La Marque du tueur ★☆☆☆

Le réalisateur Seijun Suzuki vient de mourir. Une rétrospective lui est consacrée. Ce cinéaste japonais méconnu, auteur d’une quarantaine de films jamais sortis en France, a influencé Jim Jarmusch – dont le Ghostdog serait inspiré de La Marque du tueur – et Quentin Tarantino.

Il est vrai qu’on retrouve dans son œuvre tout à la fois la noirceur et l’humour potache d’un Tarantino. La Marque du tueur est sans doute son film le plus marquant, le dernier qu’il ait réalisé pour les studios Nikkatsu avant d’en être renvoyé au motif que son film aurait été « incompréhensible » et « invendable ».

Je ne suis pas loin de partager le point de vue du PDG de la Nikkatsu. J’ai moi aussi trouvé totalement incompréhensible ce film, qui raconte avec un humour distancié et une violence stylisée, l’histoire d’un yakuza en rupture de bans (l’étonnant Jo Shishido, l’acteur fétiche de Suzuki, aux bajoues de hamster sous ibuprofène).

Est-il nécessaire de comprendre une œuvre d’art pour l’apprécier ? On dirait un sujet de bac de philo. La réponse est nuancée – sinon ça ne ferait pas un bon sujet de bac. On peut être ému par une peinture, une sculpture, une composition musicale, sans la comprendre. S’agissant d’un film ou d’un livre, l’émotion esthétique seule se suffit plus difficilement à elle-même. J’avoue être un peut trop intello – et pas assez esthète – pour goûter aux films sans queue ni tête, sans colonne vertébrale, qui, à force de désinvolture dans leur construction et leur montage, donnent parfois l’impression de se ficher du spectateur. C’est le cas de certains Godard – dont Alphaville qui aurait inspiré Suzuki. C’est aussi le cas de cette Marque du tueur.

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Tomb Raider ★☆☆☆

La vingtaine, jolie, sportive, intelligente, Lara Croft n’arrive pas à faire le deuil de son père, disparu dans de mystérieuses circonstances sept ans plus tôt. Il lui a laissé un empire mais elle se refuse à en reprendre la direction tant qu’elle n’aura pas élucidé les causes de son décès. C’est ainsi qu’elle prend la mer à Hong Kong vers une île mystérieuse, au large du Japon, où son père serait allé chercher la tombe d’une impératrice japonaise aux pouvoirs maléfiques.

La plus célèbre héroïne de jeu vidéo est de retour. Angelina Jolie lui avait prêté ses traits – et ses mensurations généreuses – dans  deux films sortis en 2001 et 2003. C’est la jeune actrice Alicia Vikander qui reprend le flambeau. Ce choix est symptomatique d’une évolution. L’hyper-sexualisation du personnage, qui en avait fait le succès mais lui avait aussi valu bien des critiques, n’est plus de mise. Si Alicia Vikander n’est pas désagréable à regarder, si elle arbore volontiers un T-shirt mouillé qui ne cache rien de sa séduisante plastique, elle a la taille (1.68m) et le tour de poitrine de la girl next door. Et si, bien sûr, elle fait montre, face aux innombrables épreuves qui jalonnent sa route, d’une agilité physique étonnante, c’est surtout grâce à son intelligence et à son cœur qu’elle en viendra à bout.

Que dire de ce reboot – dont l’épilogue ouvre la possibilité d’une suite dont le succès du film aux Etats-Unis et plus encore en Asie rend le tournage probable ? Pas grand chose. Sinon qu’il supporte honorablement la comparaison avec les standards du genre. Camper Lara Croft en riche héritière fait penser à Largo Winch. La faire échouer sur une île mystérieuse après une tempête déchaînée rappelle King Kong. La faire déjouer, contre toute vraisemblance, les mille et une ruses qui protègent la sépulture de l’impératrice Himiko, tandis qu’elle a maille à partir avec les méchants très méchants de la mystérieuse organisation Trinité, c’est reproduire, sans guère d’imagination, les passages obligés du jeu vidéo auquel ce film sans génie donnera peut-être une seconde jeunesse, quand bien même il a été créé à une époque où ses joueurs actuels n’étaient pour la plupart pas encore nés.

