In the Summers ★★★☆

Vicente a deux filles. Leur mère a obtenu leur garde et les élève en Californie. Mais chaque été, Violeta et Eva prennent l’avion pour le Nouveau-Mexique et viennent passer quelques semaines de vacances chez leur père.

In the Summers est le premier film, tourné sans stars, d’une réalisatrice américano-colombienne qui a puisé dans ses souvenirs d’enfance. Sa bande-annonce m’avait laissé craindre le pire : l’incontournable rédemption d’un père qui réussira à combattre les démons qui le rongent pour retrouver l’amour de ses filles qu’il aime si fort.

Mais, primé à Deauville et à Sundance, In the Summers est autrement plus subtil que le pathos gluant que je m’étais inventé.

Sur la forme : avec quasiment aucune indication de lieu (même si on parvient à comprendre que l’action se déroule dans une petite ville perdue du Nouveau-Mexique proche de la frontière) ni de temps, In the Summers laisse lentement se deviner son sujet : raconter une relation père-filles à travers quatre étés passés ensemble, sans rien dire des (longues) périodes qui les séparent. Lors du tout premier, Eva et Violeta sont encore des fillettes d’une dizaine d’années à peine. Lors du quatrième, elles sont devenues adultes.

Sur le fond : In the Summers est beaucoup plus ambigu qu’une happy end story. Il doit sa justesse à son personnage principal interprété par René Pérez Joglar alias Residente, rappeur portoricain connu sur la scène musicale, qui se révèle un acteur étonnant. Dès la première scène, au soin maniaque qu’il prend à rapetasser sa maison pour y recevoir ses filles, on perçoit son anxiété, son souci de bien faire, sa peur que ses addictions à l’alcool et à la drogue ne reprennent le dessus. On ne dira rien de plus sur la façon dont sa relation avec ses filles évolue d’un été à l’autre, sachant qu’on en a déjà peut-être trop dit en évoquant l’absence de happy end. Disons simplement que le film réussit à nous surprendre en évitant les rebondissements les plus convenus.

Dépourvu de tout pathos et de toute complaisance, In the summers surprend par l’originalité de sa construction et par la justesse de son ton.

La bande-annonce

Islands ★★★☆

Tom (Sam Riley) est prof de tennis dans un club de vacances aux Canaries. Il tape la balle avec quelques touristes, s’alcoolise en douce, fréquente la boîte de nuit locale et fait parfois des heures sup dans le lit d’une de ses élèves. Cette routine délétère est brisée par l’arrivée d’un jeune couple de riches Anglais au bord de la rupture. Séduit par Anne (Stacey Martin), Tom leur sert de guide sur l’île jusqu’au soir où Dave (Jack Farthing), son époux, disparaît mystérieusement. La police mène l’enquête et suspecte Anne.

Islands est un film d’un réalisateur allemand tourné en Espagne avec des acteurs anglais. Parce que son héros est un joueur de tennis (et que Sam Riley, massif et élancé, en a  parfaitement la silhouette), parce qu’il se déroule sous un soleil insolent, parce qu’il baigne dans une sensualité lourde, il m’a fait penser au récent Challengers avec ses trois acteurs jeunes, sportifs et triolistes. Mais Islands regarde ailleurs, du côté des polars élégants de Patricia Highsmith et de leur adaptation par René Clément (Plein Soleil) ou Anthony Manghella (Le Talentueux Mr Ripley) voire des films de Hitchcock et de ses mystérieuses héroïnes blond platine que rappelle Stacey Martin.

La bande-annonce de Islands, qui dévoile une grande partie de son histoire, comme mon résumé s’est autorisé à le faire, laisse à penser qu’il s’agit d’un vulgaire thriller balnéaire. Mais Islands est plus dense que cela. La disparition de Dave et l’enquête menée par la police n’en constituent pas le cœur. Le sujet est ailleurs, ce qui explique la fin à tiroirs de ce film qui dépasse les deux heures : c’est Tom qui en est le seul héros et la vie qu’il mène, semblable à celle du crooner de Rimini de Ulrich Seidl ou de l’hôtesse de l’air interprétée par Adèle Exarchopoulos dans Rien à foutre. Dans un lieu paradisiaque, éphémèrement traversé par des touristes de passage, c’est une coquille vide qui s’est absentée du monde pour fuir on ne sait quoi et qui se laisse lentement mourir.

