Last Night in Soho ★☆☆☆

Eloise Turner  (Thomasin Mac Kenzie, révélée par Leave no Trace et Jojo Rabbit) est une jeune fille romantique, élevée par sa grand-mère en Cornouailles après la mystérieuse disparition de sa mère, à Londres, quelques années après sa naissance. Eloise a deux passions, la couture et les années soixante, qu’elle espère concilier en allant étudier dans une école de mode à Londres. Mais Ses premiers pas dans son nouvel environnement sont difficiles. Devenue la risée de ses camarades, elle quitte le dortoir et trouve une chambre en ville. C’est là que d’étranges visions viennent la hanter. Une jeune femme lui apparait en rêve, dans les années soixante. Elle s’appelle Sandie (Anya Taylor-Joy, l’héroïne du Jeu de la dame) ; elle est jeune, innocente et jolie en diable.

À quel genre appartient Last Night in Soho ? « Épouvante/horreur » nous indique l’Officiel des spectacles. « Thriller, Épouvante/horreur » confirme Allociné. Et pourtant….
Et pourtant, rien d’horrifique dans la première moitié de ce film qui accompagne gentiment la jeune Eloise et ses rêves candides de provinciale dans les premières semaines de sa vie londonienne. Même quand elle se met à rêver de Sandie, les années soixante lui apparaissent telles qu’elle les avait fantasmées : follement glamour.

Mais bientôt le rêve se transforme en cauchemar. Sandie est la victime de la prédation des hommes. Et Eloise ne peut qu’assister impuissante à sa lente descente en enfer. C’est là que, bien tardivement, Last Night in Soho prend la tournure horrifique que la classification de L’Officiel et d’Allociné annonçait. Mais c’est là aussi qu’hélas le film, qui peinait à décoller dans sa première partie, s’embourbe définitivement dans sa seconde jusqu’à une conclusion « plus grotesque que flippante » (j’emprunte l’expresion à mon ami Damien Vabre)

J’ai vu ce film dans une salle archicomble, remplie d’adolescents et de post-adolescents, souvent en couples, bruyants mangeurs de pop-corn (cette dernière incise, inutile à la démonstration, témoigne simplement de mon âge avancé, de mon irritabilité exacerbée et de ma joie mauvaise devant l’interdiction soi-disant liberticide de ces mastications dérangeantes). Pourquoi un tel succès ? Parce que les jeunes filles s’identifient aux deux héroïnes tellement glamour et que les garçons qui les accompagnent se réjouissent in petto d’un aussi jolie spectacle ? Parce que les garçons aiment les films d’horreur et que les filles, bien qu’elles s’en défendent aussi ? Parce qu’ils n’ont pas lu le résumé du film et ont cru, à son affiche hideuse et à son titre anglo-saxon, qu’ils verraient un film à la Star Wars ou à la Blade Runner ? Mystère….

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Lingui, les liens sacrés ★☆☆☆

Amina, la trentaine, vit seule à N’Djamena, la capitale du Tchad. Sa famille l’a rejetée lorsqu’elle est tombée enceinte et a accouché d’une petite fille. Maria a quinze ans aujourd’hui et sa mère a tout sacrifié pour lui donner une bonne éducation dans l’un des meilleurs établissements de la ville. Mais Amina apprend que Maria, qui depuis quelques temps s’était renfermée sur elle-même, est enceinte à son tour. Sachant que l’avortement est doublement interdit au Tchad, par la loi de l’Etat et par la loi religieuse, Amina aidera-t-elle Maria à avorter pour lui éviter la réprobation que son statut de fille-mère lui a value ?

Mahamat-Saleh Haroun est un vieux routier du cinéma africain. La quasi-totalité de ses films ont été sélectionnés en compétition officielle à Cannes sans qu’on sache avec certitude s’il doit cet honneur à leur qualité ou au fait d’être le seul représentant connu du cinéma tchadien. Un temps ministre de la culture dans son pays, il partage sa vie entre la France et le Tchad.