  1. PS : Je viens de vérifier. Angelina Jolie fait 1.69 seulement. Comme quoi : size does not matter

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The Disaster Artist ★★★☆

En 2003 sort The Room, un film écrit, produit et réalisé à grands frais par Tommy Wiseau qui y joue le personnage principal. Le film est un nanar d’anthologie, si mauvais qu’il suscite une hilarité contagieuse et devient vite un film culte.
James Sestero avait rencontré Tommy Wiseau quelques années plus tôt dans un cours de théâtre. Il a partagé un appartement avec lui à Los Angeles et a tourné dans The Room. Il a tiré de cette expérience tragico-comique un livre publié en 2013 The Disaster Artist.

Qui est Tommy Wisseau, le producteur/réalisateur/acteur dont The Disaster Artist raconte l’histoire ? Le film de James Franco laisse planer le mystère. La notice de Wikipedia lève le voile sur son lieu et sa date de naissance ainsi que sur l’origine de sa richesse. Je vous laisse la consulter – ou pas.

Le film a raison de n’en rien dire ; car le personnage de Tommy Wiseau est d’autant plus fascinant que son passé reste nimbé de mystère. James Franco est proprement stupéfiant dans son interprétation. Son accent vaguement est-européen, son visage déformé par un accident de voiture, ses cheveux huileux, ses ceintures improbables : James Franco/Tommy Wiseau a une dégaine impayable. Le personnage nous reste étranger et c’est tant mieux. On ne saura pas si c’est un monstre d’orgueil ou un être écrasé de timidité. Les deux probablement. Sur un point en revanche, le doute n’est pas possible : Tommy Wiseau est un acteur calamiteux.

Ne partez pas avant la fin du générique. On y voit quelques extraits de The Room et on découvre avec quel soin minutieux James Franco en a recréé les scènes jusqu’aux moindres détails. Ce qui nous semblait excessif, outrancier, too much apparaît devant nos yeux ébahis et hilares pour ce qu’il est : le reflet de la réalité.

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Black Panther ★★☆☆

À la mort de son père, le prince T’Challa (Chadwick Boseman) monte sur le trône du Wakanda. Ce petit pays enclavé d’Afrique connaît, à l’abri des regards envieux du monde extérieur, une prospérité enviable grâce aux réserves de vibranium que renferme son sous-sol.
Mais l’autorité du nouveau roi est bientôt menacée par son cousin, Erik « Killmonger » Stevens (Michael B. Jordan) qui a grandi aux États-Unis et entend rompre avec l’isolationnisme du Wakanda une fois qu’il sera monté sur le trône.

On m’a tant rebattu les oreilles avec Black Panther que j’ai fini par aller le voir près de deux mois après sa sortie. Pourtant je n’aime guère les films de super-héros dont je trouve les débordements pyrotechniques inutilement bruyants et les scénarios d’une affligeante pauvreté. À mon grand soulagement, Black Panther ressemble moins à un film de super-héros qu’à un film d’espionnage façon James Bond dont le héros, lesté de son lot de gadgets ingénieux (un masque de panthère et des super tongs), se déplace d’un continent à l’autre (de la Californie au Wakanda en passant par la Corée du sud – histoire de séduire le public asiatique) pour traquer un super-vilain.

Mais c’est surtout l’arrière-plan politique qui m’intéressait. On a déjà beaucoup glosé sur le sujet. Black Panther serait même le film ayant suscité le plus grand nombre de tweets de l’histoire du cinéma.
Inutile donc de rappeler que Black Panther, dont la quasi-totalité des acteurs sont noirs, est le premier super-héros noir de la franchise Marvel pourtant vieille de plus d’un demi-siècle et qu’il marquera de ce fait une étape importante dans le Black Empowerment – tout comme la place donnée aux femmes témoigne d’une attention accrue portée aux questions de genre.
Inutile de souligner l’engouement qu’a suscité dans la diaspora africaine et sur le continent noir l’image d’un pays africain épargné par la colonisation, libre de gérer ses ressources naturelles sans ingérence extérieure, et ayant brillamment réussi son développement sans renoncer à son authenticité.
Inutile aussi de critiquer l’Afrique caricaturale et fantasmée symbolisée par le Wakanda afrofuriste, qu’il s’agisse des décors construits en carton-pâte dans les studios d’Atlanta en y mélangeant les chutes d’Iguazu en Amérique latine et les chutes Victoria en Afrique australe ou des acteurs dont les caractéristiques empruntent aux coiffures zouloues, aux tenues masaïs et aux scarifications oromos.

