Les Amants sacrifiés ★☆☆☆

Yusaku Fukuhara est le riche propriétaire d’une entreprise familiale spécialisée dans le commerce de la soie grège. Il mène avec son épouse Satoko une vie aisée dans le Japon impérial du début des 40ies. Il a embrassé un style de vie occidental qui a tôt fait de le rendre suspect aux yeux du régime, de plus en plus xénophobe, et de son représentant à Kobe, Taiji, un ami d’enfance de Satoko. Une mission en Mandchourie ouvre les yeux de Yusaku sur les exactions qu’y commet l’armée impériale et l’incite à les révéler à l’opinion publique internationale. Comment Satoko réagira-t-elle à la décision de son mari ?

Kiyochi Kurosawa – dont on redira une fois encore qu’il n’a aucun lien de parenté avec son illustre homonyme prénommé Akira – est devenu un réalisateur japonais reconnu. Son cinéma très contemporain creuse un sillon original entre fantastique, polar et science-fiction. Ryūsuke Hamaguchi, qui fut son étudiant et qui vient de réaliser Drive My Car – un film à mon avis très surcoté mais qui lui a valu une soudaine célébrité – lui a proposé de tourner à Kobe un film en costumes.

Le résultat est troublant. Les Amants sacrifiés (dont le titre, inepte, se voudrait la traduction du plus approprié « La Femme de l’espion ») est un film de genre qui joue sur les genres. C’est d’abord un film historique qui raconte une page méconnue en Occident de l’histoire de la Seconde guerre mondiale : les exactions commises par une unité de l’armée impériale japonaise en Mandchourie sur des prisonniers chinois sur lesquels elle expérimenta des armes bactériologiques. J’ai moi-même visité près de Harbin, dans le nord de la Mandchourie le siège de cette funeste unité 731 et en ai gardé un souvenir marquant.
C’est ensuite un film d’espionnage qui louche du côté de Hitchcock auquel il emprunte l’élégance des costumes et la sophistication de l’intrigue.
C’est enfin un film très contemporain sur le couple, sur la confiance qui le soude, sur les sacrifices qu’il exige.

Toutes ces qualités intimidantes forcent l’admiration. Elles auraient dû me convaincre, étant un grand amateur de ces genres cinématographiques là. Hélas, le déclic ne s’est pas produit. Je suis resté étranger à cette intrigue et insensible aux personnages qui m’ont semblé très artificiels, austères et théâtraux.

La bande-annonce

The Beta Test ★☆☆☆

Jordan Hines (Jim Cummings) semble tout avoir pour être heureux : une fiancée merveilleuse qu’il est sur le point d’épouser, un boulot valorisant dans une société qu’il co-dirige avec son meilleur ami (PJ McCabe), un physique de playboy et un sourire carnassier.
Mais la vie de Jordan se dérègle quand il reçoit une invitation licencieuse.

Certains films cousus de fil blanc vous conduisent sagement d’un point A à un point B. D’autres au contraire vous enthousiasment par leur capacité à vous surprendre. The Beta Test n’appartient à aucune de ces deux catégories. Il s’agit d’un film agaçant qui prend un malin plaisir à nous surprendre au risque de nous perdre.

Il est réalisé et interprété par Jim Cummings dont le premier film, Thunder Road, a été porté aux nues. Certes, ce film-là comportait une scène d’anthologie où on le voyait interpréter un policier partant en vrille à l’enterrement de sa mère. Un nouveau génie comique, lisait-on, était né. J’avoue que je ne partageais pas cet enthousiasme unanime. Jim Cummings ressemble trop à mes yeux à Jim Carrey – que j’ai du mal par ailleurs à considérer comme une immense star – pour mériter tant d’éloges.

