Écrit sur du vent ★★☆☆

La Filmothèque du Quartier Latin ressort un vieux film de Douglas Sirk, pour les aficionados de Todd Haynes dont l’œuvre, notamment son Carol, est inspirée du grand maître. Écrit sur du vent n’est pas le meilleur film de Douglas Sirk, mais il n’en est pas moins représentatif de son œuvre.

Un riche magnat, fils à papa (Robert Stack qui n’avait pas encore joué Eliot Ness)‎. Une sœur nymphomane (Dorothy Malone qui remporta pour ce rôle l’Oscar de la Meilleure Actrice dans un second rôle )‎. Une épouse vertueuse qui réussit à le guérir de son alcoolisme (Lauren Bacall majestueuse évidemment). Un ami d’enfance protecteur amoureux de l’épouse – mais s’interdisant par loyauté de lui déclarer sa flamme – et adulé par la sœur (Rock Hudson qu’on ne regarde plus sans penser à sa fin tragique).

C’est Dallas vingt ans avant l’heure.

Avec ce goût qu’avaient les drames américains des années 50 pour les situations paroxystiques.‎ Qu’on pense à Un tramway nommé Désir, Tant qu’il y aura des hommes, La Chatte sur un toit brûlant, Soudain l’été dernier, Géant ou À l’est d’Eden, ces films ont leur lot de personnages alcooliques, nymphomanes, impuissants ou franchement cinglés qui entretiennent avec le sexe une relation passablement compliquée. Était-ce une caractéristique de l’Amérique de Eisenhower ? Ou plutôt une forme de transgression par rapport à la morale sévère de cette époque ?
Robert Stack et Dorothy Malone incarnent de tels personnages. Leur jeu outrancier est à la fois terriblement démodé et absolument jubilatoire‎. Par comparaison Ruck Hudson et Lauren Bacall sont bien fades.

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Préjudice ★★☆☆

« Famille, je vous hais ». Le huis clos familial qui tourne mal est un style cinématographique à part entière. Thomas Vinterberg en a réalisé l’archétype avec Festen et son indépassable cruauté. La comparaison ne peut donc tourner qu’au désavantage du premier film d’Antoine Cuypers.

Nathalie Baye, majestueuse, et Arno, à contre-emploi, forment un couple bourgeois heureux de réunir leurs enfants. Leur cadette veut leur faire une surprise. Mais la fête tournera au vinaigre.

Préjudice réussit à instiller le malaise par des cadrages décentrés et une musique anxiogène. Quel lourd secret de famille est caché ? Quel drame va se dérouler sous nos yeux ? Le spectateur, mis en tension, attend un coup de théâtre ou une révélation qui ne vient pas.

Mais le sujet du film est ailleurs et il se révèle lentement. Loin du politiquement correct, il est traité avec une brutalité étonnante dont il est difficile de dire plus sans déflorer le sujet. Plusieurs fins étaient concevables entre lesquelles Cuypers ne choisit pas, renvoyant dos à dos Cédric, le fils différent, et sa mère trop protectrice.

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La Terre et l’Ombre ★☆☆☆

Certains films provoquent chez moi une hypnose soporifique : L’Avventura, L’Année dernière à Marienbad, Les Ailes du désir, Solaris, Winter Sleep. Unanimement reconnus par une critique enthousiaste, couronnés de mille prix, ils ne me parlent pas. Leur beauté hiératique me reste irréductiblement étrangère. Leur faux rythme m’arrache des bâillements d’ennui. Pour autant, intimidé par tant d’éloges, je reconnais leur valeur et déplore ne pas y être sensible.

Le premier fils du Colombien César Acevedo a fait forte impression à Cannes où il s’est vu décerner la Caméra d’or. Sa mise en scène minimaliste impressionne par sa rigueur. Un homme rentre chez lui après dix-sept ans d’absence. Sa femme et sa belle-fille travaillent la canne à sucre tandis que son fils se meurt. Seul personnage positif : un petit-fils auquel il se lie profondément.