Les deux héros incarnent deux conceptions de la question noire et des moyens de la résoudre. L’approche non violente du roi T’Challa rappelle Martin Luther King, celle plus violente de Killmonger évoque Malcom X. Mais c’est à un parallèle plus audacieux, sans doute plus improbable, qui m’est venu à l’esprit et que je n’ai trouvé nulle part dans l’immense littérature qui prolifère autour de Black Panther : le rapprochement avec Staline et Trotski qui, au lendemain de la mort de Lénine, prône, pour le premier l’avènement du socialisme dans un seul pays (à l’instar du roi T’Challa qui n’entend pas révéler au monde les bénéfices qu’apporte au seul Wakanda le vibranium) alors que le second était favorable à la révolution mondiale (comme Kikllmonger qui veut utiliser les richesses du Wakaneda pour défendre la cause des Noirs partout où ils sont opprimés).

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La Belle et la belle ★☆☆☆

Margaux I (Agathe Bonitzer) a vingt-cinq ans, vit à Paris et ne sait pas trop que faire de sa vie. Margaux II (Sandrine Kiberlain) en a vingt de plus, habite Lyon et monte à Paris enterrer une vieille amie.
Margaux I et Margaux II ne forment en fait qu’une seule et même personne. L’aînée est le produit des choix de la cadette. La cadette a devant elle l’infinie des possibles entre lesquels la vie a obligé l’aînée à arbitrer.

Diplômée, comme Noémie Lvovsky ou la regrettée Solveig Anspach, de la toute première promotion de la Femis, Sophie Fillières est une réalisatrice et une scénariste dont les films et les scénarios élégants (Gentille, Ouf, Week-ends, Arrête ou je continue) interrogent avec humour le mal-être de nos contemporains. Sa dernière réalisation ne déroge pas à la règle qui est bâtie sur un postulat fantastique : que ferions-nous si nous nous rencontrions âgé de vingt ans de plus et que nous découvrions ce que nous avons fait de notre vie ?

Sans doute céderions-nous au désespoir. Notre ambition était si grande, nos rêves si immenses et l’horizon des possibles si large… On comprend que Margaux II trouve Margaux I horripilante – même si elle porte fièrement sa quarantaine bien frappée – qui est devenue lyonnaise et prof d’histoire-géo (poke ma belle-sœur). Mais bizarrement, ce n’est pas cette veine qui est utilisée, pas plus que celle, comique, qui aurait consisté pour Margaux II à prévenir Margaux I des événements sur le point de survenir dans sa vie.

La Belle et la belle après une mise en bouche appétissante s’affadit dans un trio amoureux dépourvu d’intérêt. Tandis que Margaux II renoue avec son ex (Melvil Poupaud), Margaux I en fait la connaissance. Logiquement, une longue histoire d’amour – dont on sait hélas l’issue inéluctable – est en train de commencer entre Margaux I et le bellâtre, histoire qui, logiquement encore ( à supposer que la logique ait sa place dans ses boucles temporelles vite absurdes), doit empêcher Margaux II de renouer avec son ex. L’histoire se termine avec une belle élégance, manière de montrer que nos vies ne sont pas jouées d’avance, quel que soit son âge. Mais cet épilogue, aussi intelligent soit-il, ne suffit pas à sauver le film.

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Après la guerre ★☆☆☆

Marco est un militant d’extrême-gauche italien, réfugié en France dans les années quatre-vingts. La « doctrine Mitterrand » l’y protège d’une extradition vers l’Italie. Mais cet usage vacille quand un nouvel assassinat est commis à Bologne en 2002, par un groupuscule qui se réclame de sa mémoire.
Marco quitte immédiatement Paris et se réfugie avec sa fille, Viola, seize ans, dans une maison landaise perdue au fond des bois, en attendant de passer au Nicaragua.
Pendant ce temps, en Italie, sa mère et sa sœur, avec lesquelles il a rompu tout lien, voient resurgir les fantômes du passé.

