Midway ★★☆☆

La dernière superproduction hollywoodienne de Roland Emmerich, le réalisateur testostéroné de Independence Day, Godzilla ou Le Jour d’après, prend pour cadre la Guerre du Pacifique depuis l’agression de Pearl Harbor en décembre 1941 jusqu’à la bataille de Midway en juin 1942. Elle suit le parcours de quelques uns de ses protagonistes : le pilote Dick Best (Ed Skrein), l’officier de renseignement Edwin Layton (Patrick Wilson, sosie de Kevin Costner jeune), l’amiral Nimitz, commandant de la flotte du pacifique (Woody Harrelson, le cheveu blanchi), le vice-amiral Bull Hasley (Dennis Quaid), l’amiral Yamamoto, commandant en chef de la flotte japonaise (Etsushi Toyokawa), etc.

Midway est une superproduction pétaradante qui vise sans s’en cacher les amateurs du genre – et ils sont nombreux – quitte à abandonner les autres sur les bords du chemin. Le résultat n’est pas nécessairement perdant : le film a coûté cent millions de dollars, mais en aura remporté vingt de plus.

Midway était sorti en France fin 2019 précédé d’une réputation calamiteuse. Les mauvais échos que j’en avais entendus m’avaient dissuadé d’aller le voir à l’époque. J’ai voulu en avoir le cœur net. Et j’avoue que j’ai pris à le regarder un plaisir régressif que je n’escomptais pas. Certes Midway n’est pas un chef-d’oeuvre. Il utilise les recettes éprouvées du genre : des scènes d’action ébouriffantes, des jeunes héros charismatiques, l’exaltation malaisante du patriotisme…. Mais il le fait avec suffisamment d’assurance et de brio pour emporter la conviction.

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Le Roi ★★☆☆

Le roi d’Angleterre Henry IV (Ben Mendelsohn) est mourant. Son fils aîné (Timothée Chalamet) n’a aucune aspiration à régner car il sait que le trône l’obligera à mener des guerres auxquelles il répugne et à être entouré de conseillers dont il ne peut se fier. Pourtant, quand la mort emporte enfin le vieux roi, Henry V assume bravement sa succession. Les humiliations répétées que le roi de France lui envoie le décident à lui déclarer la guerre et à franchir la Manche. Après le siège d’Harfleur, les deux armées se font face à Azincourt. Pour vaincre, Henry V peut compter sur son vieil ami, Sir John Falstaff (Joel Edgerton)

Fallait-il oser aller se frotter aux pièces les plus intimidantes du répertoire shakespearien ? Les épaules du jeune Timothée Chalamet, la coqueluche des jeunes filles en fleurs, n’étaient-elles pas trop frêles pour endosser l’armure jadis revêtue par Laurence Olivier (en 1944) et par Kenneth Branagh (en 1989) ? Jon Edgerton serait-il aussi truculent – et aussi obèse – qu’Orson Welles dans le rôle de Falstaff ?

Si l’on mesure la réussite du Roi à ces aunes-là, la comparaison, jouée d’avance, ne pourra que tourner à son désavantage. Mais si on ignore ces précédents écrasants, le réalisateur David Michôd, dont les précédents films ne laissaient pas augurer qu’il s’aventure dans ces eaux-là, s’en sort avec les honneurs.

Sans doute, Le Roi, qui s’étire pendant cent-quarante minutes, dure-t-il une demie heure de trop et comporte-t-il un ventre mou. Sans doute sa fin à rebondissement manque-t-elle de rythme – même si le rebondissement final est inattendu et donne tout son sens au film. Sans doute enfin peut-on critiquer la prestation de ces deux principaux acteurs – ce que les réseaux sociaux se sont empressés de faire avec une joie méchante : Timothée Chalamet qui ne quitte pas de tout le film le même rictus concentré et Robert Pattinson qui pousse la caricature trop loin, avec un accent outré, dans le rôle du Dauphin de France.