Son dernier film a été une fois encore sélectionné à Cannes l’été dernier. Hasard du calendrier : il sort quasiment en même temps que L’Evénement, le film-choc d’Audrey Diwan inspiré du livre d’Annie Ernaux qui racontait un avortement clandestin dans la France des années soixante. Les deux films pourraient former un stimulant diptyque sur l’avortement et la condition féminine, en France et au Tchad, hier et aujourd’hui.

Et il faut reconnaître à Lingui une certaine maîtrise à raconter une histoire dont l’issue tient en haleine (Maria réussira-t-elle ou pas à interrompre sa grossesse en dépit de tous les obstacles qui se dressent sur son chemin ?) tout en évoquant des sujets brûlants : le patriarcat, l’Islam, le rôle de l’Etat, la vibrante sororité des femmes….

Le problème est qu’on a parfois l’impression que Mahamat-Saleh Haroun s’est scrupuleusement senti obligé de suivre un cahier des charges excessivement bien-pensant. Le problème aussi est que son film pâtit de l’interprétation calamiteuse de ses deux héroïnes.

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Don’t Look Up ★★★☆

Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence), une doctorante en astronomie de l’université du Michigan et le professeur Randall Mindy (Leonardo DiCaprio) identifient aux confins du système solaire une comète qui se dirige à grande vitesse vers la Terre. Selon leurs calculs, elle la percutera dans six mois à peine et y détruira toute vie humaine. Les deux chercheurs en avertissent aussitôt les plus hautes instances à Washington et sont immédiatement convoqués à la Maison-Blanche. Mais leur révélation se heurte au scepticisme de la présidente des États-Unis (Meryl Streep). Effarés par sa réaction, les deux lanceurs d’alerte décident d’informer l’opinion publique directement ; mais leur message restera longtemps inaudible…. jusqu’à ce que l’imminence de la catastrophe ne s’impose à tous.

Netflix réussit presque tous les mois à monopoliser l’attention des cinéphiles. Après The Power of the Dog, après La Main de Dieu, LE film dont on parle ces jours-ci est la dernière superproduction hollywoodienne d’Adam McKay, le réalisateur de The Big Short et de Vice avec son casting plaqué or : Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Cate Blanchett, Timothée Chalamet…

Le sujet en est savoureux et se lit comme une bouffonne métaphore du changement climatique et du climato-scepticisme qu’il a dû affronter aux plus hauts sommets de l’État américain (le scénario a été écrit durant la présidence Trump).

Il courait le risque de faire long feu et la métaphore de vite devenir pesante. Mais il n’en est rien grâce à l’ingéniosité d’un scénario rebondissant ponctué de quelques scènes vouées à devenir cultes. Parmi elles, chacune des apparitions de Meryl Streep, double féminin à peine outrancier de Donald Trump, conjuguant comme lui la démagogie et le court-termisme, et de Jonnah Hill dans le rôle de son fils et chef de cabinet, double masculin de Ivanka Trump, déclenchent l’hilarité. Paradoxalement, les premiers rôles interprétés par les deux superstars Jennifer Lawrence et Leonardo DiCaprio sont obligés à plus de retenue, sauf à faire basculer Don’t Look Up dans la farce grasse.

Rien ne résiste à la charge sardonique de Don’t Look Up : ni bien sûr le populisme de la présidente Orlean/Trump (auquel ne fait contrepoids aucune opposition), ni la vulgarité des médias, ni même la bienpensance de Hollywood. Tant de bassesse aurait de quoi désespérer face à laquelle le scenario ne propose guère d’alternative ou de contre-modèle (Spielberg aurait fait des deux personnages principaux des héros entiers là où Adam McKay a trop de cynisme ou trop d’ironie pour ne pas taire leurs faiblesses). Et la fin du film, qui veut conserver un ton badin, ne rassurera pas les spectateurs que la fin du monde effraie en secret.

Ne manquez pas les deux séquences post-générique. La première arrivera suffisamment vite pour vous faire rire ; mais la seconde, presqu’aussi hilarante, se mérite.

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Ham on Rye ☆☆☆☆

Tous les adolescents d’une banlieue américaine anonyme se préparent pour une soirée importante. Il ne s’agit pas du bal de fin d’année, organisé à grands frais au lycée, mais d’un rendez-vous dans un diner sans âme, Monty’s, dont les jeunes dévorent la spécialité, le « ham on rye » (jambon sur seigle). Après la soirée, la descente est brutale.

