Sweet Thing ★★☆☆

Deux enfants. Frère et sœur. Billie, l’aînée a quinze ans ; Nico, le cadet, onze à peine. Ils sont élevés à la dure par un père aimant mais alcoolique, incapable, malgré l’amour qu’il porte à ses enfants, de maîtriser sa violence. Leur mère a refait sa vie avec une brute et n’accepte qu’avec réticence de s’en occuper. Après une altercation plus dramatique que les précédentes, les deux enfants fuguent en compagnie d’un troisième, Malik.

Avec Sweet Thing, le réalisateur indépendant américain Alexandre Rockwell n’entend pas révolutionner le cinéma. L’histoire qu’il raconte – la résilience de gamins confrontés à des adultes toxiques – et la façon de la filmer – en 16mm dans un noir et blanc qui rappelle les premiers Spike Lee – n’ont rien de bien nouveau.

Mais faut-il à tout prix innover ? le cinéma et l’art en général sont-ils condamnés à une éternelle fuite en avant ? un film, parce qu’il reprendrait les recettes de films précédents, serait-il sans intérêt pour ce seul motif ? J’ai souvent tendance moi-même à le dire, reprochant un sujet « éculé », un traitement « sans originalité » et à verser dans un snobisme avant-gardiste. Par réaction à ce penchant condamnable, j’aurai vis-à-vis de Sweet Thing la réaction inverse : tout en reconnaissant son manque d’originalité et son sujet éculé, je saluerai la qualité de sa mise en scène, sa direction d’acteurs (Billie, Nico et leur mère sont interprétés par les propres enfants du réalisateur et par son épouse) et l’émotion que ce film simple et sincère suscite.

La bande-annonce

Moffie ★☆☆☆

L’action de Moffie se déroule en Afrique du sud en 1981, pendant l’apartheid. Le jeune Nicholas Van Der Swart doit y faire, comme tous les garçons de son âge, son service militaire. Après des classes particulièrement éprouvantes sous la férule d’un instructeur sadique, il est envoyé avec son peloton sur le front angolais où les forces sud-africaines combattent la guérilla de l’ANC.

« Moffie » est une insulte afrikaans pour désigner les homosexuels. Une fois cette précision faite, le double sujet du film s’éclaire : il s’agira de dénoncer à la fois le militarisme du régime de l’apartheid et son homophobie dans une sorte de « Full Metal Jacket queer » (l’expression, hélas, n’est pas de moi et j’en suis très jaloux).

Moffie est inspiré de l’autobiographie d’André Carl van der Merwe. Ses mémoires ont été publiées en 2006 – et n’ont pas, à ce jour, été traduites en France. On peut s’interroger un instant sur l’intérêt de les porter à l’écran en 2019. Sans doute l’histoire qu’elles racontent est-elle poignante. Mais quelle est son actualité aujourd’hui ?

Le second défaut de Moffie est de dérouler une histoire sans surprise. On sait d’avance les difficultés que le jeune Nicholas rencontrera, les brimades auxquelles il sera exposé, la charge d’homo-érotisme que ces corps jeunes et nus charrieront et les efforts surhumains qu’il devra déployer pour cacher son orientation.

La bande-annonce

À l’abordage ★★☆☆

Un soir d’été, sur les quais de Seine, Félix rencontre Alma. Ils dansent ensemble et passent la nuit enlacés dans un parc avant le réveil brutal d’Alma qui, le jour même, doit rejoindre sa famille dans la Drôme. Fou amoureux, Félix décide de la rejoindre sur le champ. Il embarque dans son voyage Chérif, son meilleur ami. Le duo sans le sou décide d’utiliser BlaBlaCar pour atteindre sa destination. Mais le courant passe mal avec leur chauffeur, Edouard. C’est le début pour les trois garçons d’une semaine pleine de surprises.