Après la guerre est inspiré de l’affaire Battisti. On se souvient que cet Italien, condamné par contumace à la prison à perpétuité, réfugié en France à partir de 1990, avait été arrêté en février 2004 et menacé d’extradition vers la France (sa requête devant le Conseil d’État tendant à l’annulation du décret le concernant puis sa plainte devant la CEDH ont été respectivement rejetées en 2005 et en 2007). Battisti s’est soustrait à son contrôle judiciaire en août 2004 et s’est enfui au Brésil où le statut de réfugié politique lui  a été accordé et où il vit depuis lors.

Après la guerre s’éloigne considérablement des faits réels. Il se concentre sur les premiers jours de la cavale de Battisti. Il en modifie radicalement l’issue – dont nous ne dirons rien. Il choisit de la reconstituer moins du point de vue de son principal protagoniste que de ceux de ses proches : sa fille, sa sœur et sa mère.

Ce choix de scénario est discutable. Outre qu’il écartèle le film en deux parties nettement distinctes, l’une en Italie, l’autre dans les Landes, que rien ne rapproche, il présente l’inconvénient de raconter des histoires de famille comme on en a déjà filmé tant et plus. La jeune Charlotte Cétaire a beau être excellente, sa prestation ne suffit pas à faire échapper son rôle des sentiers trop sages de la rébellion adolescente.

Il aurait été plus intéressant de se focaliser sur le prisonnier en cavale. Après la guerre le fait, dans une scène trop brève où il est confronté aux questions d’une journaliste jouée par la toujours juste Marilyne Canto. Elle lui demande s’il regrette le crime qu’il a commis vingt ans plus tôt, s’il a de la compassion pour l’enfant de huit ans qu’il a laissé orphelin. Marco biaise, ne répond pas. C’est cet évitement qu’il aurait fallu disséquer, souligner, critiquer. C’était là le vrai sujet du film qu’hélas Après la guerre a loupé.

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Mektoub, My Love : Canto Uno ★★★★

Plus intéressé par le cinéma et la littérature que par ses cours à la faculté de médecine, Amin rentre de Paris passer l’été chez sa mère  qui tient en famille un restaurant tunisien à Sète. Il retrouve son cousin Tommy, un dragueur invétéré, son oncle Kamel, sa tante Camélia. Il retrouve aussi une amie d’enfance, Ophélie, dont le mariage imminent avec Clément ne l’empêche pas de coucher avec Tony. Sur la plage, Amin et Tony font la connaissance de deux touristes de passage, la blonde Céline et la brune Charlotte.

C’est l’amour à la plage. Aou et cha-cha-cha. Le tube de Niagara date de 1986. Mektoub My Love (un titre dont rien ne viendra éclairer la signification mystérieuse) est censé se passer huit ans plus tard. On se demande d’ailleurs pourquoi avoir situé l’action du film à cette époque au risque de quelques anachronismes : le Charles-de-Gaulle, sur lequel le fiancé de Ophélie est censé voguer dans le Golfe persique, n’avait pas encore appareillé à cette date. Plus grave : le langage des ados en 1994 n’était pas émaillé des « kiff » et des « grave » qui ponctuent leurs dialogues. Au surplus, l’époque n’était pas celle de l’adolescence ni même de la post-adolescence d’Abdellatif Kechiche, né en 1960 et dont Amin constitue indiscutablement le double autobiographique.

Alors pourquoi 1994 ? Pour la musique géniale qui aligne les tubes qui nous ont fait danser sur les dance floors au temps révolu où j’avais encore des cheveux : You make me feel (qui accompagne la bande-annonce que je défie quiconque de regarder sans battre la cadence), Sing Hallelujah, Pump up the volume… Peut-être aussi pour fantasmer une époque sans racisme caractérisée par une mixité heureuse de Français et d’Arabes, de garçons et de filles, d’avant le 11-septembre et Charlie, d’avant le voile et le burkini.

De quoi est-il question dans Mektoub, My Love ? De rien de spécial au risque de friser l’inconsistance, les plus sévères diront de s’y perdre. Mektoub raconte ce que les garçons et les filles font l’été au bord de la Méditerranée : aller à la plage, se baigner, boire des coups, sortir en boîte, draguer, coucher, s’aimer et rompre… Approfondissant la technique qui était déjà la sienne dans L’Esquive ou La Graine et le Mulet, la poussant dans ses derniers retranchements, Abdekllatif Kechiche choisit de filmer la vie comme elle est, allongeant les scènes et allongeant son film au-delà de ce qu’on a l’habitude de voir au cinéma. Il en résulte un étonnement, parfois un malaise. Il faut les dépasser. La première scène nous y aidera, qui dure pas loin de vingt minutes, qui voit Amin surprendre Ophélie avec Tony. Mektoub, My Love dure près de trois heures. Parti pris sacrément culotté à une époque où le cinéma est si étroitement corseté dans un ensemble de règles et de normes censées garantir le succès.

