Herbes flottantes ★★★☆

Dans une petite ville insulaire du sud du Japon écrasée par la chaleur estivale, une troupe de théâtre vient donner des représentations. Komajuro, le chef de la compagnie, y a une maîtresse, dont il a eu un fils, Kiyoshi, aujourd’hui adulte, qu’elle a élevé seul.
Le secret est bien gardé mais la nouvelle compagne de Komajuro finit par le percer. Sa jalousie est violente et aura des conséquences dramatiques.

L’été est la saison des rétrospectives japonaises. Carlotta Films a flairé le filon et ressort chaque année, en groupe ou isolément, tel ou tel chef d’œuvre d’Ozu, de Kurosawa ou de Mizoguchi. C’est l’occasion de voir ou de revoir ce film de 1959, l’un des rares que Ozu a tourné en couleurs. Il suffit d’avoir déjà vu un ou deux films du maître (mon préféré, ce qui n’est guère original, est Voyage à Tokyo) pour se sentir immédiatement en terrain de connaissance : caméra au ras du tatami, lents travellings, plans de coupe construits comme des tableaux de maîtres, montage cut, très discrète musique de fond, acteurs fétiches (on reconnaît Chishu Ryu et Haruko Sugimura mais Setsuko Hara manque à l’appel)…

Ozu en avait fait une première version de cette histoire vingt-cinq ans plus tôt, intitulée Histoires d’herbes flottantes, en muet et en noir et blanc, dont on dit – je ne l’ai pas vue – qu’elle était plus tragique. Pour autant, Herbes flottantes n’est pas très gai. La sérénité stoïcienne qui caractérise les films du maître est ici interrompue d’inhabituelles disputes : entre Komajuro et sa maîtresse, entre Komajuro et son fils. Si, comme tous les films d’Ozu, il est question de relations familiales, elles sont ici appréhendées du point de vue des seuls parents – à travers la relation de Komajuro avec ses deux maîtresses. Sans doute le film se conclut-il in extremis par une réconciliation générale ; mais elle est trop tardive, trop artificielle, pour être tout à fait crédible.

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Persona non grata ★☆☆☆

José Monteiro (Nicolas Duvauchelle) et Maxime Charasse (Raphaël Personnaz) sont amis d’enfance. José est fils d’immigrés espagnols ; Maxime est né dans les beaux quartiers. Mais leur amitié a eu raison jusqu’à présent de leurs différences de classes. José et Maxime n’en peuvent plus de l’autoritarisme de Eddy Laffont (Frédéric Pierrot), l’associé majoritaire de leur société de BTP, qui les a formés, qui leur a donné de plus en plus de responsabilités, mais qui se refuse à passer la main. Poussés à bout, ils complotent à sa perte et recrutent un homme de main, Moïse (Roschdy Zem).

On connaît bien l’acteur Roschdy Zem qui, depuis une vingtaine d’années, a su imposer son jeu physique, comme tête d’affiche ou second rôle (il partagera fin août avec Léa Seydoux et Sara Forestier l’affiche du prochain film d’Arnaud Desplechin Roubaix, une lumière). On connaît moins le réalisateur qui a pourtant déjà signé quatre films : Mauvaise foi (2006), Omar m’a tuer (2010), Bodybuilder (2013), Chocolat (2016).

Persona non grata est le remake d’un film brésilien sorti en France en 2002. Film noir, poisseux, il aurait pu être tourné sous le crachin des Hauts-de-France ou de la banlieue parisienne. Son action, au contraire, se déroule sur les côtes ensoleillées de l’Occitanie, à un jet de pierre de Montpellier – décrit, sans le nommer, comme un haut-lieu de la corruption d’agents publics.

