de Hong Sangsoo a-t-il changé ? La soixantaine approchant, il se serait lesté de sujets plus graves comme dans Hotel by the River ou dans Juste sous vos yeux. Mais surtout, me semble-t-il, je me suis lentement mais sûrement accoutumé à sa grammaire. Comme le café sans sucre que j’ai d’abord trouvé insupportablement amer avant de m’y habituer – au point de ne plus tolérer de le boire sucré – j’ai fini par me faire au cinéma de Hong Sangsoo.

Je lis ici ou là des critiques cinglantes de La Romancière…. Je les comprends volontiers car j’aurais pu les signer au mot près : scénario inconsistant, noir et blanc sans poésie, personnages sans relief, plans fixes interminables, etc.
Pour autant, je ne les ferai pas miennes. Car j’ai pris un certain plaisir à ce film, comme celui que l’on prend à prendre un verre avec un vieil ami dont on aurait cessé de réprouver les défauts les plus irritants.

La bande-annonce

Droit dans les yeux ★★☆☆

Pendant deux années, Marie-Francine Le Jalu a filmé les étudiants de la clinique juridique créée à la faculté de droit de Paris-Saint-Denis. Ils reçoivent des justiciables qui leur exposent leurs difficultés : certains sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français, d’autres réfléchissent à leur succession, d’autres encore veulent s’assurer, avant de postuler à un emploi, de l’effacement de leur casier judiciaire de peines auxquelles ils ont été condamnés. Sous le contrôle de leurs professeurs, les étudiants fournissent à leurs interlocuteurs des conseils juridiques.
Accompagnée de deux d’entre eux, la réalisatrice est venue présenter son film à l’Escurial dimanche dernier et a débattu avec la salle.

Quel joli titre. Droit dans les yeux parle de regards – même si sa curieuse affiche ne permet pas de comprendre qui les lance. Il est constitué essentiellement de gros plans sur les visages des deux étudiant.e.s qui reçoivent des administrés et qui essaient, le plus impassiblement possible, et tout en essayant de mettre leurs interlocuteurs à l’aise, de consigner les faits utiles à l’instruction de leurs requêtes.

Mais Droit dans les yeux parle surtout de droit. De droit et de justice et du fossé qui parfois les sépare. Il le fait sans manichéisme, sans tomber dans les chausse-trappes de la bien-pensance. Si un avocat parisien franchit le périphérique pour une intervention devant les étudiants de Saint-Denis dans laquelle, croyant les caresser dans le sens du poil, il entonne l’air bien connu « La banlieue a du talent », le montage montre la réaction d’un étudiant qui n’apprécie guère cette démagogie. Lorsqu’une enseignante tient des propos (d)étonnants sur le droit des étrangers, le même pointe à juste titre son militantisme et son absence de neutralité.

Droit dans les yeux est particulièrement touchant parce qu’il met face à face des étudiants et des justiciables qui viennent des mêmes milieux. Les premiers sont d’autant plus enclins à aider les seconds, d’autant plus enclins aussi à prendre fait et cause pour eux qu’ils se sentent proches d’eux. Au risque parfois de brouiller leur discernement.
Tel est le sujet central du documentaire qui, à mon sens, est un peu trop envahissant car il se résout dans la pratique quotidienne assez simplement : quelle est la bonne distance entre l’avocat et son client ? Récemment, Maîtres l’évoquait aussi, qui filmait le travail de trois avocates strasbourgeoises spécialisées en droit des étrangers.

Le cas de la mère d’Ilhame, une étudiante en licence, qui réclame une pension de réversion après la mort de son mari, sert de fil rouge au documentaire. Cette pension lui est refusée au motif que son père avait une autre épouse au Maroc. Il l’avait certes répudiée ; mais cette répudiation vaut-elle divorce en droit français ? Ce cas très concret éclaire deux aspects essentiels de ce documentaire. Ilhame, qui s’était saisie du cas de sa mère, réalise qu’elle a besoin de prendre de la distance avec cette affaire qui lui est trop intime et demande à ses camarades de la recevoir comme n’importe quel usager. Leur analyse approfondie révèlera, à rebours de la réaction spontanée que l’injustice de ce refus de pension suscite, que l’affaire est plus compliquée qu’il ne semblait – même si la mère d’Ilhame finira par gagner le procès qui l’oppose à la Sécurité sociale et à obtenir le versement de sa pension.