Le coming-of-age movie est un genre cinématographique à part entière qui prend pour sujet la sortie de l’enfance, ses rites initiatiques et le passage, plus ou moins traumatisant, à l’âge adulte. Il se noue souvent autour de la prom ou prom night, le bal de promo organisé avant le départ des jeunes lycéens à l’université loin du cocon familial. Les films qui lui sont consacrés sont légion : Carrie, Grease, Footloose, American Pie, Twilight

Je n’ai rien compris à ce premier film indé américain, qui a pourtant écumé les festivals. Ses premières minutes ont fait naître une curiosité vite déçue. Elles montrent les préparatifs de la soirée et introduisent plusieurs personnages, laissant escompter que se nouent une ou plusieurs histoires autour de cet événement et de ses participants. Mais rien ne se passe ; aucun personnage n’émerge, sinon la jeune Haley qui semble être la seule à ne pas partager la liesse générale.

Pendant toute la première moitié du film, on attend quelque chose qui ne vient pas. L’histoire prendra-t-elle un tour tragique façon Virgin Suicides de Sofia Coppola qu’évoquent les robes virginales de trois jeunes filles en fleur ? un meurtre sera-t-il commis comme dans Twin Peaks de David Lynch auquel ces banlieues anonymes font penser ? je-ne-sais-quel tabou sexuel sera-t-il violé comme dans les films malaisants de Larry Clarke ? l’histoire versera-t-elle dans le gore comme dans Carrie ? Non. Rien de tout cela. L’histoire ne va nulle part.

Au milieu du film, coupé en deux, la fête qu’on avait tant attendue est un non événement, un trou noir. On se dit qu’on s’est assoupi ou bien qu’il s’agit d’une ellipse dont la signification s’éclairera durant la seconde moitié du film ? Là encore, cette attente est déçue. Cette seconde moitié, aussi cataleptique que la première, maintient sans s’en écarter le refus de toute narration. On retrouve la même bande de jeunes à présent désenchantés (se sont-ils drogués ? sont-ils en pleine descente ?). On pourrait se demander s’il s’agit d’une métaphore de la vie d’adulte, une vie qu’on a attendue avec impatience mais qui s’avère désespérément triste. Mais l’ennui nous a depuis longtemps à ce point submergés qu’on refuse de faire cet effort pour sauver ce film du marasme dans lequel il nous a entraînés.

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Au cœur du bois ★☆☆☆

Le documentariste Claus Drexel avait réalisé en 2014 le formidable Au bord du monde en partant à la rencontre de quelques clochards parisiens particulièrement marginalisés. Après un détour par l’Amérique de Trump (America), il s’était frotté sans guère de succès à la fiction en faisant endosser à Catherine Frot les hardes d’une SDF (Sous les étoiles de Paris). Il revient à raison au documentaire en fouillant le bois de Boulogne et les prostitué.e.s qui y travaillent.

Il en filme une douzaine en longs plans fixes, les unes après les autres, à l’intérieur de leurs combis ou en extérieur, assises sur un pliant, debout près d’un arbre. Son documentaire n’a pas vocation à s’ériger (si j’ose dire) en précis de sociologie ; mais il montre la diversité des parcours. On voit des Françaises et beaucoup d’étrangères (avec une prépondérance de Latino-Américaines, brésiliennes ou péruviennes), des jeunes et des moins jeunes voire des plus jeunes du tout qui évoquent les années Giscard (!), des travesties et des transsexuelles, des Bac +3 et des Bac -3.

Les prostituées font toujours bonne figure même quand elles racontent des épisodes douloureux ; mais l’impression qui domine est la violence de leur métier et des conditions dans lesquelles elles l’exercent. Au cœur du bois prend volontiers un ton politique en pointant du doigt l’arsenal abolitionniste et notamment la pénalisation des clients qui, nous dit-il, loin de mettre un terme à la prostitution, a rendu plus précaire et plus périlleuse la situation des prostituées interviewées.

