Demain ★★☆☆


Demain explore en cinq chapitres les solutions possibles à la crise écologique : alimentation, énergie, économie, démocratie, éducation.

Ce documentaire optimiste a d’abord suscité chez moi l’irritation : trop de bons sentiments, trop de manichéisme, trop de simplifications. Et surtout un gros ras-le-bol contre l’idéologie à la mode qui jette le bébé avec l’eau du bain, voue aux gémonies le capitalisme libéral au motif qu’il asservit les pauvres, engraisse les riches et détruit la planète en oubliant que grâce à lui le monde a connu depuis deux siècles la croissance le plus rapide.

Mais je reconsidère mon opinion sur Demain. Pour saluer d’abord l’enthousiasme communicatif de ses auteurs, qui rompt avec le catastrophisme apocalyptique qui caractérise la plupart des documentaires écologiques, vantant la beauté de notre planète et annonçant son inexorable destruction. Cyril Dion et Mélanie Laurent cherchent des solutions. Peu importe qu’ils aient dépensé pour ce faire le bilan carbone de 5.000 Éthiopiens ! Qui suis-je, dans mon fauteuil, pour leur en faire le reproche ?
Et pour remettre en cause mes vieilles convictions. Que le capitalisme et la démocratie nous aient apporté depuis deux siècles la prospérité et la croissance est une chose. Que l’efficacité de ce système perdure en est une autre. Peut-être est-il temps de remettre en cause l’idéologie de la croissance. Peut-être est-il temps de lui chercher des alternatives.

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Le Dernier Jour d’Yitzakh Rabin ★☆☆☆


Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin avait, sur le papier, tout pour me plaire. Un film polémique sur la politique contemporaine qui revisite l’une des pages les plus dramatiques de l’histoire d’Israël. Et un film de Amos Gitaï grâce auquel j’ai découvert dans les années 90 le cinéma israélien avec des films comme Kadosh (1999) qui m’avait enthousiasmé.

Sauf que la filmographie d’Amos Gitaï alterne le pire et le meilleur, s’égarant sur des chemins de traverse pas toujours bien maîtrisés. Et que sa lecture de l’assassinat du Premier ministre israélien, tombé sous les balles d’un extrémiste sioniste qui lui reprochait la signature des accords d’Oslo, ne m’a pas convaincu.

Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin alterne les images d’archive et les reconstitutions fictionnelles. Pourquoi ce mélange ? Quel parti sert-il sinon celui de créer un flou entre le réel et la fiction ? Il fallait choisir son camp : le documentaire pur ou la reconstitution intégrale. Amos Gitaï ne choisit pas entre les deux, comme si l’indécision l’avait emporté.

Du coup, son film est trop long, qui s’étire durant deux heures trente interminables. Une durée d’autant plus pénible que le montage manque terriblement de nerfs, faisant se succéder de longs face-à-face dialogués qui ont plus leur place au théâtre qu’au cinéma.

Grosse déception…

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The Revenant ★★★☆


L’actualité cinématographique de ce mois de février était dominée par deux films événements : Ave, César ! des frères Coen et The Revenant de Alejandro G. Iñárritu. Deux films marquants dans deux registres radicalement différents. Le premier est un bijou d’humour parodique ; le second est d’une âpre rudesse. C’est peu dire que le premier m’a déçu et le second impressionné.

Impressionnante est l’histoire – vraie – du trappeur Hugh Glass qui, laissé pour mort après avoir été grièvement blessé par un grizzly, parcourt 300 km sans armes ni vivres en 1823 dans les montagnes enneigées du Dakota jusqu’au poste le plus proche. Pour survivre il se nourrit de racines, pêche à mains nues et dispute à des loups la viande d’un bison mort. Pour se protéger du froid, il dort dans un cheval éviscéré.

Impressionnant surtout est le parti qu’en a tiré Alejandro G. Iñárritu et son directeur de la photographie Emmanuel Lubezki. Avec la révolutionnaire caméra Alexa 65 mm, ils filment l’action en tourbillonants plans-séquences. Quand les Indiens attaquent, quand le grizzly charge, quand les trappeurs lancent la poursuite, on est au coeur de la scène comme on l’a rarement été, assourdis par la mitraille, assommés par les coups, hébétés par la bataille. Malick (« Le Nouveau Monde »), Boorman (« La Forêt d’émeraude ») et Kurosawa (« Ran ») prennent un sacré coup de vieux.

