Grand Frère ☆☆☆☆

Gu Xi vit seule avec son grand frère, Gu Liang, dans une minuscule cabane de pêcheur dans le nord-est de la Chine. Faute de papier en règles, elle risque de perdre son travail dans l’hôtel qui l’emploie. Et son frère risque de perdre le sien suite à la marée noire qui contamine la pêche. Mais une autre menace moins violente risque de dissoudre le lien indéfectible qui unit la petite sœur à son grand frère : Qingchang, une fille de la haute, dont Gu Liang s’est entiché.

Grand frère porte à l’international le titre de Wisdom Tooth. C’est une référence à la dent de sagesse qui torture Gu Xi et qu’elle finira par extraire elle même avec un couteau effilé. C’est aussi la référence à un passage, à la sortie de l’enfance, à la situation dans laquelle le lent éloignement de son frère la place.

Le thème est assez éculé. Une intrigue confuse sur fond de lutte de gangs et de trafics de faux papiers ne lui apporte guère d’intérêt. Les bords enneigés de la Mer jaune, noyée sous la brume, ne constituent pas le plus euphorisant des écrins.

Bref, on déprime sec et on s’ennuie ferme….

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The Crossing ★☆☆☆

Peipei est une jeune adolescente chinoise comme tant d’autres. Ses parents sont séparés. Elle vit avec sa mère à Shenzhen et prend chaque jour le train pour aller étudier à Hong Kong. Sa meilleure amie, Jo, sort avec Hao, un garçon plus âgé. Hao et ses amis trafiquent à la frontière, important illégalement en Chine continentale les téléphones portables dernier cri commercialisés pour l’instant à Hong Kong seulement. Pour récolter l’argent qui lui permettra de réaliser son rêve (partir avec Jo au Japon y voir tomber la neige), mais aussi par attirance pour Hao, Peipei accepte de participer à ces trafics.

Il n’est pas de semaine, hors confinement, sans que sorte un nouveau film chinois. Le temps n’est plus où ce cinéma exotique arrivait à compte-gouttes sur nos écrans. Cette quantité accrue n’implique pas automatiquement une baisse de qualité ; mais elle entraîne immanquablement une érosion de la curiosité que ce cinéma suscite.

L’histoire de The Crossing aurait été charmante si elle n’avait déjà été cent fois racontée. On a trop vu de jeunes filles qui sortent de l’adolescence en transgressant des interdits par amour d’un garçon pour s’en émouvoir encore. Il faudrait pour qu’un tel scénario éveille notre intérêt une mise en scène particulière. Hélas, la réalisation de la cinéaste Bai Xue – qui a vécu l’expérience transfrontalière de son héroïne – est trop conventionnelle pour y parvenir.

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Chongqinq Blues (2010) ★☆☆☆

Un père, capitaine au long cours, revient à Chongqinq, au Sichuan, où il a quitté quinze ans plus tôt femme et enfant. Son fils vient d’être tué lors d’un fait divers sanglant : une prise d’otages dont il a été l’auteur dans un supermarché et qui a mal tourné. Le père cherche à comprendre les circonstances de ce drame. Pour ce faire, il reprend contact avec ses proches : son ex-épouse qui lui reproche amèrement sa défection, un ami de longue date dont le propre fils était très proche du sien, le docteur que son fils a pris en otage et enfin la jeune femme qui venait de le quitter en le plongeant dans le désespoir.

Chongqinq Blues avait été projeté au festival de Cannes en 2010. Mais il était resté longtemps inédit. Le succès mérité du dernier film de Wang Xiaoshuai, So Long, My Son, a incité ses distributeurs à le programmer en salles où il est sorti en catimini entre deux confinements.

Qui a aimé ce dernier film trouvera un intérêt particulier à voir Chongqing Blues. Car il y trouvera les paysages – les bords du Yang-Tsé – et les thèmes – la relation père-fils mise à mal par le fossé intergénérationnel que la Chine post-maoïste ne cesse d’élargir – qui sont à la base du succès de So Long, My Son.

Les gratte-ciel gris qui dominent les berges du Fleuve bleu, filmés dans une brume épaisse, disputent les premiers rôles de ce film cafardeux à ce père et à son fils. On suit l’enquête que mène le premier en reconstituant touche par touche les derniers moments du second, capté par des caméras de sécurité.

Mais Chongqinq Blues n’a pas le souffle de So Long, My Son. Son histoire manque de complexité, sa morale est un peu courte pour soutenir la comparaison avec son autrement plus subtil successeur. On le regardera pour ce qu’il est : un palimpseste à partir duquel a été réalisée une œuvre autrement plus achevée. 