Roschdy Zem a tourné dans suffisamment de films pour savoir placer sa caméra, diriger ses acteurs, monter avec nervosité un scénario qui se tient. Mais, paradoxalement, il ne s’est pas donné le meilleur rôle en interprétant Moïse, un repris de justice qui vient faire chanter ses commanditaires en se glissant dans le lit de la fille de l’homme qu’il a assassiné. Très vite l’intérêt s’étiole pour cette histoire guère crédible, pour un suspense mou, pour des personnages au destin desquels on ne s’attache pas.

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Anna ★★☆☆

C’est l’histoire d’une jeune fille dont la vie n’a pas commencé sous les meilleures auspices : droguée, violentée, elle se fait néanmoins remarquer par les services d’espionnage qui la transforment en machine de guerre.
Ce pitch ressemble à s’y méprendre à Nikita, tourné en 1990 par Luc Besson après Subway et Le Grand Bleu alors qu’il était au summum de sa gloire.
C’est pourtant celui de son dernier film. Dernier film en date et peut-être dernier film tout court.

Près de trente ans ont passé et le cinéma de Luc Besson n’a guère évolué. Sa monomanie pour ses héroïnes successives et interchangeables, jeunes, androgynes, filiformes, souvent issues du mannequinat (Anne Parillaud née en 1960, Mila Jovovich en 1975, Scarlett Johansson en 1984, Sasha Lunz en 1992…) crée un malaise alors que des enquêtes sont en cours suite aux accusations d’abus sexuels qui visent le réalisateur. Il aura bon dos de se défendre en affirmant que, de Jeanne d’Arc à Lucy, de Leeloo (l’héroïne du Cinquième Élément) à Adèle Blanc-sec, de Angel-A à Aung San Suu Kyi, il donne le premier rôle à des héroïnes fortes et magnifie leur émancipation, l’œil qui filme Anna, en talons aiguilles et porte-jarretelles, luit d’un éclat visqueux.

Aussi y aurait-il une « joie malsaine », après avoir regretté le succès immérité de l’infâme Lucy en 2014, à se féliciter de l’échec de Anna, qui a fait un bide aux Etats-Unis où il est sorti fin juin et qui ne fait guère mieux en France où sa sortie, programmée début 2019, a été retardée au 10 juillet.

Pour autant, une telle Schadenfreude serait-elle déplacée. D’abord parce que la faillite désormais quasi-certaine d’Europa Corp. constitue une mauvaise nouvelle pour le cinéma français dont ce studio avait été l’un des porte-étendard pendant une vingtaine d’années.
Ensuite, parce que Anna n’est pas si calamiteux qu’on se plait à le dire. Il s’agit d’un film d’espionnage construit autour de rebondissements qu’on découvre à travers plusieurs flash-backs. On ne retrouve pas, dans ce cinéma de la manipulation, le psychologisme dont les films d’espionnage contemporains croient devoir se lester (ainsi de The Operative dont j’ai dit il y a quelques jours les réserves qu’il m’inspirait). Et c’est tant mieux…

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Roads ☆☆☆☆

En vacances au Maroc avec sa mère et son beau-père qu’il ne supporte plus, Gyllen (Fionn Whitehead, un prénom qui n’aidera pas sa carrière de ce côté-ci de la Manche), vient de prendre la poudre d’escampette au volant du camping-car familial. Sa route croise celle de William, un réfugié congolais.
Les deux jeunes gens veulent aller en France, Gyllen pour y retrouver son père dans la région d’Arcachon, William pour son frère qui cherche depuis Calais à gagner la Grande-Bretagne.

Le précédent film de Sebastian Schipper, Victoria, qui racontait en un seul et unique plan-séquence une folle nuit berlinoise, avait été si bluffant qu’on se demandait ce que ce réalisateur allemand pourrait inventer ensuite. La réponse : rien.

Tout est décevant dans ce Roads. Son pitch qui sent la guimauve. Et le traitement qui en est fait, déroulant platement, depuis le Maroc jusqu’à la jungle de Calais un road movie sans surprise. Roads voudrait mêler plusieurs sujets : le sort fait aux réfugiés africains tant à l’entrée de l’espace Schengen à Ceuta qu’à sa sortie à Calais, la crise de l’adolescence et la détresse d’avoir perdu un frère. Mais cet assemblage de bric et de broc ne fonctionne pas.