Autre parti pris : celui de filmer la sensualité des corps, les peaux bronzées et mouillées par l’eau de mer, les filles plantureuses et callipyges. Quand la caméra d’Abdellatif Kechiche se pose sur une fille, elle la filme de haut en bas, en s’attardant sur ses fesses, comme le fait Amin, son personnage principal, qui regarde mais ne touche pas, moitié par timidité, moitié par gêne. « Male gaze » malsain d’un réalisateur border line – dont on sait par ailleurs le comportement avec ses actrices et avec son équipe technique sur le tournage de La Vie d’Adèle ? ou hommage à la dyonisiaque beauté du corps féminin d’un artiste qui se revendique de Renoir ? Retenons, pour la défense du réalisateur, que son regard ne salit pas, n’avilit pas et que son film, s’il trahit une approche masculine de la sensualité et du désir, ne donne pas de la femme une image dégradante.

« Pointless people, pointless stories « critiqua ma voisine à la sortie de la salle où elle n’avait cessé pendant près de trois heures de pousser des soupirs irrités en se contorsionnant sur son siège. Elle n’a pas entièrement tort. Mektoub, my love raconte la vie sans intérêt de personnages sans intérêt. Mais le cinéma, la littérature doivent-ils se focaliser sur des personnages « intéressants » ? N’ont-ils pas d’autant plus de mérite, d’autant plus de génie à sublimer l’existence ordinaire de personnages ordinaires ? La caméra bouillonnante de sensualité de Abdellatif Kechiche le démontre magistralement.

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Pas comme lui ☆☆☆☆

Léo, la vingtaine, débarque à Paris. Il s’installe chez son père qu’il n’avait plus vu depuis des années. Celui-ci se travestit avec quelques garçons qui, comme lui, battent le pavé. La violence de leurs souteneurs les rattrape bientôt.

Le travestisme est un sujet qui a beaucoup inspiré le cinéma : The Danish Girl de Tom Hooper, Nos années folles de André Téchiné, Lola Pater de Nadir Moknèche, Laurence Anyways de Xavier Dolan, Une nouvelle amie de François Ozon, Chouchou de Merzak Allouache, The Crying Game de Neil Jordan… et la quasi totalité des films d’Almodovar. À noter qu’on filme des hommes travestis en femmes et quasiment jamais l’inverse. Et lorsque des femmes se travestissent en hommes, ce n’est pas en réponse à une quête identitaire mais pour accéder à des fonctions ou à des privilèges réservés aux hommes : Barbara Streisand, qui joue une jeune Juive polonaise qui veut étudier la Torah dans Yentl, Glen Close dans le rôle d’une Irlandaise sans le sou employée comme majordome dans Albert Nobbs, les Iraniennes privées de football dans Hors jeu

Celui qui m’a le plus troublé n’est pas le plus célèbre. Il s’agit de Les nuits d’été, un film français sorti début 2015 passé inaperçu, couturé de défauts, mais bourré de qualités. Guillaume de Tonquédec (plus connu pour son rôle dans Fais pas çi fais pas ça) y jouait un notable de province, dans les années cinquante, marié à Jeanne Balibar, heureux en ménage qui, le week-end venu, s’isolait dans sa maison de campagne pour se travestir avec quelques amis.

Pas comme lui aurait pu avoir la même sensibilité, évoquer la découverte par un fils du travestisme de son père ou celle par une mère de son travestisme de son fils. Hélas le film de Franck Llopis n’a pas cette finesse là. Mal tourné, mal éclairé, mal joué, il se perd dans une histoire sans intérêt et dépourvue de toute crédibilité de vengeance façon Un justicier dans la ville : après la mort de son père, Léo décide de tuer, les uns après les autres, les auteurs de son crime. On décroche le pompon quand le flic qui le poursuit l’absout de ses fautes. Un navet monumental à ranger avec The Room de Tommy Wiseau parmi les nanars les plus tristement mémorables.