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White Riot ★☆☆☆

White Riot – du nom d’un des titres des Clash – raconte l’histoire d’un mouvement anti-raciste né en Angleterre à la fin des années 70 en réaction à la montée de la xénophobie : Rock Against Racism.

Documentaire sorti en salles l’été dernier entre deux confinements, White Riot intéressera deux publics.

D’une part les amateurs de musique qui se régaleront en écoutant The Clash, Tom Robinson Band, X-Ray Spex, The Selecters, Street Pulse… et qui pinailleront prétentieusement en relevant que London Calling, le titre iconique avec lequel s’ouvre le documentaire, n’est sorti qu’en décembre 1979, après les faits qu’il relate.

D’autre part les passionnés d’histoire qui replongeront dans l’Angleterre des années 70. On a oublié que la crise profonde qu’elle traversait alors avait nourri, dix ans avant l’essor du Front national en France, un puissant mouvement de racisme et de xénophobie. White Riot montre, à partir de documents d’archives les discours enflammés d’Enoch Powell, le chef du National Front, et les dérives de quelques grands noms de la scène musicale – David Bowie, Eric Clapton. Alors que le mouvement punk criait No Future, les activistes de Rock Against Racism lançaient un fanzine TempoRARy Hoarding dénonçant la peste brune et aspirant à un futur moins noir.

Sans doute White Riot raconte-t-il une page d’histoire qui résonne encore avec notre époque – même si on aurait aimé savoir pourquoi l’extrême-droite anglaise s’était dissoute dans le thatchérisme à la différence de ses cousins continentaux. Sans doute Rubika Shah, sa réalisatrice, a-t-elle honnêtement fait son travail en retrouvant de nombreuses archives et quelques protagonistes de l’époque – dont la dégaine de gentils retraités aujourd’hui ne laisse pas deviner l’engouement des luttes passées. Pour autant, on comprend mal l’intérêt de la sortie de ce documentaire très conventionnel en salles sinon celui de peupler des écrans laissés orphelins depuis que le robinet hollywoodien s’est tari.

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Lil Buck Real Swan ★☆☆☆

Lil Buck – né Charles Riley – est devenu une icône de la danse contemporaine. Il a grandi à Memphis et y a pratiqué très jeune le jookin, une danse urbaine cousine du gangsta-walk. Il complète sa formation au New Ensemble Ballet de Memphis avant de partir poursuivre sa carrière en Californie. En 2011, le réalisateur Spike Jonze filme sur son téléphone portable son interprétation du Cygne de Camille Saint-Saëns accompagné par le violoncelliste Yo-Yo Ma. La vidéo devient virale. C’est le début du succès pour le jeune artiste.

Louis Wallecan, qui lui avait déjà consacré un documentaire en 2013, lui en consacre un second dont on peine à comprendre l’intérêt, si ce n’est dans la publicité qu’il fait pour le danseur.

Certes son art est étonnant, audacieuse synthèse du street dancing et de la danse classique. Je n’avais pas vu son interprétation du Swan et me sens désormais moins ignare. Mais j’aurais aimé en savoir davantage sur le jookin, sur les amis qui ont entouré Lil Buck à ses débuts dans les rues de Memphis, dont on se désintéresse dès que l’enfant prodige prend son envol. Et surtout, je n’ai pas aimé me sentir pris en otage par une œuvre tout entière à la dévotion de son héros.

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Family Romance, LLC ★★☆☆

Family Romance est le nom d’une agence de « locations de proches » au Japon. Pour quelques heures ou pour quelques semaines, ses employés se feront passer pour la fiancée que vos parents exigent instamment que vous leur présentiez ou pour le père qui ne peut vous conduire à l’autel.
Mi-documentaire, mi-fiction, Werner Herzog donne au patron de la SARL (LLC en anglais) Family Romance, Ishii Yuchii, le premier rôle de ce film/documentaire qu’il est allé tourner au Japon.

Né en 1943, Werner Herzog n’a jamais été aussi prolifique. Le réalisateur allemand est très vite devenu célèbre dans les années 70 en réalisant des œuvres « impossibles » avec son acteur fétiche, Klaus Kinsky : Aguirre, Nosferatu et Fitzcarraldo, son chef d’œuvre. Un temps récupéré par la grande lessiveuse hollywoodienne, Werner Herzog, qui n’a plus grand-chose à prouver, tourne depuis une dizaine d’années des documentaires : La Grotte des rêves perdus sur la grotte Chauvet en Ardèche, Into the Abyss sur le couloir de la mort aux Etats-Unis.