« The Revenant » est tout à la fois intimiste et grandiose. Intimiste par son scénario épuré : un homme, seul face à une nature hostile, survit pour se venger. Grandiose par ses paysages dans lesquels cette histoire est campée : les montagnes enneigées du Dakota où l’homme est si fragile.

Évidemment, The Revenant ne fait pas dans la dentelle. Leonardo DiCaprio – qui aura amplement mérité son Oscar – est trop occupé à cautériser ses plaies avec de la poudre à canon et à manger de la viande de bison crue pour verser dans la romance. L’accumulation d’épreuves qui jalonne sa route confine au chemin de croix et pourrait révulser les âmes sensibles. La Passion de Mel Gibson avait la même propension au sadisme et au voyeurisme.

Pour autant, je n’ai pas trouvé les deux heures trente-six que dure The Revenant trop longues alors que l’heure quarante-six de Ave, César ! m’avait semblé interminable.

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Ave, César ! ☆☆☆☆


Impossible d’ignorer le torrent de critiques enthousiastes qui a accompagné la sortie du dernier film des frères Coen ! « Hommage roboratif à l’âge d’or de Hollywood » ! « Malicieuse satire » ! « Distribution éclatante » ! « Fiévreuse déclaration d’amour au cinéma » ! N’en jetez plus, la coupe est pleine !

C’est du coup avec beaucoup d’humilité que je m’autorise un coup de gueule contre un film qui m’a fait ronfler d’ennui.
Pourquoi tant de somnolence ? Bon d’accord, parce que je suis vieux (et chauve), que la séance était tardive et ma voisine confortable. Mais pas seulement.

Ave, César ! est une aimable succession de vignettes que relie sans conviction un scénario sans intérêt : la star hollywoodienne Baird Whitlock (George Clooney plus grimaçant que jamais) a été kidnappé par une bande de pieds nickelés crypto-communistes et Eddie Mannix (Josh Brolin, la moustache au carré), l’homme à tout faire des studios Capitol Pictures, se charge de le libérer.

Sans doute, les frères Coen rassemblent-ils une cohorte de stars. Mais à quoi bon les montrer si peu ? On entraperçoit Scarlett Johansson, qui nage comme un poisson et parle comme une morue. Frances McDormand n’a droit qu’à une seule scène (je n’exclus pas qu’elle en ait eu plusieurs… mais je dormais). Seule exception notable : le méconnu Alden Ehrenreich qui crève l’écran dans un rôle drôlissime de cowboy forcé de jouer un bellâtre dans un drame cukorien.

Quant à la déclaration d’amour au cinéma des années 50, elle ressemble plutôt à l’accumulation kitsch de reconstitutions artificielles : western, péplum, comédie musicale (avec un numéro de claquettes de Channing Tatum délicieusement gay-friendly)… tout y passe. Rien à dire : c’est filmé au millimètre, brillant et drôle. Mais où est l’émotion ?

Mes réticences à l’égard de « Ave, César ! » s’expliquent largement par mon manque d’intérêt pour le cinéma des frères Coen. Je n’ai jamais compris la vénération dont ils font l’objet. Leurs films noirs me plaisent : Sang pour sang (1984), Miller’s Crossing (1990), No Country for Old Men (2007). Mais leurs bouffonneries parodiques peinent à m’arracher un sourire : je tiens O’Brother (2000), avec le grimaçant George Clooney, comme un des pires films jamais tournés.

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Je ne suis pas un salaud ★★☆☆

Un type, ni vraiment sympathique ni vraiment détestable, est poignardé par une bande de voyous. Il doit identifier son agresseur, hésite, se décide enfin.

Le titre est trompeur. Il voudrait nous faire croire qu’en dépit de tous ses défauts, Eddie (Nicolas Duvauchelle) n’est pas un si mauvais bougre. Sans doute a-t-il tendance à biberonner sec et à lever la main sur sa femme (Mélanie Thierry) mais l’agression qu’il subit lui offre une rédemption : sa femme lui rouvre les bras, son fils le regarde en héros, un patron accepte de l’embaucher. Les ennuis commencent quand il doit identifier son agresseur.

Le dernier film d’Emmanuel Finkiel est bourré de qualités. La toute première scène est un modèle du genre qui nous fait toucher du doigt, avec un cadrage très serré et une musique obsédante, l’enfermement de son personnage. Les acteurs sont exceptionnels : Nicolas Duvauchelle en salopiot émouvant,  Mélanie Thierry en mère courage.

Mais l’histoire est tellement noire que le film, dans son refus de se rendre sympathique, atteint son but au-delà de toute espérance.