Et c’est là qu’il faut dénoncer le hiatus qui rend le film bancal. À côté du tableau sociologique riche d’enseignements, à côté de la dénonciation politique, à laquelle on adhère ou pas, Au cœur du bois joue, dans son titre, dans son affiche, dans ses images sur un troisième registre qui ne colle pas : celui de la poésie élégiaque d’une forêt merveilleuse voire fantastique, illuminée de couleurs artificielles, le jour et la nuit. Cette poésie déplacée ne fait pas bon ménage avec le sujet du film.

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Any Day Now ★★☆☆

Ramin a treize ans. Il est Iranien. Avec ses parents et sa sœur cadette, il vit en Finlande dans un foyer pour étrangers. L’avenir de sa famille dépend de la réponse qui sera donnée à sa demande d’asile. D’ici là, Ramin profite de l’été qui s’achève et fait sa rentrée au collège.

Any Day Now fait partie de ces petits films exotiques à la distribution confidentielle que je ne serais jamais allé voir en salles si l’Espace Saint-Michel ne le programmait pas – et puisque je me refuse à aller voir Spiderman ou Les Tuche 4 (Matrix 4 ayant suffit à me tympaniser pour toutes les vacances de Noël). J’en suis rarement déçu et parfois agréablement surpris.

Any Day Now appartient à la seconde catégorie.
Pourtant les deux sujets qui en constituent la trame pouvaient inspirer une méfiance légitime : la difficile intégration d’une famille iranienne exilée en Finlande vue à travers les yeux d’un enfant au seuil de l’adolescence.
Or, Any Day Now a déjoué toutes mes préventions. Sans crier au chef d’oeuvre, sans avoir la prétention d’en réaliser un, son réalisateur, Hamy Ramezan, qui raconte sa propre histoire à peine fictionnalisée, m’a touché sans forcer le trait, sans chercher à tout prix à arracher une larme aux spectateurs, mais en racontant à hauteur d’enfant, une histoire simple et juste.

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Au commencement ☆☆☆☆

Yana est l’épouse aimante d’Alex, chef d’une communauté jéhoviste dans un bourg perdu de la campagne géorgienne. Après que la salle du Royaume a été détruite par un incendie criminel, Alex va à la ville demander justice et y recueillir les fonds pour construire une nouvelle salle. Pendant ce temps, Yana, restée seule, reçoit la visite d’un inquiétant officier de police.

Disons-le tout net : Au commencement est un film qui laisse une trace profonde. Une trace d’autant plus profonde que je l’ai vu dans une immense salle de cinéma déserte dont j’étais quasiment le seul spectateur.

Au commencement fait le pari revendiqué d’une radicalité absolue.

Radicalité absolue dans la forme : la jeune cinéaste géorgienne Dea Kulumbegashvili filme en longs plans fixes, sans contrechamps, avec des éclairages parfois déconcertants (certains plans rappellent des maîtres flamands, d’autres laissent augurer une panne de générateur). On pense à Apichatpong Weerasethakul – dont le dernier Memoria  n’a laissé de me déconcerter – à Carlos Reygadas – qui coproduit Au commencement – à Lav Diaz – le cinéaste philippin de l’immobilité dont les courts métrages dépassent les trois heures – aux lents travelings en noir et blanc de Pema Tedsen sur les hauts plateaux tibétains…. Cette austérité culmine au mitan du film dans un plan immobile de six minutes du visage de l’héroïne couchée dans la forêt. Geste transgressif brûlant d’audace ? Ou fumisterie tape-à-l’oeil d’un chef opérateur qui a perdu son clap de fin ?

Radicalité absolue dans le sujet traité qui ne s’éclairera très tardivement ainsi que le titre du film (dont, pour être honnête, je ne suis pas absolument certain d’avoir compris le sens) – même si la lecture du passage de la Bible dans la première scène pouvait mettre la puce à l’oreille. Au commencement donne à voir un film sur le patriarcat, sur la corruption du régime, sur l’intolérance religieuse. Une scène particulièrement dérangeante, qui rappelle le Haneke de la grande époque, oblige Yana à s’humilier devant un officier de police pervers. Mais le pire reste encore à venir : d’abord dans un long plan fixe silencieux, censé se dérouler en pleine nuit au bord d’une rivière, puis à la fin de ses deux heures, plus deviné que vu, le drame qui donne tout son sens au film (ou pas). C’est à Lars von Trier qu’on pense alors et aux outrances déchirantes de Breaking the Waves.