Guillaume Brac s’est fait connaître par plusieurs moyens ou longs métrages (Un monde sans femmes, Tonnerre, Contes de juillet, L’Île au trésor)  qui ont fait souffler un vent d’air frais dans le cinéma français au point d’en faire, avec Sébastien Betbeder, Antonin Peretjatko, Justine Triet et Thomas Salvador, l’un des réalisateurs emblématiques de la Nouvelle Nouvelle Vague française.

Il poursuit sa collaboration avec le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris et ses jeunes apprentis comédiens qu’il fait tourner dans un environnement qui rappelle celui de L’Île au trésor : une base de loisirs, en plein été. On a quitté la banlieue parisienne pour la Drôme. Le soleil y brille peut-être plus fort mais les corps en maillot de bain y circulent avec la même nonchalance.

Guillaume Brac y filme avec la même fluidité que Rohmer le ballet amoureux d’une demie douzaine de jeunes adultes, les emballements des uns, les hésitations des autres. Les dialogues frisent l’insignifiance, mais sont le paravent pudique de sentiments indicibles. Comme chez Rohmer, le film illustre une « morale » – même s’il ne boucle pas tous les arcs narratifs qu’il a ouverts : trouveront l’amour ceux qui ne le cherchaient pas et ne le trouveront pas nécessairement ceux qui le cherchaient à tout prix.

Les deux rôles principaux, ceux de Félix et de Chérif, sont tenus par deux jeunes acteurs d’origine camerounaise et sénégalaise. Ce n’est pas monnaie courante dans un cinéma accusé, à tort ou à raison, de reproduire des modèles dominants. Certaines critiques parlent d’un film sur les rapports de classes et de races et le réalisateur lui-même revendique étonnamment cette dimension-là. Je n’y ai rien vu de tel. Aucune référence au racisme ou à l’anti-racisme, à l’intégration républicaine ou à la différenciation identitaire dans le scénario. C’est au contraire l’invisibilité de ces peaux noires, jamais appréhendées comme telles, qui m’a frappé et séduit.

La bande-annonce

Onoda – 10 000 nuits dans la jungle ★★☆☆

Le jeune lieutenant Hirō Onoda, après une formation aux techniques de guérilla, est missionné aux Philippines, dans l’île de Lubang, fin 1944, pour y freiner l’inexorable avancée américaine. Refusant de se rendre à la réalité du cessez-le-feu, il poursuit le combat dans la jungle avec trois camarades. Il n’acceptera de déposer les armes que trente ans plus tard.

Le réalisateur français Arthur Harari n’a pas opté pour la facilité pour son deuxième film. Après être allé tourner un polar poisseux chez les diamantaires anversois, Diamant noir, il a pris le chemin de l’Extrême-Orient pour y raconter l’histoire d’un « soldat japonais restant » (les Américains utilisent l’expression plus ramassée et plus imagée de stragglers, traînards) ayant refusé la capitulation de 1945.

Onoda n’est pas un film de guerre même s’il en a l’apparence et même si la réalisation s’est donnée les moyens de tourner quelques plans ambitieux de bataille. C’est avant tout une plongée métaphysique dans la psyché d’un homme qui, pour laver une humiliation (il n’avait pas été jugé apte à rejoindre le rang des kamikazes), va s’enferrer dans une illusion jusqu’au-boutiste. Comment peut-on, aveuglé par une foi exacerbée dans une cause, pousser la déraison jusqu’à nier la réalité ? L’interrogation résonne étrangement avec l’actualité la plus brûlante, qu’il s’agisse des délires complotistes des antivax ou des sornettes trumpistes de l’autre côté de l’Atlantique.
Onoda raconte aussi l’histoire d’un quatuor soudé autour de son chef dans cette même folie, uni par une promiscuité qu’on imagine en même temps insupportable et nécessaire, source de conflits comme d’actes solidaires, sinon de tensions homo-érotiques.

Onoda dure 2h45. C’est le moins qu’il fallait pour raconter ces « 10.000 nuits dans la jungle », sous-titre inutilement racoleur de cette histoire à donner le vertige. Cette longueur hors normes était nécessaire, dira-t-on. Elle n’en est pas moins indigeste.