Même l’apparition en guest star de Moritz Bleibtreu, en improbable hippie allemand, ne suffit pas à susciter l’intérêt.

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L’Etincelle : une histoire des luttes LGBT+ ★★☆☆

Qui veut s’initier à l’histoire des luttes Lgbt+ (le + étant alternativement utilisé avec d’autres lettres désignant d’autres variantes de genre, de sexe biologique, ou d’orientation sexuelle : I pour les personnes intersexes, A pour les asexuels, Q pour les personnes queer, ou encore P pour les personnes pansexuelles) aura le choix.
Soit lire la substantielle étude de 784 pages de Frédéric Martel joliment intitulée Le Rose et le Noir et sous-titrée pour que son objet soit compréhensible de tous Les homosexuels en France depuis 1968.
Soit, s’il.elle dispose de moins de temps, regarder ce documentaire français de 99 minutes qui s’intéresse au mouvement homosexuel en France et aux Etats-Unis.

L’Etincelle doit son titre à un épisode méconnu de l’histoire américaine : les émeutes de Stonewall, dans Greenwich Village à New York, en juin 1969, qui virent les homosexuels protester spontanément contre un raid de police qui visait l’établissement où ils avaient leurs habitudes. L’année suivante, une « marche de la fierté » fut organisée pour commémorer ces émeutes, qui les consacra rétrospectivement comme l’acte fondateur du militantisme LGBT. Ainsi naquit la Gay Pride.

D’une facture très classique, le documentaire de Benoît Masocco, militant de la cause et qui n’en fait pas mystère, alterne les images d’archives et les interviews de grands témoins. Parmi eux, on reconnaît, de ce côté de l’Atlantique Robert Badinter et Bertrand Delanoë.
On visite les grands moments, plus ou moins connus, de la lutte pour la reconnaissance des droits : l’élection de Harvey Milk au conseil municipal de San Francisco puis son assassinat, la dépénalisation de l’homosexualité en France en 1982, les années SIDA, la reconnaissance du pacte civil de solidarité (PACS) puis du mariage.

Le témoignage de quelques figures historiques des années 70 montre combien l’objet de la lutte s’est déplacé. À l’époque, et avant même que le mot existe, l’intersectionnalité était de mise, le combat des homosexuels recoupant celui des Noirs ou des femmes. Il s’agissait pour tous, selon une phraséologie qui aujourd’hui prête à sourire, de « combattre les fondements moraux d’une société capitaliste et patriarcale ». Les homosexuel.le.s à l’époque étaient des révolté.e.s qui voulaient renverser l’ordre établi et qui rient jaune des aspirations de leurs successeurs à se marier et à avoir des enfants. Ils militaient pour le « droit à la différence ». Leurs successeurs ont conquis le « droit à l’indifférence »

Le documentaire affirme en conclusion que les droits des homosexuels ont considérablement progressé au cours des cinquante dernières années. Mais il « ouvre » sur deux réflexions stimulantes à peine effleurées. Le premier est la différence qui prévaut entre la situation des homosexuels en Occident (les « nantis de la liberté » selon la belle expression de Robert Badinter) et dans le reste du monde. Le second est le sujet qui, selon lui, « montera » dans les prochaines années : la transidentité.

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Give Me Liberty ★★☆☆

Vic est ambulancier. Il véhicule à travers Milwaukee des adultes handicapés. Mais il est des jours où les ennuis s’accumulent. Ce matin, Vic a voulu rendre service à son grand-père et à ses amis russes qui n’avaient pas de moyen de se rendre aux funérailles d’une de leurs compatriotes. Mais la présence de cette joyeuse communauté, à laquelle s’adjoint Douma, un parasite, ralentit sa tournée et suscite l’énervement de ses clients :  Michelle, qui doit participer à un concours de chant, Tracy, qui quitte ce jour là le domicile de sa mère pour s’installer avec son fiancé, Steve, etc.