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Contre-pouvoirs ★☆☆☆

Malek Bensmaïl avait réalisé en 2009 un documentaire épatant La Chine est encore loin qui – comme son nom ne l’indiquait pas – suivait pendant une année une classe de jeunes Algériens. Début 2014, il filme la rédaction de El Watan, le grand quotidien francophone d’Alger alors qu’il s’apprête à déménager dans de nouveaux locaux et que la campagne présidentielle bat son plein. Fondé en 1990, ce journal manifeste une liberté de ton étonnante, dans un système verrouillé et sclérosé.

Suivant les dogmes du cinéma documentaire, la caméra de Malek Bensmaïl se fait oublier, se glissant dans les salles de rédaction, enregistrant les discussions entre journalistes, les réunions de rédaction, captant les gestes des imprimeurs. Aucune voix off, aucun sous-titre pour expliquer ou contextualiser. Du coup, on veut bien croire que El Watan est en butte aux autorités, mais rien à l’écran ne le montre – si ce n’est un rendez-vous entre le rédacteur en chef et son avocat où sont rapidement passés en revue les procès en cours.

Le fil rouge du documentaire est la réélection annoncée de Abdelaziz Bouteflika. Ce choix n’est pas très heureux car le suspense est mince : la campagne est lancée sur un faux rythme, avec un président physiquement absent dont la figure est paradoxalement omniprésente ; elle se clôt sur une victoire « dans un fauteuil », double clin d’œil au score « soviétique » obtenu par le président sortant et à l’accident cardio-vasculaire qui le cloue dans une chaise roulante.

Contre-pouvoirs a le handicap de succéder à deux documentaires autrement réussis sur le même sujet : À la une du New York Times (2011) et Les Gens du Monde (2014)

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Une histoire birmane ★☆☆☆

La Birmanie (ou le Myanmar selon la terminologie officielle) s’ouvre au monde. J’ai eu la chance de m’y rendre en mai 2013. Dans les rues de Rangoon (qui, comme chacun sait, n’est plus la capitale, délocalisée à Naypyidaw), des bouquinistes vendent des vieux livres poussiéreux. Au touriste occidental, rapidement identifié à ses longs cheveux blonds (si si !), ils proposent un livre et un seul : Burmese days (Une histoire birmane) de George Orwell qui servit dans cette colonie de la Couronne britannique entre 1922 et 1927.

Le film-documentaire d’Alain Mazars tisse deux histoires : celle du séjour de George Orwell dans cette inhospitalière colonie et celle de la Birmanie contemporaine.
La première n’est quasiment pas documentée : aucune photo – sinon un portrait de groupe flou – plus de témoignage écrit, rien que le roman susmentionné publié en 1934 et éclipsé par La Ferme des Animaux et 1984.
Pour raconter la seconde, Alain Mazars refuse deux facilités : la collection de cartes postales (filmer Rangoon sans montrer la pagode Shwedagon, c’est comme filmer Paris sans Tour Eiffel) et le discours militant. C’est plutôt à une exploration onirique que nous sommes conviés. Alain Mazars imagine que George Orwell s’est réincarné dans la Birmanie contemporaine. Il part sur les traces de sa vie antérieure et cherche les réincarnations de ses personnages : qui serait Winston, le héros de 1984 dont le seul crime est de tenir un journal intime ? qui serait O’Brien, le traître qui se fait passer pour ami ? qui serait Goldstein, le chef de la rébellion (inventé par Big Brother pour servir de bouc-émissaire à la haine populaire) ?

Une Histoire birmane – comme Dakar, ta Nostalgie dont j’ai parlé récemment ici – est peut-être victime de son exigence. À force de vouloir éviter les lieux communs et les facilités, elle entraîne le spectateur vers une abstraction désincarnée.

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Elle et Lui ★★★☆

Sur un transatlantique, deux célibataires endurcis, joués par Cary Grant et Deborah Kerr, se rencontrent et se séduisent.  Arrivés à New York, ils se fixent rendez-vous six mois plus tard au sommet de l’Empire State Building.

Dans sa première partie, Elle et Lui est un modèle quasi parfait de comédie américaine pleine de charme et d’esprit. Au bout d’une heure, la « screwball comedy » bascule dans le mélodrame.

Elle et Lui a connu une étonnante postérité. Succès critique et public à sa sortie en 1957, il était tombé dans l’oubli jusqu’à ce que le personnage joué par Meg Ryan dans Nuits blanches à Seattle n’en fasse son film culte qu’elle visionne en boucle, seule ou avec une bande de copines, un paquet de Kleenex à portée de main.