La bande-annonce

Kaamelott – Premier volet ☆☆☆☆

Après le départ en exil du roi Arthur (Alexandre Astier), le royaume de Logres est passé sous la coupe de Lancelot (Thomas Cousseau) qui gouverne avec l’aide de mercenaires saxons. Alzagar (Guillaume Gallienne), un chasseur de primes, retrouve la trace d’Arthur, le pourchasse, le capture et prend avec lui le chemin du royaume de Logres. L’annonce du retour du roi Arthur réveille la flamme de la résistance.

Le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont vu, entre 2005 et 2009 ou en replay, les 458 épisodes de la série Kaamelott et les autres. Les premiers se reconnaissent par quelques signes distinctifs : ils échangent, hilares, quelques répliques cultes et évoquent depuis dix ans l’adaptation au cinéma de leur série préférée. Ils se sont précipités en salles dès la sortie de ce Kaamelott, présenté comme le premier volet d’une trilogie. Ils y ont retrouvé avec un plaisir régressif les personnages et les situations de la série. Ils ont ri aux dialogues, toujours aussi mordants et joyeusement absurdes.

Quant aux autres… les autres ont d’abord longuement hésité à aller en salles. Comprendraient-ils quelque chose à une intrigue prise en cours de route – puisque l’action du film commence exactement là où la série s’achevait ? Leurs scrupules levés, ils se sont assis au milieu d’une foule conquise d’avance et prompte à se gausser dès les premières images. Ils s’y sont sentis bien seuls : rien de pire que de passer une séance coincé entre deux spectateurs proches de l’apoplexie alors que rien à l’écran ne fait rire.

Aux autres, on avait promis un spectacle aussi drôle que Monthy Python : Sacré Graal, aussi épique que Game of Thrones. Ils n’eurent ni l’un ni l’autre. Si Alexandre Astier copie les recettes éprouvées de la bande d’humoristes anglais, il ne fait jamais mouche. Pas une scène de Kaamelott ne m’a fait rire, alors que j’ai mal aux côtes au seul souvenir du film des Monthy Python. Quant au lyrisme de Game of Thrones, à supposer d’ailleurs qu’il compte au nombre des ambitions de Kaamelott, on repassera : là où les courtes vignettes de quelques minutes à peine de la série permettaient de multiplier les personnages et les intrigues, le long métrage nécessite un minimum d’unité à laquelle le film d’Alexandre Astier ne réussit pas à se conformer. Son intrigue devient bien maigre, d’autant qu’on a deviné par avance comment elle se conclura, et se révèle vite pour ce qu’elle est : un prétexte à des dialogues pas drôles.

La bande-annonce

Milla ★☆☆☆

Milla (Eliza Scanlen) a seize ans. Elle serait presque une collégienne comme les autres si elle n’était pas en phase terminael d’un cancer qui risque de l’achever. Fille unique, elle est choyée par son père (Ben Mendelsohn), un psychiatre, et par sa mère (Essie Davis), une ancienne pianiste professionnelle. Tout va mal dans la vie de Milla quand y déboule un toxicomane, Moses (Toby Wallace), la vingtaine déjà bien entamée, un chien fou, mis à la porte de chez lui par sa mère. Milla en tombe instantanément amoureuse et veut installer Moses chez elle au grand dam de ses parents. Moses sauvera-t-il Milla ou précipitera-t-il sa perte ?

La bande-annonce de Milla m’avait mis l’eau à la bouche. J’aime ces romances adolescentes follement passionnelles, ces héroïnes entières qui vivent avec une telle intensité leurs premières amours. Je les aime d’autant plus – est-ce le signe d’un sadisme criminel ? – qu’elles se terminent tragiquement comme dans 37°2 le matin, dans Love Story, dans West Side Story ou dans Nos étoiles contraires qui, à la plus grande honte de mes enfants, figure au nombre de mes livres et de mes films préférés.