Mais Le Roi réussit superbement à faire ce que ses illustres prédécesseurs focalisés sur le texte de Shakespeare et le jeu des acteurs, négligeaient : restituer les sensations d’une époque. Quand on regarde Le Roi, on entend les bruits de ripaille et de bataille du XVème siècle, on respire ses odeurs de sueur et de merde, on sent presque la boue d’Azincourt nous coller sous les pieds et le poids de ses armures monstrueuses, censées transformer les cavaliers qui les portaient en tanks invincibles au risque de les réduire à des scarabées impotents, peser sur nos épaules.

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The Man in the High Castle ★★★★

1962. Grâce à la maîtrise de l’atome, le Troisième Reich a rayé de la carte Washington Dc et gagné la Seconde guerre mondiale. Les Etats-Unis, dûment aryanisés, sont désormais divisés en trois territoires. L’Allemagne occupe l’Est ; le Japon dirige l’Ouest ; une zone tampon sépare les deux protectorats. Tandis qu’Adolf Hitler se meurt, laissant augurer une succession délicate, les relations entre le Reich et l’Empire nippon se tendent au point de faire redouter un troisième conflit mondial.
À San Francisco, Juliana Crain (Alexa Davalos) rejoint la Résistance et réussit à infiltrer les cercles de pouvoir japonais. À New York, Joe Smith (Rufus Sewell), un ancien officier américain, gravit un à un les échelons de la SS, quitte à mettre en péril sa famille. Le destin de ces personnages va se croiser autour de mystérieux films qui circulent sous le manteau et qui révèlent l’impensable : l’Allemagne n’aurait pas gagné la guerre.

Le Maître du haut château est une série à grands moyens, produite par Ridley Scott, dont Amazon a abondamment fait la publicité pour renforcer l’attractivité de sa plateforme Prime Video. Elle a été diffusée en quatre saisons de dix épisodes chacune en 2015, 2016, 2018 et 2019.

La série est basée sur le livre de Philip K. Dick. Elle part du même point de départ : que se serait-il passé si Hitler avait gagné la guerre ? L’uchronie est folle. Elle est géniale. D’autres que Dick s’en sont saisis après lui : Robert Harris et son polar Fatherland par exemple.

Quand un livre est porté à l’écran , on le considère très souvent meilleur que son adaptation. Parce que ses lecteurs s’en étaient fait une image différente que celle que leur offre a posteriori son passage à l’écran. Parce que le livre contient des détails que le film, plus bref, ne restitue pas dans toute leur complexité.
Tel n’est pas le cas selon moi du Maître du haut château. J’ai conscience en l’affirmant d’émettre une opinion qui ne sera pas partagée par tous. Car Philip K. Dick est unanimement tenu comme l’un des plus grands auteurs de SF et que son livre est culte. Pourtant je dois avouer avoir préféré de beaucoup la série au livre.

Pourquoi ?
Parce que le livre, beaucoup trop court, se contente de lancer une idée, certes géniale (ce fameux « et si…. ? ») sans en tirer toutes les conséquences. D’ailleurs Philip K. Dick n’a pas réussi à y mettre un point final, s’essayant à plusieurs reprises sans jamais y parvenir à en écrire la suite. Son action se déroule presqu’exclusivement à San Francisco. L’admiration que voue Dick aux philosophies orientales y transpire : il y est question, dans de longs passages ésotériques peut-être écrits sous influence, du Yi King.

La série reprend ces éléments et les enrichit. On retrouve certes, comme dans le livre, les personnages de Juliana Crain, de Robert Childan, cet esthète qui tient une boutique d’antiquités américaines et qui rêverait d’être intégré à la haute société japonaise qu’il révère, de Frank Frink, un manœuvre qui s’associera à Childan pour fabriquer des faux bijoux….
Mais la série crée de toutes pièces les personnages de John Smith, de sa femme et de ses enfants et de l’inspecteur Kido, le chef de la Kempetaï japonaise dans les États du Pacifique. Il invente une Résistance qui n’existait pas dans le livre. Et – idée de génie – il remplace le livre du maître du haut château par une série de films que cet ancien projectionniste rassemble patiemment et diffuse clandestinement pour instiller l’esprit de révolte.