De quoi parle The Beta Test ? Est-ce un thriller ? une comédie de mœurs ? un cauchemar éveillé façon Mulholland Drive ? la plongée dans la psyché détraquée d’un golden boy à l’American Psycho ? Un peu des quatre. Et cette indécision, loin de constituer une richesse, est, à mes yeux sa principale faiblesse. Sans doute pourrait-on, comme certaines critiques qui n’hésitent pas à voir dans The Beta Test le meilleur film du mois, saluer son habileté à jouer avec les genres ; mais au contraire j’y vois, non sans une certaine intransigeance, une marque de dilettantisme, comme si les deux réalisateurs, ne sachant pas trop à quel saint se vouer, nous avaient jeté à la figure une histoire passablement emberlificotée en nous disant : « Tenez ! Débrouillez vous avec ça »

La bande-annonce

Un héros ★★☆☆

Rahim est en prison pour dettes. Il veut profiter de la courte permission qui lui est octroyée pour obtenir le pardon de son créancier. Il espère rembourser une partie de sa dette avec l’argent qu’a trouvé par hasard Farkhondeh, sa fiancée. Mais il se ravise et décide de le restituer à son propriétaire en passant une annonce. Cette bonne action va avoir des conséquences inattendues.

Ashgar Farhadi est de retour en Iran après un passage peu convaincant par l’Espagne (Everybody Knows, 2018). Il retrouve, dans la ville de Shiraz, les personnages et les situations qui avaient fait le succès de Une séparation et, dans une moindre mesure Le Passé. habitué des festivals, Fahradi a frôlé la Palme d’Or en juillet dernier à Cannes et obtenu, en lot de consolation, le Grand Prix.

Le titre du film sonne comme un programme. Mais avec Ashgar Farhadi, il faut toujours rester sur ses gardes. Son héros est-il aussi héroïque que le titre du film l’annonce ? Que cache ce rideau qui occulte la moitié de son visage sur l’affiche, laissant suspecter une éventuelle zone d’ombre ? Que scrute ce regard perçant (persan ?) qu’on ne lui voit jamais dans ce film où il arbore perpétuellement un sourire désarmant et un « air de chien battu » – sur la foi duquel sa caution s’est lourdement engagée au risque d’être trahie ?

[Attention spoiler] Tout le long du film, sans doute trop habitué aux scénarios hollywoodiens et à ses twists redoutables, j’ai attendu une révélation qui n’est pas venue : celle d’une arnaque dont ce soi-disant « héros » se serait rendu coupable. J’ai imaginé toutes sortes de scénarios échevelés. J’ai par exemple pensé que Rahim et la femme venue chercher l’argent qu’elle avait perdu étaient en fait de mèche. Ou, plus simplement, j’ai pensé que Rahim avait restitué cet argent dans l’idée machiavélique d’en retirer un bénéfice moral.

La réalité est plus triviale. Je l’ai d’ailleurs trouvée assez peu crédible : pourquoi diable voit-on Rahim d’abord essayer de convertir les dix-sept pièces d’or contenues dans le sac trouvé par Farkhondeh puis soudainement changer d’avis ? La calculette du joaillier qui tombe en panne, son stylo qui ne marche pas sont-ils vraiment les seules causes de ce  brutal revirement ?
La réalité, donc, se dévoile simplement ou, plutôt, ne se cachait nulle part. Ce repris de justice a fait une bonne action. Mais il a fait une bonne action qui se retourne contre lui à cause de quelques libertés qu’il prend avec la vérité : il affirme, sur les conseils de ses geôliers qui y voient le moyen de rehausser l’image de leur établissement, que c’est lui qui a trouvé ledit sac – alors que c’est sa fiancée qui a fait l’heureuse découverte quelques jours plus tôt. Et faute de remettre la main sur la mystérieuse propriétaire, qui disparaît une fois son sac retrouvé sans qu’on ne retrouve jamais sa trace, il ment sur son identité durant sa déposition.

Tout compte fait, et contrairement à ce que j’escomptais pendant tout le film, Un héros n’est pas un film à double fond sur la duplicité humaine et le faux héroïsme. C’est beaucoup plus simplement l’histoire d’un homme pris au piège de ses bonnes actions.