Aussi le personnage de Milla m’apparaissait-il immédiatement intéressant, ses perruques multicolores avec lesquelles elle cachait un crane dénudé par l’effet des chimio et créait un peu de fantaisie dans une vie qui en manquait, son attirance hors de toute raison pour Moses, ce grand garçon dégingandé, maigre comme un clou, couvert de tatouages et de piercings, en un mot ce bad boy terriblement attirant.

J’ai été hélas déçu. Car le film de près de deux heures ne tient pas les promesses de sa bande-annonce. L’histoire de Milla ne révèle aucune surprise. La faute en revient, selon moi, à l’interprétation des deux jeunes acteurs, couverte pourtant d’éloges (Toby Wallace a obtenu le prix Marcello-Mastroianni du meilleur espoir), mais dépourvue à mes yeux de toute profondeur : la maladie de Milla, l’addiction de Moses sont l’un et l’autre jouées avec trop de détachement, trop de coolitude pour qu’on y croie vraiment. En revanche, Ben Mendelsohn et Essie Davis excellent dans les rôles des parents déboussolés.

La bande-annonce

True Mothers ★★☆☆

Satoko veut son enfant. Mais son mari est stérile. Après beaucoup d’hésitations, le couple envisage d’adopter. Il se rapproche de l’association Baby bâton, une association, basée près d’Hiroshima qui met en contact des jeunes mères incapables d’élever leur enfant et des parents incapables d’en concevoir. Parmi les pensionnaires de baby bâton figure Hikari, une jeune lycéenne de quatorze ans à peine, tombée enceinte de son tout premier flirt. Sa grossesse a été révélée trop tard, rendant l’avortement impossible. Ses parents, craignant le scandale, ont exigé qu’elle accouche discrètement et qu’elle abandonne son enfant pour reprendre le cours normal de sa vie.
Mais Hikari ne s’est jamais remise de cette décision, prise contre sa volonté. Six ans plus tard, alors que le jeune Asato grandit dans sa famille d’adoption qui le couve d’un amour oblatif, Hikari décide de retrouver et de récupérer son enfant.

Je ne suis pas un grand fan de Naomi Kawase, une réalisatrice japonaise pourtant internationalement reconnue, qui a, pour chacun de ses films, son carton déjà réservé à Cannes. Je ne partage pas l’enthousiasme unanime pour Les Délices de Tokyo que j’ai trouvé un peu gentillet : « C’est MasterChef à la sauce Paulo Coelho » écrivais-je caustiquement à sa sortie en 2016. J’ai un peu traîné les pieds pour aller voir ce True Mothers dont je craignais qu’il se borne à raconter une histoire cousue de fil blanc, dont la résolution était jouée d’avance dans son titre (le pluriel de True Mothers) : la tension entre deux amours maternelles, celui de la mère biologique et de la mère d’adoption.

Je n’ai hélas guère été étonné. Comme je le craignais, l’histoire que j’avais imaginée s’est déroulée sous mes yeux, sans surprise. Mais, il faut reconnaître à Naomi Kawase le talent de la raconter avec beaucoup de sensibilité et d’intelligence. Élevée par sa grand-tante et son mari, après avoir été abandonnée à sa naissance par sa mère, elle a sans doute mis beaucoup d’elle même dans un sujet qui la touchait de si près. Elle utilise un procédé sans doute un peu artificiel, mais diablement efficace : une narration fragmentée qui joue à saute-mouton avec les temporalités, passant sans crier gare d’un personnage à l’autre (les amours adolescentes de Hikari d’une part et le drame de l’infertilité du couple que forment Satoko et son mari d’autre part constituent deux histoires indépendantes qui auraient pu, à elles seules, constituer la trame d’un film) et d’une époque à l’autre. Pour mettre cette savante architecture en place, Naomi Kawase prend son temps : True Mothers dure 2h20. Mais ce sont 2h20 qu’on ne voit pas passer tant le film est attachant.