Droit dans les yeux n’a qu’un défaut : mal distribué, mal promu, il est passé inaperçu.

La bande-annonce

L’Astronaute ★★☆☆

Ingénieur chez Ariane, Jim Desforges (Nicolas Giraud) ne s’est jamais remis d’avoir raté de justesse la sélection de l’ESA pour devenir astronaute. Il n’a pas renoncé à partir dans l’espace et nourrit depuis huit ans un projet fou : construire seul une fusée et lancer le premier vol spatial habité amateur. Pour l’aider dans sa tâche, il n’avait jusqu’à présent que sa grand-mère (Hélène Vincent), qui mettait à sa disposition sa ferme et ses terrains dans l’Eure, et André (Bruno Lochet), un voisin chimiste aussi illuminé que lui qui a conçu pour lui un carburant solide. Il se décide à recruter l’ancien astronaute Alexandre Ribbot (Mathieu Kassovitz) pour l’assister.

Il y a bien un défaut qu’on n’adressera pas au second film de l’acteur-réalisateur Nicolas Giraud (après Du soleil dans mes yeux en 2018), celui de manquer d’originalité. Il y a une mise en abyme assez cocasse à imaginer le réalisateur et son co-scénariste Stéphane Cabel, faire la tournée des producteurs pour boucler le financement de ce projet un peu fou consacré à… un projet un peu fou.

Son propos est-il crédible ? Un ingénieur peut-il quasiment seul propulser en orbite basse un module spatial depuis son champ dans l’Eure ? J’ai mes doutes – je vivais avec l’idée qu’il fallait se rapprocher de l’équateur pour faire décoller un engin spatial – mais je n’ai pas fait de recherches plus approfondies et, sentant très vite approcher les limites de mon ultracrépidarianisme, je laisse plus savant que moi émettre un avis définitif.

Mais qu’il soit crédible ou pas importe finalement assez peu. L’Astronaute est un film de gosses bourré de bons sentiments sur ces projets impossibles et fous que nous avons tous peut-être un jour caressés, sur ces passions dévorantes qui ont aimanté nos vies. Ces projets que nous n’avons jamais menés à terme, L’Astronaute les réalise pour nous. Ces passions que nous n’avons pas eu le courage ou les moyens de vivre entièrement, L’Astronaute nous les fait vivre par procuration. C’est la magie euphorisante du cinéma. Et on serait bien pisse-vinaigre d’y trouver à redire.

La bande-annonce

Chevalier noir ★★☆☆

Chevalier noir raconte, à Téhéran, de nos jours, la vie de deux frères aussi dissemblables que possible, qui vivent après la mort de leur mère, avec leur père, un héroïnomane à bout de souffle, dans une maison décatie sur les hauteurs de la ville.
L’aîné, Iman, est un dealer dont les trafics et la cavalerie qui les financent sont de plus en plus périlleux. Le cadet, Payar, un champion de boxe thaï qui débute peut-être une histoire d’amour avec Hanna, une voisine fraîchement divorcée, revenue de France avec un fils, est plus placide.

Le cinéma iranien ne cesse de nous surprendre, qui nous expédie à flux régulier des pépites, souvent noires. Parmi elles, La Loi de Téhéran, une plongée asphyxiante dans le monde des trafiquants de drogue et dans celui des policiers qui les traquent, avait connu, en 2021, un succès mérité. Juste une nuit nous faisait partager l’angoisse en temps réel d’une mère célibataire condamnée à cacher à ses parents de passage à Téhéran l’existence de son nouveau-né conçu hors mariage. Leila et ses frères dressait le portrait d’une bruyante fratrie tutoyant les limites de la légalité pour réussir en affaires. Les Nuits de Mashhad menait l’enquête sur les assassinats de plusieurs prostituées par un tueur en série. Les Enfants du soleil avait pour cadre une école de quartier et pour héros une bande d’enfants abandonnés à eux-mêmes à la recherche d’un trésor. La liste pourrait s’allonger presqu’indéfiniment : Marché noir, Le PardonLe diable n’existe pasUn héros, etc.