La bande-annonce

Chère Léa ★☆☆☆

Jonas (Grégory Montel), la quarantaine bien entamée, est à la croisée des chemins. La petite société de BTP qu’il dirige bat de l’aile par la faute d’un promoteur véreux. Sa vie personnelle ne va guère mieux : Jonas a quitté sa femme (Léa Drucker) pour Léa (Anaïs Demoustier), une jeune soliste avec laquelle il entretenait depuis plusieurs mois une folle liaison adultère. Mais Léa a rompu un mois plus tôt.
Au lendemain d’une nuit agitée, Jonas, qui ne résout pas à oublier Léa, décide de faire le siège de son appartement. Il s’installe dans le bistro d’en face et y entame la rédaction d’une longue lettre avec la complicité de Mathieu (Grégory Gadebois), le barman.

Voilà bientôt vingt ans que Jérôme Bonnell trace un sillon original dans le jeune cinéma français. Son premier film s’intitulait Le Chignon d’Olga. Je m’en suis souvenu en regardant Anaïs Demoustier, filmée de dos, remonter ses cheveux dans un geste plein d’élégance et de sensualité (il est vrai que si Anaïs Demoustier faisait des crêpes ou passait l’aspirateur, je la trouverais immanquablement élégante et sensuelle !). Son dernier en date, À trois, on y va, remonte à presque sept ans ; il n’avait pas reçu un grand écho ; mais la fraîcheur du trio amoureux qu’il mettait en scène (composé de Félix Moati, de Sophie Verbeeck et… d’Anaïs Demoustier) m’avait enthousiasmé et lui avait valu une place dans mon Top 10.

Aussi attendais-je avec gourmandise ce Chère Léa – au risque de faire une overdose d’Anaïs D., deux semaines après La Pièce rapportée et trois mois seulement après Les Amours d’Anaïs. J’en attendais deux qualités auxquelles je suis sensible : légèreté et nostalgie. Quoi de plus touchant en effet que l’histoire d’une rupture amoureuse, surtout lorsqu’elle n’est pas filmée avec les gros sabots du mélodrame ?

Force m’est hélas d’avouer une petite déception. Les acteurs ne sont pas à blâmer. Qu’il s’agisse d’abord de Grégory Montel – dont la voix me rappelle irrésistiblement les intonations de Daniel Auteuil – qui, après trop de seconds rôles, trouve enfin le chemin du haut de l’affiche, de Léa Drucker dont l’unique scène suffit à lui faire crever l’écran, de Gregory Gadebois, toujours parfait dans le rôle du gros nounours empathique et, évidemment, d’Anaïs Demoustier.

Je serais tout aussi ingrat de blâmer le scénario qui, louchant du côté du théâtre, avec un dispositif minimaliste (un bistro au coin d’une rue, une journée qui s’écoule, une demie-douzaine de personnages à peine qui y entrent et en sortent sans guère s’en éloigner), ménage suffisamment de rebondissements pour tenir la durée.

Ce qui m’a peut-être freiné est, tout bien considéré, la sagesse du propos, son manque d’originalité, sa succession prévisible de saynètes appliquées (la rencontre comico-tragique avec un autre amant de Léa, la confrontation avec le beau-frère du promoteur véreux….) qui empêchent à l’ensemble de se hausser au-dessus du niveau de l’aimable et oubliable comédie sentimentale française standard.

La bande-annonce

Où est Anne Frank ! ★★★☆

Tout le monde connaît Anne Frank, la jeune adolescente qui se cacha avec sa famille à Amsterdam durant la Seconde Guerre mondiale, qui mourut à Bergen-Belsen quelques jours avant la Libération et dont le journal intime, conservé par son père, devint vite un best-seller.

Le réalisateur Ari Folman s’essaie à dépoussiérer cette figure mythique. Il y parvient remarquablement, malgré toutes les réserves que son entreprise pouvait a priori inspirer.