Hasard du calendrier ? La Russie envahit les écrans. La même semaine que Factory, une semaine après Folle nuit russe, trois semaines après Anna, sort ce film américain dont l’identité de son réalisateur, Kirill Mikhanovsky, révèle sans peine les origines. Nous ne sommes pas en Russie, mais au cœur de l’Amérique, dans les plaines glaciales du Wisconsin, où vit une nombreuse diaspora russe.

Give Me Liberty a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2019. C’est un produit typique du ciné indé américain, comme Sundance en produit à la pelle. Il repose sur une idée de scénario simple, sinon simpliste, tirée de l’expérience du réalisateur, russe mais immigré de longue date aux Etats-Unis : dans les années quatre-vingt-dix, il conduisait à Milwaukee un véhicule sanitaire et y a vécu des anecdotes qui ont nourri le scénario de son film.

Give Me Liberty est un film attachant qui donne une dignité à des caractères qui en sont couramment privés, des personnes lourdement handicapées dont la bonne humeur et la résilience sont soulignées jusqu’à la caricature. Il a pour héros un jeune homme patient sur lequel s’abattent toutes les avanies imaginables, coincé entre des clients impatients, un superviseur qui le menace de licenciement et des incidents à la pelle. Victime de sa gentillesse, il essaie de contenter tout le monde sans y parvenir.

Il a néanmoins trois défauts.
Le premier est l’hystérie des scènes filmées dans le minibus qui constituent la quasi-totalité du film ou, en tous cas, ses deux premiers tiers : on se croirait dans une kommunalka moscovite surpeuplée où tous les habitants peinent à cohabiter sans s’apostropher bruyamment. On crie beaucoup ; et le spectateur, pris en otage sous ces feux croisés, implore le silence.
Le deuxième est un scénario qui tourne un peu en rond, dont le fil directeur (une journée dans la vie de Vic) est trop lâche pour susciter l’intérêt dans la durée.
Le troisième est sa longueur excessive. Give Me Liberty dure près de deux heures. Aurait-il duré trente minutes, de moins, il aurait été aussi efficace et moins répétitif.

La bande-annonce

The Operative ★☆☆☆

Britannique, vivant à Berlin, Rachel (Diane Kruger) n’a quasiment aucun lien avec Israël. Cela n’empêche pas le Mossad de la recruter et d’en faire l’un de ses meilleurs agents sous couverture. Cornaquée par Thomas (Martine Freeman), son agent de liaison, Rachel est envoyée en Iran.

Sur le papier, The Operative (on dira que j’en fais une obsession … mais, une fois encore, pourquoi sortir en France sous son titre anglais un film qui, en Allemagne, s’intitule Die Agentin ou en Lituanie Agente ?) avait tout pour séduire. Sa bande-annonce efficace mettait l’eau à la bouche. On escomptait un thriller tendu, ponctué de quelques scènes d’action haletantes, avec un arrière plan géopolitique complexe.

Hélas le résultat déçoit. Diane Kruger n’en est pas responsable, qui porte le film de bout en bout. Cette actrice allemande parfaitement trilingue (elle parle aussi bien le français et l’anglais que sa langue natale) a commencé sa carrière en France avant de tourner partout dans le monde, à Hollywood, en Allemagne ou ailleurs. La quarantaine bien entamée, elle est une actrice bankable, suffisamment connue pour qu’un film se construise autour de son nom ; mais elle n’est pas tout à fait une superstar de la carrure de Jennifer Lawrence, Charlize Theron ou Nicole Kidman.