La bande-annonce

Les Sorcières de l’Orient ★☆☆☆

L’équipe nationale japonaise de volley-ball a enchaîné dans les années soixante un nombre incroyable de victoires. Elle remporta les championnats du monde à Moscou en 1962 face aux Soviétiques, vainqueures des trois éditions précédentes et entourées d’une auréole d’invincibilité. Surtout elles décrochèrent la médaille d’or aux Jeux olympiques de Tokyo en 1964, des Jeux qui devaient signer le retour du Japon dans le concert des nations. Ses joueuses avaient été surnommées « les sorcières de l’Orient » par un journal soviétique.

Le Français Julien Faraut, responsable de l’iconothèque de l’INSEP, avait déjà utilisé le fonds d’archives de l’Institut du bois de Vincennes pour son premier documentaire consacré à John McEnroe : L’Empire de la perfection. C’est là qu’il a trouvé des enregistrements des entraînements des volleyeuses japonaises et qu’a germé le projet de ce documentaire. Il est allé au Japon à la recherche des survivantes et a filmé leurs témoignages.

En découvrant ces images, Julien Faraut s’est souvenu des mangas japonais des années soixante-dix que les exploits des volleyeuses avaient inspirées. Il a eu l’idée de construire son film à travers ces similitudes en montant ensemble des images d’archives des joueuses et des extraits de ces dessins animés. Le procédé est original sinon inédit. Mais il m’a laissé un sentiment mitigé. Je n’ai pas compris ce que cette mise en parallèle apportait à l’histoire.

Les Sorcières de l’Orient raconte l’entraînement stakhanoviste auquel étaient soumises les joueuses. Réveillées aux aurores, elles partaient travailler en usine le matin et s’entraînaient l’après-midi jusque tard dans la nuit. Un homme dirigeait les entraînements et leur imposait une discipline de fer qui passerait aujourd’hui pour du harcèlement moral et physique. Certaines images sont d’ailleurs particulièrement frappantes. Mais les joueuses, qui sont aujourd’hui d’élégantes retraitées, sont unanimes à considérer que cette ascèse fut la clé de leur réussite, à oublier leurs souffrances et à ne retenir que la joie et la fierté de leurs victoires.

Le volley-ball est-il moins télégénique que le tennis ? Peut-être. Toujours est-il que j’ai trouvé les images des matchs de la sélection japonaise médiocrement enthousiasmants. Et la façon de les monter moins prenante que celle qu’avait eue Julien Faraut dans son précédent documentaire de nous faire vibrer sur les jeux décisifs livrés par McEnroe.

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The Sparks Brothers ★★☆☆

Je n’avais jamais entendu parler de Sparks avant Annette et de voir Russell Mael, le chanteur du groupe, recevoir, en lieu et place de Leos Carax, le prix de la mise en scène du festival de Cannes.

Pourtant les deux frères Mael, Russell, le chanteur, chouchou de ces dames, et Ron, le claviériste moustachu pince-sans-rire, se produisent depuis près de cinquante ans. Inoxydables, ils ont traversé toutes les époques, du rock à la pop en passant par la new wave et l’electro (le style de leur single le plus connu When I’m with you sorti en 1980). S’ils n’ont jamais atteint la célébrité des Beatles ou des Stones, ils ont durablement influencé beaucoup de chanteurs contemporains (d’où le sous-titre qu’on lit au pied de l’affiche : « Le Groupe préféré de votre groupe préféré »).

Edgar Wright, réalisateur britannique éclectique (Shaun of the Dead, Hot Fuzz, Baby Driver) et fan de la première heure, leur consacre ce long documentaire. Il y raconte méticuleusement leur vie, commentant chaque album, l’un après l’autre. L’énumération est longue : Sparks en a sorti vingt-cinq. Et l’académisme de la mise en scène, alternant des images d’archives (au nombre desquelles on découvre avec surprise certaines de la télévision française) ne rend pas honneur à l’originalité de la musique de ce groupe à nul autre pareil. Au bout de deux heures quinze, une durée anormalement obèse pour un documentaire de ce style, l’ennui guette. Mais la curiosité qu’inspire ce duo bizarre maintient néanmoins l’intérêt.