Le titre de son film d’animation sonne comme un slogan : Où est Anne Frank ! avec un point d’exclamation. Le message est simple sinon simpliste : on n’aurait rien compris à Anne Frank si on la muséifie dans quelques lieux sans vie et si on oublie que les valeurs qu’elle incarne (le respect de l’autre, l’antiracisme, le droit à l’enfance…) sont loin d’être toujours respectées dans nos sociétés contemporaines.

Beaucoup de bons sentiments me direz-vous ? C’est ce que je me disais aussi en allant voir sans enthousiasme ce film dont je craignais légitimement qu’il ne ne me fût pas destiné, ayant dépassé d’une bonne quarantaine d’années l’âge de sa cible, et qu’il m’arracherait des soupirs cyniques.

La première moitié du film m’a conforté dans mes préjugés. On y découvre Kitty, l’amie imaginaire d’Anne, ramenée à la vie de nos jours et partie à la recherche de sa créatrice dans un Amsterdam enneigé où des étrangers sans foyer sont pourchassés par la police. Je me dis que je suis dans un mauvais Candy et je soupire, d’ennui et d’autosatisfaction quant à la clairvoyance de mes funestes intuitions.

Mais le film prend dans sa seconde partie une ampleur que je n’escomptais pas. Il faut dire qu’Ari Folman sait y faire. Valse avec Bachir avait marqué l’histoire du film d’animation tant par sa forme novatrice que par son sujet, la douloureuse anamnèse d’un ancien conscrit israélien engagé au Liban. Ici, sa plume est virevoltante, qu’il s’agisse, très sagement, de rappeler l’enfermement d’Anne dans sa cachette, de peindre la cavale de Kitty de nos jours ou d’imaginer ses songes (une fantastique bataille façon Alexandre Nevski entre les forces du Bien et du Mal).

Bien sûr, la conclusion du film est prévisible et convenue. Et la morale qu’elle véhicule trop bien-pensante pour qu’on n’ait pas un peu honte de s’y rallier aussi spontanément. Mais répétons-le : les quinquagénaires scrogneugneux ne sont pas le cœur de cible de ce film destiné aux enfants. Qu’il les ait touchés, qu’il m’ait en tous cas touché, est un effet collatéral inattendu et réjouissant.

La bande-annonce

Rose ★★☆☆

Rose Goldberg (Françoise Fabian) a toujours vécu dans l’ombre de son mari. Elle a consacré sa vie à l’éducation de ses trois enfants. À soixante-dix huit ans, à la mort de son mari, elle se cherche une raison de vivre, elle qui s’est toujours oubliée au profit des autres.

Ces temps ci, au cinéma, qu’on regarde The Father, Falling ou Tout s’est bien passé, les septuagénaires étaient des vieillards cacochymes, frappés d’une maladie dégénérative. Rose Goldberg n’a pas de tels soucis. Elle a encore sa tête et ses jambes. Mais c’est le cœur qui flanche quand son mari disparaît.

Rose raconte un vrai phénomène de société : le veuvage qui touche, on le sait, plus souvent les femmes, dont l’espérance de vie est plus élevée que celle des hommes. D’ailleurs la salle où je l’ai vu était remplie de femmes d’un certain âge (je n’oserais, sauf à passer pour un goujat, préciser lequel) cramponnées à leur sac à main.

Rose déroule une partition sans surprise. À la première phase de sidération, d’abattement que traverse la veuve pas vraiment joyeuse, succède une seconde, plus gaie, qui la voit se reprendre en main, décider de s’assumer voire de se donner le plaisir qu’elle s’était toujours refusé : un verre d’alcool, une virée en voiture, un flirt….
Une belle brochette de seconds rôles accompagnent Françoise Fabian, impériale dans le rôle-titre. Ses enfants l’entourent de leur affection envahissante, dans des dîners de famille joyeux et bruyants. On les voit tour à tour, chacun dans leurs scènes, qui dévient le film de son cours mais qui sont suffisamment attachantes pour qu’on le leur pardonne : le fils aîné (Grégory Montel) est devenu un grand chirurgien ; la fille (Aure Atika toujours parfaite) ne se remet pas de son divorce ; le fils cadet (Damien Chapelle) vit aux crochets de sa mère.