Le résultat déçoit par excès de psychologie. The Operative s’intéresse moins à l’action qu’à son personnage central et à ses fragilités : une relation au père compliquée, une absence d’ancrage, une instabilité émotionnelle… On pense à Claire Danes, l’héroïne de Homeland – à laquelle Diane Kruger, le visage en amande, le teint blafard, les cheveux couverts d’un tchador, ressemble beaucoup. On pense dans Le Bureau des légendes au personnage de Malotru, interprété par Mathieu Kasovitz et à celui de Marina Loiseau qui elle aussi, dans la saison 2, a maille à partir avec le régime des mollahs. On pense bien évidemment aux romans de John Le Carré.

Mais – on pourra ne pas partager ce point de vue – la psychologie n’est pas la dimension la plus intéressante des films d’espionnage. Pour le dire autrement : on ne va pas voir un thriller pour vibrer à des états d’âme. Ce qui me séduit, ce qui m’attire dans les films d’espionnage, c’est leurs histoires à tiroirs millimétrés d’agents doubles ou triples. De ce point de vue, mon roman préféré de John Le Carré est son tout premier, L’Espion qui venait du froid, ayant moins de goût pour les suivants qui, à mon sens, pêchent par excès de psychologie.

À cette aune, The Operative ne peut que décevoir dont le seul fil directeur est son héroïne. Il juxtapose plusieurs épisodes, sans guère de lien entre eux  – la froide exécution d’un homme d’affaires, l’infiltration d’une société électronique iranienne, le franchissement d’une frontière par un 4×4 bourré d’explosifs – et se conclue par un final trop ouvert pour être compréhensible.

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Factory ★★☆☆

Lorsque le patron d’une usine métallurgique met la clé sous la porte, six de ses employés décident de le prendre en otage pour lui soutirer une rançon. Mais rien ne se passe comme prévu.

Factory (bizarre traduction française du russe Zavod) joue sur deux tableaux.

D’un côté, il raconte, quasiment en temps réel, un braquage. Le sujet n’est pas nouveau, qui a donné au cinéma quelques chefs d’œuvre inoubliables de Un après-midi de chien à Reservoir Dogs. Car il est puissamment dramaturgique : unité de lieu, unité de temps, unité d’action. Tous les protagonistes sont réunis dans un même lieu – ici une usine décatie – l’espace d’une nuit qui s’achèvera dans un petit matin blême. Les employés de l’usine veulent échanger leur otage contre le pactole qui leur permettra d’aller finir leur vie au soleil tandis que les hommes de main appelés à sa rescousse, et bientôt rejoints par les forces spéciales de la police, ont pour mission de le libérer par tous les moyens.

De l’autre, Factory s’inscrit dans un contexte social : celui de la Russie post-communiste où les biens de production ont été vendus à l’encan à des oligarques sans scrupule. Non sans caricature, Factory raconte le fossé qui s’est creusé entre les plus riches et les plus pauvres. On y retrouve la patte de Yuri Bykov, dont le précédent film, L’Idiot ! dénonçait déjà, avec une belle énergie, la corruption des élites russes.

La combinaison de ces deux registres s’annonçait stimulante. La promesse n’est qu’à moitié tenue. Si le film d’action commence sur les chapeaux de roue, son rythme se ralentit et les rebondissements attendus (les motivations des protagonistes ne sont peut-être pas celles qu’on croyait) font long feu.
Quant à la critique sociale, elle reste très convenue : les riches sont pourris et les pauvres condamnés à souffrir. Le même message est asséné avec autrement d’efficacité par Zvianguintsev, Serebrennikov, Khlebnikov ou Balagov (dont on attend avec gourmandise son Grande fille qui sortira le 7 août).

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Folle nuit russe ★★☆☆

Ivanovo, 250km au nord-est de Moscou, une ville demi-millionnaire plus connue pour son industrie textile que pour ses curiosités touristiques. Automne 1999 : la (seconde) guerre de Tchétchénie bat son plein, Eltsine va quitter le pouvoir et céder la place à un inconnu, Vladimir Poutine.

