Rapaces ★★☆☆

Samuel (Sami Boudjila) est reporter pour Détective, un hebdomadaire spécialisé dans le fait divers, dirigé d’une main de fer par Elizabeth (Andréa Bescond) que ses collègues, Christian (Jean-Pierre Darroussin), Solveig (Valérie Donzelli) et Aubin (Stéfan Crépon), ont surnommée ironiquement maman. Avec sa fille Ava (Mallory Wannecque), étudiante en journalisme recrutée comme stagiaire à la rédaction, il est missionné dans le Nord pour couvrir un féminicide. Son reportage le conduit sur la piste d’une bande de dangereux CBistes masculinistes.

La débauche de publicité qui accompagne la sortie de ce petit film français a de quoi surprendre. Ses distributeurs espèrent avoir le même succès que La Nuit du 12, un polar sans tête d’affiche sur les violences faites aux femmes, qui a remporté en 2022 un succès inattendu public (500.000 entrées) et critique (six César dont celui du meilleur film).

Il y a loin de la coupe aux lèvres. Rapaces n’arrive pas à la cheville de La Nuit du 12. La faute à un scénario mal écrit qui se perd dans des histoires secondaires sans intérêt : qu’apportent le personnage interprété par Jean-Pierre Darroussin – aussi grande que soit la vénération qu’on voue à cet acteur impeccable – et sa mission à Chambéry sur les traces de deux jumelles dont on a tôt fait de se désintéresser ?
La faute aussi à un casting bancal. Sami Bouajila joue le personnage principal. C’est un acteur honnête. Mais il souffre d’un handicap dirimant : chacune de ses apparitions fait regretter l’absence de Roschdy Zem, qui le dépasse sur tous les tableaux. Quant à Mallory Wanecque, star montante, marchant sur les traces d’Adèle Exarchopoulos voire d’Isabelle Adjani, révélée dans Les Pires (je disais d’elle qu’elle y était « belle comme un cœur, affolante Lolita d’une sensualité alarmante ») et consacrée par L’Amour ouf, elle est trop sexy, trop maquillée, pour être crédible dans un rôle qui requérait plus de cerveau et moins de poitrine.

Au bout d’une heure, je pensais que les jeux étaient faits et que Rapaces ne valait décidément pas bézef. Quand, soudain, l’histoire m’a cloué dans un restoroute au milieu des champs (de houblon ?) dans une scène haletante, l’une des meilleures qu’il m’ait été donné de voir récemment. La scène dure une quinzaine de minutes, déséquilibre le film, mais lui donne une saveur dont sans elle il aurait été cruellement dépourvu.

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Fragments d’un parcours amoureux ★★★☆

Chloé Barreau est née en 1976. Elle a documenté ses relations amoureuses, conservant photos, lettres et vidéos. Elle a demandé à douze de ses ex, homme ou femme, de raconter leur histoire.

Fragments d’un parcours amoureux est un documentaire profondément original et extrêmement séduisant. Sa réalisatrice y réussit en même temps à être narcissique et modeste.

Sans doute pourrait-on lui reprocher son germanopratisme ou, pour être plus exact, son quartier-latinisme : Chloé Barreau a grandi dans le Quartier Latin, en a fréquenté les meilleurs établissements (Henri-IV, Fénelon, la Sorbonne) avant de s’expatrier en Italie. Parmi ses ex, on compte plusieurs personnalités connues : l’actrice Anna Mouglalis, l’écrivaine Anne Berest, la réalisatrice Rebecca Zlotowski…

Sans doute pourrait-on aussi lui reprocher d’être furieusement dans l’air du temps, avec la bisexualité polyamoureuse de son héroïne et l’empathie si kawai dont ses ex font preuve envers elle.

On ne se sait pas trop si son titre, allusion à peine masquée à l’essai de Roland Barthes, doit être mis à son actif ou à son passif, qui en rajoute, si besoin en était, dans l’élitisme de son propos.

Pour autant, il faut reconnaître à Chloé Barreau un sacré culot pour avoir conçu ce dispositif original, qui alterne donc des interviews face caméra avec des bouts d’archives. Comme une roue dont le moyeu resterait invisible, la réalisatrice est à la fois absente et présente.

Elle n’apparaît quasiment pas à l’écran, sinon dans le coin d’une photographie ou comme destinatrice d’une lettre. Ce n’est pas elle qui a mené les interviews de ces ex, mais une tierce personne, la journaliste Astrid Desmousseaux. Quand on l’évoque, c’est à la troisième personne qu’on parle d’elle. Elle s’est même interdit de répondre aux reproches, pas toujours aimables, qui lui sont adressés. C’est à un procès in abstentia qu’on assiste, qui confine parfois à l’éloge funèbre et nous fait nous demander, si on ne s’est pas renseigné auparavant, si sa principale protagoniste n’est pas décédée.