En une heure trente, rien ne se passe ou presque. Les femmes vont travailler. Le grand-père joue avec son petit-fils. Le fils asthmatique se meurt. C’est très beau. Très lent. Très chiant.

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Peur de rien ★★☆☆

L’entrée dans la vie adulte constitue, à elle seule, un style cinématographique : le coming-of-age movie. On dirait en français : film d’apprentissage ou d’éducation sentimentale. Des exemples ? Dirty dancing, Juno, La Vie d’Adèle, Le Labyrinthe de Pan… et mon préféré, celui que je conseille à toutes les jeunes filles : Une éducation.

Peur de rien raconte le coming of age d’une jeune Libanaise fraîchement débarquée à Paris. Lina a dix-huit ans. Ses parents l’ont envoyée chez une tante installée en France. Mais elle prend vite la porte pour faire pièce aux avances d’un oncle trop insistant. À la rue, elle est hébergée par une copine de fac. Elle enchaîne les rencontres, amicales et amoureuses, les coups de cœur et les coups durs.

Portée par son héroïne, l’inconnue Manal Issa, charmante et touchante, Peur de Rien est la chronique enjouée d’une intégration à la française. Il nous replonge dans les années 90 sans portable ni Facebook, mais avec une play-list sacrément décapante : Franck Black, Niagara, Carte de séjour, Siouxsie and the Banshees… Le film se cherche un peu, dure une demi-heure de trop, fait un détour inutile par Beyrouth, avant de se terminer par un happy end juridiquement approximatif mais joliment optimiste.

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Alaska ★★☆☆

Noyé parmi les dix-neuf autres films sortis cette semaine, programmé dans deux salles parisiennes seulement, éreinté par la critique, Alaska risque de passer inaperçu. Ce serait dommage.

Nadine est une banlieusarde de vingt ans qui n’a pour elle que son joli minois. Elle rencontre, à l’occasion d’un casting dans un grand hôtel parisien, Fausto, Rital charmeur. Mais le destin les sépare douloureusement. Fausto part en prison tandis que Nadine devient top model.

Leur histoire s’étendra sur de nombreuses années, emplissant sans peine les plus que deux heures que dure le film. De Paris à Milan, les succès de Nadine coïncideront avec les revers de fortune de Fausto. Et réciproquement.

L’histoire de cette passion destructrice est filmée par le scénariste de Gomorra. On y retrouve l’ambiance nocturne et pluvieuse qui caractérise cette école italienne et dont Suburra constituait récemment une réalisation encore plus convaincante. Comme chez Matteo Garrone, le réalisateur de Gomorra, le thriller est le prétexte à une critique sociale plus radicale. Ici, celle d’un capitalisme qui exploite les corps et asservit les âmes.

Les deux principaux protagonistes sont de belles révélations : Elio Germano, poids mouche nerveux, et Astrid Bergès-Frisbey, grande brune sensuelle. De même, Roschdy Zem est magistral dans un (trop bref) second rôle.

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Les Innocentes ★★★☆

La filmographie de Anne Fontaine est aussi éclectique que revigorante. Nettoyage à sec (1997) racontait la vie d’un couple de provinciaux bouleversée par l’arrivée d’un jeune garçon séduisant. Entre ses mains (2005) décrivait l’attraction d’une femme pour un homme qu’elle suspectait d’être tueur en série. Perfect Mothers (2013) exposait la relation quasi incestueuse de deux amies quarantenaires avec leurs fils respectifs. Chacun de ces films a en commun d’ausculter une rencontre inattendue et bouleversante.

« Les Innocentes » désignent probablement – le film n’en dira rien – ces bénédictines polonaises violées et engrossées par la soldatesque soviétique à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Une jeune doctoresse française travaillant pour la Croix-Rouge est appelée à leur chevet.

L’affiche du film joue sur la ressemblance avec « Ida » récompensé par l’Oscar du meilleur film étranger. Même époque, mêmes couleurs hivernales, mêmes questionnements métaphysiques.   Et il est probable que les spectateurs qui avaient aimé le beau film de Pawel Pawlikowski – ils furent nombreux – aimeront celui de Anne Fontaine.