Le paradoxe de Au commencement que j’ai détesté de bout en bout est qu’il m’a conduit pour en faire la critique à convoquer nombre de grands réalisateurs – et j’aurais pu mentionner Dreyer, Bergman, Tarkovski, Malick…. C’est la preuve de son intérêt sinon de sa qualité et c’est la raison de son succès aux festivals de Cannes, de Toronto et de Saint Sébastien (où il a emporté la Coquille d’or du meilleur film, la Coquille d’argent du meilleur réalisateur et la Coquille d’argent de la meilleure actrice).

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Bad Luck Banging or Loony Porn ★★☆☆

Emi est enseignante d’histoire dans un lycée de Bucarest. La petite quarantaine, elle a une vie sexuelle active avec son mari qui filme leurs ébats pour les pimenter. Pas de chance : une video se retrouve sur les réseaux sociaux, postée par le réparateur de l’ordinateur familial.
Des parents d’élèves l’apprennent et obtiennent la convocation d’une assemblée générale. Emi se retrouve sur la sellette.

Dans la nouvelle Vague roumaine, extraordinairement riche et stimulante, Radu Jude a trouvé sa place bien à lui : celle d’une vigie intellectuelle, mauvaise conscience d’une Roumanie trop prompte à oublier ses vieux démons. Son précédent film, « Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares », évoquait une page sombre et méconnue de l’histoire européenne : ces quelques années où la Roumanie, vaincue par Hitler, s’est alliée avec l’Allemagne nazie sous l’autorité du maréchal Ion Antonescu, un « Pétain roumain » et s’est rendu coupable durant l’opération Barbarossa, sur le front de l’Est, de crimes de guerres et de génocide comme à Odessa en octobre 1941.

Bad Luck Banging or Loony Porn a un titre presqu’aussi long que ce film-là. Un titre à semer la confusion au moment de passer à la caisse du cinéma : « Bonsoir, je voudrais une place pour…. le film porno roumain ! » Son sujet est simple : c’est celui que j’ai résumé ci-dessus. Son traitement est plus tarabiscoté et contient trois parties d’inégale longueur.
La première est un prologue (je n’ose parler d’amuse-bouche) : il s’agit de la courte vidéo tournée par les deux amants. L’image est granuleuse, le cadrage imprécis, le son crachotant. Il s’agit de porno amateur, très cru, qui filme sans détour un sexe en érection, pas vraiment ragoûtant, une fellation et un coït. Pas de quoi étonner les abonnés à Jacquie et Michel, mais assez surprenant au MK2 Beaubourg. Suffisamment en tous cas pour justifier une interdiction en France aux moins de seize ans.
La deuxième partie est plus longue – et moins pornographique. On suit Emi dans une longue déambulation durant laquelle on comprend, à travers ses conversations téléphoniques hachées, qu’elle se rend à sa convocation. Elle traverse Bucarest, une métropole embouteillée dont les habitants excédés multiplient les incivilités.
Troisième partie sous forme de parenthèse godardienne : Radu Jude met en image quelques concepts politiques (colonialisme, sexisme, maltraitance infantile, pollution….)
Il faut attendre la dernière partie pour enfin arriver au cœur du sujet : la confrontation entre la professeure et la meute de parents d’élèves, tous plus agressifs et primaires les uns que les autres, qui entendent obtenir son éviction.

La situation du film aurait soulevé en droit administratif français une question délicate dont la réponse n’est pas certaine. L’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 fait obligation aux fonctionnaires d’exercer leurs fonctions avec dignité.
Au milieu des 90ies, une gardienne de la paix avait été révoquée pour avoir tourné dans des films X. La cour administrative d’appel de Paris avait considéré que de tels faits étaient « contraires à l’obligation de dignité qu’on est droit d’attendre d’un fonctionnaire de police » et constituaient « une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire » ; mais, considérant qu’aucune référence ni mention n’avait été faite dans les films litigieux à la profession de la policière municipale et que par ailleurs, la fonction policière n’avait été, en aucune façon, dans lesdits films mise en cause ni tournée en dérision, le juge avait estimé que la sanction de l’exclusion était excessive eu égard aux faits commis (CAA Paris, 9 mai 2001, Ministre de l’intérieur contre Slujka, n° 99PA00217).