Le défaut de Chevalier noir est de se noyer dans cette masse où la compétition est rude : j’avais donné à chacun de ces films, secs comme un nerf de boeuf, tendus comme un arc, bercés par la sublime musique du farsi à laquelle je ne résiste pas, deux ou trois étoiles.

Pourtant il a de sacrés qualités.
La principale est son écriture. La tension ne se relâche jamais alors que le scénario n’est pas construit autour d’un événement unique mais donne l’impression de raconter une tranche de la vie d’Iman et de Payar, filmée sur le vif. Ce choix était casse-gueule. Difficile de résumer le film d’une phrase, difficile même d’en désigner le héros : Iman ? Payar ? les deux ?
Tourné en Iran, sans doute en jouant à cache-cache avec la censure, Chevalier noir n’est pas tendre avec le régime des mollahs dans le tableau apocalyptique qu’il fait des dessous de la société iranienne composée, à l’en croire, de riches dépravés et de pauvres drogués. On ne verra jamais la police ni aucun corps constitué ; mais pourtant, peut-être parce que le spectateur occidental projette ses préjugés, il sent la pression omniprésente de l’autorité et redoute à chaque instant qu’elle n’impose sa loi, aussi arbitraire soit-elle.

Chronique sociale, charge politique, thriller, tragédie grecque, Chevalier noir emprunte à plusieurs genres et laisse jusqu’à sa conclusion faussement apaisée, un goût amer.

La bande-annonce

The Fabelmans ★★★★

La vie de Sam Fabelman fut changée à jamais après que ses parents l’eurent amené, à cinq ans à peine, voir au cinéma son premier film, Sous le plus grand chapiteau du monde. Avec la caméra que ses parents lui offrent quelques années plus tard, le jeune Sam filme sa famille qui vient de déménager en Arizona et tourne même quelques courts-métrages avec des amis scouts. Entouré de son père, un ingénieur brillant qui participe chez General Electric à la naissance de l’informatique, de sa mère (Michelle Williams), une artiste refoulée, de ses trois sœurs, et d’oncle Bennie (Seth Rogen), un collègue de travail de son père devenu membre à part entière de la famille, Sam y vit ses années les plus heureuses.
Le déménagement en Californie est un arrachement pour sa mère, qui sombre dans la dépression, et surtout pour Sam, en butte dans son lycée à l’antisémitisme de ses camarades. Mais ses épreuves ne viendront jamais à bout de l’irrésistible envie de Sam de filmer.

Au crépuscule de sa vie (il soufflait ses 76 bougies en décembre), Steven Spielberg nous livre son film le plus intime. L’histoire du jeune Sam Fabelman est, à quelques détails près, celle de sa vie dans l’Amérique des années 50 : il est né en 1946 à Cincinnati dans l’Ohio de parents juifs polonais qui déménagent dans le New Jersey, puis en Arizona et en Californie, au gré des promotions de son père, avant de divorcer en 1964.

Cette autobiographie ne brille certes pas par son originalité. The Fabelmans n’est pas un film qui révolutionne l’histoire du cinéma. Ce n’est pas non plus un film aussi complexe que mes coups de cœur les plus récents – Babylon, Tar – ou que d’autres que je n’ai pas autant aimés mais dont je reconnais volontiers les qualités – Nostalgia, Godland, Aftersun… Mais The Fabelmans n’en reste pas moins un film qui déborde d’amour pour le cinéma et qui mérite à ce titre selon moi sans barguigner ses quatre étoiles.

Avec l’art consommé qui est le sien, Spielberg met en images quelques-uns des adages autour desquels sa légende personnelle s’est construite : « la vie est plus belle quand on la filme » ou « l’œil de la caméra est plus intelligent que l’œil humain » (qui donne lieu à une des meilleures séquences du film).

Le film est long – 2h31 – mais il a ce rythme lent et paisible qu’avaient les grands films d’antan. On ne s’y ennuie pas une seconde. Peut-être enregistre-t-il une baisse de rythme aux deux tiers, à l’arrivée de Sam au lycée. Mais elle est aussitôt oubliée avec la séquence la plus drôle du film, dans la chambre à coucher d’une jeune lycéenne born again.

Film universel sur l’enfance, sur la dislocation familiale, sur une vocation irrépressible, The Fabelmans parle à notre cœur autant qu’à notre intelligence.

La bande-annonce