Et pourtant bien sûr, aussi invisible soit-elle, tout tourne autour d’elle, de son romantisme exacerbé, de son attirance pour les hommes comme pour les femmes, sans considération de genre, dès lors que l’attirance est là, de son goût immodéré pour la passion amoureuse, de ses emballements aussi flamboyants que ses ruptures sont douloureuses….

Fragments fait l’autoportrait en creux de sa réalisatrice, amoureuse de l’amour et moins volage qu’il n’y paraît. Elle raconte aussi une époque et un milieu et possède, à ce titre, une valeur historique et sociologique. Elle raconte une jeunesse parisienne ultra-privilégiée, cultivée, connectée, à laquelle jamais ne se pose semble-t-il la question du travail, du salaire, de la place à trouver dans la société. Son seul loisir semble être de vivre ses amours le plus pleinement, le plus intensément possible. Elle raconte aussi une bi- ou plutôt une pan-sexualité décomplexée, débarrassée de toute stigmatisation comme de toute revendication identitaire. Elle raconte finalement surtout, comme Barthes en son temps, une nouvelle façon d’être amoureux, pas nécessairement sexualisée (on peut s’aimer sans coucher), pas nécessairement exclusive (même si les blessures d’amour naissent souvent de la découverte d’un.e concurrent.e), pas nécessairement hétéronormée.

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Ange ★☆☆☆

Ange (Arthur H.) est musicologue. Il accumule des témoignages de la musique tzigane : des enregistrements, des partitions, des ouvrages d’art… Dans son van orange, transformé en salon de musique, il traverse la France du nord au sud pour retrouver Marco (Mathieu Amalric) et solder avec lui une vieille dette. Solea (Suzanne Aubert), une fille en mal de père, l’accompagne.

La septantaine bien entamée, Tony Gatlif tourne des films depuis un demi-siècle. Il s’est trouvé une vocation qu’il n’a jamais reniée : être l’ambassadeur des Gitans, témoigner de leur histoire invisibilisée, exalter la richesse de leur culture. Avec Gadjo Dilo, en 1998, il livre son œuvre la plus accomplie. Depuis lors, son cinéma a tendance à bégayer, répétant ad libitum les mêmes motifs.

Ange encourt les mêmes critiques. Son scénario en forme de road movie n’est qu’un prétexte à un long clip vidéo consacré à la musique gitane. Il revendique d’ailleurs sa part de surréalisme : le van Mercedes d’Ange croise des trios et des quatuors qui se produisent sur le bord de la route, au milieu de nulle part comme sur l’affiche du film. Il sert aussi de prétexte à distiller quelques aphorismes aussi édifiants qu’ampoulés sur la condition tzigane, son amour irréductible de la liberté, les persécutions que la communauté s’est attirées.

Arthur H., le fils de Jacques Higelin, y tient le haut de l’affiche. Sa silhouette dégingandée, le galurin vissé sur le crâne, le gilet noir forment un personnage très crédible. En revanche, je ne supporte plus Mathieu Amalric, qui fait une courte apparition dans le dernier quart du film, ses yeux hallucinés, sa diction grandiloquente.

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Différente ★★★☆

Katia (Jehnny Beth) a toujours été « différente ». Mais à trente ans passés, elle n’avait toujours pas mis un mot sur cette différence avant de découvrir, à sa grande surprise, au hasard de l’enquête que le journal où elle travaille comme documentaliste lui a confiée, qu’elle coche toutes les cases de l’autisme.

Près d’un million de Français souffriraient de troubles du spectre de l’autisme (TSA), l’appellation désormais reconnue pour englober tous les troubles comportementaux, plus ou moins graves, chez l’enfant comme chez l’adulte, qui altèrent la communication et les interactions sociales. Le diagnostic en est souvent malaisé, oscillant entre le trop et le pas assez.

Lola Doillon courait le risque de réaliser un film-dossier de l’écran, un film tout entier consacré à un sujet, ici l’autisme et son diagnostic tardif. Elle ne l’évite pas tout à fait en passant par tous les passages obligés et attendus : autisme et travail, autisme et famille, autisme et relations sociales…

Lola Doillon contourne toutefois en partie cet écueil en prenant son sujet à l’envers. Différente évoque autant l’autisme que la façon de vivre une histoire d’amour compliquée, comme le montre d’ailleurs l’affiche du film. La relation entre Katia et Fred est en effet au centre du film. C’est son évolution et ses rebondissements qui font avancer l’histoire et maintiennent l’attention. Katia et Fred s’aiment passionnément ; mais la condition de Katia rend leur relation impossible. S’installe un (petit) suspense : l’amour de Fred pour Katia sera-t-il suffisamment fort pour venir à bout de ce qui y fait obstacle ?