L’uchronie autour de laquelle la série comme le film sont construits est en elle-même très riche. On y voit une Californie sous occupation japonaise, un New York où la SS occupe un immense building sur l’East River et où les autorités du Reich vont dynamiter la Statue de la Liberté. On y voit aussi Berlin devenue la capitale du monde, métamorphosée par les travaux grandioses de Speer.

À cette uchronie, déjà très excitante, s’ajoute un second thème, typiquement dickien : l’existence d’univers parallèles. Les films que diffuse la Résistance en sont un indice : à côté de ce monde, qui a vu la victoire de l’Axe, existent d’autres mondes où l’Axe a été vaincu. Certains personnages ont la capacité de voyager d’un monde à l’autre. C’est le cas de Tagomi, un haut responsable japonais.
Cette voie est à peine esquissée dans le livre. La série, au contraire, en fait progressivement son sujet principal. La narration en est enrichie, qui multiplie les allers-retours entre les deux univers. Mais les personnages le sont tout autant, qui sont confrontés à des questions métaphysiques : sont-ils le résultat de leurs choix ? ou celui de leur destin ? À cette aune, le personnage le plus intéressant de la série est l’Obergruppenführer Smith, impeccablement interprété par Rufus Sewell qui donne à ce rôle de méchant qui aurait pu aisément verser dans la caricature une épaisseur troublante. Beaucoup moins ambigüe s’avère en revanche l’héroïne Juliana Crain dont la seule qualité semble être de survivre miraculeusement à toutes les péripéties dans lesquelles elle est impliquée.

La série a une dernière qualité. Elle se termine – même si son quarantième épisode n’est pas le meilleur. On a tellement vu de séries dont l’épilogue nous frustre d’un dénouement, pour laisser ouverte la possibilité d’une saison supplémentaire, qu’on apprécie pour une fois qu’une histoire ait un point final.

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Indianara ★☆☆☆

Indianara est une militante brésilienne transsexuelle. Elle se bat pour les droits des LGBT. Elle a fondé la Casa Nem qui accueille à Rio les plus démuni.e.s. Aude Chevalier-Beaumel, une documentariste française, l’a rencontrée en 2014 au Brésil. Elle l’a suivie pendant deux ans, durant la présidence de Michel Temer dont le gouvernement rogne sur le droit des minorités et au moment de la victoire de Jair Bolsonaro à l’élection présidentielle d’octobre 2018.

Présenté à l’ACID au Festival de Cannes en 2019, sorti en salles en novembre dernier, Indianara nous fait découvrir une égérie de la cause LGBT, quatre mois à peine après Bixa Travesty sur une autre figure brésilienne transgenre.

L’héroïne en impose, avec sa carrure massive, sa crinière blonde, sa détermination sans faille. On la suit à la Casa Nem, auprès de ses « sœurs » menacées d’éviction, dans des manifestations où elle est la première à se saisir du mégaphone pour entretenir la mémoire de tous les LGBT victimes de crimes odieux. Marielle Branco, la conseillère socialiste dont Indianara est la suppléante à la mairie de Rio, connaîtra d’ailleurs le même sort funeste. On la suit aussi chez elle où elle mène paradoxalement une existence paisible avec son mari Mauricio et ses chiens.

Le sujet est brûlant qui nous fait comprendre les menaces qui pèsent sur cette communauté discriminée dans un pays flirtant avec l’extrémisme. Mais, murée dans sa posture de « Marianne des transgenres », Indianara ne brise pas l’armure et ne nous émeut pas.

