Chronique d’une liaison passagère ★★☆☆

La quarantaine déjà bien entamée, Simon (Vincent Macaigne) et Charlotte (Sandrine Kiberlain) se rencontrent, se plaisent et s’aiment. Simon est marié, père de famille, maladroit et timide. Charlotte se remet d’une pénible séparation et ne souhaite plus s’attacher. Aussi décident-ils de placer leur liaison sous le signe de la légèreté. Sauront-ils se tenir aux limites qu’ils se sont fixées ?

Avant d’aller voir Chronique d’une liaison passagère, je savais par avance à quoi m’en tenir. Après l’avoir vu, je ne sais plus qu’en penser….

Avec Emmanuel Mouret, qui signe ici son onzième long-métrage, on est en effet en terrain de connaissance. On sait que le réalisateur de Vénus et Fleur, Mademoiselle de Jonquières, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait nous livrera un film intellectualisant et élégant sur les jeux de l’amour. On a souvent dit de lui qu’il était le successeur de Rohmer. C’est surtout sa filiation avec Woody Allen qui frappe. Cette Chronique… a des airs de Manhattan : Paris y remplace New York. Sandrine Kiberlain ressemble à Diane Keaton : elle a la même démarche, la même légèreté et joue au badminton aussi mal que Keaton jouait au tennis. Quant à Vincent Macaigne, il fait penser à tous ces acteurs alléniens à qui le maître a confié le soin de l’incarner à l’écran : il récite les textes que Mouret a écrits et que Mouret aurait pu aussi bien déclamer lui-même.

On pourrait faire bien des critiques à ce film.
Une critique marxiste : Chronique… peint des bourgeois aisés qui fréquentent les musées et les cinémas (on les voit au Petit Palais et à l’Escurial… ce qui, de mon point de vue, est une marque de goût) et ne dit rien de leur travail (on apprend que Simon pratique l’haptonomie mais on ne saura rien du métier de Charlotte) ni de leur aliénation.
Une critique féministe : Chronique… est un film d’homme qui fantasme l’adultère, en minimise la charge et sous-estime l’investissement émotionnel qu’y mettent les femmes – sans parler de la douleur qu’il cause aux femmes trompées (l’épouse de Simon est la grande absente du film). D’ailleurs la référence à Woody Allen, sur qui pèsent de graves soupçons de violences sexuelles, aurait dû nous alerter. Il faudrait prescrire à Emmanuel Mouret une bonne cure de « déconstruction » pour lui éviter de mettre dans la bouche de son héroïne des paroles telles que « On va boire un verre ou deux mais je ressens une envie irrésistible de faire l’amour avec toi » qui ne reflètent pas la psyché féminine mais sont l’expression des pires fantasmes masculins #MeToo.

Deux autres critiques moins caricaturales peuvent lui être adressées
La première concerne le tour que prend son scénario avec l’apparition d’un troisième personnage interprété par l’étonnante Georgia Scalliet. Outre que son irruption ne soit guère crédible (on imagine mal le couple si sage formé par nos deux héros ressortir aux pratiques que le scénario leur prête), on aurait aimé que l’histoire de Simon et Charlotte se dénoue sans l’intervention d’un tiers.
La seconde vise la « morale » du film, bien convenue et bien prévisible : l’amour ne peut jamais rester léger longtemps. Cette morale-là apparaît dans un plan qui frappe par sa laideur et sa maladresse : la caméra d’Emmanuel Mouret, jusqu’alors si badine, zoome brusquement sur le dos tétanisé de Charlotte lorsque Simon lui parle d’amour. Tout le paradoxe de cette morale est qu’elle contredit voire annule le principe sur lequel tout le film semblait construit.

Cet amoncellement de critiques signifie-t-il que le film ne m’ait pas plu ?
Non – et ce n’est pas le moindre des paradoxes
Je suis trop caricaturalement le produit d’un milieu pour ne pas me reconnaître dans les personnages d’Emmanuel Mouret, dans leurs goûts et leurs inclinations. Si la violence et les mensonges des personnages de Claire Denis étaient si éloignés de moi et m’ont tant rebuté dans Avec amour et acharnement, je me reconnais plus volontiers – ou j’aspire plus volontiers à me reconnaître – dans la façon d’être de Simon et de Charlotte, dans leur élégance, leur délicatesse et leur désir contrarié de légèreté.