Rose réjouira toutes les spectatrices qui y verront un modèle pour inspirer le dernier tiers (quart ?) de leur vie. Quant aux autres….

La bande-annonce

La Panthère des neiges ★☆☆☆

L’écrivain Sylvain Tesson a accompagné le photographe animalier Vincent Munier sur les hauts plateaux tibétains pour y traquer la panthère des neiges. Il en a ramené un livre couronné en 2019 par le Prix Renaudot et un film éponyme.

Déjà, il y a quelques années, son journal de voyage Dans les forêts de Sibérie avait été transposé à l’écran. Le parti retenu était celui d’en faire une fiction et de confier son rôle à un acteur professionnel, Raphaël Personnaz. Ici, le parti est différent : il s’agit d’un documentaire où les deux explorateurs sont filmés de front (par une camerawoman, Marie Amiguet, silencieuse et invisible, dont l’identité n’apparaît guère qu’au générique).
Le dispositif soulève d’ailleurs quelques interrogations : quelles sont les scènes qui ont été captées telles quelles ? Quelles sont celles que la réalisatrice a dû demander aux deux hommes de rejouer pour elle ?

Le livre de Sylvain Tesson a eu un grand succès. il ne fait guère de doute que ses lecteurs seront les premiers attirés et séduits par ce film qui, sans surprise, lui ressemble. Il donne d’abord à voir des paysages majestueux, que la seule lecture du livre laissait imaginer. Il montre ensuite deux hommes unis dans un même idéal sympathique : celui d’une communion intime avec la nature dont ils observent la vie sauvage grâce à de longs affûts silencieux. Il est enfin efficacement construit autour d’un suspense que, hélas, son affiche divulgâche : réussira-t-on ou pas à débusquer la mystérieuse panthère des neiges et à en ramener l’image ? Oui nous répond d’ores et déjà l’affiche

La Panthère des neiges est toutefois handicapée par deux défauts à mes yeux rédhibitoires.
Le premier est le bavardage assourdissant et paradoxal de ses protagonistes pourtant censés nous faire partager le silence des hauts plateaux tibétains. On les aurait aimés plus réservés, d’autant que les aphorismes qu’ils enchaînent sont autant de perles qu’ils enfilent.
Le second, plus inquiétant, est l’idéologie qui se devine derrière cette passion revendiquée pour la faune sauvage. Une idéologie volontiers conservatrice sinon rétrograde qui postule que tout était mieux avant, que la nature était parfaite et que l’intervention de l’homme en a perturbé l’équilibre et altéré la beauté. Une idéologie hors sol qui filme longuement les plateaux tibétains sans dire un mot de la région dans laquelle on se trouve ni de la répression coloniale que l’occupant chinois y mène.

La bande-annonce

Le diable n’existe pas ★★☆☆

Le diable n’existe pas est un film composé de quatre histoires distinctes, organisées chacune autour d’un coup de théâtre qui les rend difficiles à présenter ou à résumer.
La première suit la journée ordinaire d’un homme sans histoires, mari prévenant d’une femme qu’il va chercher à son travail, père aimant d’une fillette qu’il raccompagne de l’école, fils respectueux d’une mère grabataire à qui il rend visite chaque jour.
La deuxième se déroule quasiment en temps réel dans la chambrée de conscrits affectés au service de l’exécution des peines. Elle a pour héros l’un d’eux qui doit, à l’aube, prêter la main à une exécution capitale et s’y refuse.
La troisième a pour héros un conscrit – peut-être l’un de ceux de la chambrée de la deuxième histoire – qui profite de sa permission pour demander la main de sa fiancée à ses parents.
La dernière voit enfin le retour d’une jeune Iranienne élevée en Allemagne chez un couple d’amis de son père qui vont lui révéler un lourd secret.