Le cauchemar vécu par ces femmes nous est montré à travers les yeux de Mathilde, cette jeune Francaise communiste engagée dans la Résistance. Elle ne partage pas leur foi et ne comprend pas qu’elles ne l’aient pas perdue. Elle essaie de leur apporter les soins et le réconfort dont elles ont besoin en dépit de l’hostilité des troupes d’occupation et de sa propre hiérarchie.

Le rôle de Mathilde est interprété par Lou de Laâge qui confirme les espoirs placés en elle. Nommée en 2014 et en 2015 dans la catégorie des Meilleurs Espoirs féminins, elle mériterait de l’emporter l’an prochain.  Avec la bouche la plus sensuelle du cinéma français et des faux airs de Jeanne Moreau, elle a tout d’une grande.

On pourrait reprocher au film son classicisme sage, sa narration platement chronologique.  Mais un épilogue surprenant et bouleversant gomme ces rares défauts.

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Experimenter ★★☆☆

Vous connaissez – ou pas – l’expérience menée  ‎par Stanley Milgram en 1961-1962. Sous l’autorité d’un expérimentateur, un professeur administre des décharges électriques de plus en plus fortes à un élève soi-disant pour stimuler ses capacités d’apprentissage. En vérité les décharges électriques sont fictives et l’expérience vise à mesurer le niveau d’obéissance du professeur aux ordres immoraux de l’expérimentateur.
Menée alors que se tenait à Jérusalem le procès Eichman et qu’Hannah Arendt développait la théorie de la banalité du mal dans les colonnes du New Yorker, l’expérience Milgram provoquait une double polémique. Par ses résultats, la plupart des cobayes acceptant d’infliger les punitions les plus cruelles dès lors que la responsabilité en était assumée par l’expérimentateur. Par ses méthodes qui furent très vite accusées de violer l’éthique de la recherche en sciences sociales.

Michael Almereyda raconte cette expérience sur un mode quasi documentaire. Décors théâtraux, dialogues face caméra, reconstitution minimaliste. Son souci de la pédagogie n’a d’égal que son refus du romanesque. Rien ne le fait dévier de la présentation clinique de cette expérience, de ses conclusions terrifiantes et de la polémique qu’elle a suscitée. Pas même le personnage de Sasha, l’épouse de Milgram, jouée par Winona Ryder (qui a pris un sacré coup de vieux).

On regretterait presque que son film ne se limite pas à ce seul sujet, voulant embrasser toute la carrière de Milgram jusqu’à sa mort en 1984. Mais on apprend ainsi la contribution de Milgram au concept de « six degrés de séparation » (nous sommes liés les uns aux autres par une chaîne ne comptant pas plus de six maillons) ou à la théorie des « étrangers familiers », ces inconnus que nous croisons constamment.
Oui, le film de Michael Almeyreda est un brin trop scolaire. Oui, il ressemble à une page de Wikipédia mise en film. Mais il le fait avec un tel brio que la leçon nous instruit sans nous raser.

El Clan ★★★☆

Comme son voisin chilien, le cinéma argentin est obsédé par le passé. Kamchatka (2002), L’Œil invisible (2010), Enfance clandestine (2011) plongent dans les souvenirs de réalisateurs qui étaient enfants ou adolescents à l’époque de la dictature. C’est le cas de Pablo Trapero, né en 1971, qui porte à l’écran un fait divers ayant défrayé la chronique en 1985. le clan des Puccio s’était rendu coupable d’une série d’enlèvements crapuleux. Le père était un ancien agent des services militaires de renseignement, mis sur la touche à la fin de la dictature. Le fils était une star de l’équipe nationale de rugby.