La bande-annonce

Règlement de comptes (1953) ★★☆☆

Un haut-gradé de la police se suicide. Un sergent (Glenn Ford) est chargé d’enquêter et découvre la corruption qui gangrène les forces de l’ordre. Après qu’un attentat qui le visait a tué sa femme, il décide de retrouver les criminels et de se venger.

Règlement de comptes est un film réalisé au début des années cinquante par Fritz Lang, alors au sommet de son art. Il vient de réaliser Le démon s’éveille la nuit et La Femme au gardénia et va enchaîner avec Désirs humains et Les Contrebandiers de Moonfleet. La légende de Hollywood raconte qu’il aurait tourné Règlement de comptes en quinze jours seulement, ce qui constitue un record.

Les cinéphiles se disputent pour savoir si Règlement de comptes est ou non un film noir. Il en a l’atmosphère crépusculaire et les personnages (le flic obstiné, l’entraîneuse au grand cœur, le porte-flingues sadique…) ; mais il n’en respecte pas tous les canons. Le héros interprété par Glenn Ford – jusqu’alors abonné aux rôles de méchants – annonce en fait déjà les personnages de justicier solitaire joués par Clint Eastwood dans les 70ies ou par Charles Bronson dans les 80ies qui n’hésitent pas à user de la violence pour combattre la violence.

Même si aujourd’hui il semble bien innocent, Règlement de comptes avait choqué à l’époque. Il débute par un suicide au pistolet filmé en caméra subjective. On y voit une scène devenue mythique : Lee Marvin  – qui faisait ses débuts et dont le visage encore poupin est à peine reconnaissable – ébouillante avec une carafe de café Gloria Grahame. Mais Règlement de comptes reste dans les limites de ce que la morale autorise : le personnage joué par Glenn Ford retient son bras et n’achève pas le meurtrier de sa femme. L’Inspecteur Harry n’aura pas de telles pudeurs deux décennies plus tard.

La bande-annonce

Marcel ! ★☆☆☆

Une gamine d’une douzaine d’années est élevée par sa mère, une artiste de rue qui montre plus d’affection à son chien Marcel qu’à sa propre fille. L’enfant cherche auprès de ses grands-parents l’amour que sa mère lui refuse.

Jasmine Trinca est une star en Italie. Elle vient d’y remporter quasiment coup sur coup deux David de la meilleure actrice, l’équivalent de nos Césars, pour ses interprétations dans Fortunata et dans Pour toujours – qui ne m’avaient ni l’un ni l’autre enthousiasmé.
Elle passe pour la première fois derrière la caméra dans un film dédié à ses parents dont elle avoue elle-même la part d’autobiographie qu’il contient. Elle s’était fait la main avec ses deux actrices en 2020 dans un court-métrage, Being Mom.

Marcel ! hélas déroule l’histoire assez convenue d’une relation toxique mère-fille. Le manque criant d’amour de cette gamine veut à tout prix nous émouvoir. Le refus quasi-pathologique de cette mère de donner à sa fille l’attention qu’elle mendie voudrait se nimber d’un mystère bien vite éventé.

Ce fade brouet est sauvé de la faillite par le jeu de ses deux héroïnes : la toujours excellente Alba Rohrwacher et la jeune révélation Maayane Conti.

La bande-annonce

Le Voyeur (1960) ★★☆☆

Mark Lewis (KarlHeinz Böhm, le François-Joseph de Sissi) est un jeune homme discret et solitaire, opérateur pour une société de production. L’éducation qu’il a reçue de son père, un grand clinicien qui a fait de lui le cobaye de ses expérimentations sadiques, a détraqué son psychisme. Il habite dans un quartier cossu de Londres un étage de la maison héritée de ses parents. Il y a aménagé un immense studio de cinéma. C’est là qu’il développe et projette les films qu’il tourne avec la petite caméra qui ne le quitte jamais des meurtres qu’il commet sur des femmes dont il veut saisir à l’instant de leur mort l’image ultime de la peur panique.