Le diable n’existe pas a reçu l’Ours d’Or au festival de Berlin début 2020. Sa sortie en France a été plusieurs fois repoussée à cause du Covid. Elle a aussi été compliquée par la sortie simultanée de plusieurs films iraniens au sujet similaire : La Loi de Téhéran en juillet, Le Pardon en octobre…. en attendant Un héros, le dernier film d’Asghar Farhadi la semaine prochaine. Nul doute qu’on risque la saturation face à ces films qui évoquent ad nauseam la situation irrespirable des Iraniens sous la coupe des mollahs. Nul doute aussi qu’on se laisse à chaque fois emporter par leur âpreté, par les dilemmes moraux qu’ils mettent en scène et par la musique si douce de la langue perse qu’ils donnent à entendre.

Ce sont ces sentiments paradoxaux et contradictoires que j’ai ressentis devant Le diable n’existe pas. Bien sûr, j’ai été frappé par son sujet, la peine de mort. Qui ne le serait pas ? Et j’ai applaudi à la façon de l’aborder, non pas du point de vue des condamnés, qu’on ne voit jamais, mais celui des bourreaux (m’est revenu le souvenir troublant de Apprentice ce film singapourien passé inaperçu dont le héros était un gardien de prison dans le couloir de la mort). J’ai cherché, sans succès, des liens entre les quatre épisodes, me demandant par exemple si le héros du quatrième et si celui du deuxième n’étaient pas les mêmes, filmés à trente ans d’écart, avant de comprendre que c’était historiquement impossible.

Mais hélas, alors que la gravité du sujet et l’intelligence de son traitement auraient dû automatiquement m’emporter,  sans oublier l’avis éclairé de plusieurs amis qui avaient déjà vu le film et m’en avaient dit le plus grand bien, je me suis retrouvé, à mon grand désarroi, sur le bord du chemin, paradoxalement étranger à ce film et à son sujet trop éloignés de moi. Je le regrette profondément car je crois que Le diable n’existe pas est un film nécessaire. J’irai d’ailleurs sans faute dès demain voir Un héros pour me rattraper.

La bande-annonce

Une femme du monde ★★★☆

Marie (Laure Calamy) se prostitue à Strasbourg. Son fils Adrien est en échec scolaire. Sa seule planche de salut serait de l’inscrire dans une école privée de cuisine. Mais la scolarité n’y est pas gratuite. Marie réussira-t-elle à rassembler la somme qu’on lui demande pour donner à son fils un avenir ?

Le plus vieux métier du monde inspire de longue date le cinéma, depuis Mizoguchi (La Rue de la Honte), Fellini (Les Nuits de Cabiria), Pasolini (Mamma Roma) sans oublier Godard (Vivre sa vie), Bunuel (Belle de jour) ou Almodovar (Tout sur ma mère).

Plus près de nous, le cinéma français contemporain a décrit dans une veine naturaliste la réalité de la prostitution, sa violence, sa précarité. Je pense à l’extraordinaire Party Girl (2013) qui avait pour cadre le lumpenprolétariat d’un Grand Est sans soleil, à Sauvage, un film quasi-documentaire sur les tapins masculins, à Filles de joie auquel j’avais reproché de présenter le bordel comme un lieu joyeux, épanouissant, où ses trois héroïnes pansaient les plaies qu’un quotidien brutal leur infligeait.

Une femme du monde s’inscrit dans cette veine et le fait avec une extraordinaire réussite. Le film est juste de bout en bout qui documente le quotidien d’une femme indépendante qui essaie de conserver sa dignité dans l’exercice d’un métier réprouvé. Le scénario, d’une grande simplicité, est la course d’obstacles que Marie doit franchir pour réunir la somme que l’école privée de son fils exige. Face à elle, toutes les portes se ferment les unes après les autres. Sans autre alternative, elle en est réduite à franchir la frontière et aller travailler dans un club allemand, avec des filles plus jeunes qu’elle et une mère maquerelle intraitable.