Quelle décision le juge administratif français aurait-il rendu ? Aurait-il considéré que le fait de tourner dans un film pornographique est contraire à l’obligation de dignité qu’on est en droit d’attendre d’un fonctionnaire de l’éducation nationale, notamment d’un enseignant en contact permanent avec des enfants mineurs ? Pas sûr. Sans doute l’aurait il fait sans guère d’hésitation dans l’hypothèse où, comme dans l’affaire Ministre de l’intérieur contre Slujka précitée, ledit enseignant savait que ses ébats feraient l’objet d’une diffusion publique. Mais la circonstance que leur enregistrement n’avait pas vocation à être diffusée, qu’elle était réservée aux seuls amants dans l’accomplissement de leurs fantasmes, pourrait être regardée comme la vidant de tout caractère fautif. La question me semble très indécise.
À supposer qu’une faute ait toutefois été retenue, le juge administratif aurait, en tout état de cause censuré une sanction trop sévère – telle que l’exclusion – et aurait validé non sans hésitation un avertissement voire un blâme.

On me reprochera – et on aura raison – une longue disgression juridique, bien loin du film que je suis censé critiquer.
C’est que Bad Luck Banging or Loony Porn pêche par son manichéisme en mettant face à face deux arguments simplistes : Emi : « J’ai le droit à ma vie privée » vs. les parents d’élèves : « Vous avez des mœurs dépravées ».
Le réalisateur lui-même ne sait pas comment conclure et nous propose trois fins alternatives, la dernière n’étant pas la moins loufoque ni la moins hilarante.

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Madeleine Collins ★★☆☆

Judith (Virginie Efira) mène une double vie entre la Suisse et la France. Mariée en France à Melvil Fauchet (Bruno Salomone), un célèbre chef d’orchestre, et mère de deux adolescents, elle prend prétexte de son métier d’interprète pour passer la moitié de la semaine en Suisse auprès d’Abdel (Quim Gutiérrez) et de sa fille Ninon.
Mais Judith est bientôt débordée par la somme de mensonges et de secrets dont sa vie est lestée.

Madeleine Collins repose sur deux atouts.

Le premier est son actrice principale. On dirait que la France compte désormais deux moitiés : l’une qui adore Virginie Efira (j’en suis !) et l’autre qui, tout en reconnaissant son charme et son talent, considère qu’on commence à l’avoir trop vue (j’en serai sans doute bientôt). Il est vrai qu’on l’a beaucoup (trop ?) vue ces temps derniers : Lui, Benedetta, Adieu les cons, Police, sans compter En attendant Bojangles qui sortira dans deux semaines. Elle est à chaque fois parfaite dans des rôles de femme puissante aux fêlures bravement affichées. Et Madeleine Collins repose, plus encore que les films précédemment cités, sur ses (graciles) épaules. Bref, selon que vous aimez V.E. ou pas, courez voir ce film ou abstenez-vous.

Mais Madeleine Collins a un second atout et non des moindres : l’épais mystère sur lequel il est construit. Jetez un œil à sa bande annonce, remarquablement construite, qui a l’intelligence de nous mettre l’eau à la bouche sans trop en dire. Pendant une heure, le film nous tient en haleine autour de ce suspense. Son élucidation s’avère un peu décevante. « Tout ça pour ça » a-t-on envie de dire, comme souvent d’ailleurs on se le dit en refermant un polar.

Pour autant, ne soyons pas bégueule et saluons le plaisir pris durant la première heure de Madeleine Collins. Sans oublier le charme et le talent de Virginie Efira qu’on courra revoir dans deux semaines dans En attendant Bojangles sans crier à l’overdose.