Le film est servi par son casting. Lola Doillon n’a pas choisi des stars. Jehnny Beth, dans le rôle principal, peut donner l’impression, dans les premières scènes, de surjouer les affections de son personnage, sursautant craintivement à chaque interaction, à chaque bruit inattendu. Mais la sincérité de son jeu réussit à nous convaincre. Thibaut Evrard avait la tâche plus facile, dans le rôle du bon bougre aimant mais dépassé.

J’ai lu des critiques acides, reprochant à Différente son classicisme et son didactisme. Je les ai trouvées bien sévères. Loin des caricatures à la Rain Man, Différente donne des TSA une image autrement authentique. Et il le fait dans un film qui, sans être larmoyant, m’a profondément touché. Que demander de plus ?

PS : Différente a été tourné à Nantes et j’ai cru reconnaître le même immeuble et la même cage d’escalier que ceux qu’on voit dans L’Attachement qui y a été tourné aussi je crois

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13 jours, 13 nuits ★☆☆☆

En août 2021, les Américains abandonnent l’Afghanistan aux Talibans. La France lance l’opération Apagan pour fermer son ambassade, rapatrier son personnel diplomatique et consulaire et avec lui plusieurs milliers d’Afghans persécutés par le régime.

Commandant de police, attaché de sécurité de police adjoint à l’ambassade de France en Afghanistan, à quelques semaines de la retraite, Mohamed Bida a raconté les treize jours qui ont séparé l’annonce du départ des forces américaines d’Afghanisatn et son décollage de l’aéroport de Kaboul dans un livre autobiographique. Avec un groupe de policiers du RAID et en lien avec l’ambasadeur de France, mon ami David Martinon, replié à l’aéroport international, il a accueilli à l’ambassade plusieurs centaines de réfugiés afghans titulaires d’un visa pour la France. Fils de harki, il tenait à les protéger et à les évacuer. Les hélicoptères ayant subi des tirs d’artillerie, la voie aérienne leur était fermée pour quitter l’ambassade. Mohamed Bida et ses hommes ont dû affréter des bus et négocier avec les talibans qui contrôlaient les rues un accord pour autoriser leur transit jusqu’à l’aéroport. Arrivés sur place, il a pendant dix jours encore, sur instructions de Paris identifié, accueilli et exfiltré plusieurs centaines d’Afghans qui cherchaient à fuir le régime.

C’est cette histoire vécue que Martin Bourboulon, le réalisateur à succès de comédies grand public (Papa ou Maman) et de films historiques (Eiffel, Les Trois Mousquetaires), a reconstitué au Maroc, faute de pouvoir tourner en Afghanistan. Pour interpréter le rôle du commandant Bida, il a fait le bon choix avec Roschdy Zem qui lui insuffle ce mélange parfait d’hyper-virilité et d’humanité. Pour le rôle de l’interprète masculin qui a accompagné Bida dans ses négociations, il a fait le choix plus discutable d’une actrice. Et pour faire bonne mesure, il a inventé de toutes pièces une journaliste courageuse, jouée par Sidse Babett Knudsen (Borgen, L’Hermine, La Fille de Brest).

Le résultat a des airs de blockbuster américain. Il en a surtout les défauts : des scènes d’action paroxystiques dont on sait par avance l’issue heureuse, rien sur la guerre en Afghanistan, les ressorts du retrait américain, l’offensive éclair des talibans ou le régime théocratique qu’ils mettent en place, rien non plus sur les personnages réduits à des caricatures.

PS : Cette affiche vous en rappelle-t-elle une autre ?

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Au rythme de Vera ★★★☆

Vera Brandes a dix-huit ans à peine et un toupet fou. Rien ne lui résiste, sauf peut-être son père, un dentiste installé qui se désespère qu’elle soit moins assidue à ses cours au lycée qu’aux concerts de jazz qu’elle fréquente assidûment. Vera s’est improvisée impresario. Et, par un hasard de circonstances, c’est à elle qu’échoit la responsabilité d’accueillir le pianiste Keith Jarrett à Cologne en janvier 1975 pour l’organisation d’un concert voué à entrer dans la légende.