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Toute ressemblance… ★★☆☆

Depuis dix-huit ans, Cédric Saint Guérande alias CSG (Franck Dubosc) est le présentateur préféré des Français. Chaque soir, à vingt heures tapantes, il présente le journal télévisé. Il doit son succès et sa popularité à un mélange de talent, de charme, d’esbrouffe. Adulé par le public comme par sa concierge (Sylvie Testud), fidèlement secondé par son producteur (Jérôme Commandeur), tendrement aimé par sa femme (l’ancienne James Bond girl Caterina Murino), CSG est au firmament de sa gloire. Mais l’arrivée à la présidence de la chaîne de Julien Demaistre (Denis Podalydès), précédé d’une solide réputation de coupeur de têtes, menace sa toute-puissance.
Toute ressemblance avec des faits réels ne serait pas nécessairement fortuite

On a dit beaucoup de mal du film de Michel Denisot. « Caricatural et vulgaire » (Le Figaro), « affligeant » (Le Monde). Nous voilà prévenus : nous n’irons pas voir un chef d’oeuvre, tout au mieux une aimable pochade sur les petits secrets du monde de la télévision. Tant de tomates lancées sur l’un des plus célèbres animateurs de France nous inciteraient presqu’à l’indulgence. Son film mérite-t-il tant de fiel ?

Non. Toute ressemblance… ne mérite certainement pas quatre étoiles. Ni trois. Avec une indulgence coupable, on lui en mettra deux ; car c’est une gentille comédie qui se regardera volontiers un dimanche soir sur petit écran, ni meilleure ni pire que les feel-good movies qu’on y voit trop souvent.

Michel Denisot ne fait pas dans la dentelle en décrivant des stars du PAF obsédées par le pouvoir, l’argent, le sexe, le botox et la drogue. De journalisme, d’éthique du travail, il n’est guère question. Le parti pris est plus gaulois. Il n’empêche qu’il fait souvent mouche et qu’on découvre quelques scènes hilarantes que la bande-annonce n’avait pas déflorées.

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The Irishman ★☆☆☆

Frank Sheeran (1920-2003) a raconté sa vie dans un livre intitulé « J’ai tué Jimmy Hoffa » dans lequel il revendique l’assassinat en 1975 du chef des Teamsters américains. Le titre original de ces mémoires est moins tonitruant : « I Heard You Paint Houses ». Tels auraient été les premiers mots adressés par Hoffa à Sheeran. Il s’agissait moins de saluer ses talents de peintre en bâtiment que d’évoquer à demi mots sa profession de tueur à gages, l’expression renvoyant au sang de ses victimes giclant sur les murs des maisons où elles étaient exécutées.

Un Irlandais devenu italien. Le sujet est posé. Il est de ceux que Scorsese affectionne, qui constitua déjà la toile de fond de quelques uns de ses plus grands films : Les Affranchis, Casino, Les Infiltrés. Il opte pour un titre différent de celui, trop elliptique, du livre qu’il adapte : ce sera The Irishman, qui donne la vedette à Robert De Niro, son acteur fétiche, même s’il partage l’affiche  avec deux autres acteurs d’anthologie, Al Pacino (qui n’avait jamais tourné avec Scorsese) et Joe Pesci (un fidèle de la première heure), sans oublier Harvey Keitel qui tenait un rôle dans le tout premier film de Scorsese tourné en….1967.

Petits meurtres entre amis. Autant dire qu’on est entre vieilles connaissances septuagénaires. Autant dire que The Irishman a des airs intemporels de testament. Martin Scorsese aurait pu signer le même film, avec les mêmes personnages, le même scénario, il y a vingt ou trente ans, à l’époque glorieuse des Affranchis ou de Casino – qui, lui, comptait une figure féminine (ah ! Sharon Stone !) dont hélas The Irishman est dépourvu.

Le maestro prend son temps. The Irishman dure plus de trois heures et avance à un rythme de corbillard. Scorsese veut bien qu’on l’enterre ; mais la cérémonie se fera au tempo qu’il aura décidé ; et le tempo n’est pas prestissimo. Du coup, on s’ennuie un peu. La première heure est languissante, qui met en place un procédé qui mélange trois temporalités (les confessions de Sheeran racontées en flashback depuis une maison de retraite, une virée automobile en 1975 des couples Sheeran et Buffalino, la vie proprement dite de Sheeran depuis la fin de la Seconde guerre mondiale), dont on peine à comprendre l’architecture. Tout s’accélère avec l’entrée en scène de Jimmy Hoffa, campé par un Al Pacino toujours aussi ébouriffant, quels que soient les toupets qui le coiffent.