La bande-annonce

L’Accident de piano ★★★☆

Après un mystérieux accident de piano, Magali Moreau, une célèbre influenceuse (Adèle Exarchopoulos), accompagnée de son secrétaire (Jérôme Commandeur), se réfugie dans un chalet au cœur des Alpes pour récupérer de ses blessures. Un fan (Karim Leklou) a tôt de fait de la reconnaître et de la harceler. Une journaliste (Sandrine Kiberlain) a vent d’un lourd secret et menace de l’éventer si Magali n’accepte pas une interview exclusive.

Quentin Dupieux est de retour, un an tout rond après Le Deuxième Acte qui avait fait l’ouverture de Cannes et dont le culot transgressif m’avait bluffé, dix-huit mois après Daaaaaalí ! et deux ans après Yannick qui, sans m’enthousiasmer autant, étaient déjà sacrément bluffants.

Quentin Dupieux se heurte désormais à un défi. L’effet de surprise ne joue plus. Pire : son cinéma, basé sur la transgression, semble condamné à une impossible surenchère. Le risque pour lui est de sombrer dans le grand n’importe quoi. On pouvait d’ailleurs craindre avec Mandibules ou Fumer fait tousser que Quentin Dupieux y ait cédé.

Mais Dupieux réussit avec L’Accident de piano à nous surprendre, à nous faire grincer des dents et à nous faire réfléchir.

La surprise, elle vient de l’interpétation déjantée d’Adèle Exarchopoulos. On l’avait, et moi plus souvent qu’à mon tour, rangée au nombre des bimbos de service, trop sexy pour être tout à fait honnête, pas assez intelligente pour assumer des rôles plus exigeants. Ce qu’elle ose ici, dans ce rôle absolument haïssable, est sidérant. Elle a réussi à s’inventer un rictus impayable, mi hyène mi humain.

Les dents grincent devant un film dont le scénario ne recule devant aucune outrance. La misanthropie atteint des sommets. Dupieux use de la liberté que sa célébrité lui a donnée. Il s’autorise des développements qu’aucun producteur ne soutiendrait chez un réalisateur moins connu. À ce titre, pour une fois, Dupieux clôt son propos – il nous avait frustrés avec des films ultra brefs et des fins bâclées – avec des choix scénaristiques chaque fois plus radicaux que les précédents

Et nos cerveaux sont stimulés dans un film moins absurde que les précédents. Dupieux prend depuis Yannick un tour plus politique en interrogeant la question de la célébrité et en dénonçant notre culture superficielle du paraître. Magali, nous dit-on, est devenue mondialement célèbre en tournant des séquences vidéo d’une rare bêtise. Sa célébrité, loin de la responsabiliser, l’a aigrie et a aggravé son égoïsme et sa rancœur. Ses fans, incarnés par Karim Leklou et son petit frère, sont au moins aussi bêtes et aussi veules qu’elle.

Rien n’échappe à cette purge radicale. On rit beaucoup devant L’Accident de piano. On ne rit pas de gaîté de cœur. C’est un rire amer, grinçant. Mais qui a dit que le cinéma devait faire du bien ?

La bande-annonce

Fragments d’un parcours amoureux ★★★☆

Chloé Barreau est née en 1976. Elle a documenté ses relations amoureuses, conservant photos, lettres et vidéos. Elle a demandé à douze de ses ex, homme ou femme, de raconter leur histoire.

Fragments d’un parcours amoureux est un documentaire profondément original et extrêmement séduisant. Sa réalisatrice y réussit en même temps à être narcissique et modeste.