Au rythme de Vera est la traduction française insipide de Köln 75. Le titre allemand fait écho à plusieurs séries allemandes : Berlin 56 et sa suite Berlin 59, Deutschland 83 et ses suites Deutschland 86 et Deutschland 89. Comme elles, c’est un film historique qui ressuscite une époque : celle de Fassbinder et des années 70 où la sage RFA étouffait à force d’expier les crimes de ses pères. Il focalise le film sur l’événement qui en constitue le moyeu : le concert mythique donné par Keith Jarrett, improvisateur de génie, à l’opéra de Cologne en 1975.

C’est d’ailleurs cet argument-là qui m’a conduit à voir ce film. Comme tous les amateurs de jazz qui connaissent mal le jazz, je place Keith Jarrett et son Köln Concert au sommet de mon panthéon.

Or, c’est Vera qui est au centre du film. La vraie Vera Brandes aujourd’hui sexagénaire a d’ailleurs participé à l’écriture du scénario. C’est une fille portée par une énergie folle, qui rappelle l’héroïne de Cours, Lola, cours (encore une traduction d’une rare élégance !), toujours en mouvement. Dans la même tenue, tellement seventies, que celle qu’on voit sur l’affiche, elle passera la soirée du 24 janvier 1975 à courir pour parer au plus pressé : trouver un piano, convaincre le pianiste, épuisé par plusieurs jours de tournée et paralysé par une lombalgie, de monter sur scène….

On le sait par avance : Keith Jarrett montera sur scène, dût-il jouer sur un piano d’étude fatigué dont il n’aimait pas les aigus, ce qui le conduisit à se cantonner dans un registre plus grave qu’à son habitude. Le concert tant attendu par les protagonistes comme par les spectateurs marquera la fin du film. La façon dont le réalisateur Ido Fulk le filme est maligne.

Noyé dans une programmation qui le condamne à l’invisibilité, Au rythme de Vera risque de passer inaperçu. Ne le ratez pas !

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Another End ★★★☆

Sal (Gael Garcia Bernal) ne parvient pas à se remettre du chagrin causé par la mort de sa compagne, Zoé, dans un accident de voiture. Sa sœur, Ebe (Bérénice Bejo), le convainc de recourir aux services de la société Aeterna où elle travaille. Pour rendre le deuil moins douloureux, cette société propose à ses clients de réimplanter temporairement la personnalité et les souvenirs de l’Absent dans le corps d’un Hôte.

Another End baigne dans un climat étrange. C’est un film cosmopolite : son réalisateur est italien, ses acteurs sont mexicain, norvégien, français et britannique et on reconnaît les décors nocturnes et futuristes du quartier de La Défense près de Paris.

Mais son climat étrange, Another End le doit d’abord à son scénario original qu’on croirait sorti d’un épisode de Black Mirror (notamment Be Right Back, le premier épisode de la deuxième saison). L’écueil qui guette ce genre de films est de ne savoir que faire d’un postulat génial de départ : une histoire d’amour avec une voix artificielle dans Her, la duplication des « consommables » dans Mickey 17

Another End évite cet écueil. Il y réussit doublement. D’une part en proposant une réflexion profondément philosophique sur le deuil et l’attachement (qui était déjà au cœur du précédent film de Piero Messina L’Attente). D’autre part, en racontant une histoire avec un début, un milieu et une fin. Grâce à Ebe, Sal ressuscite Zoe. Mais Zoe lui revient dans une enveloppe corporelle qui n’est pas la sienne. Sal en est déconcerté. Le temps qu’il s’habitue à la nouvelle Zoé, il lui faut respecter le protocole imposé par Aeterna et se préparer à s’en séparer à nouveau.

Je n’en dirais pas plus pour ne pas divulgâcher la fin du film. Je lis ici et là qu’elle est alambiquée et décevante. Je l’ai au contraire trouvée bluffante, la pressentant peu à peu sans l’imaginer possible.

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Loveable ★★☆☆

Maria et Sigmund se sont passionnément aimés. Mais sept ans et deux enfants plus tard, le couple est usé. Maria peine à assumer seule les charges du foyer ; Sigmund tolère de moins en moins les brusques accès de colère de Maria. C’est lui qui prend l’initiative de rompre. Maria ne le supporte pas.

Loveable est un film sur le désamour (un terme qui fut à la mode il y a une dizaine d’années avant de l’être moins). Ses dix premières minutes décrivent le coup de foudre entre Maria et Sigmund. Elles sont euphorisantes. Mais le reste du film qui s’inscrit dans un tout autre registre est plus plombant.