Martin Scorsese fait des infidélités aux salles obscures en sortant son film sur Netflix. Le procédé, venant d’un des monstres sacrés du septième art, peut surprendre. Scorsese sur Netflix ? Et puis quoi encore ? Gracq publié en poche ? Chostakovitch en replay sur NRJ ? Soulages exposé aux Quatre Temps ?
Le problème de cette modalité de diffusion est qu’elle m’a privé du recueillement et de la concentration que la salle impose. Devant un (petit) écran d’ordinateur, distrait par toutes les sollicitations de la vie quotidienne, je ne me suis pas plongé dans le film. J’en ai saucissonné le visionnage en trois épisodes. J’ai du coup eu l’impression de regarder une mauvaise mini-série. L’aurais je vu en salle trois heures de rang, je me serais peut-être forgé une toute autre opinion.

La bande-annonce

J’aimerais qu’il reste quelque chose ★☆☆☆

Les personnes qui le souhaitent peuvent déposer au Mémorial de la Shoah à Paris les archives personnelles des déportés juifs et de leurs familles. Des bénévoles les accueillent, les écoutent et prennent en dépôt les documents (photos, lettres, objets) qui leur sont confiés, les classent, les archivent.

Ludovic Cantais a travaillé en 2012 au Mémorial de la shoah à une exposition consacrée aux Enfants de la shoah. C’est là qu’a germé l’idée de ce reportage : filmer les personnes qui déposent des archives et filmer celles qui les reçoivent, comprendre les motivations des unes et des autres.

Le documentaire n’atteint qu’en partie son objectif. Sans doute voit-on et entend-on les témoignages souvent poignants de rescapés de la déportation – souvent très jeunes à l’époque des faits – ou de leurs descendants immédiats. La motivation de leur démarche : faire en sorte « qu’il reste quelque chose » de leurs souvenirs ou du souvenir de leurs proches décédés.

En revanche, on n’apprend pas grand-chose des bénévoles qui accueillent à Paris le public ou qui vont à leur rencontre en province. On constate leur immense patience face à la logorrhée désordonnée des déposants qui leur racontent des vies souvent tragiques et leur livrent dans le désordre des masses de documents. Mais on ne saura rien de leurs vies à eux et des motifs pour lesquels ils ont accepté bénévolement la responsabilité de cette tâche. Dommage…

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Knives and skin ★☆☆☆

Dans une petite ville sans histoire de l’Illinois, une jeune fille disparaît. Le garçon dont elle a repoussé les avances et qui est le dernier à l’avoir vue vivante est rongé par la culpabilité. Ses amies s’inquiètent pour elle. Sa mère, qui dirige la chorale du collège, perd vite pied.

Jennifer Reeder se revendique de David Lynch. Son Knives and Skin emprunte aux mêmes recettes que Twin Peaks : une disparition, une enquête policière, une bourgade assoupie et ses habitants plus ou moins chtarbés. Autre filiation assumée : Gregg Araki et ses apocalypses adolescentes (Totally F***ed Up, The Doom Generation, Nowhere). Pour donner à son film une touche psychédélique, elle a porté un soin particulier à l’image – saturée de violet, de magenta et de cyan – et à la musique – la chorale interprète sur un tempo lent et triste les tubes les plus sucrés des 80ies (Girls Just Want To Have Fun de Cindy Lauper, Birds Fly de The Icicle Works).

Hélas, la sauce ne prend pas. Le scénario se disperse entre trop de personnages : la mère folle, le clown dépressif, la copine lesbienne, le séduisant demi de mêlée, etc. Le sous-texte féministe n’imprime pas. L’interprétation est anonyme.  L’ultra-stylisation reste vaine. L’émotion ne perce jamais.