El Clan est une plongée terrifiante au sein d’une entreprise criminelle familiale. Une famille bourgeoise, dans un quartier tranquille, séquestrait des innocents dont les cris étaient étouffés par une musique pop qui sature la BO du film. Ce mélange de trivialité – un père de famille aide sa fille à faire ses devoirs, le dîner du soir à la table familiale commence par un bénédicité – et de monstruosité – les victimes étaient froidement abattues une fois la rançon payée pour éviter que la trace des kidnappeurs ne soit retrouvée – glace le sang. C’est Scorcese qui flirte avec Buñuel.

Le film de Pablo Trapero a eu un immense succès en Argentine. Le réalisateur y voit le signe que son pays est désormais prêt à regarder son passé en face. J’y vois le succès mérité d’un film qui tient son public en haleine pendant deux heures et qui laisse une trace durable.

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Le Trésor ★★☆☆

Le cinéma roumain est décidément surprenant. Sans doute n’a-t-il plus atteint les sommets de 4 mois, 3 semaines, 2 jours, Palme d’or à Cannes en 2007. Mais il nous réserve régulièrement de jolies surprises. Mère et Fils de Calin Peter Netzer ou Le Voyage de Monsieur Crulic de Anca Damian figurent parmi les meilleurs films que j’ai vus ces dernières années.

Dans la jeune garde roumaine, Corneliu Porumboiu s’était distingué avec deux films hors norme. Le premier, 12 h 08 à l’est de Bucarest, était un vrai-faux documentaire rassemblant des témoignages sur la chute de Ceaucescu. Le second, Match retour, filmait le père du réalisateur commentant le match de football qu’il avait arbitré, en 1998, sous une neige épaisse, entre deux équipes roumaines.

Le Trésor
est d’une teneur plus académique, même s’il conserve le parfum de bizarrerie de ses précédentes réalisations. Persuadé que son arrière-grand-père a laissé un trésor dans son jardin, un homme convainc son voisin de louer un détecteur de métaux pour le déterrer.

On imagine que le film est une métaphore. Celle d’une société roumaine qui peine à solder ses comptes avec son passé ? Ou qui se réfugie dans des espoirs chimériques pour fuir un présent ingrat ?

Rien de tout cela ! Le Trésor filme – longuement – deux hommes en train de creuser un trou. Le suspense fonctionne assez bien, évitant de trouver le temps trop long et le trou trop profond : que vont-ils découvrir ? Rien ? Quelque chose ? Et s’ils déterrent un trésor que vont-ils en faire ?
Très intelligemment – ou très stupidement – les réponses à ces questions sont frustrantes. C’est là ce qui fait l’originalité du film – ou, si on est mal luné, son absence d’intérêt.

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Les Délices de Tokyo ★☆☆☆

Le cinéma japonais – ou du moins celui qui s’exporte en France – se divise en quatre genres aux caractéristiques bien marquées. Le premier est le dessin animé dans la veine des chefs-d’œuvre de Miyazaki et du studio Ghibli. Le deuxième est le film de yakuza que Takeshi Kitano a porté à son apogée avec Sonatine avant d’en détourner les codes. Le troisième est le film d’horreur qui, depuis Ring et Dark Water, est en perte de vitesse. Le quatrième est le drame familial contemporain invoquant les mânes de Ozu et flirtant parfois avec le fantastique : Notre petite sœur de Kore-eda ou Vers l’autre rive de Kurosawa pour ne citer que deux titres sortis l’an passé.
Les Délices de Tokyo appartient évidemment à cette dernière catégorie. Il est l’œuvre de Naomi Kawase, réalisatrice reconnue pour La Forêt de Mogari ou Still the Water.‎ Dans ses précédents films, elle campait des personnages cabossés par la vie cherchant à se reconstruire et y parvenant grâce à une philosophie de l’acceptation.
Elle utilise les mêmes ressorts dans son dernier film. Ses deux héros sont le patron d’un restaurant, dont le mutisme revêche cache un lourd secret, et une adorable mamie qui va l’aider à relancer son commerce en dépit de la maladie qui la ronge. 
C’est MasterChef à la sauce Paulo Coelho : pour confectionner des dorayakis, une pâtisserie japonaise sucrée à base de haricots rouges confits, devinez quel est l’ingrédient secret !? L’amour évidemment !