Sans doute pourrait-on lui reprocher son germanopratisme ou, pour être plus exact, son quartier-latinisme : Chloé Barreau a grandi dans le Quartier Latin, en a fréquenté les meilleurs établissements (Henri-IV, Fénelon, la Sorbonne) avant de s’expatrier en Italie. Parmi ses ex, on compte plusieurs personnalités connues : l’actrice Anna Mouglalis, l’écrivaine Anne Berest, la réalisatrice Rebecca Zlotowski…

Sans doute pourrait-on aussi lui reprocher d’être furieusement dans l’air du temps, avec la bisexualité polyamoureuse de son héroïne et l’empathie si kawai dont ses ex font preuve envers elle.

On ne se sait pas trop si son titre, allusion à peine masquée à l’essai de Roland Barthes, doit être mis à son actif ou à son passif, qui en rajoute, si besoin en était, dans l’élitisme de son propos.

Pour autant, il faut reconnaître à Chloé Barreau un sacré culot pour avoir conçu ce dispositif original, qui alterne donc des interviews face caméra avec des bouts d’archives. Comme une roue dont le moyeu resterait invisible, la réalisatrice est à la fois absente et présente.

Elle n’apparaît quasiment pas à l’écran, sinon dans le coin d’une photographie ou comme destinatrice d’une lettre. Ce n’est pas elle qui a mené les interviews de ces ex, mais une tierce personne, la journaliste Astrid Desmousseaux. Quand on l’évoque, c’est à la troisième personne qu’on parle d’elle. Elle s’est même interdit de répondre aux reproches, pas toujours aimables, qui lui sont adressés. C’est à un procès in abstentia qu’on assiste, qui confine parfois à l’éloge funèbre et nous fait nous demander, si on ne s’est pas renseigné auparavant, si sa principale protagoniste n’est pas décédée.

Et pourtant bien sûr, aussi invisible soit-elle, tout tourne autour d’elle, de son romantisme exacerbé, de son attirance pour les hommes comme pour les femmes, sans considération de genre, dès lors que l’attirance est là, de son goût immodéré pour la passion amoureuse, de ses emballements aussi flamboyants que ses ruptures sont douloureuses….

Fragments fait l’autoportrait en creux de sa réalisatrice, amoureuse de l’amour et moins volage qu’il n’y paraît. Elle raconte aussi une époque et un milieu et possède, à ce titre, une valeur historique et sociologique. Elle raconte une jeunesse parisienne ultra-privilégiée, cultivée, connectée, à laquelle jamais ne se pose semble-t-il la question du travail, du salaire, de la place à trouver dans la société. Son seul loisir semble être de vivre ses amours le plus pleinement, le plus intensément possible. Elle raconte aussi une bi- ou plutôt une pan-sexualité décomplexée, débarrassée de toute stigmatisation comme de toute revendication identitaire. Elle raconte finalement surtout, comme Barthes en son temps, une nouvelle façon d’être amoureux, pas nécessairement sexualisée (on peut s’aimer sans coucher), pas nécessairement exclusive (même si les blessures d’amour naissent souvent de la découverte d’un.e concurrent.e), pas nécessairement hétéronormée.

La bande-annonce

Différente ★★★☆

Katia (Jehnny Beth) a toujours été « différente ». Mais à trente ans passés, elle n’avait toujours pas mis un mot sur cette différence avant de découvrir, à sa grande surprise, au hasard de l’enquête que le journal où elle travaille comme documentaliste lui a confiée, qu’elle coche toutes les cases de l’autisme.

Près d’un million de Français souffriraient de troubles du spectre de l’autisme (TSA), l’appellation désormais reconnue pour englober tous les troubles comportementaux, plus ou moins graves, chez l’enfant comme chez l’adulte, qui altèrent la communication et les interactions sociales. Le diagnostic en est souvent malaisé, oscillant entre le trop et le pas assez.

Lola Doillon courait le risque de réaliser un film-dossier de l’écran, un film tout entier consacré à un sujet, ici l’autisme et son diagnostic tardif. Elle ne l’évite pas tout à fait en passant par tous les passages obligés et attendus : autisme et travail, autisme et famille, autisme et relations sociales…

Lola Doillon contourne toutefois en partie cet écueil en prenant son sujet à l’envers. Différente évoque autant l’autisme que la façon de vivre une histoire d’amour compliquée, comme le montre d’ailleurs l’affiche du film. La relation entre Katia et Fred est en effet au centre du film. C’est son évolution et ses rebondissements qui font avancer l’histoire et maintiennent l’attention. Katia et Fred s’aiment passionnément ; mais la condition de Katia rend leur relation impossible. S’installe un (petit) suspense : l’amour de Fred pour Katia sera-t-il suffisamment fort pour venir à bout de ce qui y fait obstacle ?