On le retrouve ici au Japon. Son regard d’ethnologue a été happé par ces agences et leur étonnant objet social. Il y voit le signe d’une emblématique évolution des rapports humains, marquée à la fois par leur artificialité et leur impérieuse nécessité (on a tous besoin d’amour, peu importe qu’il nous soit prodigué par des acteurs).

Le sujet aurait pu se prêter à un traitement futuriste façon Black Mirror. Mais le manque de moyens empêche Werner Herzog d’explorer cette voie. Si bien que Family Romance, LLC se réduit rapidement à une comédie assez superficielle suivant le fil rouge de l’histoire de la jeune Mahiro dont la mère a fait appel à Ishii Yuchii pour lui fournir un père de substitution. Cette histoire aurait pu à elle seule donner lieu à bien des rebondissements, tragiques ou comiques. Mais, même cette option-là n’est pas retenue, le film se bornant une fois que la jeune fille et son père de location se sont trop engagés à mettre un terme à leur relation au nom du code éthique qui régit les agences de « location de proches ». Un dénouement bien conventionnel pour un sujet qui ne l’était pas.

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Citoyens du monde ★☆☆☆

Le Professeur et Giorgio sont deux septuagénaires romains qui tirent le diable par la queue avec une retraite de misère. Sans attaches, sans amis, sans guère d’argent, ils rêvent à un ailleurs où l’herbe serait plus verte – et la bière moins chère. Ils sont bientôt rejoints dans leur projet de départ par un troisième larron, Attilio, brocanteur du dimanche. Où partir ? Cuba ? Bali ? les Açores ?

Gianni Di Gregorio est venu sur le tard à la réalisation. Il tourne son premier film en 2009, à près de soixante ans. Le succès du Déjeuner du 15 août (prix du meilleur premier film en 2008 à la Mostra de Venise) le conduit à en réaliser des « suites » où il se met volontiers en scène : Gianni et les femmes en 2011, Bons à rien en 2014. À chaque fois, la recette est la même. Le réalisateur se met dans son propre rôle : celui d’un Romain vieillissant, philosophe et bon vivant, une sorte de Nanni Moretti du troisième âge (même si, vérification faite, je réalise avec effroi que Moretti a dépassé la soixantaine).

Cette recette éprouvée est une nouvelle fois utilisée dans ce quatrième opus. Qui aime Rome (qui n’aime pas Rome ?) prendra plaisir à retrouver, en compagnie de trois sympathiques retraités, sa dolce vita, ses placettes ensoleillées et ses petites rues aux pavés disjoints encombrées de voitures et de scooters.

Mais c’est bien là le seul plaisir, bien innocent, qu’on prendra à ce film qui nous conduit sans surprise vers une conclusion prévisible et bien-pensante.

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Epicentro ★☆☆☆

Epicentro est une plongée immersive dans La Havane, la capitale cubaine, sur les pas de ses habitants, à la fin de l’ère castriste.

Epicentro est réalisé par le documentariste Hubert Sauper qui avait signé avec Le Cauchemar de Darwin un des documentaires les plus marquants et les plus stimulants de ces dernières années. J’avais même réussi à en faire paraître une critique dans la section, normalement réservée aux seuls livres, d’une revue très sérieuse de relations internationales [c’était ma minute prétentieuse].

Epicentro souffre d’une ambiguïté. Son titre nous entraîne sur une fausse piste. Hubert Sauper considère que l’explosion du USS Maine qui a entraîné l’invasion de Cuba par les Etats-Unis en 1898 constitue « l’épicentre » de l’impérialisme américain. Outre que le terme soit mal choisi – on lui aurait préférer celui de « moment fondateur » certes moins percutant – ce postulat de départ appelait une vaste démonstration historique exposant l’ensemble des actions impérialistes – et il y en eut – menées par les Etats-Unis tout au long du vingtième siècle.

Or Epicentro ne quitte jamais Cuba. Mieux, il ne quitte jamais La Havane où l’on a parfois l’impression que Hubert Sauper filme ses souvenirs de vacances en nous présentant les sympathiques Cubains qui ont croisé son chemin.