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Matrix Ressurections ☆☆☆☆

De nos jours, à San Francisco, Thomas Anderson (Keanu Reeves) est un développeur de jeu vidéos anonyme. Vingt ans plus tôt, il a créé le jeu Matrix qui remporta un vif succès. On lui demande d’en concevoir la suite. Thomas suit une analyse pour comprendre les réminiscences qui l’assaillent. Dans un café il fait la connaissance de Tiffany (Carrie-Anne Moss) qu’il a aussitôt le sentiment d’avoir déjà rencontrée.
Thomas Anderson est en fait la réincarnation de Neo, le héros qui sacrifia sa vie pour sauver l’humanité à la fin de Matrix 3. Prisonnier de la Matrix, cette réalité virtuelle qui copie à s’y méprendre la réalité, dans laquelle les humains ont été replongés par les machines, Thomas est retrouvé par Bugs, une jeune combattante, puis par Morpheus qui lui proposent de retrouver Trinity et de reprendre le combat.

Voilà dix-huit ans qu’on attendait la suite de Matrix …. ou plutôt qu’on ne l’attendait pas, la trilogie futuriste se terminant par la mort de son héros et par l’assurance de ses deux réalisateurs, les frères Wachowski, qu’elle n’en aurait pas.
Voici donc cette suite – ou ce reboot – avec une curieux assemblage d’anciens acteurs (à commencer bien sûr par Keanu Reeves et Carrie-Anne Moss qui ont pourtant allègrement dépassé la cinquantaine et qu’on voudrait nous faire croire qu’ils ont vingt ans de moins) et de nouveaux dans le rôle d’anciens (Lawrence Fishburne a été remplacé par Yahya Abdul-Mateen, Hugo Weaving par Jonathan Groff sans qu’on sache avec certitude si c’est faute d’accord sur leur cachet ou pour des motifs inhérents à la logique de l’intrigue).

Je l’ai vu hier en « avant-première » dans une salle quasi-comble. « Avant-première » : l’expression est prétentieuse car il s’agissait pour la plupart des cinémas qui le programmait ce mercredi d’en avancer la sortie de quelques heures au mardi soir. Dans la salle, à ma grande surprise, j’étais quasiment le plus vieux spectateur. Je calculais vainement : ces post-adolescents assis à côté de moi étaient-ils en âge d’avoir vu les premiers Matrix au cinéma ? certainement pas ! Ils étaient à peine nés. Mais ils les ont vus – et peut-être revus – en DVD et en ont certainement gardé un souvenir beaucoup plus frais que moi.

Je me souvenais certes – sans en avoir jamais été pour autant un inconditionnel afficionado – de Matrix, de ses innovations visuelles (ah ! l’effet bullet time, tellement copié qu’il en est devenu éculé) et de la thèse dans l’air du temps qu’il défendait alors (rarement un blockbuster fit-il l’objet de tant d’exégèses philosophiques) : nous vivons dans une illusion algorithmique forgée par les intelligences artificielles que nous avons créées mais qui nous ont dépassés. La messe me semblait dite et je ne voyais pas très bien ce qu’un nouvel épisode y rajouterait.
2h28 d’interminables pyrotechnies plus tard, je n’étais guère plus convaincu. Matrix 4 tourne en rond et se mord la queue (fine allusion au chat du psychanalyste) sans rien apporter ni rien démontrer, sinon que l’amour est plus fort que la mort (sic).

Je n’ai pas compris grand-chose à ce Matrix 4. La raison en est d’abord que le film est passablement incompréhensible.  C’est à se demander d’ailleurs si l’inintelligibilité n’est pas devenue un objectif en soi (voilà que je m’exprime comme un vieux réac !), les blockbusters trop faciles à comprendre étant ipso facto déconsidérés. La raison en est ensuite et surtout qu’il n’est pas destiné à un quinquagénaire ramolli qui a vu à leur sortie en 1999 et en 2003 les trois premiers épisodes et n’en a gardé qu’un souvenir très flou. Il est destiné à tous ces geeks de la génération Y ou Z qui regardent Matrix devant leurs ordinateurs et en regarderont bientôt – ou piratent peut-être déjà – le quatrième épisode dans la foulée des trois premiers. Dans ce contexte là, l’intrigue deviendra beaucoup plus compréhensible et les clins d’oeil beaucoup plus savoureux.

La bande-annonce