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Les Enfants d’Isadora ★☆☆☆

Isadora Duncan (1877-1927) est une danseuse américaine à laquelle on prête l’invention de la danse moderne libérant le corps du carcan imposé par le tutu et les pointes. Le 19 avril 1913, ses deux enfants, Deirdre, six ans, et Patrick, trois ans, ont trouvé la mort dans un accident de voiture. Isadora Duncan ne se remit jamais de ce drame qui lui inspira dix ans plus tard un solo déchirant intitulé La Mère sur la musique de Scriabine.
Il n’existe ni photo ni  enregistrement vidéo d’Isadora Duncan dansant La Mère.

Danseur de formation, le réalisateur Damien Manivel revient à ses premières amours après un détour par la fiction (Le Parc). Mi-fiction, mi-documentaire, Les Enfants d’Isadora suit quatre femmes parties à la rencontre de ce solo : une jeune danseuse (Agathe Bonitzer) qui déchiffre la partition en notation Leban au Centre national de la danse à Pantin avant d’en esquisser les premiers mouvements avec une grâce infinie, une professeure de danse (Marika Rizzi) et son élève trisomique (Manon Carpentier) qui en préparent la mise en scène, et une spectatrice anonyme (Elsa Wolliaston) qui assiste au spectacle monté par les deux précédentes, le visage raviné de larmes, et rentre chez elle le pas lourd à la nuit tombée.

Ainsi présenté, Les Enfants d’Isadora est à la fois poignant et beau. Ne lui en retirons pas le mérite. Mais, son rythme est si lent, son sujet si glaçant, la juxtaposition de ces trois histoires si pesante, que l’heure vingt quatre de film finit par s’étirer interminablement et que le charme n’opère plus.

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Sympathie pour le diable ★★☆☆

En 1992, l’ex-Yougoslavie est à feu et à sang. Sarajevo est en état de siège. La communauté internationale, impuissante, compte les morts. Quelques journalistes, parqués à l’hôtel Hilton, informent le monde au péril de leurs vies. Parmi eux, Paul Marchand, reporter freelance pour France Info, la RTBF, Radio Suisse romande et Radio Canada. Il a trente ans à peine, un cigare (cubain) cloué au bec, un bonnet de marin vissé sur le crâne. Son éthique intransigeante le force à rendre compte avec autant d’objectivité que possible d’une guerre fratricide. Sa sensibilité l’empêche de rester neutre dans un conflit qui s’éternise.

Paul Marchand est une figure du journalisme contemporain. Avant d’arriver en Bosnie, il avait couvert pendant près de huit ans la guerre au Liban. À Sarajevo, après dix huit mois de séjour, un sniper lui arrache le bras, l’obligeant à une retraite forcée. Paul Marchand se donnera la mort en 2009. Après avoir lu son livre Sympathie pour le diable publié en 1997, le canadien Guillaume de Fontenay l’avait rencontré. Il aurait pu réaliser un documentaire. Il choisit finalement une œuvre de fiction, très fidèle aux faits, qu’il est allé tourner, non sans difficultés, en plein hiver à Sarajevo.

Récemment, un film d’animation passé inaperçu et pourtant admirable avait pris un parti différent. Chris the Swiss racontait dans un noir et blanc expressionniste la vie de Christian Wurtemberg, un journaliste de guerre, son départ pour la Croatie en 1991 et sa mort en Slavonie dans des conditions restées obscures.

L’autre référence qui vient immédiatement à l’esprit, c’est bien sûr le récent Camille de Boris Lojkine sur la photographe française tuée en mai 2014 en République centrafricaine. Nina Meurisse y interprétait une jeune femme profondément empathique, curieuse, faisant ses premiers pas dans le journalisme de guerre, dévorée par le doute sur le sens de son métier. Niels Schneider campe tout le contraire : un professionnel pénétré par la haute idée qu’il se fait de lui-même et de sa tâche, refusant les concessions, péremptoire et souvent cassant. Bien sûr, son humanité perce, dans sa relation avec sa traductrice, la belle Ella Rumpf, dont il réussit à exfiltrer de Sarajevo l’oncle catarrheux. Mais son refus d’être aimable est tellement efficace que c’est son autoportrait qu’à la fin on peine à aimer.

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