Le film est servi par son casting. Lola Doillon n’a pas choisi des stars. Jehnny Beth, dans le rôle principal, peut donner l’impression, dans les premières scènes, de surjouer les affections de son personnage, sursautant craintivement à chaque interaction, à chaque bruit inattendu. Mais la sincérité de son jeu réussit à nous convaincre. Thibaut Evrard avait la tâche plus facile, dans le rôle du bon bougre aimant mais dépassé.

J’ai lu des critiques acides, reprochant à Différente son classicisme et son didactisme. Je les ai trouvées bien sévères. Loin des caricatures à la Rain Man, Différente donne des TSA une image autrement authentique. Et il le fait dans un film qui, sans être larmoyant, m’a profondément touché. Que demander de plus ?

PS : Différente a été tourné à Nantes et j’ai cru reconnaître le même immeuble et la même cage d’escalier que ceux qu’on voit dans L’Attachement qui y a été tourné aussi je crois

La bande-annonce

Au rythme de Vera ★★★☆

Vera Brandes a dix-huit ans à peine et un toupet fou. Rien ne lui résiste, sauf peut-être son père, un dentiste installé qui se désespère qu’elle soit moins assidue à ses cours au lycée qu’aux concerts de jazz qu’elle fréquente assidûment. Vera s’est improvisée impresario. Et, par un hasard de circonstances, c’est à elle qu’échoit la responsabilité d’accueillir le pianiste Keith Jarrett à Cologne en janvier 1975 pour l’organisation d’un concert voué à entrer dans la légende.

Au rythme de Vera est la traduction française insipide de Köln 75. Le titre allemand fait écho à plusieurs séries allemandes : Berlin 56 et sa suite Berlin 59, Deutschland 83 et ses suites Deutschland 86 et Deutschland 89. Comme elles, c’est un film historique qui ressuscite une époque : celle de Fassbinder et des années 70 où la sage RFA étouffait à force d’expier les crimes de ses pères. Il focalise le film sur l’événement qui en constitue le moyeu : le concert mythique donné par Keith Jarrett, improvisateur de génie, à l’opéra de Cologne en 1975.

C’est d’ailleurs cet argument-là qui m’a conduit à voir ce film. Comme tous les amateurs de jazz qui connaissent mal le jazz, je place Keith Jarrett et son Köln Concert au sommet de mon panthéon.

Or, c’est Vera qui est au centre du film. La vraie Vera Brandes aujourd’hui sexagénaire a d’ailleurs participé à l’écriture du scénario. C’est une fille portée par une énergie folle, qui rappelle l’héroïne de Cours, Lola, cours (encore une traduction d’une rare élégance !), toujours en mouvement. Dans la même tenue, tellement seventies, que celle qu’on voit sur l’affiche, elle passera la soirée du 24 janvier 1975 à courir pour parer au plus pressé : trouver un piano, convaincre le pianiste, épuisé par plusieurs jours de tournée et paralysé par une lombalgie, de monter sur scène….

On le sait par avance : Keith Jarrett montera sur scène, dût-il jouer sur un piano d’étude fatigué dont il n’aimait pas les aigus, ce qui le conduisit à se cantonner dans un registre plus grave qu’à son habitude. Le concert tant attendu par les protagonistes comme par les spectateurs marquera la fin du film. La façon dont le réalisateur Ido Fulk le filme est maligne.

Noyé dans une programmation qui le condamne à l’invisibilité, Au rythme de Vera risque de passer inaperçu. Ne le ratez pas !