Le Voyeur constitue une mise en abyme particulièrement troublante et intelligente de l’art de filmer.
Il met en scène un névrosé qui cherche à se libérer de sa maladie avec l’aide de sa voisine. Le sujet, très freudien, était dans l’air du temps dans les 50ies, la référence la plus juste étant moins Psychose, souvent cité, car sorti quasiment en même temps que Le Voyeur que La Maison du Docteur Edwardes où Ingrid Bergman aide Gregory Peck à vaincre son amnésie, ou La Femme au gardénia de Fritz Lang.
Mais cette névrose s’exprime d’une façon particulièrement originale d’un point de vue cinématographique : l’œil. L’œil qui regarde en cachette ce qui ne devrait pas être vu (c’est la définition la plus simple du voyeurisme). L’œil qui veut capter et éterniser un instant (c’est une des définitions de la photographie). L’œil qui blesse voire qui tue en révélant ce qui n’avait pas vocation à l’être. L’œil enfin de celui qu’on filme, qui se voit en train d’être filmé et ici, grâce au procédé particulièrement sadique imaginé par Mark Lewis, qui se voit en train de mourir.

Comme les plus mauvais Hitchcock, Le Voyeur n’a pas très bien vieilli. Ses héros restent encombrés d’une timidité passée d’âge : Karlheinz Böhm est trop timide pour susciter l’effroi, Anna Massey trop nunuche pour susciter le désir. La grande ballerine Moira Shearer s’en sort mieux dans le rôle d’une pythonisse aveugle et alcoolique (Michael Powell avait lancé sa carrière en 1948 dans Les Chaussons rouges). Son histoire ne glacera plus grand-monde.
Pour autant, grâce à la réflexion à laquelle il nous invite sur l’acte de filmer, Le Voyeur fait partie des grands films de l’histoire du cinéma. Il a sa place, méritée, dans toutes les anthologies.

La bande-annonce

Un été comme ça ★☆☆☆

Léonie, Gaëlle et Eugénie sont trois jeunes femmes « hypersexuelles ». Leurs sexologues les ont convaincues de suivre un programme. Pendant vingt-six jours, elles acceptent de s’isoler dans une luxueuse résidence avec une clinicienne et un travailleur social.

Un été comme ça est un film qui nous vient du Québec. On en retrouve avec bonheur l’accent savoureux de ses habitants, la splendeur de ses étés glorieux, la fraîcheur de ses lacs et cette façon unique qu’avait déjà Denys Arcand dans Le Déclin de l’empire américain de parler de sexualité. Une façon à la fois très crue et très pudique : on ne voit rien mais on dit tout. Sacré gageure pour la commission de classification qui a dû longuement hésiter entre une interdiction aux moins de douze ou aux moins de seize : Un été comme ça est par excellence le film pour lequel la création d’une interdiction aux moins de quatorze ans s’avèrerait pertinente.

Léonie, Gaëlle et Eugénie souffrent donc de troubles sexuels. Léonie ne trouve le plaisir que dans la souffrance et l’humiliation : Gaëlle se vend au plus offrant ; Eugénie ne s’est jamais remise de l’inceste qu’elle a subi. La « thérapie » qu’elles vont suivre avec Octavia et Sami est tout sauf intrusive. Il s’agit moins de les « soigner » que de leur offrir la possibilité de se reconstruire grâce à une vie saine.

Le cinéma aime filmer les thérapies de groupe. J’avais adoré Le Dernier pour la route avec François Cluzet et Mélanie Thierry en alcooliques repentants. On se souvient de La Tête haute autour d’un jeune adolescent placé par la PJJ ou du très réussi Hors normes avec Vincent Cassel et Réda Kateb. Il y a quelques mois à peine est passé inaperçu le pourtant excellent La Mif, aux frontières du documentaire et de la fiction, qui racontait le quotidien d’un foyer suisse pour mineurs isolés. Et je ne peux pas achever cette trop longue énumération sans mentionner les deux héroïnes de La fête est finie ou celui de La Prière qui trouvait la voie de la rédemption dans une communauté religieuse.

Un été comme ça interroge intelligemment la notion de « troubles sexuels » : qu’est-ce qu’une sexualité « normale » ? qu’est-ce que par conséquent une sexualité anormale ? Si aucune normalité ne peut être définie, cela implique-t-il que rien ne soit anormal ?
Son défaut est d’y apporter une réponse un peu simpliste : les troubles de la sexualité seraient le reflet d’un manque d’estime, d’un manque de respect de soi. Il lui faut plus de deux heures à arriver à cette conclusion, qui est d’ailleurs déjà posée dès le début du séjour des trois patientes.