Une femme du monde repose sur les épaules de Laure Calamy. Elle est de chaque plan. Elle y est formidable. On a fait grand cas de son interprétation dans Antoinette dans les Cévennes qui lui a valu le César 2021 de la meilleure actrice mais qui m’avait inspiré quelques réserves, à rebours des critiques et des spectateurs unanimes. Ici, plus encore que dans les sentiers cévenols, son tonus et son bagout font mouche. On la voit tomber sept fois et se relever huit, jusqu’au plan final juste parfait.

La bande-annonce

Madres Paralelas ★★★☆

Deux femmes, Janis (Penélope Cruz) et Ana (Milena Smit), se rencontrent à la maternité et vont devenir « mères parallèles ». Elles sont l’une et l’autre tombées enceintes par accident, la première, photographe professionnelle dans la quarantaine, après avoir eu une liaison avec un homme marié qui va l’aider à exhumer les restes de son arrière-grand-père exécuté aux premières heures de la Guerre d’Espagne, la seconde, encore mineure, victime d’un viol en réunion. Janis et Ana accouchent de deux fillettes. Elle se séparent à la sortie de la maternité en se promettant de se revoir. Le destin les réunira plus vite que prévu.

J’ai vu avec une dizaine de jours de retard le dernier film de Pedro Almodóvar, sorti depuis le 1er décembre. La faute aux critiques très mitigées que j’en entendais ici ou là – et aussi à la qualité d’une programmation incroyablement riche (West Side Story, Les Choses humaines, La Fièvre de Petrov….)

J’ai trouvé ces critiques bien sévères. Elles comparaient souvent Madres Paralelas aux précédents films de Almodóvar qu’elles mettaient sur un piédestal : Douleur et gloire (2019), Julieta (2016). Ces deux films-là m’avaient justement, au contraire de leur accueil enthousiaste, laissé de marbre : deux étoiles à Douleur et Gloire, une seule à Julieta. Aussi par comparaison, Madres Paralelas m’a-t-il beaucoup plus convaincu.

Si l’on arrête un instant ce petit jeu comparatiste et qu’on essaie d’apprécier isolément Madres Paralelas, quels sont ses qualités et ses défauts ? Au premier des rangs des qualités, je placerais l’incroyable maîtrise de la réalisation. Madres Paralelas déroule, sans se presser, une histoire simple centrée sur un personnage principal confrontée à un triple événement : une maternité tardive, une révélation dévastatrice et la mémoire d’un passé qui ne passe pas. J’ai pensé à Eastwood et à son classicisme tranquille, réalisant que Almodóvar , l’enfant terrible de la movida espagnole avait dépassé les soixante-dix ans. À leur âge, à leur niveau de notoriété, les deux maestros n’ont plus rien à prouver et n’encombrent plus leur cinéma d’effets compliqués, de flashbacks, de flashforwards, de twists…. Et c’est très bien ainsi.
Autre qualité toujours aussi enthousiasmante à chaque film de Almodovar : ses intérieurs follement joyeux et colorés, même s’ils ressemblent plus à des décors de revues de mode qu’à de vrais appartement où on vit, qui rendent ses films reconnaissables au premier coup d’oeil.

Le principal défaut du film, à mes yeux, est le mélange pas très réussi entre les deux histoires qu’il tisse. D’un côté, cette histoire de femmes qui rappelle tant d’autres qu’Almodovar nous a déjà racontées avec le talent qu’on sait. De l’autre, dans un registre politique dont il est moins familier, celle d’un pays confronté à sa douloureuse histoire.
Peut-être Madres Paralelas aurait-il pu se contenter de traiter seulement ce premier thème. Le scénario en était suffisamment riche, avec ses rebondissements inattendus, et le jeu des deux actrices suffisamment bien dirigées pour tenir la salle en haleine.
Peut-être le second sujet, d’une toute autre gravité et d’une toute autre ambition, aurait-il mérité à lui seul un seul film. Ce sera peut-être le prochain. À soixante-douze ans à peine, Almodóvar fait figure de jeune homme à côté d’Eastwood.

La bande-annonce