La bande-annonce

Another End ★★★☆

Sal (Gael Garcia Bernal) ne parvient pas à se remettre du chagrin causé par la mort de sa compagne, Zoé, dans un accident de voiture. Sa sœur, Ebe (Bérénice Bejo), le convainc de recourir aux services de la société Aeterna où elle travaille. Pour rendre le deuil moins douloureux, cette société propose à ses clients de réimplanter temporairement la personnalité et les souvenirs de l’Absent dans le corps d’un Hôte.

Another End baigne dans un climat étrange. C’est un film cosmopolite : son réalisateur est italien, ses acteurs sont mexicain, norvégien, français et britannique et on reconnaît les décors nocturnes et futuristes du quartier de La Défense près de Paris.

Mais son climat étrange, Another End le doit d’abord à son scénario original qu’on croirait sorti d’un épisode de Black Mirror (notamment Be Right Back, le premier épisode de la deuxième saison). L’écueil qui guette ce genre de films est de ne savoir que faire d’un postulat génial de départ : une histoire d’amour avec une voix artificielle dans Her, la duplication des « consommables » dans Mickey 17

Another End évite cet écueil. Il y réussit doublement. D’une part en proposant une réflexion profondément philosophique sur le deuil et l’attachement (qui était déjà au cœur du précédent film de Piero Messina L’Attente). D’autre part, en racontant une histoire avec un début, un milieu et une fin. Grâce à Ebe, Sal ressuscite Zoe. Mais Zoe lui revient dans une enveloppe corporelle qui n’est pas la sienne. Sal en est déconcerté. Le temps qu’il s’habitue à la nouvelle Zoé, il lui faut respecter le protocole imposé par Aeterna et se préparer à s’en séparer à nouveau.

Je n’en dirais pas plus pour ne pas divulgâcher la fin du film. Je lis ici et là qu’elle est alambiquée et décevante. Je l’ai au contraire trouvée bluffante, la pressentant peu à peu sans l’imaginer possible.

La bande-annonce

Life of Chuck ★★★☆

Charles « Chuck » Krantz est un orphelin élevé par ses grands-parents dans une grande maison victorienne dont le grenier est cadenassé parce qu’il contiendrait un secret. Jeune collégien, Charles suit avec passion des cours de danse et devient malgré son jeune âge un danseur talentueux. Mais son grand-père le convainc de choisir le même métier que lui. Quelques années plus tard, Charles, devenu comptable, participe à un congrès. À sa sortie, il se laisse entraîner par la rythmique d’un joueur de rue et se lance dans une prestation follement inspirée où le rejoint bientôt une autre danseuse. Mais un mal sournois ronge Chuck qui mourra quelques mois plus tard alors que la planète tout entière, frappée par des phénomènes de plus en plus inquiétants, court à sa perte.

Précédé d’une réputation flatteuse, Life of Chuck déboule sur nos écrans à une période de l’année où la programmation est bien pauvre et les coups de cœur rares (mon dernier remonte à La Venue de l’avenir de Klapisch). Pour Première, c’est le film du mois. Pour moi, avant même d’entrer dans la salle, j’avais décidé que ce le serait aussi.

Mon haut degré d’auto persuasion a peut-être obscurci mon jugement. Quels seraient les défauts qu’un esprit scrogneugneu (ou plus lucide que moi) pourrait pointer ? Un manque de tempo qui rend Life of Chuck vite ennuyeux ? Une bien-pensance typiquement américaine qui, à rebours de sa prétendue originalité, englue le film dans un cinéma très mainstream ? Une philosophie qui se réduit, tout compte fait, à une morale bien pauvrette : si la mort nous attend tous, dansons la vie tant que nous le pouvons ? Une description de l’apocalypse qui est loin d’approcher celle, hypnotisante, du Melancholia de Lars Von Trier, chef d’oeuvre indépassable ? Des chorégraphies trop sucrées façon La La Land ?