La bande-annonce

Frankenstein (1931) ★★★☆

Le docteur Frankenstein fut un brillant étudiant en médecine, passionné par le galvanisme et l’électrobiologie, avant de devenir obsédé par un projet prométhéen : recréer la vie. Avec son fidèle assistant, Fritz, il s’est reclus dans un moulin abandonné pour se livrer à de sinistres expériences sur des cadavres qu’il déterre en cachette. Sa fiancée, la belle Elizabeth, son ancien maître, le docteur Waldman, et son père, le Baron Frankenstein, se rongent les sangs pour lui et voudraient le détourner de sa macabre entreprise.

Fort du succès qu’elle vient de remporter avec Dracula, Universal décide en 1931 d’adapter le roman à succès de Mary Shelley qui, durant tout le dix-neuvième siècle, avait déjà fait l’objet de nombreuses adaptations théâtrales. Bela Lugosi doit jouer le rôle du monstre sous la direction de Robert Florey. Mais finalement James Whale et Boris Karloff leur sont préférés par le studio. Le maquillage est confié à Jack Pierce qui leste de cire les paupières du monstre et lui rajoute un front carré bourré de coton et une calotte.

Frankenstein prend beaucoup de libertés avec le livre de Shelley dont il ne reste quasiment rien. Ce n’en est pas moins un film de légende qui figure en bonne place dans toutes les anthologies du cinéma. Il a bien sûr vieilli. Ses personnages ont les poses artificieuses dont le cinéma naissant n’était pas encore arrivé à s’affranchir. Mais le monstre n’a rien perdu de son aura magnétique. Son apparition provoque encore chez le spectateur un frisson régressif. Son destin nous émeut – qui rappelle celui de King Kong que filmera deux ans plus tard Selznick.

On croit souvent que Frankenstein est le nom du monstre, mais c’est celui du docteur qui l’a créé. Le monstre, c’est lui, qui défie la loi de Dieu et les règles de la Nature. Le monstre, lui, restera innommé tout au long du film, symbole du refus de lui reconnaître une quelconque identité. Par un étonnant renversement, il devient sympathique – comme Kong le deviendra aussi – dès qu’il se retrouve en butte à la méchanceté des humains.

La dernière scène n’est pas aussi connue que celle de King Kong. Mais elle pose une grammaire qui restera celle de tout le cinéma d’horreur pendant des décennies.

La bande-annonce

140km à l’ouest du paradis ★☆☆☆

La jeune documentariste française Céline Rouzet a sans doute dû relever bien des défis, que sa caméra a la pudeur de ne pas évoquer, pour aller au fin fond de la Papouasie Nouvelle Guinée filmer une tribu papoue prise au piège de la modernité. Sur ses Hautes terres, Exxon Mobil, avec la complicité de la classe politique corrompue, l’a privée de ses terres en lui promettant une pluie d’or qui n’est jamais venue.

Néo-colonialisme, racisme larvé, disneylandisation des peuples premiers, exploitation intensive des ressources naturelles : le terrain de Céline Rouzet rassemble jusqu’à la caricature les tares de la modernité orgueilleuse. La journaliste aurait pu verser dans le manifeste écologiste et anticolonialiste qu’on s’attendait à voir après en avoir vu la bande-annonce et en avoir lu le pitch. Elle a la retenue de ne pas le faire.

Son documentaire laisse paradoxalement un goût de trop peu. C’est un comble avec un sujet aussi riche tourné sous des latitudes aussi exotiques. Il existe, ai-je appris, une trilogie d’anthologie filmée dans la même région par un couple d’anthropologues australiens dans les 80ies : First Contact Joe Leahy’s Neighbours Black Harvest. J’imagine qu’elle fait la joie de quelques passionnés qui s’en enquillent les trois volets lors d’interminables projections en plein air à Couthures-sur-Garonne ou Arles-sur-Tech ! Je ne l’ai pas vue et découvrais ici pour la première fois un documentaire tourné dans un pays aussi lointain.