Loveable raconte l’histoire du point de vue de Maria qui étouffe de colère et éclate de chagrin. Le film touche un nerf sensible en montrant ce que nous avons tous plus ou moins vécu un jour ou l’autre, homme ou femme, et qui nous a laissé.e brisé.e : une rupture amoureuse, le vide qu’elle crée, l’immense amertume qu’elle occasionne. Cette amertume peut prendre deux formes : la haine (il/elle m’a quitté.e parce qu’il/elle ne me méritait pas) ou l’auto-dénigrement (il/elle m’a quitté.e parce que je ne le.la méritais pas). C’est cette seconde branche qui est ici, fort intelligemment creusée : l’histoire de Loveable est celle de Maria qui se demande si elle est ou non « aimable ».

Ainsi posé, ce film norvégien signé par une réalisatrice d’origine islandaise est évidemment stimulant. Mais hélas, son traitement est tellement mal aimable que l’expérience s’avère traumatisante. Loveable est un feel-bad movie. J’ai trop souvent dit la suspicion que m’inspirent les feel-good movies, j’ai trop souvent écrit que le rôle du cinéma ne se limitait certainement pas à nous faire sentir bien pour m’en plaindre. Mais il y a des limites au masochisme…

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Amélie et la métaphysique des tubes ★★★☆

Ce film d’animation est l’adaptation du roman bien connu d’Amélie Nothomb, la célèbre écrivaine belge, qui y raconte sa petite enfance au Japon.

Le roman sorti en 2000 passait pour inadaptable. Car, comme son titre intimidant et passablement incompréhensible l’annonçait, il racontait une histoire difficile à mettre en image : l’égocentrisme radical et le sentiment d’omnipotence du nourrisson.

Le film co-réalisé par Maïlys Vallade et Lione-cho Han, produit par mon ami Henri Magalon, y parvient pourtant admirablement dans ses premières minutes. Les suivantes nous plongent dans un cadre édénique, une sorte de paradis perdu qui servira d’écrin aux premières années de la vie de la jeune Fabienne – qui prendra Amélie comme (pré) nom de plume : le Japon du Kansaï où son père était à l’époque consul général de Belgique.

Tout se passe autour de la maison des Nothomb : le père, diplomate donc, la mère, pianiste, le frère aîné, André, qui martyrise sa benjamine, et la sœur aînée, Juliette. La maison compte un membre de plus : la nounou, Nishio san, avec laquelle l’enfant développera une relation symbiotique qu’elle évoquera dans plusieurs de ses livres. Pour corser cet environnement un peu fade, les scénaristes ont inventé un autre personnage secondaire, dont je ne suis plus sûr qu’il figurât dans le roman : celui de la propriétaire, veuve de guerre inconsolée et xénophobe sur le chemin de la rédemption.

Projeté en sélection officielle (hors compétition) au festival de Cannes, grand prix du jury au festival d’Annecy, Amélie et la métaphysique des tubes possède deux atouts qui enthousiasmeront petits et grands : une animation féérique, haute en couleurs, et une musique spécialement composée pour l’occasion par Mari Fukuhara, qui fusionne les sonorités asiatiques et occidentales.

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Peacock ★★☆☆

Matthias travaille pour MyCompanion, une société de service qui loue le compagnon idéal. Il accompagne une vieille dame qui veut parader à l’opéra, se fait passer pour un pilote d’avion auprès des camarades d’école d’un orphelin, sert de répétiteur à une femme qui hésite à se séparer de son mari… Mais à force de se glisser avec talent dans la peau des autres, Matthias est en train de perdre pied. Sa femme lui reproche d’être devenu une enveloppe vide.

Peacock nous vient d’Autriche. Il m’a rappelé les films glaçants d’Ulrich Seidl (Sparta, Rimini) ou de Jessica Hausner. Les critiques évoquent à son sujet Her de Spike Jonze dont le héros , interprété par Joaquin Phoenix, retrouvait goût à la vie au contact d’une intelligence artificielle sensuelle. Nous sommes dans la même dystopie, pas si futuriste, puisque des agences de location du même genre existeraient déjà au Japon.

Peacock nous donne à voir plusieurs situations dans lesquelles le recours à un compagnon de location s’avère utile ou au contraire désastreux. À accumuler les saynètes, il aurait couru le risque du film à sketches. Aussi suit-il un autre fil rouge : celui de la personnalité de Matthias qui, justement, n’en a plus à force d’emprunter celles des autres.

Cette perspective-là s’avère en fait décevante. Car elle se réduit à une alternative binaire : Matthias réussira-t-il à retrouver en lui l’élan vital qui semble l’avoir abandonné et, en rejetant un métier qui l’asservit, à recouvrer son identité ? La réponse, qui ne fait guère de doute, survient à l’issue d’une scène qui rappelle The Square de Ruben Östlund et qui est presque aussi malaisante.

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