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Les Bonnes Manières ★★☆☆

Ana, une riche Brésilienne enceinte, embauche Clara pour l’aider dans les tâches ménagères et avec l’enfant à naître. Ana, qui a conçu son enfant dans des circonstances nimbées de mystère, a une grossesse compliquée. Tandis que l’attirance mutuelle des deux femmes grandit, Ana manifeste, les nuits de pleine lune, un comportement inquiétant.

Les Bonnes Manières n’a pas volé le Prix du public qui lui a été décerné à Géradmer. C’est un film intrigant, à la frontière de plusieurs genres.

C’est, en première approche, un film qui traite de l’ambiguïté des relations ancillaires entre une patronne et sa bonne. Le cinéma latino-américain s’en est fait une spécialité – signe tout simplement que l’emploi de domestiques y est plus fréquent que sous d’autres latitudes : le chilien La Nana (2009), le brésilien Une seconde mère (2015), l’argentin La Fiancée du désert (2017).

C’est aussi un film d’amour entre deux femmes que tout a priori sépare – au point d’ailleurs de rendre leur relation improbable : le statut social, la couleur de la peau… La tendresse que Clara porte à Ana, sa compassion avec sa souffrance, son désir qu’on découvrira bientôt immense de la secourir ne peuvent que toucher.

Et bien sûr c’est enfin un film de loup garou comme on les aime : avec des pleines lunes, des poils en pagaille et des jets d’hémoglobine. Ce n’est pas la seule dimension du film. Je l’ai dit. Mais ce n’est même pas sa dimension essentielle. Car si le jeune lycanthrope avait été affligé de n’importe quelle autre maladie honteuse nécessitant l’attention de chaque instant de sa mère, le film aurait fonctionné de la même façon.

La richesse de ce curieux film brésilien, comme on en avait jamais vu, constitue sa principale faiblesse. car il peinera à trouver son public. Les amateurs du genre le trouveront trop alambiqué, pas assez sanglant. Ceux au contraire que les loups-garous effraient s’en tiendront à distance.

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The Captain ★★★☆

Dans les derniers jours de la guerre, alors que l’ordre nazi se fissure inexorablement en Allemagne, le caporal Herold déserte. Pour sauver sa peau, il usurpe l’identité d’un Hauptmann de la Wehrmacht. Pour justifier son uniforme, il s’invente une mystérieuse « mission spéciale » que lui aurait confiée personnellement le Führer.

Il y aurait eu mille et une façons de raconter les aventures d’un déserteur au crépuscule du Troisième Reich. Une possibilité aurait été l’humour loufoque façon Begnini (La Vie est belle) voire Monthy Python. Une autre, vers laquelle louche par moments The Captain, aurait été le cinéma de guerre pop – si tant est qu’on puisse ainsi le décrire – de Tarantino façon Unglorious Basterds.

Mais c’est décidément la veine la plus âpre que choisit Robert Schwentke, un cinéaste allemand, qui est allé perdre son âme – et remplir son compte en banque – à la réalisation de quelques superproductions hollywoodiennes (Flight Plan, RED, les suites de Divergente…) avant de revenir en Allemagne la regagner. The Captain (le titre international, en France comme aux États-Unis, de Der Hauptmann) rappelle ces films soviétiques ou russes d’une dureté d’airain sur la Seconde guerre mondiale et ses atrocités : Requiem pour un massacre de Elem Klimov (1985), Dans la brume de Sergei Loznitsa (2012) voire L’Enfance d’Ivan de Andrei Tarkovski (1962).

Mais c’est surtout à un livre que ce film perturbant m’a fait penser : Les Bienveillantes, le prix Goncourt 2006 de Jonathan Littell. Car, en mettant en scène un salaud ordinaire, un homme que l’horreur de la guerre et la seule obligation de sauver sa peau ont privé de tout discernement moral, The Captain décrypte avec une délectation sadique la même mécanique qui transforme un homme en monstre.

Ne quittez pas la salle avant de voir le générique de fin jusqu’à sa dernière image. Glaçante mise en abyme qui nous fait toucher du doigt l’actualité traumatisante d’une logique de déshumanisation qu’on aurait tort de cantonner aux livres d’histoire.

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