Aussi ai-je été frustré de ne pas plus en découvrir. Céline Rouzet a réussi à se faire accepter de ses hôtes qui lui ont offert un toit. Mais elle n’a rien trouvé à filmer sinon une attente émolliente, rythmée par les tentatives vaines d’un des membres du clan d’aller chaque jour devant la base-vie d’ExxonMobil en essayant sans succès d’y faire prévaloir ses droits. On a vite compris qu’il s’était fait rouler. Mais une fois cet amer constat dressé, 140km à l’ouet du paradis ne trouve plus rien à dire…

La bande-annonce

L’Ombre de Goya ★★☆☆

Le documentariste espagnol José Luis López-Linares, met face à face deux géants : le peintre Francisco de Goya (1746-1828) et l’écrivain Jean-Claude Carrière (1931-2021).

L’œuvre de Goya aurait mérité à elle seule un documentaire. Il fut, entre Velazquez deux siècles plus tôt et Picasso un siècle plus tard, le plus grand peintre espagnol, dont l’oeuvre documente une des périodes les plus troubles de l’histoire de la péninsule et frappe par sa modernité.

L’idée de génie de José Luis López-Linares – qui nous avait déjà guidé dans les salles du Prado à la découverte du Jardin des délices de Jérôme Bosch – est de nous faire découvrir cette œuvre avec Jean-Claude Carrière. Carrière était un homme aux mille talents, écrivain, scénariste, metteur en scène et à la culture encyclopédique, qui entretenait avec l’Espagne une relation particulière. Il fut longtemps le plus proche collaborateur de Luis Buñuel, dont il signa le scénario de pas moins de six films : Le Journal d’une femme de chambre, Belle de jour, Le Charme discret de la bourgeoisie

À près de quatre-vingt-dix ans, Carrière entreprend pour ce documentaire son dernier voyage en Espagne. Il en a conscience. Appuyé sur une canne, la démarche hésitante, il est au crépuscule de sa vie. Mais il n’a rien perdu de sa lucidité ni de son intelligence. Sa voix grave est toujours aussi élégante, sa scansion toujours aussi majestueuse. Avec son immense culture et cet éclair d’ironie dans son regard qui ne le quitte pas, il nous raconte, sans jamais en rajouter, les chefs-d’œuvre que l’oeil de la caméra caresse : Le Portrait de la duchesse d’Alba, Le sommeil de la raison produit des monstres, Les Majas nue et vêtue, Saturne dévorant un de ses fils et Tres de Mayo bien sûr.

L’Ombre de Goya ne révolutionne pas le genre. Sa sortie en salles ne se serait pas justifiée si les documentaires n’y drainaient désormais un public que les fictions peinent à séduire. Mais il nous fait passer un moment agréable et nous donne le sentiment éphémère d’être plus intelligent et plus sensible que nous ne sommes.

La bande-annonce

Les Enfants des autres ★★★☆

Rachel (Virginie Efira) rencontre Ali (Roschdy Zem) à un cours de guitare. Elle est enseignante, quadragénaire, sans enfant ; il travaille dans le design automobile, a peut-être une dizaine d’années de plus qu’elle et une petite fille de quatre ans et demi, Leïla, dont il partage la garde avec son ex-femme (Chiara Mastroianni).
Rachel tombe très vite amoureuse d’Ali. Elle éprouve tout autant de sentiments pour Leïla sur laquelle son statut précaire lui interdit pourtant de revendiquer aucun droit. Saura-telle se faire accepter d’elle ?

[Attention : cette critique contient des spoilers]
La bande-annonce des Enfants des autres ne m’avait pas donné envie de le voir. J’imaginais déjà un film à thèse, comme ceux qu’on projetait jadis en première partie de soirée aux Dossiers de l’écran le mardi soir sur Antenne 2 dans les années 70. Il aurait introduit un débat intitulé : « Les belles-mères et les enfants des autres » où auraient été appelés à témoigner une belle-mère qui, après avoir sacrifié de longues années à l’éducation des enfants de son conjoint, en aurait été brutalement séparée après leur rupture, une mère biologique rappelant les droits du sang, un père coincé entre deux légitimités qu’il n’oserait pas départager et un avocat ou un journaliste appelant à l’urgence de réformer le Code civil.

Certes, Les Enfants des autres n’évite pas ce moralisme un peu balourd. Il le fait d’autant moins qu’il se sent obligé d’ajouter au rôle de la belle-mère sacrifiée celui de l’enseignante militante : on y voit Virgnie Efira batailler dans un conseil de classe pour sauver un Dylan (sic) du déclassement en classe spécialisée. Cette scène-là annonce la dernière du film qui ressemble à une pub pour l’Education nationale : « Chère Sylvie, enseignante en collège, tu as quarante-cinq ans, ton mec t’a plantée, tu n’as pas réussi à faire un enfant, mais tu n’as pas tout à fait raté ta vie : Dylan/Kevin s’en est sorti ! ».