Je suis toujours frappé par la suprême élégance des films américains des années 50. Élégance des toilettes : les robes de Deborah Kerr sont « à tomber ». Élégance des sentiments : aucune bassesse, aucune rouerie n’anime les personnages. Et je m’interroge sur le réalisme de ce cinéma. Était-il une construction artificielle, loin des réalités de son temps ? Ou bien les années 50 furent-elles aux États-Unis une époque où les femmes étaient aussi belles que Deborah Kerr et les hommes aussi séduisants que Cary Grant ?

Joy ★☆☆☆

Joy est un film déroutant. Avec Jennifer Lawrence et Bradley Cooper, on escompte une comédie romantique gentiment superficielle qui se conclura logiquement par la réunion des deux sex symbols les plus bankable du cinéma américain sous les yeux complices de Robert De Niro et Isabella Rossellini – dont la présence est censée attirer les seniors. Il n’en est rien.

Joy n’est pas une comédie romantique. Ce n’est pas non plus une ode aux valeurs familiales ni à l’amour. Joy est un film totalement dépourvu de la tendresse sirupeuse dans laquelle s’engluent bon nombre de films américains. Pour autant, Joy n’évite pas le piège d’un autre type de bien-pensance : celui de l’éloge d’un certain modèle américain. La success story entrepreneuriale. Vous êtes divorcée ? Vous vivez chez vos parents avec vos deux gamins ? Vous gagnez une misère dans un boulot harassant ? N’ayez pas peur ! La réussite est au bout du chemin si vous serrez les dents et croyez dans vos rêves.

La recette fonctionnait plutôt bien avec Julia Roberts dans Erin Brockovich. Elle ne fonctionne pas avec Jennifer Lawrence, trop jeune, trop lisse, pour être crédible dans le rôle d’une housewife rêvant de commercialiser une serpillière révolutionnaire.

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Free Love ★★☆☆

Avant que le mariage gay soit légalisé, le combat de Laurel Hester, en phase terminale d’un cancer incurable, pour que sa compagne, Stacie Andree, puisse à sa mort recevoir sa pension, avait ému l’Amérique. Il était prévisible que cette histoire inspire le cinéma. Il était inévitable qu’il s’en saisisse avec une éléphantesque maladresse et un impudique sentimentalisme.

La mise en scène de Peter Sollett ne fait pas dans la finesse. On lui a demandé de mettre en image une thèse. Il s’acquitte de sa tâche avec une subtilité de bûcheron canadien en plein effort.

Deux femmes se rencontrent et tombent amoureuses. Elles sont belles et se roulent des pelles (ça rime !). Juste ce qu’il faut pour montrer qu’elles s’aiment d’amour ; mais pas trop non plus pour éviter de sombrer dans le voyeurisme (dommage !). Elles sont lesbiennes, donc elles sont en butte à de méchants homophobes. Parmi eux, un homme d’Église évidemment, un agent immobilier bégueule, des politiciens veules et des flics machistes. Bouh ! l’homophobie c’est mal. Laurel et Stacie s’installent ensemble. Elles ont une maison, un chien. Sous-titre : on peut être lesbienne et mener une petite vie bien sage. Vraiment ?????? Laurel tombe malade. Sortez vos mouchoirs. Elle a un cancer des poumons. Chimio. Vomissements. Calvitie (moi ça se verra pas !!!). Laurel va mourir. Stacie pleurt. La salle itou. Mais Laurel veut que sa compagne touche la pension de réversion que les conjoints (hétérosexuels) perçoivent en cas de décès. Elle fait un procès au comté.

Je ne vous raconterai pas la fin, même si vous l’imaginez sans peine. Si vous pensez qu’elle perd son procès et survit, vous n’êtes pas tout à fait dans le vrai. Et je pourrais terminer ici ma critique de petit con prétentieux.

Sauf que. Sauf que ce film m’a vraiment ému. J’en ai vu toutes les ficelles grossières. Et pourtant, j’ai été touché par cette histoire filmée sans voyeurisme. Le couple que forme Ellen Page – qui a fait l’annonce publique de son homosexualité – et Julianne Moore – en phase terminale de Merylstreepisation – est crédible et juste. La réaction de Michael Shannon, le coéquipier de Laurel, d’abord choqué mais très vite solidaire, est particulièrement bien vue.

Free love n’est sans doute pas un grand film. Mais ce n’est ni le mélo gluant ni le film-à-thème manichéen qu’une critique paresseuse se plaît à descendre.

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