On ne peut en effet s’empêcher de le trouver sympathique. C’est leur ténacité qui suscite le plus l’admiration. À la différence de tant de groupes qui ont atteint la gloire avant de sombrer dans l’oubli, de se déchirer et de se séparer, les deux frères Mael, réunis par on-ne-sait-quel lien ombilical, sont restés fidèles à eux mêmes et l’un à l’autre. Loin de reproduire sans cesse les mêmes formules, ils n’ont eu de cesse de se réinventer, au risque souvent de déboussoler leurs fans. Telles deux marionnettes du Muppet Show, on les voit avec émotion, à soixante-dix ans bien sonnés, continuer à travailler inlassablement chaque jour dans leur villa californienne, assis l’un à côté de l’autre, Ron devant son clavier, Russell devant son ordinateur.

The Sparks Brothers ne nous dit rien de leurs vies privées. On ne saura pas dans quelle famille ils ont grandi, avec quelles femmes ils ont vécu (car Ron et Russell sont hétérosexuels contrairement à l’image qu’ils donnent volontiers). Cette occultation frustre le spectateur en mal de transparence, qui aurait aimé connaître tous les petits ragots de leurs vies. Mais elle participe aussi d’un projet et d’une éthique : conserver une part de mystère.

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La Loi de Téhéran ★★★☆

Le commandant Samad Majidi (Payman Maadi, l’acteur fétiche des premiers films de Ashgar Farhadi), dirige une unité de la brigade des stupéfiants de Téhéran. Il n’a qu’une obsession : coincer Nasser Khakzad (Navid Mohammadzadeh), un caïd de la drogue. Pour y parvenir, il ordonne le ratissage des bas-fonds de Téhéran où croupit une foule hagarde de toxicos. Il espère remonter une filière en arrêtant et en harcelant des intermédiaires : revendeurs, mules, dealers….

Plus de deux ans après sa sortie en Iran et sa projection à la Mostra de Venise, La Loi de Téhéran arrive enfin sur nos écrans précédé d’une réputation flatteuse. Sa renommée n’est pas usurpée. La Loi de Téhéran est un film fort, qui laisse une marque durable sur un public K.O. debout.

Son histoire fait fond sur une situation sociale qui fait froid dans le dos. L’Iran est devenu un pays de toxicos. Just 6.5 est son titre anglais : « à peine » 6.5 [millions] de toxicomanes sont recensés dans la République islamique d’Iran, une faune aux marges de la loi que la caméra virtuose de Saeed Roustayi (trente ans à peine) filme comme une armée de zombies. Deux scènes sont particulièrement impressionnantes : celle du début du film figure sur l’affiche – très moche – et dans la bande annonce ; je vous laisse découvrir le dernier plan du film, tout aussi marquant.

Sur cette toile de fond documentaire, La Loi de Téhéran confronte très traditionnellement un flic obsessionnel et un gros bonnet. La première partie du film est la plus réussie qui raconte la traque du trafiquant. On y croisera notamment trois mules inoubliables, dont on se demande si elles ont été déguisées de postiches ou si les corps qu’on nous montre sont bien les leurs. J’ai moins aimé la seconde moitié du film dont je n’ai pas toujours compris certains rebondissements.

La Loi de Téhéran est mené tambour battant, à un train d’enfer, qui ne laisse pas une minute de répit au spectateur. La tête sous l’eau, il est pris en otage par ce film de plus de deux heures. On ne connaît pas assez bien le tout-venant de la production cinématographique iranienne pour savoir si ce polar nerveux en est représentatif ou s’il est la marque d’un jeune réalisateur de génie dont on attend impatiemment le film suivant.

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