Mais – et c’est tout le paradoxe de cette dernière scène – Les Enfants des autres m’a arraché des larmes malgré son moralisme pachydermique.

Il le doit d’abord à ses acteurs. Virginie Efira au premier chef qui réussit miraculeusement (à la différence d’Isabelle Huppert) à envahir les écrans sans se répéter ni me lasser. Elle est parfaitement juste dans ce rôle profondément sympathique de la quadragénaire nullipare en mal d’enfants, loin des personnages hystériques écrits par Christine Angot ou des égocentriques adulescents à la FabCaro qui sont tellement à la mode dans le cinéma français. Virginie Efira est une tête d’affiche ; mais ce n’est pas une star inaccessible comme l’était Deneuve ou Adjani. C’est la copine ou la sœur qu’on aimerait avoir, la girl next door avec qui on aimerait prendre un thé ou faire les boutiques.
Mais il n’y a pas qu’elle. Roschdy Zem est lui aussi parfait. Il trimballe de film en film la même dégaine avec sa veste en jeans trop serrée et ses pieds en canard. Mais il est lui aussi très juste et, ce qui ne gâte rien, Rebecca Zlotowski laisse sensuellement sa caméra traîner sur ses fesses – alors qu’elle filme la nudité de Virginie Efira sur un mode comique pas du tout sensuel (la scène du balcon) qui lui va très bien.
Mention spéciale à Chiara Mastroianni qui en trois scènes seulement revisite la figure de la mère et évite le manichéisme dans lequel on l’aurait spontanément enfermée.

Rebecca Zlotowski (Une fille facile, Planétarium, Grand Central, Belle Epine) est une cinéaste confirmée. Elle sait y faire. Elle dirige avec beaucoup de maîtrise ses acteurs. Elle sait susciter grâce à eux une émotion qui a eu tôt fait de lever mes réticences. Le scénario y est pour beaucoup qui nous entraîne gentiment, quitte à un détour vacancier par la Camargue, du début vers la fin dans un récit dont la paisible linéarité m’a reposé des complexes flashbacks dont chaque film aujourd’hui se sent obligé d’être lesté. Reste une minuscule réticence sur ce scénario : le revirement d’Ali que j’ai trouvé trop abrupt.

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Le Droit du plus fort (1975) ★☆☆☆

Franz Biberkopf (Fassbinder en personne dans le rôle principal) est un ancien forain au chômage. Sans éducation, d’un milieu très modeste, homosexuel en mal d’amour, il rencontre dans une pissotière Max, un antiquaire, qui lui présente Eugen, un fils de bonne famille. Entretemps Franz a miraculeusement gagné un demi-million de marks au loto.
Son pactole lui permettra d’acheter un penthouse et de le meubler luxueusement. Il permettra surtout à Eugen de renflouer l’entreprise familiale en quasi-faillite.

Quand Rainer Werner Fassbinder tourne Le Droit du plus fort, il a trente ans à peine, le visage encore poupin… et sept ans seulement encore à vivre.
Il traite ici l’homosexualité frontalement en mettant en scène des couples homosexuels, en filmant leurs lieux de rencontres (les toilettes publiques, les bars, les saunas, le tourisme sexuel au Maroc…). À sa sortie, le film fut réprouvé par la communauté gay qui s’estimait caricaturée et accusait Fassbinder d’homophobie et de haine de soi.

Mais le sujet du film n’est pas l’homosexualité.
Il est, comme son titre l’annonce, la lutte des classes qui opprime les plus faibles. Franz est un beauf, sans manière, un Eddy Bellegueule avant l’heure, propulsé dans le monde frelaté de la haute bourgeoisie qui va le tolérer, le temps de siphonner son argent, l’essorer et enfin le jeter une fois qu’il aura les poches vides.

La satire est cruelle. Elle n’a rien de drôle, même si Fassbinder, pour une des rares fois dans son oeuvre, la parsème de quelques scènes comiques. Elle s’étire sur deux heures, un format sans doute un peu long pour un scénario cousu de fil blanc dont on connaît par avance la cruelle conclusion.

La bande-annonce