Qui me connaît un peu saura que le dernier argument est pour moi irrecevable : rien n’est trop sucré dans La La Land, mon bffe (best film for ever) et tout ce qui s’en approche m’attire irrésistiblement. J’avoue m’être laissé emporter par les deux séquences dansées de Life of Chuck, avec une nette préférence pour la première qui devrait rapidement accéder au statut de séquence mythique. Ce n’est pas tant la chorégraphie de Tom Hiddleston et d’Annalise Basso ni la musique à la batterie jouée par Taylor Gordon (grâce à laquelle j’ai appris le sens du mot anglais busking) qui m’ont emporté, que l’immense joie de vivre qui s’en dégage. La danse – et, promis, je refermerai très vite cette parenthèse sentencieuse – a la vertu rare de rendre la vie à la fois plus belle et plus légère. Et tel est le message, qu’on peut en effet trouver trop frivole de Life of Chuck : la vie est plus légère quand on la danse.

Quelles sont les autres qualités de Life of Chuck à mes yeux ? J’aurais dû commencer par la plus évidente : sa construction antéchronologique. Le film, comme la nouvelle de Stephen King dont il est tiré, est construit en trois chapitres et commence par le troisième. L’acte 3 se déroule à la veille de l’apocalypse qui va détruire la planète. On n’y voit pas Chuck sinon dans des affiches mystérieuses qui saluent sa mémoire – et dont on n’aura, je crois, jamais l’explication. L’acte 2 évoque cette danse miraculeuse de légèreté interprétée par un comptable anonyme dans son costume cravate passe-muraille. L’acte 1 retrouve Chuck enfant, élevé par ses grands-parents (on reconnaîtra, ou pas, Mark Hamill, le Luke Skywalker de Star Wars dans le rôle de son grand-père alcoolique et aimant) et confronté à un mystérieux secret, le whodunit du film,  qui nous sera expliqué dans l’ultime plan.
Certes, Life of Chuck n’est pas le premier film à suivre une telle séquence. On pense à Irréversible de Gaspar Noé à 5×2 de François Ozon, à L’Etrange Histoire de Benjamin Button avec Brad Pitt [PS : L’Etrange Histoire… a pour héros un personnage qui revient en enfance mais n’est pas un film antéchronologique]. Mais cette construction maligne confère au film une originalité savoureuse.

Autres originalités assez rares dans les films hollywoodiens : l’absence de stars au générique (si ce n’est peut-être Chiwetel Ejiofor dans un rôle secondaire et le susmentionné Mark Hamill) et la discrétion du personnage principal qui fait son apparition après une demi-heure de film et disparaît vingt minutes plus tard.

J’écris cette chronique, comme toujours, quelques heures après avoir vu ce film. Si j’ai pris cette habitude, c’est à cause des capacités limitées de ma mémoire : au fil des jours, je perds inexorablement le souvenir des films que j’ai vus. Mais pour une fois, j’ai hésité à déroger à cette règle d’airain. Car Life of Chuck fait partie peut-être (ou peut-être pas) des films qui « percolent », des films dont le souvenir se modifie, pour le meilleur, avec le temps qui passe. Comment résistera au temps la « morale » de ce film dont je disais plus haut qu’on pouvait à bon droit lui reprocher d’être « pauvrette » ? Trouverai-je dans quelques jours, dans quelques semaines, que ce film était surcoté, que sa morale était frelatée ? ou au contraire, à la façon des meilleurs films de Spielberg ou de Capra, me laissera-t-il un souvenir durable qui m’aidera à vivre à l’ère des peurs apocalyptiques qui nous menacent ?

La bande-annonce

La Venue de l’avenir ★★★☆

De nos jours, un héritage compliqué conduit quatre lointains cousins que tout oppose, un apiculteur gentiment perché (Vincent Macaigne), un photographe en quête de sens (Abraham Wapler), un professeur de français vieille France (Zinedine Soualem), une executive woman dépressive (Julia Piaton), sur les traces de leur lointaine aïeule, Adèle (Suzanne Lindon) qui quitta en 1895 sa Normandie natale pour la capitale à la recherche de sa mère (Sara Giraudeau).

Cedric Klapisch est de retour. Après En corps, un des films à mon sens les plus euphorisants de ces dernières années, il a pour la première fois les honneurs de la sélection officielle à Cannes (hors compétition). Son film le mérite largement.