Andreï est mort en Tchétchénie. Denis, son frère cadet, épileptique, a été réformé. Il tente sans succès d’empêcher la mafia locale de faire main basse sur la moto d’Andreï. Anton, son frère aîné rentre ce jour-là du front. Sa fiancée Vika, qui rêve de s’expatrier en Allemagne contre l’avis de sa grand-mère, l’attend impatiemment ; mais Anton, tétanisé à l’idée d’affronter le chagrin de sa mère, la bat froid.
Vera, la mère de Vika, a rejoint les témoins de Jéhovah. Avec Alja, une coreligionnaire, elle fait du porte-à-porte sans guère de succès. Dans un hall d’immeuble, elle secourt un alcoolique et lui offre l’hospitalité pour la nuit.

Sortent coup sur coup deux films russes qui dressent de leur pays une image peu flatteuse. Factory sera sur les écrans demain et ma critique en ligne en même temps. Il a bénéficié de la chambre de résonnance du festival de Beaune et d’une bonne exposition grâce à Bac Films. Folle nuit russe, sorti mercredi dernier, n’a en revanche fait l’objet d’aucune publicité et d’une distribution confidentielle. Il mérite pourtant le détour.

On y croise quelques éléments représentatifs de la société russe eltsinienne, en manque de repères : un conscrit revenu du front avec la haine, une jeune femme délurée, une mère inconsolable de la mort de son fils, un alcoolique intarissable… Le scénario de ce film choral, rédigé par la réalisatrice dont c’est le long-métrage de fin d’études, n’est pas toujours très lisible. On peine à comprendre ce qui relie ces personnages et le film est si court (une heure et dix sept minutes seulement) qu’on n’a guère le temps d’assembler les pièces du puzzle.

Mais ce sont ces imperfections mêmes qui rendent Folle nuit russe attachant, mélange déséquilibré de tragédie et de comédie, peinture désespérée d’une société sans boussole.

Hélas, le film n’est pas aidé. J’ai déjà évoqué sa distribution ultra-réduite. J’aurais pu évoquer son affiche – une matriochka recouverte de sang – à l’esthétique de slasher et son titre ridicule, sans lien avec l’original, qui emprunte plus à la comédie pour ados qu’à la critique sociale

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Yuli ★☆☆☆

Avant de devenir danseur étoile au Royal Ballet de Londres, Carlos Acosta était un petit garçon farceur, élevé dans les quartiers pauvres de La Havane que rien, sinon l’ambition de son père, ne destinait à la danse.

Carlos Acosta avait déjà raconté son parcours dans une autobiographie publiée en 2007. Il avait également monté à Cuba un ballet inspiré de sa propre vie. Ne manquait plus pour parachever le mausolée qu’un film. C’est chose faite avec ce biopic signé de la réalisatrice espagnole Icíar Bollaín dont le conjoint, Paul Laverty, a écrit le scénario.

Yuli ne réserve guère de surprise. Le duo Bollaín-Laverty respecte scrupuleusement le cahier des charges au risque de sombrer dans le pathos : des personnages qui se réduisent à leur caricature (le gamin dilettante mais surdoué, le père sévère mais aimant…), l’exotisme des rues de La Havane, l’histoire du castrisme en arrière-plan (le socialisme triomphant, la crise des balseros…), quelques séquences émotion (l’exil de la grand-mère, la névrose de la sœur)… On veut nous vendre que le jeune Carlos, qui rêvait de football et de breakdance, est devenu danseur étoile contre son gré ; on peine à le croire. On veut aussi nous faire toucher du doigt son déchirement entre sa vie professionnelle qui l’oblige à s’expatrier en Europe et son attachement à sa famille et à son pays ; on peine à être ému.

Yuli est ponctué de sublimes séquences de danse. Carlos Acosta y interprète son propre rôle. Il y danse avec une majesté qui en impose. C’est le seul intérêt de ce biopic trop académique pour surprendre, trop complaisant pour émouvoir.

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