Que nous dit-il de Cuba au lendemain du décès du Lider Maximo, engagé dans une impossible réconciliation avec le grand frère américain dont l’embargo l’étouffe ? Pas grand-chose. Il ne s’agit pas d’une ode au castrisme, môle de résistance face à l’impérialisme américain, ou au contraire d’une dénonciation de l’oppression politique qui y règne et de la misère sociale qui s’y perpétue. Epicentro dure près de deux heures mais est étonnamment vide de contenu. Et côté sensations, on n’est guère mieux récompensé avec les sempiternels clichés des Chevrolet rutilantes qui font le tour du capitole et des vagues furieuses qui fouettent le Malecon. La seule pique que décoche ce documentaire bien fade vise le tourisme de masse qui s’installe sans y être invité dans l’intimité des êtres – et qu’alimente pourtant lui aussi le « touriste » Hubert Sauper.

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Eva en août ★☆☆☆

Eva (Itsaso Arana, des faux airs de Valérie Donzelli) a trente-trois ans. Elle a décidé de passer le mois d’août à Madrid, dans l’appartement surchauffé que lui prête un ami. La capitale est désertée, la canicule ayant fait fuir les Madrilènes et les touristes. Eva déambule sans but et noue au fil des jours et des rencontres des amitiés éphémères.

Eva en août est sorti sur les écrans le 5 août. Rarement date de sortie aura été choisie avec plus d’à-propos tant le film de Jonas Trueba est un film estival qu’il faut voir dans la touffeur de la chaude saison pour en ressentir à la fois l’écrasante chaleur et la délicieuse fraîcheur que ses nuits procurent.

Eva en août est un film profondément sensuel. On y a chaud, on y a frais. On y boit des bières désaltérantes et des alcools forts. On y embrasse des garçons et des filles. On y dort beaucoup, comme Eva qui, en bonne Ibérique, fait la sieste tout à la fois pour récupérer de ses nuits trop courtes et pour éviter la canicule.

La critique s’est pâmée pour ce film plein de charme. Le Monde et Télérama débordent d’enthousiasme. Et, emporté par une douce euphorie estivale, je me suis à mon tour laissé charmer. Mais le charme, hélas, fut éphémère. Au bout d’une heure, il a cessé d’opérer. La faute au scénario qui tourne un peu en rond. Si bien qu’au bout de deux heures passées, j’ai bien failli céder à la somnolence. Dommage pour ce film qui aurait été un bijou s’il avait été amputé d’un bon tiers de sa durée.

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La Femme des steppes, le Flic et l’Œuf ★☆☆☆

Un cadavre est retrouvé au milieu de la steppe mongole. Pour le protéger des loups dans l’attente de l’arrivée de la police scientifique, un bleu est posté en faction. Il risque de mourir de froid si une bergère du coin ne vient le réchauffer.

La Mongolie possède des paysages immenses, éminemment cinématographiques. Mais le cinéma l’a investi récemment. Je me souviens de mon étonnement et de mon émerveillement en 2004 à la sortie de L’Histoire du chameau qui pleure. Et puis il y a eu Le Chien jaune de Mongolie en 2006. Le Mariage de Tuya en 2007, filmé par un réalisateur chinois, avait été tourné en Mongolie intérieure, côté chinois. Ce même réalisateur, Wang Quan’an, a franchi la frontière pour réaliser en Mongolie son nouveau film, en desserrant un peu la contrainte que fait peser la censure de son pays. Non pas que La Femme des steppes… soit un brûlot politique, mais parce qu’il contient quelques scènes de sexe qu’on n’a pas coutume de voir dans le cinéma passé au crible de la censure pékinoise.

Ces films se ressemblent. Ils montrent la steppe infinie et ses couchers de soleil majestueux ; ils racontent des histoires simples de nomades et de bêtes.

Öndög (qui signifie « Œuf » en mongol et que les distributeurs français ont préféré traduire par un titre plus long et plus explicite) vient s’ajouter à cette liste désormais bien fournie. Lui aussi filme des paysages qu’on rêverait de voir – si ce fichu Covid n’hypothéquait pas tous nos projets de voyage. Lui aussi raconte une histoire simple. Il ne s’agit pas tant, comme on pourrait le croire au début du film, d’une enquête policière mais du portrait d’une femme indépendante qui vit seule au milieu des steppes avec son chameau, ses vaches et ses brebis.

Si vous n’avez jamais vu de film tourné en Mongolie et si la beauté intimidante des steppes battues par le vent glacial vous fascine, allez par curiosité y jeter un œil. Sinon, passez votre chemin devant une énième resucée d’un sujet qui ne vaut guère que par l’exotisme de ces prises de vue.

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