Il s’empare d’un scénario vraiment original, co-signé avec son vieux complice Santiago Amigorena, rencontré sur les bancs du lycée Rodin (poke mes deux fils !), qui joue à saute-moutons par-dessus trois générations, s’amusant à des jeux de miroirs entre la France de la Belle époque et celle d’aujourd’hui. Il traite à sa façon le même sujet que Partir un jour : l’arrachement d’une jeune femme à sa vie provinciale. Il réunit des acteurs de toutes les générations, les vieux fidèles de Klapisch (Cécile de France, Zinedine Soualem, François Berléand…) et la fine fleur de ce que Télérama appelle méchamment les Nepo babies, les fils et filles de : la fille de Sandrine Kiberlain, celle de Charlotte de Turckheim, celle d’Anny Duperey, le fils d’Irène Jacob…

Il réussit surtout – et c’est à mes yeux sa principale qualité – à regarder en même temps vers le passé et vers l’avenir. C’est un film nostalgique sur un Paris disparu. Mais ce n’est jamais un film réactionnaire, entonnant la lassante ritournelle du c’était-mieux-avant. Au contraire, La Venue de l’avenir est une ode à la jeunesse qui exalte une époque de progrès, de changement (l’invention de la photographie qui révolutionne la peinture, la généralisation de l’électricité…), tout entière tournée, comme son titre polysémique, vers l’avenir.

J’aurais volontiers mis quatre étoiles à ce film coup-de-cœur si une personne qui m’est chère ne m’avait pas alerté sur ses limites. Les allers-retours entre 2024 et 1895 y sont un peu trop mécaniques. Les acteurs n’y sont pas toujours bien dirigés, notamment Cécile de France malgré son brushing incroyablement stylé. Les rebondissements du scénario n’y sont pas toujours crédibles quand ils ne sont pas très prévisibles (aurez-vous deviné de qui Adèle est la fille ?).

Malgré ces défauts, La Venue de l’avenir reste pour moi un film à la fois solaire et mélancolique, un film joyeux et rieur qui nous met la banane 🙂

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Ghostlight ★★★☆

Dan est employé de la voirie de Chicago. Il n’est plus le même homme depuis qu’un drame a anéanti sa vie. Le hasard d’une rencontre le conduit à rejoindre une troupe de théâtre où il jouera Roméo et Juliette. Cette expérience cathartique sera pour lui le moyen de se réconcilier avec sa femme et avec sa fille, en pleine crise d’adolescence.

Le scénario de Ghostlight pourrait sembler bien artificiel : il croise le deuil d’une famille inconsolable et la mise en scène par une troupe de théâtre amateur de la pièce archiconnue de Shakespeare. Pourtant, à partir de ce point de départ improbable, Kelly O’Sullivan et Alex Thompson, le couple derrière la caméra, signent un film d’une bouleversante justesse qui m’a fait pleurer de la première (j’exagère : disons la deuxième) à la dernière minute.

La raison de ma réaction est double : mon histoire familiale et mon goût immodéré pour Roméo et Juliette auquel je voue, depuis l’adaptation millenial et musicale de Baz Luhrmann avec Leonardo DiCaprio et Clare Danes en 1996 qui avait divisé la critique et m’avait transporté, une admiration irraisonnée. À la même époque, j’en avais vu au théâtre des Amandiers la mise en scène de Stuart Seide qui est restée gravée dans ma mémoire. Il suffit que j’entende les premiers mots de son prologue (« Two households both alike in dignity/ In fair Verona…« ) pour que je tombe en pâmoison.

Les trois rôles principaux – le père, la mère et leur fille – sont joués par une « vraie » famille à la ville :  Keith Kupferer (une sorte de Michel Barnier aux cheveux bouclés), sa femme Tara Mallen et leur fille Katherine Mallen Kupferer. Cette dernière est particulièrement remarquable. Elle joue à la perfection une adolescente en surtension permanente, aussi prompte à se révolter (contre la bêtise des adultes et la routine du lycée) qu’à s’enthousiasmer (pour la troupe de théâtre qui, après avoir ouvert ses portes à son père, lui ouvre ses bras). Sa folle énergie contraste avec la placidité dépressive de son père qui s’est muré dans le silence.

La bande-annonce